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PARTIE II : POTENTIEL ET IMPACT

6. Cancérologie

6.1 Introduction

Parmi les indications de la thérapie génique, la cancérologie est celle qui a le plus été traduite en études clinique. Bien qu'apportant des résultats mitigés elle a servi de tremplin clinique à la majorité des approches thérapeutiques 207. C'est donc logiquement que la technique CRISPR-Cas9 réalisa ses débuts cliniques en cancérologie. Ce fort pourcentage d'études cliniques s'explique par le fait que la thérapie génique appliquée au cancer est moins sujette aux limitations techniques qui peuvent s'appliquer aux maladies monogéniques par exemple205.

fig.40 Répartition des indications en thérapie génique209

Plusieurs approches existent, on peut citer le gène suicide qui permettent la transformation d'une prodrogue non toxique en drogue toxique (ex : HSV tk), les gènes suppresseur de tumeurs entraînant l'apoptose (ex : gène H19), les siARN (silencing ARN)210, la modification de gènes (par exemple l'introduction de gènes radiosensibilitants ou radioprotecteurs destinés aux cellules à proximité des tumeurs211,212) et enfin l'édition génomique et l'immunomodulation.

6.2 immunomodulation anticancéreure et édition génomique

Parmi les stratégies thérapeutiques anticancéreuses basées sur la modulation du système immunitaire figure l'immunothérapie adoptive. Cette forme d'immunothérapie utilise les cellules du patients (lymphocytes T ou Cellules Présentatrices d'Antigènes dendritiques) puis les stimulent ex vivo avant de les réintroduire.

La thérapie cellulaire apporte des résultats prometteurs, mais nombreux sont les patients qui présentent une rechute. Les techniques d'éditions génomiques pourraient donc améliorer de tels traitements et réduire leur vulnérabilité. En 2015 la première réussite clinique des TALENs dans une étude pédiatrique de phase 1 ciblant la leucémie aiguë lymphoblastique à cellules B (B-ALL) était basée sur l'association entre édition génomique et thérapie cellulaire 207,213 lymphocytes CAR-T (des lymphocytes T artificiellement modifiées pour leur conférer un récepteur chimérique, ici capables de cibler l'antigène CD19 présent sur les cellules cancéreuses). Mais au lieu d'utiliser des

était utilisée pour permettre de contourner le système HLA et prévenir le rejet lié à l'hôte. Les chercheurs parvinrent à des UCAR-T : des CAR-T universels qui pourraient grandement simplifier et standardiser la production de telles solutions thérapeutiques. En 2016 c'est deux équipes qui se livrent un duel pour parvenir à une première utilisation de CRISPR chez l'homme, elle concerne également l'association entre thérapie cellulaire et édition génomique.

6.3 débuts cliniques : immunothérapie antitumorale et CRISPR-Cas9

Une compétition biomédicale a lieu, certains nomment sputnik 2.0 cette course à l'application clinique de CRISPR-Cas9 214. D'un côté l'université de Pennsylvanie avec le soutien financier du Parker Institute for Cancer Immunotherapy (la fondation créé par Sean Parker, milliardaire fondateur de Napster et pionnier de Facebook). De l'autre des institutions chinoises qui ont déjà la primeur des premiers essais chez le singe et l'embryon 160,214. Les deux équipes prévoient une approche similaire, prélever puis éditer le génome de lymphocytes T des patients pour y éteindre le gène PD-1 avant de les ré-introduire dans la circulation sanguine. La voie anti-PD-1 est une voie validée depuis peu qui connaît un essor considérable avec l'accès au marché d'anticorps anti-PD-1 nivolumab et pembrolizumab216,217

.

