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Troisième section. La multiplicité délicate des normes de concrétisation nationale

UN CARACTÈRE CRITIQUÉ

174. « [P]arce qu’il n’y a pas de droit sans une sanction matérielle »257, toute hiérarchie des normes nécessite une garantie. L’État de droit revêt donc l’exigence de la protection des normes de sa hiérarchie. Certes, cette protection induit logiquement et prioritairement une « sanction judiciaire »258. Toutefois, la garantie de l’État de droit implique également en amont l’organisation de dispositifs pré-juridictionnels, tendant à développer ce que le doyen DUGUIT appelle « une sanction préventive »259. Au titre de ces nécessaires « puissantes garanties politiques et éthiques »260, la séparation des pouvoirs constitue un élément fondamental, d’ailleurs explicitement mentionné par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont l’article 16 synthétise les deux aspects – politique et juridique – de l’efficacité de l’État de droit261.

175. La transposition du concept « État de droit » dans le contexte

communautaire induirait alors que la Communauté et l’Union de droit sont fondées sur un double contrôle politique et juridique. Pour autant, si l’existence de mécanismes politiques est essentielle dans la prévention contre l’arbitraire des gouvernants en général, la structure institutionnelle communautaire ne répond pas à la logique classique de la séparation des pouvoirs262. Cette originalité s’explique simplement dans la non-identification de la Communauté ou de l’Union européennes en un véritable État263

. De toute façon, de tels mécanismes politiques – en outre apparus parfois récemment, et dont l’efficacité semble encore limitée264 – ne peuvent expliquer la réalité découverte par le juge communautaire : la Communauté puis l’Union européennes de droit n’ont été expliquées qu’en ce qui concerne l’aspect de la garantie juridictionnelle, le

257 L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel. 3. La théorie générale de l’État (suite et fin), Paris, éd. E. de Boccard, 3ème éd., 1930, 856 p., § 88, L’État de droit, p. 592.

258 L. GOFFIN, « Introduction aux Actes de la Journée d’études organisée par les Cahiers de droit européen : L’accès à la Justice dans l’Union européenne », CDE, 1995, pp. 529-534, p. 532.

259

L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel. 3., op. cit, p. 592.

260 G. JELLINEK, Gesetz und Verordnung. Staatsrechtliche Untersuchungen auf rechtsgegeschichtlicher

und rechtsvergleichender Grundlage, Freibung, Mohr (Siebeck), 1887, p. 398, cité par O. JOUANJAN,

« Une Cour constitutionnelle pour l’Autriche ? Sur un projet de Georg Jellinek en 1885 » in Les droits

individuels et le juge en Europe, Mélanges offerts à Michel Fromont, Strasbourg, Presses Universitaires de

Strasbourg, 2001, 473 p., pp. 285-311, p. 310.

261 L’article 16 dispose en effet : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

262 D. SIMON, Le système juridique communautaire, op. cit., § 119, p. 176.

263

Voir supra, § 20.

264

À propos du mécanisme de l’article 7 TUE, voir H. SCHMITT von SYDOW, « Liberté, démocratie, droits fondamentaux et État de droit : analyse de l’article 7 du traité UE », op. cit., p. 315 : « Au stade actuel de l’intégration européenne, les "plaintes" qui ne se réfèrent pas aux politiques communautaires, ont peu de chances d’aboutir ».

Caractérisation de l’Union et de la Communauté de droit

95 juge ne pouvant s’intéresser qu’au seul domaine dont il procède. La compréhension de ce contexte global aux droits fondamentaux communautaires, eux-mêmes apparus du fait du juge265, n’implique ainsi qu’indirectement la question politique ; en tout cas, elle s’éloigne trop de notre objectif266 et mérite à ce titre d’être écartée.

176. La garantie juridictionnelle au sein de la structure « de droit » consiste en

fait en un contrôle du juge de la validité des normes ainsi que, selon les ordres juridiques, de leur conformité, au regard des règles de forme et donc éventuellement de fond posées par la norme qui leur est supérieure, dans le cadre de la hiérarchie préalablement identifiée267. La sanction juridictionnelle de la hiérarchie des normes suppose alors l’intervention d’un juge compétent au sein d’une architecture de recours contentieux conçus pour être efficaces. Notamment, il doit être possible de réprimer aussi bien « l’édiction d’un acte entaché d’illégalité [que] l’abstention illégale d’exercer une compétence »268 et, surtout, les personnes susceptibles d’être lésées par ces illégalités doivent pouvoir s’adresser à un juge pour initier leur sanction.

