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Malgré leurs nombreux avantages, notamment sur le plan de la planification successorale, et leurs multiples intérêts au vu du fait qu’elles sont particulièrement adaptées à nombre de situations, les libéralités résiduelles et plus précisément les legs de residuo sont, en pratique, très peu usités et donc assez peu fréquents.

Ce constat résulte d’échanges avec des notaires et s’explique par deux raisons :

1. les notaires que nous avons interrogés nous ont confié qu’ils avaient rarement eu à rédiger un testament auquel serait joint un legs de residuo et que, dans les successions qu’ils liquident, ils n’ont jamais ou très rarement rencontré des testaments reprenant un legs de residuo. Selon eux, cela s’explique notamment par le fait que les testateurs sont étonnamment hermétiques à ce genre de dispositions ;

2. en l’absence de base légale, les notaires eux-mêmes sont plutôt réticents face à ce type de dispositions puisque de nombreuses incertitudes planent . 253

Dans l’hypothèse où les notaires que nous avons interrogés ont à traiter ce type de legs, ils nous ont fait part d’une problématique qu’ils rencontrent et que nous énonçons ci-après.

J.P. COUTURIER, note sous Rennes 19 février 1991, D. 1992, Jur., p. 382.

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R. JANSEN, « Verstrooide gedachten over zakelijke subrogatie bij het fideicommis de residuo » in C. DECLERCK, J.

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DU MONGH et W. PINTENS (eds.), Patrimonium 2009/1, Antwerpen, Intersentia, 2009, p. 363.

Cass. fr. civ. 3 décembre 2002, D. 2003, p. 2495, note D. FIORINA, RTD Civ., 2003, p. 118 ; Cass. fr. civ. 12

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novembre 1998, D. 1999, Jur., p. 167, note E. AYNES, J.C.P. (éd. gén.) 1999, II, nr. 10.027, p. 337, note S. PIEDELIÈVRE,

RTD Civ., 1999, 422, note F. ZENATI.

Cass. fr. civ. 20 février 2008, D. 2008, p. 874, Rép. Défr. 2008, p. 873, note Ph. MALAURIE, RTD Civ., 2008, p. 345,

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note M. GRIMALDI.

Cet arrêt est conforme à la jurisprudence antérieure : Cass. fr. 6 juillet 2000, Juris-Data, nr. 98-10641.

« Qu’en statuant ainsi, alors que les droits du second gratifié sur des immeubles ne se reportent ni sur le produit des

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aliénations, ni sur les nouveaux biens acquis, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

R. JANSEN et V. SAGAERT, « La subrogation réelle au cas d’un fidéicommis de residuo : quelques observations

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comparatives à propos de l’arrêt de la Cour de cassation française du 20 février 2008 », European Review of Private Law 2010, 5 juillet 2010, p. 583.

Validité de certaines clauses, exécution du legs de residuo, traçabilité,…

Ainsi, face à ce type de successions, il est délicat de distinguer ce qui provient du patrimoine du testateur de ce qui relève du patrimoine du grevé. S'opère souvent, au décès du testateur, lorsque le grevé reçoit les biens légués, une confusion des avoirs et les difficultés de traçabilité qui en découlent.

Dès lors, sur un plan pratique, le notaire reprend les avoirs figurant à la déclaration de succession du testateur (ou à l'inventaire le cas échéant), voit ce qu'il reste et le solde est censé être le patrimoine du premier légataire.

Les avoirs financiers causent énormément de difficultés, surtout quand les comptes ont été fusionnés au décès du testateur. En effet, se pose alors la question de savoir ce qui a été dépensé du patrimoine du testateur ou du sien propre. C'est pour cela que les notaires nous ont informée qu’ils conseillent de ne pas fusionner les comptes et de les garder en l'état afin de pouvoir examiner leur évolution sur base des extraits bancaires. Si le légataire universel du grevé est le même que le légataire de residuo, cela n'a évidemment, civilement, aucune importance.

Venons-en à présent à la question de la subrogation réelle. Certains notaires nous ont fait part de leur étonnement au vu du fait que la majorité des auteurs souhaitent la faire jouer de plein droit. Cela est d’autant plus surprenant, à leur yeux, étant donné que certaines formules testamentaires la prévoient expressément . Ils estiment que lorsque l'on ne prévoit pas la 254

subrogation dans le testament, elle ne joue pas automatiquement. Après avoir pris connaissance de la thèse défendue par les partisans d’une interprétation extensive du mécanisme, ils nous ont informée que, dorénavant, ils l’excluraient expressis verbis afin d’éviter tout risque de contestation. D’autres notaires font jouer la subrogation de plein droit mais de façon marginale, uniquement lorsqu’il est certain que cela ne causera pas de difficultés ou ne donnera pas lieu à contestation. Tout est question d’appréciation et chaque situation est différente.