PD-1 ou programmed cell death 1 est une protéine de surface cellulaire exprimée par les lymphocytes T, l'un de ses ligands PDL-1 exprimés par les cellules saines est un des

checkpoint qui permet d'empêcher l'activité des LT et NK, permettant une régulation de l'immunité et une tolérance au soi 218. C'est cette propriété qui est détournée par des cellules tumorales qui expriment PDL-1 et échappent alors à l'immunosurveillance. La création de lymphocytes T dont le gène codant PD-1 est inactivé par la cas9 guidée par sgARN permet d'obtenir une réponse immunitaire boostée, dirigée contre la tumeur219. S'agissant d'une manipulation ex-vivo, le criblage et la sélection des LT avant injection est possible et permet de s'affranchir des préoccupations d'effets hors cible de la cas9. Par contre les risques d'auto-immunité inhérente à la technique persistent.

Des deux équipes en lice après approbation de leur projets d'essais cliniques par leurs comités respectifs 220 c'est celle du West China Hospital, hopital universitaire de la

Sichuan University à Chengdu qui fut la première à avoir le feu vert pour débuter leur étude. Le 28 octobre 2016 fut débuté l'essai NCT02793856 220 examinant l'efficacité et la sécurité d'une injection de lymphocyte T modifiés chez des patients atteints de cancer du poumon métastatique non à petites cellules (non-small cell lung cancer) réfractaires aux traitements traditionnels. Cet essai de phase I a recruté 10 patients qui recevront entre 2 et 4 injections successives puis seront suivies pendant 6 mois., au moment où cette thèse est écrite, leur résultats n'ont pas encore été publiés.

6.4 Conclusions

Malgré les promesses des approches de thérapie génique en immunothérapie antitumorale, et même si elles parviennent à un résultat positif, elles restent aujourd'hui soumises à une contrainte de taille. Leur procédé implique aujourd'hui l'extraction, la modification, la sélection et la multiplication de cellules du patient, une lourde entreprise. À moins qu'elles démontrent un gain considérable d’efficacité, il est pour l'instant difficile de justifier la poursuite de tels travaux. Si on mesure le succès seulement par la facilité d'évoluer vers une production massive, les anticorps semblent

bien supérieurs, et peuvent être produits en quantités presque illimitées dans le but d'un usage clinique.

Mais comme nous l'avons vu dans les deux exemples précédents l'édition génomique pourrait permettre de révolutionner l'immunothérapie antitumorale en améliorant l'efficacité des traitements ou en leur permettant de s'affranchir des inconvénients de leur production. Cette approche pourrait alors devenir une alternative complémentaire aux autres stratégies thérapeutiques.

6.5 Perspective : Thérapie génique CRISPR, production et commercialisation

De la même manière que les protéines/anticorps cliniquement actifs, des systèmes de production qui obéissent aux bonnes pratiques de fabrication (BPFs) sont nécessaires pour maintenir la sécurité du patient et limiter les risques liés à la production de composés destinés à l'édition génomique. Si elles voient le jour, les essais destinés à la sécurité et la production à large échelle de ces produits thérapeutiques devront satisfaire aux bonnes pratiques génomiques 221. Les systèmes de délivrance choisis devront eux aussi satisfaire aux bonnes pratiques de fabrication actuelles.

Pour être rentable, l'ensemble de cette production devra être réalisable à un coût qui permet de démontrer un bénéfice pharmaco-économique afin d'obtenir le remboursement du produit par les mécanismes d'assurance maladie.

Les outils de production et de contrôle qualité actuels sont utilisables pour manufacturer des produits de thérapie génique aux standards BPFs. Pour l'édition de gènes humains par une approche le défi sera d'améliorer la compréhension du mécanisme d'action et d'augmenter suffisamment la spécificité de la coupure par cas9 afin de minimiser l'apparition d'effets hors-cible à un seuil acceptable. L'approche ex vivo est elle soumise aux mêmes contraintes que la thérapie cellulaire. La propriété intellectuelle jouera aussi un rôle clef dans la commercialisation de la technologie CRISPR. Les trois compagnies développant son usage commercial (Editas Medicine,

CRISPR Therapeutics, et Intellia) devront prendre des décision légales majeures destinées à protéger chacun des aspects spécifiques à leur technique. L'incertitude liée à l'attribution de licences et les limites actuelles liées à l'utilisation de CRISPR en clinique ne semblent pas pour l'instant freiner les relations entre ces compagnies et l'industrie pharmaceutique ( entre autres Novartis, Bayer, Juno, Vertex et Genethon).