177. Les traités communautaires organisent à ce titre un système contentieux

relativement précis, et régulièrement approfondi à mesure des modifications des engagements communautaires269. Tout d’abord, une institution est spécifiquement chargée d’assurer « le respect du droit » communautaire selon l’article 164 devenu 220 TCE : la juridiction communautaire ou la Cour de justice, regroupant la CJCE, le TPICE et les chambres juridictionnelles spécialisées270. Ensuite, plusieurs recours sont organisés de manière à sanctionner l’action illégale – recours en annulation de l’article 173 devenu 230 TCE –, l’absence illégale d’action – recours en carence de l’article 175 devenu 232 TCE en ce qui concerne les institutions, et recours en manquement de l’article 169 devenu 226 TCE en ce qui concerne les États membres – ou encore à mettre en jeu la responsabilité de la Communauté – article 178 devenu 235 TCE –. De tels recours seraient toutefois inutiles et superflus si leur mise en œuvre se révélait trop laborieuse. En effet, les sujets du droit communautaire, en tant que potentielles victimes des illégalités normatives communautaires, doivent pouvoir demander au juge d’agir. Autrement dit, ils doivent disposer d’un droit au recours ou droit au juge271.

265 Voir supra, §§ 38-40.

266

Voir supra, §§ 41 et s., à propos du caractère juridictionnel du système étudié.

267

Voir à ce sujet, H. KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La Justice constitutionnelle) », op. cit., spéc. sur le « problème juridique de la régularité », §§ 1 à 3, pp. 198-204.

268 A. BARAV, « Considérations sur la spécificité du recours en carence en droit communautaire », RTDE, 1975, pp. 53-71, p. 53.

269

À propos de l’instauration d’un double degré de juridiction, voir K. LENAERTS, « Le Tribunal de première instance des Communautés européennes : regard sur une décennie d’activités et sur l’apport du double degré d’instance au droit communautaire », CDE, 2000, pp. 323-409. À propos de la création de chambres juridictionnelles spécialisées, voir D. RUIZ-JARABO, « La réforme de la Cour de justice opérée par le traité de Nice et sa mise en œuvre future », RTDE, 2001, pp. 705-725 ; ou encore O. TAMBOU, « Le système juridictionnel communautaire revu et corrigé par le traité de Nice », RMCUE, 2001, pp. 164-170.

270

À propos de l’idée de « segmentation de la juridiction communautaire », voir D. SIMON, Le système

juridique communautaire, op. cit., § 390, pp. 494-495.

271 À l’instar du doyen FAVOREU, nous ne ferons pas de distinction entre les différentes appellations du droit en question. Se référer à L. FAVOREU, « Résurgence de la notion de déni de justice et droit au juge »

Fondement équivoque de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux

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178. Si le fruit de la construction communautaire demeure une organisation

internationale, ses propres institutions et ses États membres, premiers sujets du droit international public, jouissent logiquement d’une large capacité d’agir : leur possibilité inconditionnée d’ester en justice leur confère d’ailleurs souvent le qualificatif de « requérants privilégiés »272

.

179. En revanche, les personnes physiques ou morales ne sont a priori pas

concernées par les relations internationales ; leurs droits et devoirs y afférant sont donc fort limités, voire inexistants. La construction communautaire développant un ordre juridique original, ces personnes y sont toutefois impliquées et bénéficient en retour d’un accès au prétoire communautaire. Au regard d’une implication encore largement conditionnée par l’État dont elles procèdent273, ces personnes physiques ou morales ne jouissent que d’un accès limité à la CJCE et au TPICE. Notamment, dans le cadre du recours en annulation, elles doivent attester d’une qualité pour agir spécifique : à moins d’être le destinataire de la décision en cause, la personne physique ou morale doit être « directement et individuellement » concernée par l’acte attaqué en vertu de l’alinéa 2 devenu 4 de l’article 173 devenu 230 TCE. Ces critères interprétés strictement sont communément admis comme problématiques : tour à tour « nœud gordien »274 ou « véritable verrou »275, ils sont généralement considérés comme d’autant plus

in Gouverner, administrer, juger, Liber amicorum Jean Waline, Paris, Dalloz, 2002, 797 p., pp. 513-521,

p. 521.

