• Aucun résultat trouvé

Associations adjectivo-nominales typiquement reproduites par les traducteurs du XIXe siècle

entre perte des points de repère et retour à ces points de repère en traduction

2.1. Brouillage des repères sémantiques au niveau syntagmatique

2.1.2.3. Associations adjectivo-nominales typiquement reproduites par les traducteurs du XIXe siècle

Nous proposerons, pour terminer, quelques exemples de traductions de syntagmes nominaux utilisant les adjectifs qui apparaissaient dans les hypallages vives que nous venons d'analyser, mais qui présentent un caractère non marqué. Les

premiers exemples correspondront à des combinaisons lexicales qui ne relèvent pas de l'hypallage ; il s'agit d'associations conventionnelles d'un adjectif et d'un substantif présentant le trait [+humain] ; les derniers exemples correspondront à des hypallages « mortes ». Ces occurrences mettront en lumière que lorsque les adjectifs mentionnés ci-dessus sont incidents à un terme avec lequel ils sont compatibles sémantiquement, ils sont conservés par les traducteurs du XIXe siècle. Nous donnerons également les traductions du XXe siècle à titre indicatif.

2.1.2.3.1 Associations lexicales non hypallagiques

Dans les deux exemples qui vont suivre, les adjectifs utilisés, dénotant typiquement une caractéristique humaine, sont incidents à un support nominal présentant le trait [+humain]. Ces exemples seront surtout pertinents pour les traductions proposées par Alfred Gérardin, car Emile de La Bédollière adapte le texte dans les deux cas ; ceci ne remet toutefois pas en cause notre raisonnement.

Débutons par l'adjectif « chaste ». Dans l'exemple ci-dessous, le substantif auquel il est associé, « housemaids », présente le trait [+humain] ; par conséquent, Alfred Gérardin utilise la même stratégie de traduction littérale que les traducteurs du XXe siècle.

Nancy remained, pale and almost breathless, listening with quivering lip to the very audible expressions of scorn, of which the chaste housemaids were very prolific; (266)

La Bédollière Gérardin Monod Ledoux

Les servantes

l'insultaient. (241) Elle écouta, les lèvres tremblantes et d’un air de profond mépris, les propos outrageants

des chastes servantes qui ne se gênaient pas dans leurs discours […] (166)

Nancy resta sur place, pâle, presque

haletante ; sa lèvre tremblait quand elle entendit les

expressions de mépris émises à profusion, d'une voix assez forte, par les chastes femmes de chambre

[…] (537)

Nancy resta, pâle et presque sans souffle, à écouter, la lèvre tremblante, les commentaires aussi méprisants que distincts dont les chastes femmesde chambre se

montraient forts prodigues […] (375)

Il en est de même pour l'adjectif « malicious », dans l'exemple ci-dessous, incident au terme « charity-boy ». Nous noterons toutefois que la traduction d'Émile de La Bédollière correspond à une adaptation.

[…] like a malicious and ill-conditioned charity-boy as he was.

La Bédollière Gérardin Monod Ledoux

[…] il n'y eut pas de

méchancetés qu'il n'exerça sur ce

pauvre enfant,

suivant en cela son mauvais naturel

d'enfant de charité

qu'il était. (35)

[…] comme un

méchant enfant de charité qu’il était. (vol .1, 80 ) […] en méchant et hargneux pupille de l'assistance qu'il était. (127) […] en méchant enfant assisté plein de malice qu'il était. (71)

Un autre type d'associations nomino-verbales présente ce même caractère non marqué et sera donc également reproduit dans les traductions : les hypallages mortes.

2.1.2.3.2 Associations hypallagiques lexicalisées

Les hypallages lexicalisées ne présentent plus un caractère créatif, ce qui explique leur conservation par les traducteurs du XIXe siècle. Par exemple, lorsque l'adjectif « malicious » est combiné au substantif « grin », même s'il désigne un trait de caractère du protagoniste, l'association n'apparaît plus marquée. Par métonymie, ce terme peut entrer en co-occurrence avec des substantifs appartenant à la classe d'objets <expressions du visage>. Aussi les traducteurs du XIXe siècle traduisent-ils l'adjectif par son équivalent dans le texte d'arrivée.

