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1.4 Bruit de fond sous-marin

1.4.2 Bioluminescence

Usage(s) de la bioluminescence

La bioluminescence est la propriété qu’ont certains organismes d’émettre de la lumière par réaction chimique. C’est l’une des principales solutions permettant de pallier l’obscurité sous-marine, et elle est de ce fait utilisée par de nombreuses espèces subaquatiques, des organismes unicellulaires aux poissons en passant par les méduses et les crustacés : on estime que la grande majorité des organismes vivant aux profondeurs d’Antares possèdent des caractéristiques bio-luminescentes. Selon la fonction de cette bioluminescence, sa fréquence et ses manifestations pourront affecter différemment le détecteur. Outre l’éclairage des fonds marins, on distingue principalement trois catégories de fonctions liées à la bioluminescence [124] :

• reproduction :

La bioluminescence peut être utilisée pour la recherche de partenaires dans le cadre de la parade nuptiale. Il existe une grande variété de techniques de séduction, propres à chaque

espèce : les individus émettent de la lumière sous la forme de séquences de flashes ou en continu, parfois associée à un motif spatial ( danse nuptiale ), en groupe ou individuel-lement, ou encore en rejettant un nuage bioluminescent. Le but est soit de repérer les individus de l’autre sexe en provoquant chez eux une réaction remarquable, soit de les attirer. La bioluminescence à des fins reproductives est souvent (mais pas exclusivement) associée aux mâles, afin de ne pas attirer l’attention des prédateurs sur les femelles, dont dépend de manière plus décisive la survie de l’espèce.

• chasse :

La bioluminescence peut servir à la recherche de nourriture, essentiellement de deux façons : en permettant de visualiser les proies, ou en les appâtant. Dans le premier cas, la production de lumière (sporadique ou continue) est faite près des régions oculaires, tandis que dans le second cas elle est localisée dans des zones proches des mâchoires, le plus souvent au bout d’appendices plus ou moins filaires.

• autodéfense :

Il s’agit vraisemblablement de la fonction la plus répandue. Là encore, plusieurs méthodes sont utilisées, dont en particulier l’aveuglement, la diversion et la technique dite du signal d’alarme (ou burglar alarm). La première consiste à émettre un flash court et très puis-sant dans le but d’aveugler le prédateur, dont les organes oculaires sont hypersensibles du fait de l’adaptation à l’obscurité permanente. La deuxième méthode repose sur l’éjection d’une substance bioluminescente, soit sous la forme d’un nuage diffus censé perturber la vision du prédateur, soit sous une forme compacte réellement destinée à faire diversion, voire en sacrifiant une partie du corps de l’organisme émetteur. Enfin, la méthode du signal d’alarme est efficace surtout lorsque la bioluminescence ambiante est faible et que toute émission de lumière capte l’attention des prédateurs alentours : le principe est d’attirer un prédateur de son propre prédateur, et d’obtenir ainsi une occasion de s’éclipser. Notons également, à titre indicatif, la bioluminescence en tant qu’outil de camouflage, afin d’évi-ter que la silhouette de l’animal ne se découpe à contre-jour sur le plafond sous-marin, lumineux à cause de la lumière solaire : cette utilisation est limitée aux zones épi- et mé-sopélagique (profondeur jusqu’à respectivement 200 et 1000 m), et n’intervient donc pas aux profondeurs d’Antares.

Chez la plupart des espèces, la production de lumière se fait généralement sous forme de flashes. Dans le cas des bactéries, l’émission semble cependant systématiquement continue. No-tons enfin que le phytoplancton n’atteint pas les profondeurs d’Antares : les populations d’or-ganismes microscopiques au niveau du détecteur sont donc exclusivement constituées de zoo-plancton.

Ces manifestations ont une influence différente sur Antares. On suppose que la lumière détectée par Antares est essentiellement due aux mécanismes d’autodéfense, notamment en réaction à la présence des éléments du détecteur.