272 Certains auteurs contestent toutefois la distinction requérants privilégiés/particuliers. Notamment, le doyen BOULOUIS se « refuse à utiliser ces expressions, d’abord parce que ces soi-disant particuliers ne le sont pas toujours, telles par exemple les personnes morales de droit public ; ensuite et surtout parce que cette présentation dissimule la véritable justification de la distinction ». Voir « L’évolution de la fonction juridictionnelle dans les Communautés » in Droit communautaire et droit français – Recueil d’études, op.

cit., pp. 131-138, p. 133. Voir également infra, § 552.

Cette critique semble avoir été suivie d’effets puisque plusieurs auteurs préfèrent la distinction requérants institutionnels/ordinaires, comme le professeur MEHDI ( in « L’ordre juridique communautaire : structures et principes » in L. DUBOUIS (dir.), Les notices de l’Union européenne, Paris, La documentation française, 2004, 224 p., notice n° 3, pp. 31-44, p. 42), ou encore la distinction requérants institutionnels/individuels comme le professeur SIMON (in Le système juridique communautaire, op. cit., pp. 522 et 527).

Pour notre part, si nous adhérons à la critique concernant la notion de « requérants privilégiés », nous considérons que le terme « particulier » ne peut être complètement écarté, ne serait-ce que parce que la juridiction communautaire utilise ce terme : voir, parmi de nombreux ex., CJCE, 25 juillet 2002, Unión de

Pequeños Agricultores (UPA) c/ Conseil soutenu par Commission, aff. C-50/00 P, Rec. p. I-6677, pts 39 et

43.

273 Les exemples pourraient être nombreux ; l’ambiguïté de l’existence d’une citoyenneté communautaire limitée à certains domaines, en outre dépendante de l’attribution de la citoyenneté d’un État membre, en constitue peut-être l’exemple le plus significatif. À propos des articles devenus 17 à 22 TCE, voir chronologiquement R. KOVAR et D. SIMON, « La citoyenneté européenne », CDE, 1993, pp. 285-315 ; J. VERGES, « Droits fondamentaux et droits de Citoyenneté dans l’Union européenne », RAE, 1994, n° 4, pp. 75-97 ; M. BONNECHÈRE, « Citoyenneté européenne et Europe sociale », Europe, 2002, n° 7, pp. 6-10 ; ou encore C. BLUMANN et L. DUBOUIS, Droit institutionnel de l’Union européenne, op. cit., §§ 153 et s., pp. 94 et s.

274 R. MEHDI, « L’ordre juridique communautaire : structures et principes » in L. DUBOUIS (dir.), Les

notices de l’Union européenne, op. cit., notice n° 3, pp. 31-44, p. 42.

Caractérisation de l’Union et de la Communauté de droit

97 « défavorable[s] aux requérants individuels »276 que le juge communautaire a par ailleurs proclamé le droit au recours effectif de toute personne277.

180. Cependant, une telle appréciation souffre de la comparaison abusive du

droit communautaire avec les droits nationaux278. En effet, puisque la construction communautaire n’a pas engendré d’État, il semble rigoureusement illogique d’utiliser des références étatiques pour apprécier des mécanismes non-étatiques : comme nous l’avons déjà posé279

, le droit communautaire doit être envisagé en lui-même. La garantie des normes communautaires ne doit alors être comprise que par rapport à la hiérarchie dont elle résulte. Or, cette hiérarchie relevant d’une logique matricielle280 fondée sur un principe hiérarchique postulant la relativité281, la garantie en découlant ne peut que s’imprégner de cette originalité toute communautaire.

181. Les réflexions tendant à montrer les insuffisances de la garantie des

normes initiée par les personnes physiques ou morales doivent en somme être reconsidérées. Au sein d’un ordre juridique où ces personnes ne sont que des sujets médiatisés, il semble erroné de les opposer à des requérants « privilégiés ». L’utilisation de cet adjectif impliquerait que certains requérants soient traités favorablement au détriment des autres et que, à l’inverse, tous les requérants devraient être situés au même niveau et traités de la même manière – comme dans un État – ; le constat d’une différence de traitement aux dépens des personnes physiques et morales induit alors souvent la critique déplacée, parce que « statocentrées », du système de garantie des normes communautaires.

