• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Modélisation de la torsion dans les poutres élancées de section quelconque.

4.1 Contexte, bibliographie et cadre de l’étude

4.1.2 Bibliographie

4.1.2.1 Aperçu historique des modèles de poutre

Les modèles de poutre sont nombreux et il est important de bien en maîtriser les hypothèses. Une vision historique permet de comprendre la construction de ces modèles. Nous reprenons ici la chronologie proposée par Antman [ANTMAN95].

1694-1774 : poutre plane Entre 1694 et 1728, Jacques Bernoulli, puis Leonhard Euler et Daniel Bernoulli construisent une théorie de poutre plane, inextensible, dont les sections restent planes et orthogonales à la ligne neutre. C’est l’origine de ce que nous appelons aujourd’hui le modèle de poutre d’Euler-Bernoulli. Entre 1728 et 1774, Euler approfondit ce travail et propose une théorie de poutre plane, extensible, tenant compte de l’effort tranchant.

1775-1893 : poutre élancée Entre 1843 et 1845, Saint-Venant introduit la notion de gauchissement des sections, permettant la prise en compte exacte de la torsion dans les modèles de poutre. Cela permet à Kirchhoff (1859), Clebsch (1862), Thomson et Tait (1867), et Love (1893) de construire les équations de Kirchhoff, qui décrivent l’équilibre d’une poutre inextensible aux sections orthogonales à la ligne neutre (mais éventuellement gauchies lors de la torsion).

1894-1921 : poutre épaisse Entre 1907 et 1909, les frères Cosserat généralisent les équations de Kirchhoff, en construisant un modèle de poutre où les sections ont une orientation quelconque. Le modèle de poutre de Timoshenko (1921) peut être vu comme un cas particulier de la théorie des frères Cosserat, et il permet de traiter les poutres épaisses avec précision, en prenant en compte l’effort tranchant.

Les poutres utilisées dans les structures légères, en particulier les gridshells, sont souvent élancées, c’est pourquoi nous retenons plus particulièrement les hypothèses suivantes liées aux poutres élancées :

— les sections restent orthogonales à la ligne neutre et peuvent se gauchir lorsqu’elles sont soumises à de la torsion.

— la poutre a une extension négligeable.

En effet, on peut observer le gauchissement de la section de certaines poutres soumises à de la torsion. Les sections se déforment alors hors de leur plan. Ce phénomène peut être à prendre en compte car le gauchissement joue sur l’inertie de la poutre en torsion.

Si l’hypothèse d’orthogonalité des sections à la ligne neutre est classique, celle d’extensibilité négligeable l’est moins, et nous l’expliquons donc maintenant, en s’appuyant sur le raisonnement d’Audoly et Pommeau [AUDOLY08]. En effet, si une poutre élancée est en

considérer les sollicitations en flexion. C’est par exemple ce qu’on observe lorsqu’on étudie un élastique tendu (figure 4.7, gauche).

Dans les autres cas, lorsque la poutre n’est pas en extension, les sollicitations en flexion et en torsion sont à prendre en compte puisque ce sont elles qui donnent à la poutre sa géométrie d’équilibre (figure 4.7, droite). Alors dans ce cas, l’élongation de la poutre est très faible et c’est pourquoi l’hypothèse d’inextensibilité peut être faite. Ainsi, l’étude présentée dans ce chapitre se concentre sur les poutres inextensibles.

Figure 4.7 - Illustration des comportements d'une poutre élancée

Le comportement représenté à droite est celui auquel nous nous intéressons. Dans ce cas, la poutre est soumise à des contraintes axiales liées à l’effort normal, et d’autres contraintes axiales liées aux phénomènes de flexion. [Audoly08] montre par un raisonnement basé sur des ordres de grandeurs que si la longueur de la poutre est très grande devant la dimension caractéristique de sa section ( ≫ L), la contrainte axiale est largement dominée par la flexion (si la poutre n’est pas en extension, ce qui est le cas sur la figure de droite). Un modèle inextensible est donc suffisant ici.

4.1.2.2 Modèles numériques modernes de poutres en torsion

Nous donnons ici un aperçu des différentes approches de simulation de poutres incluant la torsion existant dans la littérature. Cette synthèse ne peut être exhaustive, mais elle rend compte des grandes tendances dans les choix de modélisation. La simulation numérique d’une poutre s’appuie sur trois choix fondamentaux :

A. Le modèle de poutre B. La description cinématique C. La méthode de résolution

A. Les modèles de poutre On peut résumer pour notre étude le paragraphe précédent et citer : Poutre d’Euler Bernoulli Ce modèle de poutre stipulant que les sections restent orthogonales à la ligne neutre est invoqué dans [ONG92], [Abaqus13] et [THEETEN06]. On

notera alors que l’extensibilité n’est pas supposée négligeable, même si cela n’a pas vraiment de sens pour les poutres élancées.