Production

Les mécanismes de production de lumière par bioluminescence sont complexes et encore mal compris. Le plus répandu fait intervenir un substrat organique, désigné par le terme générique de luciférine, qui sous l’action d’un catalyseur (désigné par le terme de luciférase dans le cas d’une enzyme, mais d’autres substances peuvent faire office de catalyseur), et en présence d’oxy-gène, subit une réaction chimique complexe, au cours de laquelle la molécule prend la forme d’oxyluciférine dans un état excité. Le retour de l’oxyluciférine à l’état fondamental se fait par émission spontanée, avec éventuellement l’excitation supplémentaire de protéines fluorescentes

1. Le site et ses propriétés 57 qui à leur tour émettent des photons (figure (ii) 1.5). Il s’agit d’un mécanisme réversible, l’état final des molécules organiques est identique à leur état initial. La quantité de lumière générée est normalement proportionnelle au taux de luciférine.

Fig. (ii) 1.5:Schéma de principe du principal mode de production de la bioluminescence [img29].

La grande variété des molécules mises en jeu, et notamment des luciférases, couplée à la diversité limitée des luciférines (quatre luciférines sont à l’origine de l’essentiel de la biolumines-cence des organismes marins [125]), démontre que ce mécanisme de bioluminesbiolumines-cence résulte de convergences évolutives parallèles. Cette variété prouve le grand intérêt de ce trait évolutif pour la survie des espèces, ce que confirme l’existence d’autres processus de bioluminescence.

Bien que certaines espèces animales utilisent une longueur d’onde un peu plus grande afin de s’assurer une discrétion accrue (notamment pour la chasse), la longueur d’onde des émissions dues à la bioluminescence est généralement centrée autour du maximum de transmittivité de la lumière dans l’eau, soit environ 480 nm — ce qui correspond également, pour des raisons évidentes, au domaine de sensibilité d’Antares.

Faune méditerranéenne

Fig. (ii) 1.6: Relevés de la densité de sources de bioluminescence sur le site d’Antares, à deux dates différentes (d’après [img30]).

La mer Méditerranée est oligotrophe, c’est-à-dire pauvre en élément nutritifs. Par conséquent, la densité d’organismes marins, et donc d’organismes biolumines-cents, devrait être assez faible. Des mesures effectuées sur le site d’Antares [126] semblent confirmer cette hypothèse (figure (ii) 1.6), indiquant une densité d’es-pèces bioluminescentes 5 à 30 fois plus faible qu’en dif-férents points de l’océan Atlantique à profondeur équi-valente [127, 128, 129].

À partir d’une certaine profondeur, la biolumines-cence devient rare et la densité de bioluminesbiolumines-cence at-teint une valeur constante en fonction de la profondeur. Cette profondeur est de l’ordre de 1 000 à 1 500 m sur Antares, mais ces valeurs sont à prendre avec

précau-tion, à cause de la grande variabilité de l’activité bioluminescente au cours du temps. Les varia-tions sont saisonnières mais imprévisibles : depuis les débuts d’Antares, deux périodes ont été particulièrement actives, aux printemps 2006 et 2009.

La taille des animaux bioluminescents en Méditerranée varie des copépodes de l’ordre du millimètre aux larges colonies de plus de 10 mètres de long contenant plus de 100 000 in-dividus chacuns capables d’émettre des flashes, en passant par les crevettes euphausiid de quelques centimètres. Les plus petits organismes sont généralement les plus abondants, ce qui implique que la bioluminescence est essentiellement due aux petits crustacés comme les copé-podes. La figure (ii) 1.7 illustre un événement bioluminescent de taille assez importante sur le site d’Antares.

Fig. (ii) 1.7: Photographie d’un individu bioluminescent prise par l’une des caméras installées sur la ligne d’instrumentation IL07 (lire le paragraphe (ii) 3.1). L’échelle n’est pas précisément connue (elle dépend de la distance à la caméra).

