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Aujourd’hui

Dans le document « Le Grand Voyage » (Page 77-81)

 

 

milieu professionnel. La majorité de ces nouveaux voyageurs part pour une durée limitée –un, deux ou trois ans– pour un périple déterminé (Méditerranée, bassin Atlantique, tour du monde). Ils se sont le plus souvent assurés d’un moyen de subsistance qui leur permette de se libérer de toute occupation professionnelle durant le voyage.

L’engouement pour la voile en général, notamment pour la grande croisière, a permis l’émergence d’un secteur économique important. L’industrie nautique tient maintenant une place non négligeable dans l’économie française. La publicité donnée à tous les événements maritimes est énorme ainsi que le nombre de livres publiés sur le sujet. Les guides pratiques de tout type, qu’ils concernent les meilleures destinations, le maniement des voiles, en passant par l’entretien du moteur et la manière de faire son pain à bord, voisinent avec les récits de voyage, la tendance actuelle favorisant la juxtaposition des deux genres, guides et récits, dans un même ouvrage (Nieutin 2008). L’impact commercial de la voile au long cours ne fait que croître. En effet, la construction amateur se raréfie au profit des chantiers navals. De plus, les équipements se multiplient pour répondre aux exigences sans cesse grandissantes des navigateurs et la panoplie de services qui leur sont offerts s’élargit de même. Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter les petites annonces des revues spécialisées. En 2008, avant une baisse passagère due à la situation économique générale, l’industrie nautique française comptait 4970 entreprises, réalisait un chiffre d’affaires de 4,53 milliards d’euros et occupait un effectif de 44.226 personnes –secteur industriel (1/4) et secteur de services (3/4) confondus1. Ces chiffres ne rendent malheureusement pas compte de l’importance de la grande croisière dans l’ensemble de l’industrie nautique, ni de l’éventuelle influence de son image comme facteur incitatif auprès des autres plaisanciers.

     

Aujourd’hui

   

Ces dernières années, on peut voir une nouvelle tendance se dessiner. Les voyages longs, d’au moins une année, n’auraient plus la préférence. Les navigateurs opteraient aujourd’hui pour des périodes de navigation plus courtes vers des destinations plus ciblées et entrecoupées de retours à la vie ordinaire (Gourmelen 2008). Ce phénomène est dû d’une part, au développement du trafic aérien et la diminution de son coût – multiplication des vols low cost–, et d’autre part à la construction d’une infrastructure de gardiennage et d’entretien de bateaux dans les zones les plus fréquentées par les voiliers  

1 Chiffres extraits du magazine en ligne L’Officiel du bateau :

http://www.officieldubateau.com/communique_de_presse_nautisme.net?idannoncesofficieldubatea ux=55&titre=%20L%92industrie%20nautique%20fran%E7aise%20en%202008/2009%20:%20le

 

comme les Caraïbes. Le gain réalisé grâce au moindre coût de la main-d’œuvre et des emplacements à sec dans ces pays, compense le prix les billets d’avion et permet aux navigateurs d’alterner les modes de vie terrien et maritime.

Déjà mentionnée, l’augmentation des flottilles de location dans toutes les mers du globe favorise aussi ce type de navigation en alternance. En effet, les sociétés de location fonctionnent notamment avec des bateaux appartenant à des propriétaires privés que ceux-ci n’utilisent personnellement que pour des périodes limitées.

L’interview par téléphone d’une libraire spécialisée dans les livres de mer et ayant

 

elle-même voyagé en voilier m’a apporté de nombreuses informations sur l’évolution du comportement des navigateurs, corroborant mes observations. Les lignes qui suivent sont basées sur cet entretien : mon informante y est mentionnée sous le pseudonyme de Lib.

Même aujourd’hui, Bernard Moitessier reste celui qui fait le plus rêver les amateurs de voyage maritime. Ses livres se vendent toujours aussi bien, suivis de ceux de Slocum et des autres pionniers, ainsi que ceux des baroudeurs rebelles et romantiques des années 1970 (Nicole Van de Kerchove, Gérard Janichon, parmi d’autres). Éric Tabarly continue lui aussi à faire figure de héros : c’est sa personnalité bourrue d’homme pour qui seule comptait la mer qui accroche le public. Dans un autre domaine, le chanteur Antoine est un personnage ayant joué –et jouant toujours– un rôle dans la médiatisation du voyage. Publiant un livre ou sortant quelques chansons lorsque sa caisse de bord est vide, celui-ci parcourt les mers depuis des lustres, naviguant sur un grand catamaran. Afin de faire la promotion de ses disques et ouvrages, il participe à de très nombreuses émissions télévisées. Barbu, échevelé et toujours affublé d’une chemise à fleurs, jouant de son aura médiatique, il fait aussi découvrir la grande croisière à un large public.