182. Les différences indéniables d’accès au prétoire communautaire entre les

requérants institutionnels et les autres ne doivent ainsi pas être opposées. Leur imbrication, voulue par les traités, est au contraire susceptible de révéler l’impact de l’originalité communautaire sur la garantie de leurs normes : l’idée d’un « système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions »282 ne dit pas autre chose. Aussi, la prise de conscience du caractère trompeur de la stagnation de la garantie vis-à-vis des requérants ordinaires (première section) permettra d’y articuler les progrès révélateurs de la garantie vis-à-vis des requérants institutionnels notamment étatiques (seconde section).

276 J. DUTHEIL de la ROCHÈRE, « La Convention sur la Charte des droits fondamentaux et le processus de construction européenne », RMCUE, 2000, pp. 223-227, p. 224.

277

CJCE, 15 mai 1986, Marguerite Johnston c/ Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary, aff. 222/84, Rec., p. 1651, pt 19.

278 Voir not. J. DUTHEIL de la ROCHÈRE, « La Convention sur la Charte des droits fondamentaux et le processus de construction européenne », op. cit., p. 224, qui apprécie les conditions de recevabilité du recours en annulation du droit communautaire à l’aune de la situation « dans nombre d’États membres où le recours en appréciation de validité des actes normatifs généraux est ouvert plus largement ».

279

Voir supra, § 24.

280 Voir supra, § 159.

281 Voir supra, §§ 168 et s.

282 CJCE, 23 avril 1986, Les Verts c/ Parlement, aff. 294/83, Rec. p. 1339, pt 23 ; 25 juillet 2002, Unión de

Fondement équivoque de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux

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Première section. Les progrès de la garantie vis-à-vis des

requérants ordinaires

183. La garantie des normes communautaires est souvent accusée

d’insuffisance en ce qu’elle restreint excessivement l’accès du prétoire communautaire aux personnes physiques et morales283. Il est vrai que la recevabilité des recours intentés par ces requérants ordinaires reste circonscrite (§2). Pour autant, ce caractère mesuré ne résulte pas d’un handicap quelconque, mais s’inscrit dans la logique de la proclamation du droit au recours au sein d’un ordre juridique original (§1).

§1. La proclamation d’un droit au recours communautarisé

184. Le doyen TORRELLI expliquait déjà que :

« [s]i la Communauté est "un État de droit", selon l’expression du président W. Hallstein, les particuliers doivent voir leur comportement régi par les mêmes règles, leurs litiges tranchés par un juge dont les décisions seront dictées par les impératifs communautaires et non par des particularismes nationaux. Or, la protection juridictionnelle accordée aux particuliers par le traité de Rome, si elle marque un progrès décisif du droit international institutionnel, n’est cependant pas satisfaisante dans une perspective d’intégration »284.

Si depuis, le droit au recours effectif a été consacré en tant que PGDC285, il s’avère que les lacunes dénoncées par le doyen TORRELLI perdurent : le droit au recours des personnes physiques ou morales demeure encadré par une appréciation souvent jugée restrictive de leur qualité à agir dans le domaine communautaire. Un droit au recours absolu est de toute façon inconcevable, ne serait-ce que par la nécessaire conciliation avec « l’impératif plus général de sécurité juridique »286. Ensuite, le droit au recours ne peut se comprendre que dans son rapprochement avec son contexte juridique. Le doyen TORRELLI soulignait d’ailleurs l’importance de la prise en compte des « impératifs communautaires » pour émanciper ce droit au juge de son pendant national ; or, il n’en tirait pas ici les conséquences pour éventuellement envisager que ces impératifs pouvaient également justifier une pondération du droit au recours devant le juge communautaire.

283 Par ex., voir J. RIDEAU, « Le développement de la protection juridictionnelle des droits de l’homme dans l’Union européenne : symboles et effectivité » in R. MEHDI (dir.), L’avenir de la justice

communautaire : enjeux et perspectives, Paris, La Documentation française, 1999, 142 p., pp. 83-115,

p. 101.

284 M. TORRELLI, « La Cour constitutionnelle fédérale allemande et le droit communautaire », RMC, 1968, pp. 719-723, p. 723.

285

CJCE, 15 mai 1986, Marguerite Johnston c/ Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary, aff. 222/84, Rec., p. 1651, pt 19. Voir supra, § 179.

