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Emmanuel d’Astier journaliste ou le réveil des dispositions politiques latentes

3. D’Astier reporter international : dénoncer le nazisme, refuser le fascisme fascisme

À partir de l’été 1936, Emmanuel d’Astier devient l’un des grands reporters internationaux de Vu603. Il couvre en particulier les tensions diplomatiques qui se multiplient alors en Europe centrale, ce qui le confronte directement au phénomène nazi. Vite révulsé par ce qu’il entrevoit comme un danger majeur et imminent pour la paix en Europe, il s’attache dès lors dans ses articles à « désigner le mal604 ».

3.1. Prévenir la guerre : la dénonciation du pangermanisme hitlérien

D’Astier effectue un premier voyage en Europe centrale en tant qu’envoyé spécial de Vu durant l’été 1936. Il se rend tout d’abord en Hongrie, où il réalise un reportage sur les tentations du pays de se rapprocher diplomatiquement de l’Allemagne, ce contre quoi il entend mettre en garde605. Selon lui en effet, « c’est au malheur de ce pays, à son destin que l’Europe ira puiser sa guerre ». En 1920, le traité du Trianon a imposé à la Hongrie, puissance vaincue lors de la Première Guerre mondiale, des conditions de paix très dures, en particulier un nouveau tracé de ses frontières ayant pour conséquence de rejeter dans les états voisins comme la Tchécoslovaquie, une partie du peuple hongrois606. Cette humiliation, dit d’Astier, est à l’origine du rapprochement de la Hongrie avec l’Allemagne car les vues de Hitler sur les Sudètes – région germanophone de Tchécoslovaquie – sont susceptibles d’aboutir à un

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En 1938 et 1939, il donne également plusieurs reportages importants à l’hebdomadaire Marianne.

604 « J’étais vraiment libre d’esprit, et je n’ai pas abordé, dès le début, le nazisme en lançant les foudres contre lui. Si je ne me sentais pas d’appétit pour lui, 1918 me paraissait dépassé, l’antigermanisme aussi et je rêvais plutôt de réconciliation. C’est une constante jusque dans la Résistance, je ne croyais pas au péché originel du peuple allemand. Mais j’ai approché le phénomène nazi en Alsace, chez Henlein en Bohême, par des voyages, des reportages, à Paris au siège de la maison brune rue Roquépine, en Allemagne même. […] Le nazisme et sa montée me saisissaient à la gorge… Une angoisse qui se fixait pour moi, en 1937 à Nuremberg, dans le visage et la gesticulation hallucinante de Hitler. Je pensais : c’est un cataclysme, il faut désigner le mal. (Francis Crémieux, Entretiens avec Emmanuel d’Astier, op. cit., pp. 66-67) »

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Emmanuel d’Astier, « Et pendant ce temps-là… la Hongrie attend », Vu, 2 septembre 1936. À cette période, la question des velléités expansionnistes de Hitler à l’est apparaît bien secondaire, sinon à peu près ignorée dans le débat public français (et européen). Si la remilitarisation de la Rhénanie a constitué le principal enjeu international au début de l’année 1936, c’est désormais la guerre civile espagnole, déclenchée le 18 juillet, qui occupe l’essentiel de l’attention. L’article de d’Astier paraît d’ailleurs dans un numéro spécial consacré à la guerre d’Espagne, d’où son titre « Et pendant ce temps-là… ».

606 La Tchécoslovaquie en tant qu’État indépendant est née en 1918 de la réunion de la Bohême, de la Moravie et de la Slovaquie. Cette dernière était auparavant intégrée à la Hongrie, État autonome de l’Empire austro-hongrois.

éclatement de l’État tchécoslovaque qui, par ricochet, pourrait permettre à la Hongrie de récupérer les territoires tchèques de langue et culture hongroises.