L’émission de télévision hebdomadaire « Thalassa » consacrée à la mer remplit un rôle important pour faire connaître tout ce qui concerne l’univers marin et touche une très large audience. Ses reportages, forts bien réalisés et sérieusement documentés, abordent tous les sujets pour autant qu’ils aient une connotation maritime. Plusieurs d’entre eux furent consacrés aux voiliers et au Grand Voyage.

Suite à la plus grande visibilité dont la croisière fait aujourd’hui l’objet, le rêve ne semble plus aussi nécessaire qu’auparavant, puisqu’un large public sait que le voyage est accessible à tous (Lib). Partir, c’est possible : ce n’est plus un exploit. De plus, ceux qui partent n’ont plus les mêmes aspirations que leurs précurseurs. Ceux-ci se lançaient dans une aventure remplie d’imprévus, quittant souvent la sécurité, le confort financier et matériel pour vivre loin de la consommation et des contraintes de la société moderne dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas. Ils étaient un peu rebelles, toujours originaux. Ils se débrouillaient avec ce qui leur tombait sous la main pour résoudre les problèmes auxquels ils étaient confrontés. Or, de nos jours, «

plus personne ne souhaite

 

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manger du goéland

»1 (Lib). Les futurs voyageurs ont généralement des moyens financiers relativement importants et leurs bateaux ressemblent à des maisons. Ils ne cherchent plus l’imprévu, mais au contraire, la sécurité. Ils planifient et préparent leur voyage dans les moindres détails. Ils désirent s’informer et se préparer à tous les plus petits détails de la vie à bord. De plus, beaucoup d’entre eux n’ont presque pas navigué avant de larguer les amarres : quelques semaines de cours aux Glénans tout au plus. La mer n’est plus ce qui les motive en premier lieu à entreprendre un voyage maritime. Ils sont plutôt intéressés par les escales et la perspective de mouillages tranquilles et isolés où passer du temps en famille. Leur voyage consiste plus à ouvrir une brèche dans le stress de la vie ordinaire et à profiter de cet intervalle pour se retrouver en couple, en famille, éventuellement avec d’autres navigateurs, mais exceptionnellement avec des locaux (Lib).

Les livres actuels sont très différents des récits à faire rêver des années 70 et des pionniers. Ils ne content plus d’exploits, mais transmettent un savoir : il s’agit de partager les trucs et astuces qui rendent la vie plus facile durant le périple. De l’entretien du moteur, aux recettes culinaires en passant par des recommandations pour faciliter les formalités douanières. Ce sont avant tout des ouvrages pratiques, constitués de petits chapitres très ciblés.

Libraire et voyageuse impénitente sur mer comme sur terre, Lib compare la fragilité du routard qui, sac au dos, est obligé de se confronter au pays qu’il visite, avec l’approche superficielle de nombreux navigateurs. En effet, ceux-ci restent chez eux, où qu’ils soient dans le monde. Ils transposent leur mode de vie occidental, changent simplement le décor. De plus, cette informante ajoute que les navigateurs d’aujourd’hui sont moins intéressés par la navigation que leurs prédécesseurs. La mer et le bateau sont des passages obligés pour atteindre les mouillages déserts et les destinations qui sont le but du voyage. Pour Lib, ils partent pour un voyage avec eux-mêmes et avec leur famille. Il n’est rarement question de rencontre avec les locaux et le voyage se fait tourisme aux étapes.

D’ailleurs, l’écrivain navigateur ayant le plus de succès d’aujourd’hui – Jimmy Cornell (voir son site officiel2) – représente bien cette tendance. Ses livres sont des best-sellers dans lesquels il s’attèle de façon systématique à couvrir tous les aspects de la vie pratique en croisière. Il ne s’agit plus ici de faire uniquement rêver, mais aussi de conseiller : ses deux ouvrages les mieux vendus sont des guides renseignant les voyageurs sur toutes les routes et les escales autour du monde, World Cruising Routes et World Cruising Destinations. Muni d’une formation en économie, reporter à la BBC, en 1975, il largue les amarres avec sa famille pour une circumnavigation de sept

 

1 Référence à une anecdote de Moitessier, qui à court de vivre fut obligé de manger de la viande de goéland, extraite de l’interview téléphonique effectuée avec Lib, libraire et voyageuse.

 

ans, durant laquelle il envoie régulièrement des reportages radio à la BBC. Par la suite, il enchaîne les périodes de travail et les navigations au long cours. Mais surtout, il crée le World Cruising Club, une société spécialisée dans l’organisation d’événements nautiques, dont l’ARC – Altantic Rally for Cruisers. Il s’agit d’une traversée de l’Atlantique sous forme d’une compétition amicale avec escales organisées et assistance technique assurée durant les traversées, qui mène les participants des îles Canaries à Santa Lucia dans les Caraïbes. Cet événement annuel rassemble régulièrement plus de 200 bateaux et est devenu un moyen apprécié d’effectuer une traversée océanique en toute sécurité. Fort du succès de l’ARC, Jimmy Cornell a multiplié l’organisation de rallyes de ce type, dont un tour du monde.

