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SECONDE PARTIE : ÉTAT DE LA RECHERCHE

IV. Bilan et problématiques

Durant plus d'un siècle, les protohistoriens régionaux ont proposé plusieurs hypothèses d'ordre chronologique et culturel via des outils méthodologiques variés. De la lecture de leurs travaux se dégagent dès le milieu du XXe s. de profondes disparités dans les problématiques de recherche. Ces différences les pousseront à aboutir à des conclusions divergentes pour lesquelles l'identification des rythmes d'apparition des faciès culturels et la reconnaissance de ces mêmes faciès paraissent peu compatibles entre elles. Pourtant, des similitudes entre les cultures matérielles des deux côtés des Pyrénées ont été maintes fois observées. Malheureusement, ce constat n'a jamais amené à une harmonisation des chronologies, pas plus qu'à de réelles réflexions sur la nature des contacts entretenus par les populations occupant les deux versants. Au-delà de ces traditions de recherches nationales prises dans leur ensemble, on a pu remarquer que le mobilier de parure régional a souffert d'une relative méconnaissance à l'exception des fibules et, dans une moindre mesure, des agrafes de ceinture. Le traitement analytique réservé aux parures s'est contenté de quelques typologies mis en place il y a parfois plus de trente ans et n'a jamais dépassé ce stade. Depuis, on a pu démontrer que de nombreuses opérations de terrain avaient été effectuées, sans donner lieu à une synthèses des informations. Ces lacunes ont abouti à compliquer l'obtention d'une vision d'ensemble de ce type de mobilier découvert de part et d'autre des Pyrénées. De plus, des approches scientifiques plus fines et usant d'outils d'analyses modernes développés dans d'autres régions ont permis de renouveler la perception de l'organisation des sociétés protohistoriques. Ainsi, les parures provenant du quart sud-ouest de la France et du nord-ouest de l'Espagne nécessitent un nouvel examen dont découle plusieurs interrogations. Pour tenter d'y répondre, il nous faudra aborder plusieurs axes de recherches.

IV.1. Pallier la méconnaissance des collections

Bien que la mise en place d'un catalogue relève plus de la méthodologie et ne constitue aucunement une problématisation des réflexions engagées, l'intérêt timide des protohistoriens pour les parures découvertes de part et d'autre des Pyrénées ont révélé au cours du temps une méconnaissance de l'étendue des données disponibles et de leur place au sein des études protohistoriques européennes.

Côté français, les recherches en la matière se sont interrompues au début des années 1980 avec les travaux de J.-P. Mohen. Déjà à l'époque, ses analyses reposaient majoritairement sur les collections produites à la fin du XIXe et au début du XXe s. Malgré les nouvelles

93 découvertes de terrain de ces dernières années en raison du développement de l'archéologie préventive en Nouvelle Aquitaine, c'est un sentiment de relatif abandon scientifique qui domine vis-à-vis d'autres régions de l'Hexagone. Ce constat défectif s'illustre parfaitement par la carte de répartition des parures du Premier âge du Fer proposée par l'Atlas de l'Âge du Fer (fig. 15)303. Elle met en lumière une sous-représentation des effectifs pour la moitié ouest de la France au profit du sud-est, de l'est et du Bassin Parisien. Ce déséquilibre est la résultante d'une pratique archéologique régionale de terrain moins dynamique tout autant qu'une absence de publication des découvertes. Notons toutefois, qu'il tend à être peu à peu affaibli par la réalisation de divers projets de recherches universitaires visant à reprendre les analyses sur les vestiges du Premier âge du Fer du sud-ouest de la France ; démarche dans laquelle s'inscrit notre travail304.

Figure 15 :Carte de répartition des parures connues pour le Premier âge du Fer en France d'après l'Atlas de l'Âge du Fer305.

Du côté espagnol, on a pu constater également qu'aucune synthèse n'a été produite pour le Premier âge du Fer. Les travaux de ces dernières années se sont concentrés sur des ensembles plus localisés à l'échelle d'un site ou d'une région. Concernant le mobilier de parure, nos connaissances reposent essentiellement sur les travaux produits dans les années 1990 par J.-L. Argente Oliver pour les fibules et ceux de A. Lorrio portant en partie sur les fibules et les agrafes de ceinture de la fin du Premier âge du Fer. Enfin, rappelons qu'il n'existe pour l'heure aucune

303 L'Atlas de l'Âge du Fer est consultable en ligne (http://www.chronocarto.ens.fr/gcserver/atlas#). Il se nourrit de la base de données mise en place par le laboratoire d'archéologie et philologie AOROC (UMR 8546, CNRS-Ecole normale supérieure) dirigé par S. Verger et K. Gruel, dans le cadre d'un projet du Laboratoire d'Excellence Labex TransfertS.

