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Bioréacteur et prétraitement : deux modèles prometteurs

Avant-propos

2. L’évolution du concept de stockage : des décharges non contrôlées aux ISDND contrôlées aux ISDND

2.2. Les évolutions et enjeux de la filière stockage

2.2.2. Bioréacteur et prétraitement : deux modèles prometteurs

Le principe du bioréacteur

Selon le guide bioréacteur de la Fédération Nationale des Activités de la Dépollution et de l’Environnement (FNADE), « La gestion en bioréacteur de casiers d’ISDND est une technique innovante qui consiste à accélérer les processus de dégradation et de stabilisation des déchets dans une enceinte confinée. Cette accélération peut être opérée par la maîtrise des principaux facteurs d’optimisation de l’activité microbienne : humidité, température, nature du déchet. » (FNADE-Ademe, 2007). La définition de base ne conditionne donc pas la gestion en bioréacteur à la recirculation des lixiviats, mais, dans la pratique, un taux d’humidité suffisant étant indispensable à une bonne dégradation, le bioréacteur s’accompagne quasiment toujours d’une recirculation des lixiviats. Généralement, les ISDND gérées en bioréacteur le sont en mode anaérobie, c’est-à-dire en enceinte confinée sans apport d’oxygène de l’air. La Figure I-17 présente le schéma type d’une ISDND bioréacteur avec circuit de réinjection des lixiviats et réseau de drainage du biogaz.

La recirculation des lixiviats s’est développée depuis une quarantaine d’années aux Etats-Unis (FNADE-Ademe, 2007). Cette pratique s’est développée et de nombreux sites de taille réelle aux Etats-Unis utilisent ce procédé, de façon plus ou moins empirique. La recirculation est souvent réalisée dans le but de réduire les quantités de lixiviats à traiter, sans avoir pour but final une diffusion homogène des lixiviats pour favoriser la biodégradation.

La teneur en eau des déchets dans les pays occidentaux est souvent insuffisante pour une biodégradation optimale en place (Reinhart et Townsend, 1997). La recirculation ou l’injection de lixiviats permet d’une part d’augmenter cette teneur en eau, mais elle permet également d’améliorer l’activité des micro-organismes en créant un meilleur contact entre le substrat insoluble, les nutriments solubles, les microorganismes et les enzymes, qui conditionnent le déroulement normal des réactions biochimiques dans le déchet (Mehta et al., 2002).

Les bioréacteurs ont fait l’objet d’importants programmes de recherches qui se sont intensifiés depuis les années 2000. On peut résumer ici quelques-uns des points importants soulevés par ces programmes :

Figure I-17 : schéma de principe du bioréacteur. En jaune : réseau de collecte du biogaz, en bleu : réseau de réinjection des lixiviats (FNADE-Ademe, 2007).

- la gestion en mode bioréacteur accélère significativement la biodégradation dans les massifs de déchets (Wall et Zeiss, 1995 ; Townsend et al., 1996 ; Reinhart et Townsend, 1997 ; Mehta et al., 2002 ; Benson et al., 2007 ; Zhao et al., 2008). Le corrolaire de cette accélération de la biodégradation est une accélération significative de la production de biogaz ;

- la gestion en mode bioréacteur permet d’accélérer significativement les tassements des cellules recirculées (Townsend et al., 1996 ; Mehta et al., 2002 ; Benson et al., 2007 ; Lornage et al., 2007 ; Olivier et Gourc, 2007) ;

- la recirculation permet généralement d’améliorer la qualité des lixiviats (Ademe, 1999 ; Wang et al., 2006 ; Jun et al., 2007), même si l’effet notamment sur les concentrations en métaux reste discuté (Chenu, 2007), et si certains auteurs ne voient pas d’effets généraux significatifs (Benson et al., 2007) ;

- la recirculation permet de diminuer la quantité de lixiviats à traiter (Bilgili et al., 2007 ; Jun et al., 2007). L’ordre de grandeur du gain quantitatif reste variable, des valeurs de 7% en France à 25% aux Etats-Unis par exemple ayant été constatés.