286 R. MEHDI, « Les moyens d’ordre public dans la procédure contentieuse communautaire » in Au

carrefour des droits, Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Paris, Dalloz, 2002, 901 p., pp. 105-119,

Caractérisation de l’Union et de la Communauté de droit

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185. À partir du moment où l’originalité d’un ordre juridique a été mise en

lumière287, il semble difficile de concevoir que les éléments qui en procèdent soient totalement exempts de singularité. Au contraire, la lecture des proclamations successives du droit au recours en droit communautaire révèle l’importance de leur contextualisation, pour une compréhension juste aussi bien de la reconnaissance (A) que de la portée (B) du droit au recours dans l’ordre juridique communautaire.

A. La reconnaissance contextuelle du droit au recours

186. La reconnaissance du droit au recours par le juge communautaire est

communément admise comme remontant à l’affaire Marguerite Johnston288 de 1986289. La conjoncture était favorable, l’arrêt Les Verts290 venait à peine d’être rendu : en moins d’un mois, la CJCE identifiait l’existence de la « Communauté de droit », légitimant alors l’érection du droit au recours au rang des PGDC. Pourtant, ce qui pouvait apparaître comme un bouleversement du système de garantie des normes communautaires ne devait prendre qu’une ampleur circonscrite, limitée aux obligations « des autorités nationales agissant dans le champ du droit communautaire »291. En effet, l’affirmation du droit au recours était, dans un premier temps, systématiquement contextualisée par le juge (1). Par ailleurs, la contextualisation, au sens large, permet également de comprendre la généralisation du droit au recours à toutes les procédures nationales et communautaires dans un second temps (2).

1. Le droit au recours limité aux procédures nationales

187. Dans l’arrêt Johnston, la CJCE ne reconnaît pas un droit au recours

effectif en général, mais un « droit à un recours effectif devant une juridiction compétente contre les actes dont [la personne] estime qu’ils portent atteinte à l’égalité de traitement entre hommes et femmes prévu par la directive 76/207 » et ajoute qu’« Il appartient aux États membres d’assurer un contrôle juridictionnel effectif sur le respect des dispositions applicables du droit communautaire et de la législation nationale destinée à mettre en œuvre les droits prévus par la directive ». Ainsi la reconnaissance du droit au recours effectif est-elle doublement limitée, non seulement matériellement en ce qu’elle concerne spécifiquement l’égalité de traitement mais aussi organiquement en ce que sont uniquement visées les autorités nationales : d’abord indirectement du fait des

287 Voir supra, §§ 159, 167 et s.

288 CJCE, 15 mai 1986, Marguerite Johnston c/ Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary, aff. 222/84, Rec. p., 1651, pt 19.

289 Voir par ex., L. FAVOREU (dir.), Droit des libertés fondamentales, op. cit., § 655 ; ou encore D. SIMON, Le système juridique communautaire, op. cit., § 332, pp. 418-420.

290

CJCE, 23 avril 1986, Les Verts c/ Parlement, aff. 294/83, Rec. p. 1339, pt 23.

291 J. RIDEAU, Le rôle de l’Union européenne en matière de protection des droits de l’homme, Cours de

l’Académie de droit international de La Haye, tome 265, Dodrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1999,

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implications d’une directive – mise en œuvre logiquement au niveau national –, puis explicitement dans la phrase suivante.

188. Il est certes vrai que la CJCE parvient à cette conclusion suite à

l’interprétation de la directive « à la lumière du principe général indiqué » préalablement. Pour autant, l’identification de ce principe n’est pas si évidente, la compréhension du point précédent nécessitant elle-même la lecture du point encore précédent292.

Si le point 18 énonce que « [l]e contrôle juridictionnel imposé par cet article est l’expression d’un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres », sa lecture implique de se reporter au point 17 pour comprendre ce qu’est le « contrôle juridictionnel imposé par cet article ». Il s’agit en fait de l’article 6 de la directive 76/207, qui « impose aux États membres d’introduire dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s’estime lésée par une discrimination ‘de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle’ ». En d’autres termes, ce principe général concerne les obligations liant les États membres dans la mise en œuvre du droit communautaire. En revanche, le silence concernant les institutions communautaires indique que ces dernières ne sont pas visées par un tel principe. Ainsi, le principe général reconnu dans l’affaire Johnston revient à reconnaître effectivement un droit au recours effectif au bénéfice des personnes physiques et morales, mais uniquement devant les juridictions nationales et pour ce qui concerne l’application du droit communautaire.

189. La jurisprudence ultérieure – en outre d’une expression fort heureusement