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b) La réfutation théorique de la règlementation systématique

Nous avons vu que la théorie économique propose une règlementation systématique en cas d’externalité. Cependant, en dehors de la règlementation il existe d’autres instruments de politiques environnementales qui concourent également à l’objectif de dépollution.

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) La négociation directe et la fusion

Introduisons dans l'exemple des deux entreprises A (la décharge qui pollue la rivière du fait des lixiviats qui s’écoulent des bassins de rétention) et B (l’agriculteur qui arrose ses légumes avec de l’eau de la rivière) un droit de propriété sur la rivière. Supposons que la rivière appartient à l’agriculteur. Notons que cette dimension juridique n’avait pas été prise en compte dans les cas de figure précédents (l'analyse canonique des externalités ne précisant aucune caractéristique des institutions). Admettons également que A et B se connaissent et peuvent signer des accords entre elles. Négligeons enfin le coût de ces accords en considérant que la négociation, la mise en œuvre, et la surveillance d'un contrat n’entraînent pas de dépenses. Soucieuse de maximiser son profit, A produit la quantité de pollution q°, niveau pour lequel le préjudice subi par B est le plus élevé.

On remarque (cf. figure 6) que dans cette situation une diminution des rejets de Dq = (q° - q) apporte au pollué B un gain (YXRq°) qui est supérieur à la perte subie par A

(qYq°). L’agriculteur a donc intérêt à entrer en négociation avec la décharge pour lui proposer de limiter ses émissions de lixiviats en échange d'une contrepartie monétaire. Cette compensation doit être fixée de telle sorte qu'elle soit supérieure à qYq° (sinon A n'accepte pas l'offre) et inférieure à qXRq° (sinon B perd de l'argent en faisant sa proposition). Grâce à cette transaction, chacune des deux entreprises se retrouve dans une situation qui lui est plus favorable que la situation de départ caractérisée par le niveau de pollution q°. Observons que pour le niveau de rejet q, il

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existe encore un gain collectif (l'aire du triangle QXY) à se partager en faisant diminuer la pollution. B a donc intérêt à demander à A de réduire encore un peu plus ses rejets et à lui allouer une partie du nouveau gain qu'il obtient. Finalement, la négociation entre les deux entreprises s'arrête quand B ne peut plus compenser A pour la perte qu'il subit, c’est-à-dire lorsque le niveau de pollution q* est atteint. La négociation directe entre pollueur et pollué aboutit ainsi spontanément à une production optimale d'externalité. La présence d'une autorité publique n'est pas ici nécessaire pour régler le niveau de pollution.

D'autres solutions de ce type sont envisageables. Tout d'abord les deux entreprises A et B peuvent fusionner. Dans ses choix techniques de production, la nouvelle entreprise ainsi constituée va chercher à maximiser le profit joint de ses deux unités. Le bénéfice et le coût de réduction des rejets vont être comparés, ce qui va conduire l'entreprise consolidée à opter pour un niveau de rejets égal à q*. Comme la négociation, la fusion conduit à l'optimum de pollution.

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) Les autres solutions privées

On peut aussi imaginer un marché de transaction de titres de propriété sur les ressources de l'environnement qui serait organisé selon le modèle boursier. Cette solution du marché de droits à polluer a été élaborée par Dales (1968). Imaginons dans notre exemple de la rivière que des coupons pour rejeter une tonne de lixiviats ont été distribués. Ils vont acquérir une valeur qui correspond au prix d'équilibre entre l'offre et la demande, c'est-à-dire à l'intersection des courbes des bénéfices et des coûts marginaux agrégés de dépollution. Une nouvelle fois, un optimum de pollution sera atteint (à condition toutefois que le marché soit concurrentiel et donc qu'il y ait un grand nombre de décharge et d’agriculteurs répartis le long de la même rivière).