[…] returned Sikes with a malicious grin. (chap XIII)

La Bédollière Gérardin Monod Ledoux

[…] reprit Sikes avec

un malin sourire. (75) […] répondit Sikes avec un malicieux sourire. (vol 1, 166) […] répondit Sikes avec un sourire méchant. (201) […] repartit Sikes avec un malicieux rictus. (127)

Il en est de même pour le terme « cheerless », qui, lorsqu'il se rapporte à un substantif appartenant à la classe d'objets <moment de la journée>, ici « morning », n'est plus interprété comme une hypallage, alors que cette association est bien le résultat d'un transfert d'adjectif, puisque « a cheerless morning » correspond à « a morning during which one is cheerless ».

It was a cheerless morning when they got into the street; (chap. XXI)

La Bédollière Gérardin Monod Ledoux

C'était par une sombre et froide matinée qu'ils sortirent ; (126)

Ce fut par une triste matinée qu’ils se mirent en route ; (vol. 1, 286)

C'est un matin sans joie qu'ils trouvèrent dans la rue ; (302)

Quand ils

débouchèrent dans la rue, le matin était maussade ; (201)

Comme nous venons de le démontrer, peu d'associations lexicales de nature hypallagique subsistent dans les traductions du XIXe siècle. A ces combinaisons lexicales créatives victimes du « peignage inhérent à la traduction » (qtd. in Berman 60), nous ajouterons certaines associations lexicales quantifiantes dépréciatives.

2.1.3 Associations lexicales « quantifiantes » dépréciatives

Certaines constructions présentent la particularité de mettre en rapport un dénombreur et un nom dont l'association sémantique semble peu naturelle ; ces associations sont symptomatiques d'un point de vue détaché, somme toute assez dépréciateur de l'humain, ou de ce qui a trait à l'humain. En cela, ce phénomène est lié au processus de réification que nous avons déjà mentionné. Ce point de vue sera manifeste dans des occurrences utilisant la structure « as much of SN as », incluant un terme qui entretient un rapport méronymique113 avec l'être humain, ainsi que dans d'autres occurrences associant le quantifieur « a quantity of » à un substantif disposant de la même qualité méronymique.

Les tendances de traduction repérées se confirment : les traducteurs du XIXe

siècle s'attachent généralement à produire une version homogène à partir d'une base hétérogène ; de nouveau, dans cette entreprise, Alfred Gérardin fait preuve d'une plus grande constance qu'Émile de La Bédollière. A l'inverse, les traducteurs du XXe siècle ont tendance à reproduire le tissu hétérogène du texte de départ, même si les difficultés linguistiques d'une telle entreprise mettent parfois à mal cette ambition. Les différents exemples présentés vont mettre en évidence la volonté de ces traducteurs de relever le défi que représente la formulation créative du texte de départ. Après avoir présenté les occurrences retenues pour l'analyse, nous exposerons les traductions des quatre traducteurs.

113 Cette notion est empruntée à D. Alan Cruse. Ce dernier « distingue parmi les noms partitifs un ensemble de noms de parties "prototypiques", qu'il appelle les méronymes. Par exemple ; guidon, poignée etc. Ces noms se distinguent des noms comme morceau, rondelle, etc. parce qu’ils correspondent à des parties (i) prédélimitées, (ii) détachables et (iii) fonctionnelles, c'est-à-dire que la partie joue un rôle spécifique dans l'organisation fonctionnelle du tout. Une fonction particulière lui est assignée (cf. le guidon par rapport au vélo, la poignée par rapport à la porte ou à la valise, etc.), et cette fonction contribue à la distinction de la partie en tant que telle. » Communication personnelle avec M. Richard Huygues.

Outline

Documents relatifs