Poutre de Kirchhoff Dans [BERGOU08], [BERTAILS05], [BERTAILS06], [GREGOIRE07] et

[PAI02] l’hypothèse d’inextensibilité est ajoutée. Cela pousse les auteurs à recourir au modèle

de poutre de Kirchhoff.

Autres modèles [BARNES13], à l’aide d’un modèle à 3 ddl par nœud, modélise la torsion

(et la flexion) d’une poutre courbe de section quelconque, au voisinage de la configuration au repos. [CHOE99] (modèle de corps rigides reliés par des ressorts axiaux et angulaires) ne précise

pas les raideurs des ressorts employés, mais un choix adéquat de ces valeurs rapproche son modèle du modèle d’Euler-Bernoulli.

125 fortement dépendant du choix du modèle de poutre.

3 ddl par nœud Dans [BARNES13], le choix a été fait de représenter la poutre uniquement

par la position des nœuds de sa représentation discrète. Cette représentation est trop pauvre dans le cas général puisqu’elle ne fait aucune différence entre une poutre rectiligne au repos et une poutre rectiligne en torsion. C’est celle que nous utilisons dans les études de gridshells présentées auparavant.

3 ddl par élément + 1 condition aux limites [BERTAILS05] et [BERTAIL06] représentent

la poutre comme un assemblage d’hélices (une hélice étant une poutre ayant une courbure (2 ddl) et une torsion (1 ddl) constantes), avec une condition aux limites donnée. Partant de la condition aux limites et connaissant la courbure et la torsion de chaque élément, on peut reconstruire la poutre de proche en proche. Pai représente quant à lui la poutre comme un assemblage de segments rigides articulés [PAI02]. Cet assemblage est entièrement déterminé

par la position d’un segment et la rotation (3 ddl) de chacun des autres segments. Cependant, ces modélisations semblent n’être adaptées qu’à des poutres sans interaction et ayant au moins une extrémité libre.

4 ddl par nœud Bergou [BERGOU08], [BERGOU07], Gregoire [GREGOIRE07] et Theeten

[THEETEN06,THEETEN07] proposent un modèle à 4 ddl par nœud : 3 ddl pour représenter la

position des nœuds et 1 ddl pour représenter l’angle d’orientation des sections aux nœuds. Notons que Bergou et Theeten mesurent cet angle de torsion par rapport au repère de Bishop que nous détaillerons plus tard. L’élément de poutre d’Euler-Bernoulli B33 dans le logiciel d’éléments finis Abaqus (voir [Abaqus13]) possède également 4 ddl, 3 en position et 1 en torsion. Très récemment, la cinématique de Bergou a été reprise dans le but de proposer un outil de conception de poutres tissées [NABAEI14].

Notons que ces modèles laissent possible l’extension de la poutre.

6 ddl par nœud Wakefield est le premier à utiliser un modèle à 6 ddl. Son modèle est un modèle discret à 6 ddl par nœud (3 ddl pour la position, 3 ddl pour l’orientation du repère matériel associé) [WAKEFIELD80]. La ligne neutre est représentée par une spline d’interpolation

cubique entre ces nœuds. Ces travaux sont repris par la suite par Ong [ONG92], puis par

Adriaenssens [ADRIAENSSENS00]. Ce modèle laisse libre l’extension de la poutre et inclut

l’hypothèse d’orthogonalité des sections à la ligne neutre. Plus récemment, D’Amico a repris cette modélisation pour modéliser des poutres, en particulier des gridshells. Avec l’augmentation très significative de la puissance de calcul durant les dernières décennies, ce modèle devient exploitable [D’AMICO14]. Il souffrirait toutefois de problèmes de stabilité.

6 ddl par élément Dans [CHOE99], la poutre est représentée comme un assemblage de

corps rigides reliés par des ressorts axiaux et angulaires. Chaque élément possède alors 6 ddl (3 ddl en translation et 3 ddl en rotation). Adriaenssens propose un modèle dans lequel les nœuds possèdent 3 ddl en rotation et 3 ddl en translation [ADRIAENSSENS00]. Dans[GREGOIRE07] un

pour l’orientation dans l’espace de la section entre deux nœuds. Notons que ce dernier modèle s’apparente à la théorie des frères Cosserat, et pour se ramener à un modèle de poutre de Kirchhoff, les auteurs choisissent d’imposer une pénalisation de l’écart de la section au plan orthogonal à la ligne neutre.

