• Aucun résultat trouvé

Troisième section. La multiplicité délicate des normes de concrétisation nationale

UN CARACTÈRE CONTROVERSÉ

265. Qualifiées de « structures de droit », l’Union et la Communauté

européennes sont censées revêtir les mêmes caractères que ceux attribués à l’État de droit. Elles sont effectivement marquées par une hiérarchie des normes garantie par un système contentieux. Toutefois, puisque ni la Communauté ni l’Union n’ont abouti à une formule étatique, ces caractères sont imprégnés de l’originalité contextuelle de la construction communautaire, et se distinguent ainsi des conceptions généralement admises : la hiérarchie des normes n’obéit pas à une structuration pyramidale classique, et la garantie des normes ne permet pas d’attribuer à l’individu la qualité de justiciable classique. Pour autant, ces singularités n’empêchent pas l’existence de ces deux caractères. Sur la voie de la validation qualificative « de droit », le scientifique rencontre toutefois une difficulté supplémentaire, à savoir que la doctrine attribue généralement un troisième caractère à la « structure de droit » modernisée : la protection des droits fondamentaux497. Deux éléments induisent en fait un questionnement.

266. D’une part, si ce qui est général n’est pas absolu, l’attribution de ce

troisième caractère peut être contestée. Certes, la doctrine concernée n’est qu’excessivement minoritaire. Elle soulève cependant une question d’autant plus essentielle au travail scientifique – la nécessité constante du doute498

– qu’elle peut être explicative de l’originalité communautaire. Si les droits fondamentaux sont apparus dans le vocabulaire communautaire, il ne peut être présupposé que ces droits sont conçus comme un outil au service de la structuration « de droit ». Or, l’appréciation de ces droits fondamentaux communautaires nécessite de déterminer s’ils peuvent ou doivent découler de la Communauté de droit et de l’Union de droit499.

267. D’autre part et tout comme pour les premiers caractères, les droits

fondamentaux communautaires sont de toute façon susceptibles de singularité, et ne sont donc pas en soi connus du fait de l’identité des occurrences linguistiques. Aussi peut-on également s’interroger sur le degré de droits fondamentaux nécessaires pour caractériser une « structure de droit » modernisée : l’observateur ne peut pas exiger a priori un certain nombre de droits fondamentaux ou certains droits fondamentaux logiquement présents dans un État de droit, puisqu’il ne peut s’agir en l’espèce que de droits fondamentaux communautarisés500. L’appréhension entière de ces droits, telle que nous l’avons déjà suggérée501, commande en effet de ne pas s’ankyloser face à un problème

497 Voir supra, §§ 68 et 69.

498

Voir supra, § 15.

499 Voir supra, § 70.

500 À propos de la nécessaire prise en considération du caractère communautaire des droits fondamentaux, voir supra, §§ 35 et s.

Caractérisation de l’Union et de la Communauté de droit

139 ponctuel, certes non négligeable en soi, mais d’une portée limitée pour notre objectif : l’étude de la garantie des droits fondamentaux communautaires502. Le raisonnement ne peut en outre être figé puisque la construction communautaire a évolué : le passage de la Communauté de droit à l’Union de droit ne peut être négligé, d’autant qu’il marque

certaines étapes essentielles du développement des droits fondamentaux

communautaires.

268. En somme, la caractérisation de l’État de droit modernisé par les droits

fondamentaux ouvre une réflexion déterminante. Il s’agit de comprendre si la construction communautaire obéit à la structuration « de droit » classique ou moderne, ou encore les deux successivement, de manière à évaluer la place des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique communautaire. Une telle analyse suppose toutefois d’identifier préalablement l’alternative possible, autrement dit de présenter la controverse tenant au caractère « droits fondamentaux ». Ainsi l’acceptation de la caractérisation discutable de la « structure de droit » en général par les droits fondamentaux (première section) permettra-t-elle d’appréhender la caractérisation évolutive des « structures de droit » communautaires (seconde section).

Première section. La caractérisation discutable de la

« structure de droit » en général

269. La majorité de la doctrine estime que les droits fondamentaux sont

devenus un caractère nécessaire à la « structure de droit ». Si une telle exigence est louable du point de vue idéologique, la recherche de scientificité impose de se dégager de ses propres croyances et aspirations politiques503, pour accepter que certains n’y adhèrent pas, ou ne l’envisagent que sous un angle « bourgeois »504. Une telle contestation mérite en outre d’autant plus notre attention qu’elle s’exprime dans plusieurs cultures juridiques.