II Des antibiotiques CRISPR

1. Introduction

Les antibiotiques ont révolutionné la médecine, de nombreuses vies ont pu être sauvées, et leur découverte peut être considérée comme un tournant majeur de

l'histoire humaine. Malheureusement leur utilisation fut rapidement accompagnée par l'apparition de souches bactériennes résistantes.

Depuis leur introduction, des millions de tonnes d'antibiotiques ont été produits et employés dans des buts variés. L'amélioration des techniques de production a entraîné une diminution constante des prix des antibiotiques, encourageant leur usage hors prescription et hors indication. En conséquence, le monde est saturé par ces agents, ce qui contribue à la sélection de souches résistantes. Le développement de bactéries résistantes aux antibiotiques et leur distribution dans les populations microbiennes à travers l'ensemble de la biosphère est le résultat de nombreuses années de pression sélective continue, générée par l'homme à travers son mésusage. Il ne s'agit pas d'un événement naturel, mais d'une situation artificielle,« il n'y a peut être pas de meilleur exemple de notion darwinienne de sélection et de survie » 222.

fig.41 Assemblée Générale des Nations Unies, 13 Septembre 2016

En Septembre 2016; pour débuter son discours devant l'assemblée générale des Nations Unies, Margaret Chan, directeur général de l'OMS qualifia la résistance aux antibiotiques de crise globale, elle décrit ce phénomène comme un « Tsunami qui se rapproche de nous au ralenti »223. Elle rajoute ensuite :

« La mauvaise utilisation des antibiotiques, que ce soit leur sous-utilisation et l'abus, est en train de causer l'échec de ces fragiles médicaments » et « l'émergence de résistances bactériennes est en train de prendre de cours notre capacité à découvrir des antibiotiques » Les bactéries ont su tirer parti de la sur -utilisation des antibiotiques. Leur extraordinaire capacité génétique les a poussées à exploiter toutes les possibilités de résistances à leur disposition et tous les moyens de transmission génétique horizontale pour développer des mécanismes de résistances contre chacun des antibiotiques utilisés, que se soit en pratique clinique, en agriculture ou ailleurs. De nombreuses bactéries pathogènes responsables d'épidémies chez l'homme ont évoluées pour acquérir une multirésistance ( ou MDR : pour Multi Drug Resistance).

L'usage extensif des antibiotiques dans l'élevage animalier est un contributeur principal de l'apparition de résistances 224–226. (Voir en Annexe 9 le schéma de dissémination de résistances aux antibiotiques entre élevage, hôpitaux, traitement des eaux usées et communauté). L'interdiction en Europe de l'antibiothérapie animale dans le seul but de favoriser la croissance des

Escherichia coli à tous les antibiotiques connus sauf un, la Colistine, un antibiotique ancien de la famille des polymyxines, peu utilisé chez l'homme. L'usage extensif dans les fermes d'élevages porcin en Chine, a déclenché l'apparition de souches résistantes (conféré par le gène plasmidique mcr-1), conduisant fin 2015 à la détection d'une bactérie résistante à tous les antibiotiques connus 228. (Différents mécanismes de résistance aux antibiotiques sont représentés en Annexe 10)

Les initiatives gouvernementales sont nombreuses pour lutter contre cette situation préoccupante229, et les partenariats public-privé se multiplient, l'un des axes majeurs : le développement d'antibiotiques innovants. Parmi les nouveaux antibiotiques et les nouvelles solutions thérapeutiques recherchées pour contrecarrer l'émergence de résistance, CRISPR-Cas est l'une des moins traditionnelles.