« Traduisez en clair : ″Nous avons été brimés, amputés de manière odieuse ; nous sommes trop faibles pour rétablir le juste droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais si l’Allemagne doit être celle qui efface la Tchécoslovaquie des cartes de l’Europe, nous ne pouvons ni la détester, ni refuser les morceaux du cadavre tchécoslovaque qui nous reviendront de droit.″ »

Aux yeux de d’Astier, cette position est compréhensible. On ne peut reprocher aux Hongrois d’espérer qu’une « catastrophe s’abatte sur ceux qui ont consacré sa peine ». Pour lui, les traités consécutifs à la Première Guerre mondiale (Versailles et Saint-Germain-en-Laye en 1919, Trianon en 1920) sont en cause. D’une part, ils ont trop abaissé les vaincus pour qu’ils ne soient pas animés d’une volonté de réparation. D’autre part, ils sont à l’origine de la formation d’États instables car ne reposant pas sur des communautés de langue et/ou de culture. À cet égard, « la Tchécoslovaquie paraît la création la plus artificielle et la plus fragile, celle dont la fatalité historique viendra le plus facilement à bout ». C’est pourquoi il est urgent que la France et la Grande-Bretagne, qui sont les deux grandes puissances du continent, adoptent une politique – que d’Astier, au demeurant, ne précise pas – permettant de rétablir des équilibres dans la région. Il en va de l’enrayement des appétits territoriaux de l’Allemagne nazie et, en définitive, de la paix en Europe. Car c’est bien là, en effet, que se situe l’enjeu. Si les tensions nationales en Europe centrale ne sont pas résolues, rien n’empêchera que certains, y voyant leur intérêt, ne se jettent dans les bras de Hitler. L’Allemagne redevenue puissante et portée par une idéologie conquérante, un tel scénario conduirait inévitablement le continent à la guerre.

Ce reportage en Hongrie est le premier d’une longue série sur la problématique des nationalismes centre-européens et leur exploitation à des fins expansionnistes par l’Allemagne nazie. Immédiatement après la Hongrie, d’Astier se rend en Tchécoslovaquie, et plus particulièrement dans les Sudètes où il réalise une interview de Konrad Henlein, fondateur et chef du pro-nazi Parti des Sudètes allemands. L’interview, refusée par la presse française qui à cette époque ne prend pas encore le personnage de Henlein au sérieux607, paraît finalement

607 C’est ce qu’indique Emmanuel d’Astier dans un article de juillet 1939 : « Mon ami Otto Abetz », Marianne, 26 juillet 1939.

dans un journal belge608. Sur le chemin de son retour en France, d’Astier est invité à assister au 5ème congrès de Nuremberg609.

Il repart en Europe centrale en février 1937, cette fois-ci en Autriche. Il y enquête sur les menées secrètes des nazis en vue de favoriser l’Anschluss. Il évoque le noyautage nazi des organisations sportives et patriotiques, signale la croissance du nombre d’adhérents autrichiens à la SS malgré l’interdiction de l’organisation sur le territoire autrichien et les risques encourus de 12 mois de prison : « Pourtant, de jeunes Autrichiens m’ont montré avec fierté la fameuse carte blanche dont l’avers porte les petits timbres de cotisation.610 » D’une manière générale, il note les « progrès inquiétants » réalisés dans le pays par le « national-socialisme », s’étonnant même qu’il n’ait « pas tenté encore une opération intérieure ». Pour parer au risque d’Anschluss qui lui paraît imminent, il semble alors favorable au rétablissement de la monarchie, solution qu’envisage au début de l’année 1937 le chancelier Karl von Schuschnigg pour mieux résister à Hitler.

« Les Autrichiens souffrent d’un complexe d’infériorité. Ils n’ont pas voué à Hitler un amour particulier. Mais ils en sont venus à penser que c’est dans le sein de l’Allemagne seulement qu’ils retrouveront leur ancienne grandeur. Puisse une restauration, en leur apportant une autre sorte de grandeur moins dangereuse pour l’Europe les détourner du ″destin national-socialiste″. »

Malgré un relatif apaisement des tensions internationales durant l’année 1937611, les risques d’une guerre européenne qui aurait pour foyer le bassin danubien demeurent aux yeux de d’Astier très élevés. C’est ainsi que fin novembre, il critique de nouveau les traités de 1919 et 1920 qui ont selon lui déstructuré l’Europe centrale en détruisant « l’équilibre que lui avait forgé en trois siècles, la monarchie dualiste612 ». La guerre menace d’autant plus gravement la région désormais que « Slaves et Germains ont endossé les idéologies véhémentes du bolchévisme et du nazisme ». Pris en étau entre ces deux grandes puissances conquérantes

608 Cette dernière information est livrée par d’Astier lui-même dans son article « Promenade à l’ombre de Hitler », Vu et Lu, 27 avril 1938. Nous n’avons pas retrouvé le journal en question, que d’Astier ne mentionne pas.