Sur un plan théorique l'internalisation des externalités peut donc emprunter divers chemins autres que l'intervention publique par les quantités (en imposant une norme d’émission) ou par les prix (en imposant une taxe). Les modalités de correction des externalités qui viennent d'être décrites conduisent toutes à un optimum de Pareto. Ce résultat repose sur l'hypothèse générale d'absence de coûts de fonctionnement du

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système économique. Sur le plan méthodologique, le fait de supposer que les coûts de transaction sont nuls, conduit à une double impasse.

La première impasse est liée au fait qu’on ne peut pas comprendre le monde réel en supposant que les coûts de transaction sont nuls. Pigou (1932) à ignorer, dans l'exemple d'externalité qu'il cite à propos des incendies causés par le chemin de fer à vapeur, qu'il existe en Grande Bretagne au début du siècle une législation spécifique (Coase, 1960). Cette législation indique précisément les circonstances qui donnent droit à une compensation par les compagnies ferroviaires des dommages subis par les propriétaires forestiers. Si l'incendie d'une parcelle boisée n'est pas dédommagé, cela n'est pas dû à l'absence de réglementation mais en est plutôt la conséquence : le sinistre observé ne remplit pas les conditions requises par la législation (date de déclaration, importance de l'incendie) pour qu'une compensation soit envisagée26. En négligeant les institutions, Pigou prend un mauvais exemple d'externalité. L'intérêt de Coase pour les institutions le conduit à dénoncer l'hypothèse de coûts de transaction nuls et à rejeter le théorème auquel son nom a été accolé. Levêque (2000) souligne que près de trente ans après la publication de son article, Coase déclare : « J'ai montré dans La Nature de la firme qu'en l'absence de coûts de transaction, il n'y a pas de fondement économique qui justifie l'existence de l'entreprise. Ce que j'ai montré dans Le Problème du coût social, c'est qu'en l'absence de coûts de transaction [...] les institutions qui façonnent le système économique n'ont ni substance, ni objet. [...] Mon argument suggère qu'il est nécessaire d'introduire explicitement des coûts de transaction positifs dans l'analyse économique pour étudier le monde tel qu'il existe » (Coase, 1988).

La seconde impasse tient du fait que la référence à un monde sans coûts de transaction supprime l'existence même des externalités et retire du même coup la raison d'être de la recherche de solutions d'internalisation. En l'absence de coûts de

26 Selon Pigou (1932), le passage des trains est profitable aux voyageurs et aux compagnies, mais les escarbilles peuvent mettre le feu aux parcelles boisées le long des lignes et entraîner ainsi un sinistre préjudiciable aux propriétaires forestiers, acteurs qui ne participent pas à l'échange du service ferroviaire.

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transaction, les agents ne rencontrent aucun obstacle pour s'échanger des biens et services, ils opèrent continuellement des transactions. Dès qu'il y a un gain mutuel à se partager, ils entrent instantanément en contact et concluent immédiatement un accord. Les externalités ne peuvent alors ni émerger, ni encore moins persister (Dahlman, 1979). L'externalité doit être ici entendue au sens d'externalité Pareto-pertinente, c'est à dire dont la correction améliore le bien-être collectif. Dans un monde de coûts de transaction nuls, les seules externalités concevables correspondent à des interdépendances hors marché qui, si elles étaient corrigées, entraîneraient une perte de bien-être.

En conclusion, on retient que l’échec de l’Etat dans la fourniture des services publics a donné naissance au partenariat public privé. La réussite d’un tel partenariat entre l’Etat et le secteur privé dans la fourniture des services environnementaux (comme le service public de gestion des déchets solides par exemple), exige que l’on choisisse parmi un ensemble d’options l’arrangement institutionnel qui minimise les effets pervers induits par les contraintes informationnelles, transactionnelles, administratives et politiques. En ce qui concerne spécifiquement la gestion des déchets solides dont les nuisances environnementales ne sont plus à démontrer, plusieurs instruments (règlementation, négociation, fusion, etc.) peuvent être mis en place pour internaliser ces effets externes.

Le chapitre II nous permettra de cerner et comprendre les expériences organisationnelles de la gestion des déchets au Cameroun.

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CHAPITRE II :

ANALYSE DE LA GESTION PUBLIQUE DES DECHETS SOLIDES