Quelques aspects négatifs potentiels de la recirculation des lixiviats ont aussi été notés, outre le rôle encore largement inconnu sur la qualité des lixiviats. Parmi ces problèmes, on peut citer la stabilité des pentes en raison d’une charge de lixiviats trop forte en fond de casier si celui-ci n’est pas exploité de façon optimale (Zhan et al., 2008). On reporte également des risques de colmatage des drains (Jain et al., 2006). La recirculation reste toutefois un défi, notamment pour l’humidification homogène du massif de déchets.

Toutefois, d’une manière générale, l’effet positif sur la biodégradation et la production de biogaz est reconnu. L’accélération des cinétiques de biodégradation permet aussi de concentrer la production de biogaz sur une durée plus courte et de faciliter ainsi sa valorisation (Staub et Gourc, 2010). La technique du bioréacteur prend aussi tout son intérêt dans un contexte où la taille et la technicité des installations tend à grandir (Damien, 2009).

L’un des intérêts de cette technique est donc aussi son coût modéré. En Europe, le coût actuel du stockage est compris entre 50 € et 100 € environ par tonne (de Gioannis et al. 2009). La valorisation du biogaz peut améliorer la rentabilité des installations, dont le coût d’exploitation en mode bioréacteur n’est pas significativement différent de celui d’une ISDND conventionnelle sur le long terme (FNADE-Ademe, 2007). Compte tenu du potentiel important de production de biogaz sur les ISDND du monde entier (Themelis et Ulloa, 2007), on comprend donc assez bien l’engouement que

Le principe du prétraitement mécano-biologique

Le prétraitement mécano-biologique (PTMB) est une technique pour dégrader les composés organiques des déchets par des traitements mécaniques (essentiellement la séparation et le broyage) et biologiques (Berthe, 2006). Généralement, il est destiné à précéder un enfouissement du déchet stabilisé en ayant diminué sa masse et son volume et la teneur en carbone organique biodégradable du déchet. D’autres finalités, comme la production de combustibles de substitution, ou combustibles dérivés de déchets (CDD, « refuse derived fuel », RDF en anglais) ou de compost, sont aussi possibles. La technique du PTMB est surtout développée en Allemagne et en Autriche, où elle a émergé il y a quelques décennies. Dans ces pays, le PTMB s’est imposé comme voie prioritaire de traitement avant stockage, le prétraitement étant obligatoire avant stockage depuis la fin des années 1990 (Berthe, 2006). Le PTMB serait également très prometteur en Asie, en raison de caractéristiques de déchets très favorables (Nguyen et al., 2007).

Le prétraitement mécanique a lieu en amont du traitement biologique et permet de séparer les éléments fins des éléments grossiers, et ce faisant, isole les éléments qui ne sont pas susceptibles d’être dégradés biologiquement, en maximisant le pourcentage de composés biodégradables arrivant en entrée de l’étape de stabilisation biologique (Münnich et al., 2006). A cette étape, certains éléments recyclables, notamment les métaux ferreux et non-ferreux, sont susceptibles d’être récupérés, d’autres peuvent être envoyés pour valorisation énergétique en incinérateur (de Gioannis et al., 2009). En plus du tri granulométrique, un broyage de la fraction biodégradable est généralement réalisé afin d’en faciliter la biodégradation (Lornage et al., 2007).

La stabilisation biologique des déchets peut se faire sous forme aérobie ou anaérobie, voire en combinant les deux modes de traitement (Münnich et al., 2006). La stabilisation anaérobie permet la production et la valorisation de biogaz, mais semble moins efficace que la stabilisation aérobie (Berthe, 2006). La stabilisation aérobie est nettement plus courante, car elle seule permet de respecter les critères d’admissibilité en vigueur en Allemagne, Autriche et Italie. Cette stabilisation se fait alors en érigeant des andains aérés passivement ou activement pour une dégradation accélérée (Lornage et al., 2007).

La durée typique d’un prétraitement de ce type peut être de plusieurs mois avant stabilisation. En France, une expérience de PTMB simplifié a été réalisée dans le cadre d’un programme de recherche avec l’Ademe (Lornage et al., 2007). Après une durée de prétraitement de 25 semaines, les déchets ne satisfaisaient toujours pas aux critères allemands et autrichiens.

