• Aucun résultat trouvé

C. Expression de la propriété

Analyse lexicographique

I.5. C. Expression de la propriété

Pour finir, en dehors de notion comme le fils du créateur, le ba ou le ka du défunt, il n’est pas rare de rencontrer d’autres composants pouvant appartenir spécifiquement au corps D.t

d’un dieu. L’exemple le plus récurrent est l’Œil ou les Yeux d’Horus, qui sont réunis et apportés au défunt comme offrande pour que celui-ci s’en approvisionne et retrouve le souffle vital (doc. 5, 38, 79, 80, 81 et 82), ou encore en tant que linceul servant à recouvrir le corps pour le régénérer (doc. 69). Dans le même esprit, le doc. 2 incite le défunt à se nourrir du sein du corps

D.t d’Horus. Enfin, à titre d’exception, le doc. 84 relève une note personnelle du défunt à la fin 111 Pyr. § 2117-2119 [TP 690].

112 Pyr. § 1300b-c [TP 537]. 113 Cf. supra, § 3.C.

114 J. assmann, Images et rites de la mort dans l’Égypte ancienne. L’apport des liturgies funéraires, 2000, p. 85-86.

d’une formule de justification classique adressée à sa femme, à qui il dédie l’« amour » (mrw.t) de son D.t. En dehors de ce dernier exemple, on peut se demander quelle est l’importance de préciser l’appartenance au corps D.t, alors même que certaines variantes de ces formules, au contenu presque identique, n’en prennent pas la peine115, d’autant que cela semble être une évidence. C’est donc peut-être à mettre sur le compte d’une tournure de langage particulière.

Toutes les attestations du mot D.t n’ont pas été citées dans ce chapitre, celles-ci étant très nombreuses et pas toujours sources d’information susceptible de nous aider à définir la notion de corps divin. Le sens de plusieurs formules reste également encore problématique, rendant leur interprétation peu fiable. On note également quelques différences dans l’emploi de ce vocable entre les TP et les TS, probablement en raison du développement de l’utilisation des termes Haw et XA.t. De fait, on observe que certaines spécificités se retrouvent attribuées à ces deux termes dans les TS, comme s’il y avait eu de la part des hiérogrammates une remise en question des principes généraux et du fonctionnement du système de pensée pour inclure des questions qui jusque-là n’étaient pas abordées – parce que non existantes ou non prises en compte116.

Néanmoins, les caractéristiques générales ont pu être mises en évidence, à commencer par l’appartenance exclusive du corps D.t à la sphère divine – le doc. 16 le décrit comme une « forme divine (jrw nTr) » – et ses liens étroits avec l’éternité-djet depuis le moment de la création. C’est donc un corps divin, grâce auquel les dieux se déplacent et se manifestent dans l’au-delà, ou tout autre espace du monde divin. Certaines formules ont ainsi pour objet d’assurer sa liberté et de l’empêcher d’être retenu en terre, dans la tombe. En cela, ses fonctions se rapprochent de celles du ba, avec lequel il est régulièrement mis en parallèle. Si cette analogie ne concerne pas leurs modes de fonctionnement, elle nous amène tout de même à penser que la notion de corps

D.t tend vers l’abstrait en ne lui attribuant pas une forme fixe. Pourtant, quelques formules lui donnent bien une consistance en décrivant sa constitution comme un assemblage d’éléments mous et durs, propres aux principes d’anatomie égyptienne, et bien que ces représentations finissent plutôt par s’attacher à la notion de corps Haw. Ces éléments sont issus de la substance même du corps du créateur, ce qui implique que tout corps divin est une émanation du créateur.

Puisqu’il s’agit d’un corps divin, ce n’est qu’après la mort de l’individu que celui-ci peut prétendre à en posséder un. Il doit l’acquérir en prouvant son droit à devenir lui-même un

netjer, c’est-à-dire en étant justifié devant le tribunal divin et en accédant au statut d’esprit-akh. Le processus ne s’accompagne pas d’une mise au monde du défunt et de son corps-D.t car il ne 115 Voir pour cela les formules TS 856, 859 et 862.

116 Je pense notamment aux thématiques de la naissance divine ou des agressions physiques que peut subir le corps, propres à la notion de Haw dans les TS mais qui ne sont jamais abordées du point de vue du D.t dans les TP. Il en va de même pour l’importance que prend la relation XA.t/ba dans les TS.

s’agit pas à proprement parler d’une naissance divine. En réalité, le corps lui est attribué par le dieu créateur et il doit en prendre possession pour en disposer à sa guise – et même parfois l’ignorer ou l’oublier. Il est indiqué dans les TP que le défunt reçoit également un nouveau ib

pour faire fonctionner le corps D.t, mais cette notion est abandonnée dans les TS au profit du corps XA.t. Enfin, il est doté d’un ka de son D.t, c’est-à-dire une représentation matérielle du corps, placé dans la chapelle funéraire pour recevoir un culte.

Chapitre II.