Jimmy Cornell n’a rien d’un rebelle hirsute comme Moitessier. Il alterne la navigation et les périodes de travail qui lui donnent l’indépendance financière lui permettant de vivre sa passion. Il voyage confortablement et participe par ses activités à ce que de plus en plus d’amateurs puissent en faire autant.

Les voyageurs d’aujourd’hui sont prévoyants : l’aventure, oui, mais si possible sans imprévu. Ils recherchent donc du rêve bien organisé. Ce qu’ont réussi à leur donner Marie et Hervé Nieutin1. Partis pour une année sabbatique avec leurs enfants croiser dans les Caraïbes, ils ont tenu un blog de voyage extrêmement bien conçu. Celui-ci a remporté un énorme succès auprès des autres navigateurs et candidats au départ. De nombreuses personnes leur ayant demandé d’en faire un livre, ils se sont attelés à la tâche et ont publié Histoires de partir à compte d’auteurs (Nieutin 2008). Leur ouvrage connut un succès immédiat et reçut plusieurs prix, consécration qui ne se dément pas aujourd’hui (entretien Lib).

Avec le développement d’Internet et l’apparition de cybercafés sur le parcours des voyageurs, sont apparus les premiers blogs de navigateurs. Ces sites constituent une interface idéale de communication avec la famille et les amis restés à terre. Mais ils offrent aussi un espace d’échange de connaissances et d’expériences avec les candidats au voyage qui ont ainsi la possibilité de poser directement des questions à ceux qui étaient dans le vif de l’aventure. Suivre les péripéties d’un équipage auquel on peut s’identifier est aussi un puissant incitateur au départ et un grand soutien pour traverser les difficultés qui surgissent souvent durant la préparation de la croisière.

L’espace de navigation, lui aussi, se modifie sous l’influence d’une fréquentation

 

accrue par des navigateurs plus exigeants en matière de confort et aux revenus substantiels. Bien des petits ports sont transformés en marinas équipées de tous les services. Dans plusieurs pays, par exemple la Grèce, les mouillages forains2 sont interdits sans l’acquittement d’une taxe de séjour. Les actes de piraterie sont en augmentation  

 

1http://www.histoiresdepartir.com/

 

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dans de nombreuses régions. Il faut surveiller son bateau ou le faire garder dès qu’on s’en éloigne. L’argent des nouveaux tour-du-mondistes et le nombre ce ceux-ci a changé la donne. L’accès au Paradis perdu devient payant et de plus en plus organisé. « L’autoroute des Alizées » est un nom qui en dit long. Même si le « Grand Voyage » reste pour ceux qui l’entreprennent une aventure exceptionnelle, il s’est rapproché, parfois à s’y méprendre, du tourisme. Plus le Grand Voyage se popularise, plus il se rapproche du tourisme de séjour court dont il partage la problématique. Son impact sur les milieux humain et naturel est loin d’être négligeable. Et l’enjeu économique qu’il représente devient important pour de nombreux petits archipels indépendants. L’évolution qui paraît négative à bien des égards –construction de marinas, érosion des fonds de mouillage– peut cependant avoir aussi des effets positifs pour les habitants des régions concernées lorsque les voileux consomment directement des biens et services produits dans les villages visités. Il s’agit certainement d’un thème qui mériterait d’être approfondi, mais qui sort du cadre de ce travail.

L’engouement pour la grande croisière n’est pas un phénomène exclusivement français, même si les Français furent longtemps majoritaires parmi les navigateurs au long cours. Les Anglais, les Allemands, les Américains, les Australiens, pour ne citer que ceux-ci, sont de plus en plus nombreux à naviguer sur les mêmes routes. Il faut dire qu’il existe maintenant des guides nautiques de toutes les régions du monde, indiquant aussi bien les petits mouillages intéressants des atolls les plus reculés du Pacifique que les baies sympathiques du Groenland.

Une caractéristique du Grand Voyage réside dans l’investissement conséquent en temps et en argent, dans les efforts préalables qu’il exige de ceux qui l’entreprennent. La phase de préparation est pour certains bien plus longue que le voyage et de nombreux blogueurs lui accordent une importance non négligeable, commençant à écrire dès le début du projet ou l’achat du bateau.

     

Ceux qui partent…

 

 

Sur son blog, Caramel réfléchit sur le Grand Voyage. Ici il décrit ceux qui partent :  

 

Soit vous êtes retraité (jeune si possible) et vous disposez de tout temps nécessaire

pour partir, vous pouvez établir pratiquement n'importe quel programme du moment

qu'il est en phase avec les autres critères ci-dessous. C'est le gros de la flotte des

navigateurs. Soit vous travaillez et la disponibilité d'une bonne tranche de temps libre

sera peut-être la plus grande difficulté pour décider de ce voyage.

Dans le document « Le Grand Voyage » (Page 77-81)