270. Par ailleurs et de toute façon, les droits fondamentaux constituent un

élément ambigu, en ce qu’il n’est pas précisé le degré qu’ils doivent atteindre pour prétendre à la caractérisation de la « structure de droit ». Certes, ils doivent jouir d’une « valeur juridique supérieure », de manière à être globalement efficaces505

. Cependant, il ne peut être nié que subsistent des interrogations quant à la nature de ces droits506. Or, une réflexion sur les qualités des droits fondamentaux en général apparaît impérative pour éviter d’induire abusivement des constats opérés dans le contexte national, des règles absolues pour toute « structure de droit », y compris non nationale.

502 Voir supra, § 41 et s.

503 À propos de l’encadrement de sa propre subjectivité irréductible, voir supra, §§ 16-17.

504 Voir spéc. C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, op. cit., chap. 12 « Les principes de l’État de droit bourgeois », pp. 263-276.

505

J. CHEVALLIER, L’État de droit, op. cit., p. 104.

506 J. CHEVALLIER, L’État de droit, op. cit., p. 104. L’auteur évoque la controverse jus-naturaliste/positiviste sur l’origine des droits fondamentaux, ainsi que la controverse libéralisme/socialisme sur les modalités de concrétisation de ces droits.

Fondement équivoque de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux

140

271. Finalement, l’opinion majoritaire qui consiste à ériger les droits

fondamentaux au rang de caractère de toute « structure de droit » peut être nuancée. Non seulement, son automaticité n’est pas acquise (§1), mais encore sa signification n’est pas exempte d’équivoques (§2).

§1. Un caractère logiquement contingent

272. Plusieurs auteurs d’obédiences juridiques différentes se démarquent de

l’opinion majoritaire tendant à ériger les droits fondamentaux au rang de troisième caractère de la « structure de droit ». Sans forcément faire acte d’« un formalisme aigu [ou d’]un positivisme obtus »507, ils posent la non-exigence théorique de ce caractère (A), qui n’empêche pour autant pas l’enrichissement pratique de la « structure de droit » (B).

A. La non-exigence théorique

273. Si les réflexions relatives à l’État de droit ou à la Rule of law ont abouti à

des concepts opérationnels, des questionnements demeurent, notamment en ce qui concerne « leur éventuel caractère formel et procédural, en opposition avec une éventuelle valeur matérielle et normative »508 induisant la protection des droits de l’homme. Le lien entre la « structure de droit » et les droits de l’homme qui comprennent les droits fondamentaux509

, n’est donc pas absolu. D’ailleurs, en concluant que « les deux notions – Droits de l’homme et État de droit – ne sont pas congruentes », le professeur OPSAHL signifie que la « structure de droit » et ce qui correspond aux droits fondamentaux dans le texte ne s’adaptent pas parfaitement du fait des variabilités interprétatives510. Les deux concepts sont dès lors susceptibles d’indépendance l’un envers l’autre.

274. Cette potentielle autonomie explique assurément pourquoi certains auteurs

n’abordent pas la question des droits fondamentaux à propos d’une « structure de droit ». Ainsi l’ancien juge à la Cour suprême des États-Unis DAY O’CONNOR n’évoque-t-elle aucunement les droits fondamentaux, alors qu’elle réfléchit sur la Rule of Law511. Il est vrai que celle-ci a été originairement conçue formellement par le professeur Venn DICEY,

507 D. SIMON, « La Communauté de droit » in F. SUDRE et H. LABAYLE (dir.), Réalité et perspectives

du droit communautaire des droits fondamentaux, op. cit., pp. 85-123, p. 94.

508 P.W.C. AKKERMANS, « "Rule of law, Rechtsstaat" et droits de l’homme : clef de voûte de la démocratie », REDP, 2001, pp. 53-67, p. 53.

509 Voir supra, § 29. Du fait que l’un comprend l’autre, lorsque l’un n’est pas inclut dans la « structure de droit », il s’avère que l’autre ne le peut également. Aussi les variabilités linguistiques d’auteurs d’obédiences juridiques différentes n’emportent-elles aucune difficulté.