304 Colin et al. 2013 ; Adroit (2015) ; Dumas (2016) ; Dumas & Constantin 2015.

305 Carte consultée en ligne le 11 juillet 2016 en sélectionnant les occurrences "Ha (-750/-450)" et "parures". Une carte similaire avait été présentée par O. Büchsenschutz lors d'une communication proposée à l'occasion de la 9e

édition "des journées de protohistoire Celtique de l'ENS-Paris" : Paraître et modes vestimentaires des Celtes de l'âge du Fer, dirigée par K. Gruel et T. Lejars, qui s'est déroulée le 5 juin 2014 à l'ENS (Paris).

94 étude typologique fine des parures annulaires. Tous ces éléments, auxquels s'ajoute la publication partielle des sites fouillés entre les années 1970 et 1990, ont engendré une vision fortement lacunaire du mobilier de parure découvert dans cette partie de la péninsule Ibérique. Dans ce contexte, la constitution d'un catalogue des parures découvertes de part et d'autre des Pyrénées dépasse à notre sens la seule conception d'un outil scientifique. C'est pour cette raison que ce travail ne s'intitule pas "Les dépôts de parures dans les tombes" ou "Étude comparée des parures à la lumière des fouilles récentes" mais s'intéresse à l'ensemble des découvertes réalisées depuis plus d'un siècle et demi et pour tout type de site. Ce catalogue tendra ouvertement à une forme d'exhaustivité, devançant les notions de valeur des informations et d'utilisation d'un jeu de données dans le cadre d'une synthèse. Ainsi, notre travail relève aussi d'une démarche visant à rendre disponible des données largement méconnues ou oubliées de la recherche protohistorique.

IV.2. Homogénéisation des cadres chronologiques

En esquissant un rapide tableau de la mise en place des cadres chronologiques employés de part et d'autre des Pyrénées, nous avons pu mettre en lumière les fortes disparités qui existaient entre eux (fig. 16). Sans entrer dans les détails, on constate déjà qu'elles s'illustrent par le placement des bornes du Premier âge du Fer divergentes. Pour certain, elles sont comprises entre 800 et 450 a.C., alors que pour d'autres, elles se situent de 700 à 400 a.C. En soi, l'utilisation de chronologies régionales constitue une démarche saine dans la mesure où chacune d'elles rend compte de phénomènes chrono-culturels adaptés à la zone géographique qu'elle recouvre. Toutefois, elles deviennent inopérantes, ou du moins, fortement discutables, lorsqu'elles traduisent des rythmes d'apparition de faciès culturels similaires à des moments distincts. Ce cas se présente notamment pour la datation de plusieurs types d'objets de parures présents de la vallée de la Garonne au centre du système Ibérique. Citons comme exemple les analyses 14C réalisées sur les ossements des sépultures de la nécropole de Herrería (Guadalajara), dans lesquelles étaient déposées des fibules "navarro-aquitaines", qui dateraient leur enfouissement entre la fin du VIIIe et le début du VIe s. a.C306. Ces résultats de datation absolue, sur lesquels s'appuie le phasage de la nécropole, sont en décalage de plus d'un siècle avec ceux obtenus par l'étude typo-chronologique des modèles aquitains datés de la toute fin du VIe et début du Ve s. a.C et correspondant à la phase IV (550-400 a.C.) de J.-P. Mohen307. Dans le même temps, un second problème se pose. Les phasages chronologiques du nord espagnol

306 Cerdeño & Sargadoy 2007, 186-183.

95 sont en constante mutation et sont développés au gré d'une multitude de synthèses valides pour des aires géographiques très localisées mais beaucoup moins acceptables pour des ensembles plus larges. En Aquitaine, le phasage qui faisait référence jusqu'alors et sur lequel repose de nombreuses études typo-chronologiques est la partition du Premier âge du Fer proposée par J.-P. Mohen il y a plus de trente ans. Ce phasage s'est en partie établi par des comparaisons faites avec des vestiges de régions plus ou moins proches comme le Languedoc, la France centrale ou le complexe nord-alpin, qui ont connu ces dernières années de nombreux réajustements. La réévaluation de ces cadres chronologiques, entrainée par l'utilisation croissante de datations radiocarbones et focalisée sur les périodes de transition, a rendu en grande partie obsolètes les travaux de J.-P. Mohen.