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Le congrès se tient du 8 au 14 septembre 1936.

610 Emmanuel d’Astier, « Où va l’Autriche », Vu, 3 mars 1937.

611 C’est cependant en 1937 que Hitler arrête ses projets de conquête territoriale. Le 5 novembre a lieu la « réunion Hossbach » au cours de laquelle le chancelier annonce à son état-major, ainsi qu’aux ministres de la Guerre et des Affaires étrangères, son intention d’annexer prochainement l’Autriche et de déclarer la guerre à la Tchécoslovaquie.

que sont l’Union soviétique et l’Allemagne nazie, les petits États d’Europe centrale (mais aussi d’Europe du nord et d’Europe orientale) sont des proies offertes.

« États baltes, Pays-Bas, wallons-flamands, pays danubiens, l’Europe organisera ses

points faibles ou périra. La division de l’Europe centrale en ″clientèles″ n’est pas

souhaitable : les clients de la Russie susciteront des clients à l’Allemagne, et réciproquement. Et ceci se terminera sur un champ de bataille.613 »

Pour qu’ils résistent à la tentation de s’allier à l’Allemagne ou à la Russie – ce qui revient en réalité, du fait de leur faiblesse, à se livrer à eux – d’Astier milite pour une alliance des États du Danube eux-mêmes. C’est à cette condition seulement, c’est-à-dire en formant par leur coalition une entité qui ait quelque consistance et quelque force, qu’ils peuvent espérer ne pas devenir au mieux un vassal, au pire une simple province de l’Allemagne ou de la Russie. Là encore, la France et la Grande-Bretagne doivent apporter leur concours.

« Il faut que le bassin danubien s’organise de lui-même et par l’intérieur, sinon il sera

l’organisé de l’extérieur, au profit d’une grande puissance. Il faut que la France – et

l’Angleterre surtout, qui a là une grande partie à jouer – prêtent leur influence pour favoriser le règlement des litiges danubiens. Que les trois capitales apaisées, Vienne, Prague, Budapest, organisent une entente économique d’abord, puis un statut commun de paix et de résistance à l’agresseur, quel qu’il soit. Quand ces trois États, écartant l’ingérence des grandes puissances voisines (et avec l’appui de l’Angleterre, puissance désintéressée) se seront groupés, sans abandon de souveraineté, dans une entente diplomatique et économique ; quand ces trois États réuniront 30 millions d’hommes pour la sauvegarde de leur indépendance, le Danube reprendra figure ″humaine″. La Roumanie et la Yougoslavie pourront compléter un jour le système de la ″paix danubienne″. Et l’Europe aura écarter les périls de guerre les plus immédiats.614 »

Comme on le lit dans ces lignes, la possibilité de déclenchement d’une guerre est spécialement redoutée. D’Astier soutient ici une position pacifiste. C’est précisément pour éviter un conflit qu’il propose l’union des États du bassin danubien. Cela étant, il défend le principe de l’adoption par les alliés franco-britanniques d’une ligne résolument

613 C’est d’Astier qui souligne.

interventionniste. Préserver la paix, dans son esprit, ne signifie pas laisser à Hitler l’initiative. Il s’agit, bien au contraire, de se doter d’une diplomatie forte permettant de contrecarrer ses velléités expansionnistes. Le pacifisme de d’Astier est à ce titre fort différent de celui qui anime à cette même période une bonne partie de l’opinion et de la classe politique, et notamment d’une large aile droite du champ politique qui par crainte de la guerre (et parfois sympathie idéologique pour le fascisme et le nazisme), pour ne pas provoquer le Führer, refuse toute fermeté et promeut une forme de retrait. La position de d’Astier, nourrie par une bonne connaissance du nazisme, de son idéologie et de son programme, ainsi que par sa familiarité avec les réalités locales des États d’Europe centrale, préfigure les fractures qui se feront jour dans les mois suivants.