510

Voir à ce sujet T. OPSAHL, « Synthèse : droits de l’homme et "État de droit" » in Les droits de

l’homme dans le droit national en France et en Norvège, Paris, Aix-Marseille, Economica, PUAM, 1990,

204 p., pp. 159-167, p. 167.

Caractérisation de l’Union et de la Communauté de droit

141 faisant alors « passer le fond du droit à l’arrière plan par rapport à la forme »512. Une telle option doctrinale n’est en outre pas forcément anachronique puisque le professeur JOWELL, pourtant connu comme « une des figures de proue du "liberal normativism", c’est-à-dire du nouveau courant doctrinal qui met les droits de l’homme au cœur du droit »513 y adhère. Il définit en ce sens la Rule of Law comme concernant l’exécution et la mise en œuvre du droit, et non son contenu514

. L’auteur ne dévalorise pour autant pas l’importance des droits fondamentaux ; son vocabulaire tend au contraire à témoigner de son implication515

. Il considère simplement que la portée de la Rule of Law n’est pas assez large pour servir de fondement aux autres conditions d’une démocratie516. L’idée est d’autant plus percutante qu’elle est reprise dans le contexte du Rechtsstaat.

Dans un ouvrage approfondi sur le principe du Rechtsstaat, le professeur SOBOTA

s’est en effet intéressée à la relation de celui-ci avec les droits fondamentaux. Elle estime en fait que les droits fondamentaux ne devraient plus caractériser le Rechtsstaat517. Elle justifie sa position par la volonté de soulager le principe du Rechtsstaat de la responsabilité de garantir les droits fondamentaux, sachant que la jurisprudence constitutionnelle allemande n’a jamais déduit une telle responsabilité du Rechtsstaat518. Le professeur SOBOTA rappelle en outre que la Constitution allemande repose sur plusieurs principes fondamentaux pour dénoncer l’incohérence de vouloir faire des droits fondamentaux à la fois un principe constitutionnel fondamental et un élément du principe

512 P. AKKERMANS, « "Rule of law, Rechtsstaat" et droits de l’homme : clef de voûte de la démocratie »,

op. cit., p. 54. Voir également H. BARNETT, Constitutional & Administrative Law, op. cit., p. 108.

513 L. HEUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, Rule of Law, op. cit., p. 10, note n° 65.

514 J. JOWELL, « The Rule of Law Today » in J. JOWELL et D. OLIVER (dir.), The Changing

Constitution, Oxford, Clarendon, 4ème éd., 2000, 387 p., pp. 3-22, pp. 20-21.

515Ibid., p. 21. L’auteur parle en effet de « notre Human Rights Act de 1998 ». Or, l’utilisation du pronom

personnel possessif marque, il nous semble, la volonté de s’affilier à une telle réforme.

516 Ibid., p. 20. « The scope of the Rule of Law is broad, but not however broad enough to serve as a principle upholding a number of other requirements of a democracy ». « Malgré la large portée accordée à

la Rule of Law, celle-ci n’est pas suffisamment étendue pour en faire un principe sur lequel reposeraient un certain nombre d’autres conditions essentielles de la démocratie ».

517

K. SOBOTA, Das Prinzip Rechtsstaat: verfassungs- und verwaltungsrechtliche Aspekte, Tübingen, Mohr Siebeck, 1997, 569 p., p. 444.

518Id. L’auteur se réfère à A. BLECKMAN, « Vom subjektiven zum objektiven Rechtsstaatsprinzip », JöR Bd. 36 (1987), pp. 1 et s., et p. 3., pour estimer que « die Grundrechte sollten ein eigenständiges Teilsystem

innerhalb des Systems der sieben grundgesetzlichen Hauptprinzipen bilden und nicht länger zu den spezifischen Elementendes grundgesetzlichen Rechtsstaatsprinzips gerechnet werden. Dies entspricht im übrigen auch der Argumentationspraxis des Bundesverfassungsgerichts ». « Les droits fondamentaux devraient constituer un sous-système autonome au sein du système des sept principes majeurs de la Loi fondamentale et ne plus être comptés parmi les éléments spécifiques du principe d’État de droit de la Loi fondamentale. Ceci correspond d’ailleurs aussi à la pratique du Tribunal constitutionnel fédéral en matière d’argumentation ».