C. La méthode de résolution Connaissant les efforts, ou l’énergie élastique associée à une configuration de la poutre, différentes méthodes numériques peuvent être mises en œuvre pour obtenir son équilibre ou son évolution dynamique.

Les méthodes numériques employées dans les publications précédemment citées constituent un bon panel représentatif des méthodes utilisables :

— Connaissant les efforts intérieurs, [BARNES13] et [ONG92] calculent l’équilibre par

relaxation dynamique.

— [BERGOU08] calcule les forces appliquées aux nœuds en dérivant l’énergie élastique et

résout la dynamique par un schéma explicite en temps. L’inextensibilité est imposée après chaque pas de temps par projection selon l’algorithme de fast-projection proposé dans [GOLDENTHAL07].

— [BERTAILS05] choisit de minimiser l’énergie élastique par une méthode de descente de

gradient.

— [BERTAILS06] et [THEETEN06] résolvent les équations de Lagrange par un schéma

implicite en temps.

— [GREGOIRE07] calcule les forces appliquées par dérivation de l’énergie élastique et les

annule en recourant à la méthode de Newton. Les hypothèses d’inextensibilité et d’orthogonalité des sections à la ligne neutre sont introduites par l’intermédiaire d’énergies de pénalisation ajoutées à l’énergie élastique.

— Connaissant les forces appliquées à chaque nœud, [CHOE99] calcule la dynamique à

l’aide d’un schéma implicite en temps.

— Pai [PAI02] utilise les algorithmes explicites classiques de la robotique (voir

[FEATHERSTONE08]) pour résoudre la dynamique d’un ensemble de corps rigides

articulés, soumis à des forces connues.

Explicite vs implicite Le choix entre méthode explicite et implicite est particulièrement important. Le pas de temps pour une méthode explicite est limité pour des raisons de convergence. Ainsi les méthodes explicites nécessitent des pas de temps petits. En contrepartie, ils ne nécessitent pas d’inversion de matrice. A l’inverse, une méthode implicite nécessite l’inversion d’une matrice à chaque itération, mais le pas de temps n’est pas limité par la stabilité.

Ayant pour objectif de modéliser des assemblages complexes de poutres, liées entre elles par des connections nombreuses, il a paru judicieux de se tourner vers des méthodes explicites. En effet, ces méthodes numériques offrent un temps de calcul linéaire par rapport au nombre de nœuds, et ce quelles que soient la complexité et la redondance des structures à calculer. A

contrario, dans ces cas de structures fortement interconnectées, l’inversion de la matrice de raideur peut devenir très couteuse en temps de calcul. Enfin, la simplicité apparente d’un schéma numérique explicite tel que celui de la relaxation dynamique joue en sa faveur. Ces

127 Inextensibilité Pour imposer l’inextensibilité, on distingue trois démarches :

1. Travailler avec des éléments rigides : cette méthode est intéressante pour des chaines ouvertes de corps rigides (une poutre seule par exemple), car il existe des algorithmes en temps linéaire pour traiter la dynamique d’une chaine ouverte (voir [FEATHERSTONE08]).

Par contre, pour les chaines fermées, comme dans le cas des gridshells, cette méthode devient coûteuse et demande l’inversion d’un système à chaque itération.

2. Utiliser une méthode de projection comme la fast-projection [GOLDENTHAL07] : cette

méthode requiert l’inversion d’une matrice, et est donc exclue dans le cadre d’une dynamique traitée avec un schéma explicite comme c’est le cas pour les gridshells. En outre, l’utilisation d’une contrainte d’inextensibilité ne permet pas de remonter à l’état de contrainte axial dans les poutres, qui pourtant, peut être important lors de l’étude de chargements de vent ou de neige, par exemple.

3. Utiliser une énergie de pénalisation : cette méthode peut, selon les cas avoir pour conséquence de rigidifier le système et donc de réduire le pas de temps autorisé par le schéma explicite. C’est malgré tout la meilleure méthode pour un système complexe si les raideurs associées aux pénalisations n’ont pas besoin d’être plus importantes que les raideurs caractéristiques du système. Cette méthode ne permet pas d’imposer l’inextensibilité au sens strict mais une inextensibilité partielle. Le principal avantage est qu’en imposant une raideur de pénalisation conforme à la raideur des éléments, le modèle devient très précis, et permet en particulier de remonter aux contraintes axiales qu’il peut être important de calculer, par exemple sous chargement de vent ou de neige, de manière à pouvoir certifier que la structure et ses connexions sont bien dimensionnées et qu’il n’y a pas de risque d’endommagement.

4.1.3 Choix de modélisation