Dans ce contexte, la redéfinition d'un cadre chronologique commun à l'ensemble des parures de la zone d'étude sera une condition première à une étude transpyrénéenne. Il devra être constitué à partir des résultats de l'examen typo-chronologique des parures et de la sériation des ensembles clos. Cette analyse reposera principalement sur les ensembles funéraires pour deux raisons. La première est que ces contextes archéologiques sont très nombreux dans la zone d'étude puisque l'on a pu voir que les gisements à caractère funéraire ont monopolisé depuis plus d'un siècle les efforts de la recherche de terrain du Premier âge du Fer en France comme en Espagne. La seconde est liée à la définition même d'une sépulture. À la différence des couches d'occupations d'un habitat qui peuvent s'éteindre sur un laps de temps de plusieurs années, les tombes constituent un rassemblement d'objet déposés intentionnellement à un instant T. Une fois scellée, la sépulture et le mobilier qu'elle renferme témoignent d'une temporalité resserrée comme le souligne P. Brun : " […] une tombe résulte de gestes accomplis

à un moment précis, très limité dans le temps : celui de la condamnation définitive. Ainsi, une tombe constitue un ensemble clos par excellence"308. Pour ces raisons, l'analyse des ensembles

funéraires offrent un cadre propice à la caractérisation d'un phasage chronologique fin et c'est donc sur ces ensembles que portera cette partie de l'étude.

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Figure 16 :Systèmes chronologiques de la zone d'étude et leurs correspondances avec les systèmes de France et du domaine nord-alpin.

IV.3. Espace et sociétés : faciès culturels, nature des contacts et organisation sociale

À l'issue des travaux réalisés dans le quart sud-ouest de la France et le nord-ouest de l'Espagne se sont esquissés des groupes culturels et des possibles relations entre ces groupes. Toutefois, plusieurs problèmes se posent quant aux approches employées pour leur identification. Tout d'abord, leur reconnaissance n'a que rarement fait appel à l'examen du mobilier de parure, préférant se concentrer sur d'autres types de vestiges, ce qui a pour conséquence une connaissance partielle des répartitions de cette catégorie de mobilier. L'identification d'influences interrégionales a également été minimisée au profit d'autres définies dans un cadre plus restreint. Ensuite, la reconnaissance de ces groupes régionaux s'est

97 fondée sur des schémas de pensée biaisés ou datés. Dans ces modèles, l'apparition de marqueurs culturels traduit au mieux des échanges commerciaux ou dans le pire des cas, le déplacement effectif des porteurs de cette culture. Ainsi, aucun de ces modèles ne rend compte de l'ensemble du spectre que recouvre la notion de "culture", ni des relations complexes qui pouvaient être nouées entre les populations comme peuvent l'être des relations de lignages entre élites par exemple. Enfin, nos connaissances et les études réalisées jusqu' alors sur les parures régionales ont clairement démontré leurs limites. Le retard accumulé se perçoit en comparaison des avancées effectuées sur ce type de mobilier dans d'autres régions. Les résultats de l'analyse des parures obtenus grâce à de nouvelles approches méthodologiques dessinent des problématiques inédites pour les collections de notre cadre géographique.

Ainsi, la réévaluation des données typo-chronologiques des parures, conjuguée aux outils de cartographie et de statistique, devrait nous permettre de développer de nouvelles hypothèses de travail. Premièrement, notre travail portera sur une étude chrono-topographique des faciès culturels. L'identification de proximités typologiques des assemblages de parure dans les sépultures par l'utilisation d'analyses spatiales devrait offrir l'opportunité de reconnaitre les limites territoriales de certains faciès culturels. Cette approche sera particulièrement indiquée pour juger des relations entre les populations situées de part et d'autre des Pyrénées. Elle permettra de rendre compte de la mutation de leurs interactions dans le temps par des phénomènes d'expansion ou de contraction géographiques des cultures matérielles. Deuxièmement, l'identification de marqueurs culturels ne pourra se substituer à un examen des assemblages de parures en contexte funéraire. À une échelle micro-spatiale, l'analyse des costumes funéraires et la place des parures au sein des sépultures nous amènera à discuter des notions d'identités individuelles à l'intérieur des communautés. Cette étape pourrait peut-être permettre de redéfinir le statut des femmes durant le Premier âge du Fer régional au regard des propositions formulées pour d'autres zones géographiques. Au niveau macro-spatial, la reconnaissance d'identités collectives pourrait redessiner la nature des contacts entre les populations des deux versants des Pyrénées.

En somme, l'étude des parures doit nous permettre de mettre en place diverses approches méthodologiques afin de répondre à de nombreuses interrogations d'ordres chronologiques, typologiques, géographiques et culturels, trop longtemps mises de côté par l'absence de synthèses récentes dans la région. Cet examen nécessitera l'utilisation d'outils ciblés en phase avec les problématiques que pose l'archéologie protohistorique actuelle.