Elle réitère sa position p. 523 : « Die einschneidendste Änderung bei der Systemgestaltung bestand in dem

Verzicht auf das Postulat der Menschenwürde, die Grundrechte und das Demokratieprinzip. Diese Entscheindung bricht mit der herrschenden Literatur, steht aber in Einklang mit der heutigen Rechtsprechung, die noch nie die Menschenwürde oder die Grundrechte aus dem Rechtsstaatprinzip deduziert hat ». « La modification la plus radicale dans l’organisation du système consistait à renoncer au

postulat de la dignité humaine, aux droits fondamentaux et au principe de démocratie. Cette décision rompt avec la littérature dominante, mais concorde en revanche avec la jurisprudence actuelle, qui n’a encore jamais déduit du principe d’État de droit la dignité humaine ou les droits fondamentaux ».

Fondement équivoque de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux

142

du Rechtsstaat, donc dérivé et soumis à celui-ci519. Une chose ne peut effectivement pas, à la fois, constituer un principe constitutionnel au côté de l’État de droit, et être subordonnée à celui-ci.

275. En réalité, la volonté de protéger fondamentalement les droits de l’homme,

cristallisée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a conduit sur la voie de la confusion. Si le rejet moral de l’inacceptable perpétré par les États fascistes a engendré l’attribution d’un certain contenu normatif aux constitutions, la plupart y ont vu l’expression d’une philosophie politique prescrivant le « dogme »520 libéral de l’État de droit. Certes, les droits fondamentaux ont toujours été revendiqués au moment des grandes révolutions occidentales. Pourtant, cela ne signifie pas forcément qu’ils étaient conçus comme un caractère du nouvel ordre juridique escompté. En effet, ces révolutions avaient également pour objet d’instaurer la démocratie. Il n’était pas seulement question de combattre l’arbitraire, contre lequel la doctrine de l’État de droit officie, mais surtout d’attribuer la souveraineté au peuple ou à la Nation, autrement dit de substituer la démocratie à toute forme monocratique du pouvoir521. Or, l’instauration de la démocratie prescrit la reconnaissance de droits protégeant les minorités, « de telle manière que la minorité d’aujourd’hui puisse devenir majoritaire demain »522. Si le professeur TROPER

n’y voit l’obligation de protéger que les libertés politiques « mais non pas […] les autres »523, nous considérons que l’exercice de ces libertés politiques est tout de même conditionné par la jouissance des autres libertés. Les libertés « formelles » peuvent ainsi devenir « réelles »524, ou « concret[e]s et effectiv[e]s »525, grâce aux droits dits économiques et sociaux, tentant d’embrasser la réalité pratique de la situation de

519 Ibid., p. 444 : « Der Vorteil dieser Konstruction besteht nicht nur in einer Entlastung des Rechtsstaatsprinzips. Genauso wichtig ist, das auf diese Weise dem sinnvollen und pratisch längst anerkannten Satz von der Pluralität der Hauptprinzipen des Grundgesetzes Folge geleistet und das Verhältnis dieser Normen une ihrer Elemente untereinander transparent konstruirt wird » ; et p. 445 :

« Zugleich kann der Ungereimtheit ein Ende bereitet werden, nach der bislang die Staatsformprinzipien

(Demokratie, Bundestaat usw) und das Prinzip Grundrechtegleichzeitig etwas Fundamentales und ein Element des Rechtsstaatsprinzips, also etwas irgendwie Abgeleitetes, Untergeordnetes sein sollten ».

« L’avantage de cette construction ne consiste pas seulement en un allègement du principe d’État de droit. Un aspect tout aussi important est que, de cette manière, cela permet de suivre la doctrine raisonnable et depuis fort longtemps reconnue de la pluralité des principes majeurs de la Loi fondamentale et d’établir de manière transparente la relation respective de ces normes et de leurs éléments entre eux » ; et p. 445 : « En même temps, on peut mettre fin à cette absurdité d’après laquelle, jusqu’à présent, les principes de la forme de l’État (démocratie, fédéralisme, etc.) et le principe des Droits fondamentaux devraient être à la fois une notion fondamentale et un élément du principe d’État de droit, donc une notion en quelque sorte dérivée et subordonnée ».

520 J. CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit., p. 153.

521 Un État de droit peut effectivement être de forme monarchique. Voir sur ce point R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., tome I, p. 491.

522 M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, 1994, 358 p., p. 331. Voir également

infra, § 549.

