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PARTIE I : HISTOIRE ET MÉTHODE

16. Étude de la Cas9 in vitro

Virginijus Siksnys est un biologiste moléculaire de l'université de Vilnius, en Lituanie. Ses collègues et lui bénéficiaient d'une expertise conséquente dans le domaine des enzymes de restrictions, c'est donc naturellement qu'ils débutèrent des travaux sur CRISPR-Cas. Cet intérêt les emmena à collaborer avec l'équipe du groupe DuPont Agroalimentaire où on retrouvait Rodolphe Barrangou et Philippe Horvath. En 2012 ils purifièrent le complexe Cas9-crARN de Streptococcus thermophilus en utilisant un tag streptavidin sur Cas9. Ils étudièrent ainsi son activité dans des tubes à essai 45.. Ils montrèrent que ce complexe pouvait cliver un ADN cible in vitro, créant ainsi une cassure double brin, à 3 nucléotides de la séquence PAM. Celà confirmait les observations in vivo réalisées jusqu'à présent. Ils allèrent plus loin et montrèrent qu'ils pouvaient reprogrammer Cas9 en ajoutant des spacers artificiels au sein de l'ensemble CRISPR pour cibler in vitro les séquences qu'ils souhaitaient. En mutant les domaines nucléases HNH et RuVC, ils montrèrent que le premier est impliqué dans le clivage du brin complémentaire au crARN tandis que le second clive le brin opposé. Ils découvrirent également que le crARN pouvait être réduit à une 20aine de nucléotides en permettant encore un clivage efficace. Conscient du caractère innovant de leur travaux ils mentionnèrent que :

« ces découvertes tracent la voie vers la conception d'endonucléases universelles guidées par ARN ».55

fig.13 L'équipe deVirginijus Siksnys (à gauche) : Giedrius Gasiunas, Tomas Sinkunas et Tautvydas Karvelis à l'institute of biotechnology de l'Université de Vilnius

Virginijus Siksnys et son équipe soumirent leur publication à la revue Cell en Avril 2012. Elle fut rejetée sans revue par les éditeurs de Cell, qui reconnaîtraient a posteriori

l'importance de leur publication. Ils se contentèrent donc d'envoyer leur manuscrit à la

National Academy of Sciences qui après de nombreux aller-retours de questions publia leur résultat en Septembre69. Entre le dépôt et la publication une autre étude était parue, cette dernière parvenait à des conclusions similaires mais avait un avantage notable : elle décrivait l'invention d'une technique qui ne nécessite que deux éléments pour fonctionner : un seul guide ARN et la Cas9.

17. Création du SgRNA

À la même période Emmanuelle Charpentier commença à travailler avec ses collègues sur la caractérisation biochimique du systèmes CRISPR-Cas9. Lors d'une conférence sur les tracrARN à l'American society for Microbiology à Puerto Rico en mars 2011, elle rencontra Jennifer Doudna. Celle-ci était une biologiste structurelle réputée et experte en ARN à l'University California Berkeley. À ce moment là de l'histoire des CRISPR, Doudna et son équipe tentaient de percer les mystères de la structure des complexes Cascade des systèmes CRISPR de type I.

Les deux équipes scientifiques débutèrent une collaboration transatlantique pour percer les mystères du fonctionnement des CRISPR-Cas9. Elles utilisèrent la Cas9 recombinante (Provenant de Streptococcus pyogenes et exprimée chez Escherichia coli), un crARN et un tracARN transcrits in vitro. Comme Siksnys, ils dévoilèrent que la Cas9 pouvait couper de l'ADN purifié in vitro, qu'elle pouvait être reprogrammée en utilisant des crARNs sur-mesures et que les deux domaines nucléases coupaient chacun un fragment opposé. Mais l'originalité de leur étude résidait dans la démonstration que, in vitro, ces deux ARNs pouvaient fonctionner sous forme fusionnée. Cet unique ARN guide serait appelé sgARN pour single-guide ARN. Ce concept de sgARN se révélera largement utilisé en laboratoire de par sa praticité par rapport à l'instable association tracrARN:crARN.

fig.14 De gauche à droite : Emmanuelle Charpentier, Jennifer Doudna, Martin Jinek, Krzysztof Chylinski, Ines Fonfara et Michael Hauler (absent de la photographie) : l'équipe à l'origine de la création du sgARN. Leur publication contenant le nouveau sgARN fut soumise à la revue Science et publiée en ligne en Juin, depuis elle connut une popularité croissante. Elle proposait une : « methodologie alternative (aux ZFN et Talens) basée sur la Cas9 programmée par un guide ARN qui pourrait avoir un potentiel considérable pour le ciblage et l'édition génomique»

Jennifer Doudna qualifierait plus tard la technologie de démocratique :

« Elle ouvre les portes du génie génétique à n'importe quelle personne qui possède des compétences de base en biologie moléculaire et qui souhaite éditer le génome ».

fig .15 Illustration du détournement du système immunitaire bactérien au profit de l'édition génomique. Chez la bactérie le duo crARN:TracrARN de l'hôte va guider la cas9 grâce à la complémentarité entre séquence envahisseur et la séquence complémentaire du crARN issue d'une attaque virale antérieure entraînant la coupure site spécifique et donc la perte du maintien de l'ADN viral. Cette propriété peut être détournée pour réaliser une coupure précise qui permettra de modifier le génome cible. 70

décisions. La première fut en accord avec son ambition originale d'appliquer son travail à des fins médicales, elle cofonda une entreprise afin d'exploiter leur méthodologie dans le domaine de la thérapie génique. CRISPR Therapeutics, basée à Cambridge aux Etats-Unis et Bâle en Suisse naquit donc en novembre 2013. Sa seconde décision fut d'obtenir un poste permanent doté d'un important support institutionnel ; elle s'installa alors au

Helmholtz Centre for Infection Research à Hannovre où elle occupa un poste de directrice d'un département et d' enseignante à la faculté de médecine.53

Jennifer Doudna déposa via UC Berkeley une demande de brevet le 25 Mai 2012 encadrant l'utilisation du duo Cas9-sgARN à des fins de modification génétique71. Cette demande créditait Emmanuelle Charpentier, Martin Jinek, Krzysztof Chylinski et elle-même comme inventeurs. Cela peut souvent prendre des années pour qu'un nouvel outil ne soit adopté en biotechnologie. Mais avant même la fin de l'année 2012, au moins six travaux portant sur différents usages de la technique CRISPR Cas9 furent soumis pour publication. L'un d'eux allait déclencher l'une des plus grandes bataille entre scientifiques de notre siècle.