Motifs de bioluminescence vus par Antares

Malgré le faible nombre d’organismes bioluminescents à la profondeur d’Antares, le taux de bioluminescence semble important. En réalité, la fréquence naturelle de la bioluminescence est très inférieure au taux de bioluminescence observé par Antares. Bien que la plupart des organismes à ces profondeurs soient capables d’émettre de la bioluminescence, c’est un processus gourmand en énergie ; il est utilisé avec parcimonie, et réservé aux grandes occasions  ou aux situations critiques. La bioluminescence spontanée est donc rare : même dans des densités impor-tantes d’individus bioluminescents, la bioluminescence n’est normalement pas discernable [130]. La bioluminescence vue par Antares est donc vraisemblablement due à une émission d’au-todéfense par le plancton, essentiellement stimulée par les interactions des organismes avec le détecteur : par contact direct, mais surtout et le plus souvent en réaction à la pression plus importante à proximité de ses éléments.

1. Le site et ses propriétés 59

Fig. (ii) 1.8: Taux de comptage sur les trois modules optiques d’un étage, illustrant la ligne de base, continue, et quelques bouffées de lumière dues à la bioluminescence.

La faune responsable de la bioluminescence au niveau d’Antares est mal connue et reste non identifiée, bien que la présence de certaines espèces soit avérée dans cette région. On dis-tingue deux contributions significativement différentes au bruit de fond optique dû à la biolu-minescence4 : une composante continue à moyen terme, vue par les modules optiques à raison d’un taux allant généralement de quelques kilohertz à quelques centaines de kilohertz (rarement au-delà du mégahertz) et variant sur des échelles de temps de l’ordre de quelques heures à quelques jours, et une composante intermittente, constituée de bouffées de lumière ( bursts ) de quelques centaines de kilohertz à plusieurs mégahertz durant quelques secondes. Ces deux types de contributions sont visibles sur la figure (ii) 1.8.

La composante continue, ou baseline (ligne de base), affecte en général le détecteur de ma-nière plus ou moins uniforme, ce qui laisse supposer une origine microscopique. La composante intermittente est quant à elle circonscrite à un étage, voire à un OM. Elle semble corrélée dans une certaine mesure au courant, ce qui corrobore l’hypothèse d’une excitation mécanique des or-ganismes microscopiques non-bactériens par le détecteur. Il a également été observé en quelques occasions une émission continue pendant plusieurs heures sur un seul étage, affectant différem-ment les différents OMs de l’étage et même son inclinaison, ce qui laisse supposer la présence d’un animal bioluminescent de grande taille [131].

L’observation des divers motifs de bioluminescence dans le détecteur reflète la diversité des espèces bioluminescentes sur le site. Mais la constatation la plus importante que l’on peut ex-traire de l’interaction de la bioluminescence avec Antares est certainement la grande variabilité temporelle, sans périodicité flagrante sur plusieurs années successives (figure (ii) 1.9), sans doute liée à la complexité des échanges de masses d’eau au sein de la Méditerranée, interdisant toute prévision à long terme.

Modélisation

Il a récemment été tenté de paramétriser le nombre d’impacts d’organismes bioluminescents sur le détecteur en fonction de la vitesse du courant, de la densité d’individus et de la taille des OMs et du plancton bioluminescent [126]. Un modèle simple, où le taux d’impacts T des animaux bioluminescents avec un OM est lié aux diamètres de l’OM et d’un animal bioluminescent, ainsi

4Il est possible de décorréler complètement la contribution de la bioluminescence au bruit de fond optique total, lire le paragraphe (ii) 1.4.3.

Fig. (ii) 1.9: Valeur médiane du taux de bioluminescence entre juillet 2005 et octobre 2009 [img31].

qu’à la densité ρ d’organismes bioluminescents, et à la vitesse du courant v, par la relation T = π  φOM 2 + φanimal 2 2 × v × ρ, ((ii) 1.7)

en supposant que chaque impact crée au moins un flash bioluminescent, semble à première vue en accord avec les observations de la ligne 1 (bouffées au mégahertz toutes les quelques minutes). En réalité, l’excitation des organismes résulte plus vraisemblablement de l’augmentation de la pression due au courant à proximité des éléments du détecteur que d’un contact direct. En outre, cette modélisation ne prend pas en compte la stimulation par le support des modules optiques, la ligne et les autres instruments. De telles études dépendent de nombreux paramètres, et nécessitent à la fois un approfondissement et une confrontation rigoureuse avec les données

in situ.