523Id.

524

Cette distinction a en fait été formulée par K. MARX. Voir indirectement, A.-J. ARNAUD (dir.),

Dictionnaire Encyclopédique de Théorie et de Sociologie du droit, op. cit., « Liberté », pp. 345-349, § 3,

p. 346.

525 CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, req. n° 6289/73, série A, n° 32, GACEDH, n° 2, § 24 : « La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ».

Caractérisation de l’Union et de la Communauté de droit

143 l’individu-citoyen. Le ventre plein et en bonne santé, il est alors mis en mesure d’exercer librement ses libertés politiques526.

La plupart du temps, la démocratie ne peut toutefois se réaliser pleinement qu’à une seconde condition. En effet, en raison des incommodités tenant à la gestion du nombre des citoyens, il a été recouru à la représentation. La difficulté devient alors celle de la concordance de la volonté des représentés d’une part, et celle des représentants d’autre part527. Au nom du respect de la première, le contrôle de la seconde est ainsi légitimé528

. Il s’agit de vérifier que la volonté des représentants « est bien l’expression de la volonté générale »529. En d’autres termes, le contrôle de la loi, outil de prédilection des représentants, constitue l’« instrument nécessaire »530 de la démocratie. En ce sens, il doit être possible pour les représentés d’accéder à un juge pour faire vérifier le respect, par les représentants, du contrat social inscrit dans la Constitution, ce qui revient à contrôler la hiérarchie des normes découlant de cette Constitution. Comme l’existence de cette hiérarchie et de ce contrôle caractérise l’État de droit531, il devient cohérent d’affirmer que l’État de droit conditionne le bon fonctionnement de la démocratie. En outre, la présence de ce contrôle juridictionnel emporte une autre conséquence importante : la distinction des représentants contrôlés, des juges contrôleurs. Nous retrouvons alors l’essence de la séparation des pouvoirs, en ce que le pouvoir de création de normes n’est pas le pouvoir de son contrôle. Ainsi la démocratie engendre-t-elle, par l’intermédiaire de l’État de droit, la séparation des pouvoirs.

Dès lors, la démocratie se concrétise non seulement par la reconnaissance des libertés, mais aussi par l’élaboration d’un ordre juridique fondé sur le principe de l’État de droit induisant la séparation des pouvoirs532. Il n’est donc pas étonnant que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, même ancien, conditionne la reconnaissance de la Constitution au cumul de la garantie des droits et de

526 Pour une approche similaire, mais insuffisamment justifiée à notre sens, voir A. BARAK, « L’exercice de la fonction juridictionnelle vu par un juge : le rôle de la Cour suprême dans une démocratie », op. cit., p. 239.

527

Sur la controverse relative à la possibilité de la représentation menée par J.-J. ROUSSEAU et E. SIEYÈS, se référer à R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., tome II, §§ 351-370, pp. 232-281.

528 Sur ce point, se référer à L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel. 3. La théorie générale de l’État

(suite et fin), op. cit., § 88, pp. 589-599, spéc. pp. 595-598. En ce sens, l’article 15 de la Déclaration des

droits de l’Homme et du citoyen de 1789 prévoit : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Texte disponible sur Internet, via le site officiel du ministère de la Justice français : <http://www.justice.gouv.fr/textfond/ddhc.htm>.

529 M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’État, op. cit p., p. 331.

530

Id.

531

Voir not. supra, § 67.

532 D’une manière similaire et pour ce qui concerne le droit constitutionnel fédéral allemand, le professeur GREWE constate que « cette impression d’hétérogénéité dans l’analyse des éléments de l’État de droit » s’explique par le fait que l’État de droit est placé au même niveau que d’autres principes « tels la démocratie ou l’État social ». « Ils doivent en conséquence se compléter, s’interpénétrer mais aussi se relativiser réciproquement ». Voir C. GREWE, « L’État de droit sous l’empire de la Loi fondamentale » in O. JOUANJAN (dir.), Figures de l’État de droit. Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et

constitutionnelle de l’Allemagne, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001, 410 p., pp.

Fondement équivoque de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux

144

la séparation des pouvoirs533. Les droits fondamentaux apparaissent alors comme constitutifs, non pas de l’État de droit, mais du principe démocratique.

276. En somme, il devient logiquement possible, et même indispensable, de