Peu après la proclamation de l’Anschluss, laquelle n’entraine aucune réaction de la part de la France et de la Grande-Bretagne, d’Astier se rend de nouveau en Tchécoslovaquie. Les Sudètes – il le sait bien – constituent la prochaine étape du programme expansionniste nazi. Moins de deux ans après son premier voyage, il s’inquiète des progrès spectaculaires réalisés par le nazisme dans la région. Nombreux, note-t-il, sont les habitants totalement acquis à Hitler et à l’idée du rattachement au Reich. De fait, le Parti des Sudètes allemands est désormais la première force politique et son programme épouse toujours davantage les vues nazies. D’Astier, qui interviewe alors pour la seconde fois Konrad Henlein615, suspecte d’ailleurs le dirigeant de soumettre ses mots à Berlin. C’est ainsi que pour lui, son séjour dans les Sudètes s’apparente à rien moins qu’à une « promenade dans l’ombre de Hitler616 ». Plus que jamais, il exhorte la France à prendre ses responsabilités en s’engageant à défendre l’intégrité de la Tchécoslovaquie617. Il en va de son propre intérêt. Pour la première fois, en ce mois d’avril 1938, d’Astier envisage la guerre comme une option possible pour contrer l’expansionnisme nazi.

« Mais l’Europe a déjà eu tant de cas de conscience, et meilleurs (le service obligatoire, le 7 mars, la Rhénanie, l’Autriche), pour lesquels elle a refusé de s’émouvoir ! Ainsi, plutôt qu’un examen de conscience, il vaut mieux faire un examen de l’intérêt de la France… et s’en tenir à ce point de vue. […] Mais qu’on ne nous fasse pas dire qu’il ne faut pas se battre pour la Tchécoslovaquie. Je souhaite pour ce pays même qu’il n’y ait pas de

615 Emmanuel d’Astier, « Le secret de Henlein. Führer de paix ou de guerre ? », Marianne, 20 avril 1938.

616 Emmanuel d’Astier, « Promenade dans l’ombre de Hitler », Vu et Lu, 27 avril 1938.

conflit, et si, malgré nos efforts, il doit y en avoir un, il n’est pas nécessaire d’y aller les yeux fermés.618 »

Une telle position, qui sans être foncièrement belliciste n’exclut pas le recours à la guerre, est alors très minoritaire dans l’opinion française, encore traumatisée par l’hécatombe de 1914-1918 et de ce fait rétive à toute idée de conflit armé619. À quelques mois de la signature des accords de Munich, il n’y a en France à peu près que les communistes, quelques socialistes minoritaires comme Blum ou Zyromski et quelques cégétistes dont l’antifascisme est sans concession pour « accepter le risque de la guerre pour éviter la guerre620 ». D’Astier s’inscrit pleinement dans ce camp des antifascistes résolus.

3.2. Emmanuel d’Astier propagandiste antimunichois

C’est par conséquent tout à fait logiquement que dans la continuité de ses précédentes prises de position, il se montre à l’automne 1938 fermement défavorable aux accords de Munich. Moins d’une semaine après leur signature, il consacre un long article dans

Marianne621 au projet pangermanique qu’il estime consubstantiel de l’État national-socialiste, citant à l’appui des extraits de Mein Kampf très explicites622. Son texte débute par un rappel des précédentes dérobades de Hitler à ses propres déclarations d’intention concernant ses ambitions territoriales. Après chaque nouvelle avancée expansionniste en effet, que ce soit la remilitarisation de la Rhénanie ou l’Anschluss, Hitler a chaque fois solennellement déclaré qu’il n’avait « plus de revendications territoriales à présenter à l’Europe623 », pour se dédire

618

Ibid.

619 En 1938, les anciens combattants représentent 40% de la population masculine française. Or ceux-ci, via le puissant mouvement combattant (900 000 adhérents pour la seule UNC en 1934), contribuent à la large diffusion du pacifisme. Cf. les volumes I (Histoire) et II (Sociologie) de Antoine Prost, Les Anciens combattants et la

société française, op. cit. Si le pacifisme est multiforme et si, surtout, il ne puise pas aux mêmes sources selon

les milieux politiques – le pacifisme idéologique traditionnel de la SFIO se distingue très nettement du néo-pacifisme anticommuniste (voire fascisant) de la droite et de l’extrême-droite nationalistes – « on trouve partout le même refus viscéral de la guerre, la même détermination pour rejeter toute logique qui admettrait l’idée du conflit inévitable, pour refuser toute politique qui, selon le mot de Jean Guéhenno, présenterait la guerre comme fatale (Pierre Laborie, L’Opinion française sous Vichy, op. cit., p. 100) ».