Haw

À la lecture des différentes études déjà proposées sur ce vocable, il apparaît immédiatement que sa définition, et a fortiori sa traduction, divisent les chercheurs1. S’il est généralement reconnu qu’il s’agit d’une désignation du corps physique anthropomorphe, dans sa conception anatomique2, certains admettent qu’il peut également être utilisé pour signifier la « chair »3 ou la « personne » d’un individu – dans des expressions telles que « en personne » ou « lui-même »4. En termes de définition, J.H. Walker propose : « Being a collective, Ha

may designate a large continuous anatomical structure or a region containing several bodily structures »5, et B. Mathieu ajoute que « Haw désigne le corps physique vivant ; c’est une désignation collective d’une réalité dénommée aussi, de manière distributive, par a.wt, «parties du corps, membres». »6 La tendance est donc de considérer le Haw comme le corps humain vivant, en opposition avec le corps mort (XA.t) et le corps des dieux (D.t).

Le mot « Haw » est présent à 55 reprises dans notre corpus, avec deux attestations dans les TP et 53 dans les TS7. Pour B. Mathieu, « on comprend l’extrême rareté de ce mot dans les TP puisqu’il se rapporte en principe au corps humain vivant, et non au corps djet

que le défunt doit acquérir. »8. Nous pouvons observer que la fréquence de ce mot augmente de manière exponentielle dans les TS, alors même que la nature de ces deux corpus n’est pas fondamentalement différente. Les raisons que l’on peut avancer à ce changement ne sont que des conjectures. Soit le sens du mot lui-même a connu une évolution, et alors le sens originel nous échappe en partie du fait du manque de sources. Soit c’est l’évolution du corpus dans son ensemble qu’il faut prendre en compte, en considérant le fait que les hiérogrammates ont 1 Wb III, 37,5-39,13 : « Körper, Leib », « Fleisch », « Glieder » ; D. meeKs, AnLex 77.2607, 78.2591, 79.1899 : « corps, membres, chairs » ; R. hanniG, Ägyptisches Wörterbuch I, p. 776-778 et Ägyptisches Wörterbuch II, 2, p. 1617-1619 : « Körper, Leib », « Fleisch » ; D. van der Plas, Coffin Texts Word Index, p. 197 : « flesh, body ». 2 Cf. E. meyeR-DietRich, Senebi und Selbst. Personenkonstituenten zur rituellen Wiedergeburt in einem Frauensarg des Mittleren Reiches, OBO 216, 2006, p. 216-219.

3 Voir par exemple R. nyoRD, Breathing Flesh, CNIP 37, 2009, p. 337-339, qui en fait l’acception principale du terme « Ha ». Il renvoie pour cela à la thèse de H.G. Blersch, Die «Aspekte» des Leibes in der altägyptischen Medizin, que je n’ai pas pu consulter.

4 Cf. J.H. WalKeR, Studies in Ancient Egyptian Anatomical Terminology, ACE-Stud 4, 1996, p. 3-18 ; L. DePuyDt, « From «My Body» to «Myself» to «As For Me» to «Me Too» : Philological and Digital Analysis of a Triple Shift in Egyptian », JARCE 45, 2009, p. 247-290.

5 J.H. WalKeR, op. cit., p. 5.

6 B. mathieu, UTP, 2013, s. v. « corps hâou ».

7 Ces attestations sont réparties dans 42 formules, que l’on rencontre sur un panel de 42 cercueils (ou ensembles de cercueils).

pu avoir besoin de thématiser certaines notions ou d’en développer de nouvelles, absentes des TP. Dans tous les cas, au moins à partir de la fin de l’Ancien Empire, la présence relativement importante de mentions du Haw dans un corpus funéraire, dont les sujets principaux sont le défunt et les dieux qu’il rejoint, implique que la différence que l’on observe généralement entre les corps Haw et D.t réside dans des qualités autres que leur nature humaine ou divine. L’exemple du doc. 105 invite à la même conclusion :

jnk Haw rmT jn(w) Spt m jw Nsrsr

« Je suis un Haw humain amené courroucé de l’Île de

l’Embrasement »9

La nécessité de qualifier le terme « Haw » de « rmT » semble indiquer qu’il ne s’agit pas d’une qualité intrinsèque de celui-ci, mais que l’on peut distinguer plusieurs genres de Haw. Or effectivement, les TS mentionnent 5 occurrences de l’expression « Haw nTr »10, permettant ainsi de conclure que le corps Haw n’est pas uniquement une caractéristique humaine, puisqu’il est possible d’en différencier le genre rmT ou nTr. Ce constat ouvre alors de nouvelles perspectives de réflexion dans l’étude de ce vocable.

À elles seules, les attestations relevées dans les TP et les TS forment un corpus trop restreint pour saisir réellement tous les aspects recouverts par le mot « Haw », puisqu’elles ne permettent qu’une approche funéraire et mythologique. Cependant, elles abondent dans le sens d’un corps physique par de multiples considérations anatomiques et physiologiques. En effet, si l’on omet les occurrences entrant dans la composition de noms d’objets (la Barque-du-Haw ou le Porche-du-Haw par exemple), qui n’apportent aucune information sur la nature de ce corps, nous pouvons observer que les deux thèmes majeurs rencontrés sont celui de la fabrication et de la mise au monde du Haw, ainsi que celui de son traitement et de son maintien en bonne santé dans l’au-delà.