Tout comme la technique du bioréacteur, le PTMB a fait l’objet de nombreuses recherches depuis les années 2000 et les enseignements suivants ont pu en être tirés :

- le PTMB peut permettre de dégrader efficacement la matière organique biodégradable, et ce jusqu’à 90% (de Gioannis et al., 2009). Toutefois, ce mode de traitement reste coûteux, et l’efficacité de PTMB à moindre coût reste plus limitée (Lornage et al., 2007) ;

- le PTMB diminue très nettement la charge organique des lixiviats (Münnich et al., 2006) ;

- le PTMB permet de diminuer le volume des déchets de façon significative (Berthe, 2006 ; Lornage et al., 2007).

Il est à noter toutefois que le PTMB a un coût bien plus important que le stockage classique, ce qui le place à des niveaux de coûts proche de l’incinération : 70 à 150 € par tonne (Lornage et al., 2007 ; de Gioannis et al., 2009) contre 35 à 300 € par tonne pour l’incinération.

Deux modèles opposés ?

Les deux modes de traitement « optimisés » décrits plus haut, le stockage en mode bioréacteur et le PTMB sont basés sur des principes de stabilisation après stockage pour le premier, et avant stockage pour le second (Powrie et al., 2007). Les deux approches tendent donc à s’opposer sur ce point. Cette

opposition est également cristallisée par une séparation relativement nette entre pays germaniques, plutôt favorables au PTMB, et pays anglo-saxons, plutôt favorables au bioréacteur.

L’évolution de la législation européenne va actuellement plutôt dans le sens de la filière PTMB (Lornage et al., 2007 ; de Gioannis et al., 2009), en raison de critères stricts sur le contenu en matière organique biodégradables acceptable en entrée d’ISDND. Ce contenu doit diminuer de 25%, 50% puis 65% en 2006, 2009 et 2016 respectivement par rapport aux valeurs de 1995 (Directive n°1999/31/CE du 26/04/99).

Le coût élevé de la filière PTMB reste toutefois un frein majeur à son développement, notamment en France, où les exigences de la Directive précitée sont déjà respectées à l’échelle des flux globaux en raison d’un fort taux d’incinération (Berthe, 2006 ; Lornage et al., 2007). C’est notamment ce contexte qui a permis à la France de lancer plusieurs programmes de recherches et pilotes sur la technique du bioréacteur.

Les recherches doivent indéniablement continuer vers ces deux voies qui ont en commun d’avoir pour but l’accélération de la biodégradation des déchets de façon contrôlée. Toutes deux permettent une réduction du volume de déchets, d’ordre de grandeur d’ailleurs relativement comparable (Lornage et al., 2007). Dans des conditions normales d’exploitation, les deux techniques permettent de réduire de façon très significative les émissions de GES des installations. La question des émissions résiduelles reste toutefois d’actualité pour les deux filières (de Gioannis et al., 2009). Le choix entre les filières reste donc largement « idéologique », mais dépend surtout de la structuration locale de la filière déchets, des installations déjà existantes, des débouchés des produits du traitement, de l’acceptabilité des coûts de traitement et de la maîtrise des technologies.

Une autre voie d’accélération des processus de stabilisation, complémentaire aux deux voies précitées, consiste en l’injection d’air dans le massif de déchet pour favoriser la biodégradation aérobie (FNADE-Ademe, 2007). Testée à grande échelle notamment en Allemagne, ses potentialités semblent prometteuses (Ritzkowski et Stegmann, 2007), et cette technique sera sans aucun doute amenée à être davantage développée dans les prochaines années, mais elle se heurte pour le moment à des problèmes d’autorisation de mise en œuvre notamment en France, où elle a été longtemps interdite.

Dans ce manuscrit, l’accent sera davantage mis sur le stockage en mode bioréacteur, dans la mesure où cette technique reste pour le moment l’option principale choisie par de nombreux pays, notamment la France, pour faire évoluer la filière stockage, tout en continuant les recherches sur d’autres possibilités alternatives. Dans ce contexte, des déchets prétraités ou avec ajout d’autres matériaux seront également testés.