620 Ibid., p. 106.

621

Emmanuel d’Astier, « Dix ôtés de dix… restent vingt, ou les étonnantes soustractions de l’Allemagne »,

Marianne, 5 octobre 1938.

622 Par exemple la phrase suivante : « Le Reich allemand doit englober tous les Allemands, non seulement dans le but de recueillir et de sauvegarder les éléments de la race les plus précieux, mais aussi de les élever lentement et sûrement à une position dominante. »

quelques mois plus tard. Pour d’Astier, ces seuls précédents devraient convaincre qu’Hitler n’en a pas terminé et qu’il ne faut porter aucun crédit à ses engagements.

« Peut-être M. Hitler est-il sincère. L’Allemand a l’habitude de ses sincérités successives, dans lesquelles il s’installe si bien qu’il est parfois le premier à s’y laisser prendre. Mais il est difficile d’y croire : d’abord à cause des expériences précédentes ; ensuite parce que les services de propagande du IIIe Reich s’obstinent à démentir les paroles du chancelier. »

Emmanuel d’Astier dévoile en effet l’existence de l’Ausland Organisation, structure plus ou moins secrète basée à Stuttgart et dirigée par le secrétaire d’État au Affaires étrangères du Reich, Ernst Wilhelm Bohle, dont le but est de grouper les 30 millions d’Allemands qui selon ses calculs vivent hors de ses frontières. L’A. O. déploie pour ce faire une importante activité de propagande au sein des populations de langue et/ou de culture allemandes à l’étranger, s’appuyant pour ce faire sur les mouvements fascisants locaux.

« Elle propage le national-socialisme dans les minorités, les oriente d’abord vers l’autonomisme, et les exalte en vue d’une annexion spontanée. Tandis que M. Hitler promet la main sur le cœur, l’A. O. apprend à chaque Allemand par des cartes et des statistiques qu’il y a, outre l’Autriche et le pays sudète, plus de 4 millions d’Allemands qui ont été injustement arrachés à la Mère-Patrie par un diktat. »

Ces Allemands se trouvent en Alsace-Lorraine, en Pologne, à Dantzig, au Danemark, en Europe centrale. Pour d’Astier, il ne fait pas de doute que ces territoires seront l’objet de tentatives prochaines d’annexion. Bien informé sur les activités de l’A. O., le journaliste déclare – avec une clairvoyance rétrospectivement frappante – que Dantzig et la Pologne seront parmi les premières cibles624.

Le titre d’un second article qu’il publie moins de deux semaines après la signature des accords est sans ambiguïtés : « D’une victoire sans guerre aux nouvelles victoires625 ». La victoire dont il s’agit, bien sûr, est celle de Hitler. « En ce mois d’octobre, avant d’aller à de

624

On sait que les revendications d’annexion du couloir de Dantzig et l’invasion de la Pologne par Hitler déclencheront en septembre 1939 la Seconde Guerre mondiale.

nouveaux destins, l’Allemagne peut considérer avec satisfaction le bilan de sa victoire. » Et d’Astier d’énumérer les gains allemands, avant de synthétiser :

« En somme, grâce à cette victoire sans guerre, l’Allemagne aura fait tomber le dernier rempart au ″Drang nach Osten″, puisque sur son chemin vers les blés hongrois, les pétroles roumains, les minerais serbes, les rives méditerranéennes ou de mer Noire, elle ne trouvera qu’une Tchéquie privée de ses défenses naturelles, de ses ouvrages stratégiques, de la meilleure part de ses matières premières et de ses usines. »

Pour d’Astier, la résolution par les accords de Munich de la crise des Sudètes est bien loin de mettre fin aux velléités expansionnistes allemandes et d’éloigner les risques de guerre. Au contraire, elle favorise la réussite du « plan pangermaniste hitlérien », lequel comporte, dit-il, deux étapes :

« 1° La création d’une grande Allemagne englobant les Allemands qui vivent en groupes