L’opportunité du jeu de la subrogation réelle est toujours appréciée en fonction du patrimoine. Par exemple, en présence d’avoirs mobiliers comme de l’argent, les notaires sont relativement souples.

Pour ce qui est des portefeuilles de valeurs mobilières, une lame de fond commune traverse la doctrine puisque les tenants des deux thèses s’accordent à ce sujet. Il est de la nature même de ces portefeuilles de titres que ceux-ci soient vendus, rachetés, échangés,… S. Nudelholc écrit 255

d’ailleurs que « la subrogation doit être admise, sans hésitation possible, lorsque la libéralité assortie d’un fidéicommis de residuo a pour objet une universalité de fait. » Comme nous l’avons 256

vu, ce cas particulier a été considéré par le législateur français qui a consacré une exception en faveur des portefeuilles de valeurs mobilières à l’article 1049, alinéa 2 du Code civil.

Il est de la nature même du portefeuille de titres de fluctuer. Par contre, si le portefeuille de titres a été aliéné pour acheter une maison qui a été aliénée à son tour, le notaire ne fera pas application de la subrogation justement car il y a eu trop d’actes de disposition qui ne sont pas dans la nature du bien légué en tant que tel. À partir du moment où le grevé accomplit un acte de

Pour des illustrations, voy. C. DE WULF (avec la coll. de J. BAEL et S. DEVOS), Het opstellen van notariële akten,

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tome I, Kluwer, 2003 (extraits repris dans P. DELNOY et S. THEISSEN, « Rédaction d’actes notariés » in C.F. de la

F.R.N.B., 17' Vesprée, 8 décembre 2005, Université de Liège, Kluwer, 2005, pp. 21 à 26). C. ANTOINE, « La traçabilité des libéralités de residuo », Rev. not., 2010/8, n° 3044, p. 500 ;

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S. NUDELHOLC, « La programmation patrimoniale en présence d'un enfant aux besoins particuliers », in Y.-H. LELEU

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(coord.), Aspects actuels de la programmation patrimoniale dans la famille, Actes du colloque de l'association « Famille & Droit », Liège, 25 novembre 2005, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 78.

disposition et non un acte d’administration ou de gestion du bien grevé, les notaires font preuve de prudence.

En pratique, il faut toujours se demander qui est susceptible de contester car ce qu’un notaire conseille à ses clients a toujours des implications importantes sur leur quotidien. Il est difficile de donner une solution définitive, tout dépend du cas d’espèce.

Par exemple, dans une situation où toutes les parties en présence seraient d’accord de faire jouer la subrogation et que personne ne s’en trouverait lésé, certains notaires sont enclins, pour que la traçabilité soit assurée, à la faire jouer de plein droit.

Lorsque le legs de residuo est réalisé dans un climat conflictuel, la question est plus délicate et les notaires n’appliqueront pas la subrogation si elle n’est pas prévue par une clause.

Il s’agit de réaliser une balance d’intérêts. Le notaire doit vérifier quelle a été la volonté du testateur et déterminer la manière la plus adéquate de la respecter. Si la question est controversée, le notaire vérifiera d’abord s’il dispose de doctrine et/ou d’arguments qui permettent de se tourner vers l’une ou l’autre solution.

Ces notaires nous ont également fait savoir que lorsqu’ils ont à rédiger un testament auquel est joint un legs de residuo, selon le souhait précis du client, le testament devant être le reflet exact de ses dernières volontés, il est souvent prévu une clause de subrogation afin d’assurer le respect desdites volontés et l’absence de toute contestation ultérieure.

Ils nous ont fait parvenir ces clauses. À titre exemplatif, nous en reprenons certaines ci- dessous.

Premier exemple de clause de subrogation réelle :

« Pour que ce legs de residuo puisse s’exercer * aura à respecter les obligations suivantes, sans préjudice à son droit de disposer des biens qu’il recueillera dans ma succession comme il l’entend, pour ses propres besoins, mais à l’exclusion de tout acte à titre gratuit (testament ou donation)

1. Il sera tenu de dresser un inventaire des biens recueillis dans ma succession, en ce compris les immeubles * et leur valorisation, dans les trois mois de mon décès, en présence des bénéficiaires du legs de residuo.

2. Les avoirs financiers, titres et espèces qu’il recueillera seront placés sur un compte individualisé à son nom, en vue d’éviter toute confusion avec les biens dont il serait propriétaire par ailleurs. Ce compte recueillera également le prix de l’aliénation éventuelle des autres biens meubles et immeubles dépendant de ma succession.

3. Il veillera à conserver la trace des opérations qu’il effectuera au moyen des biens recueillis dans ma succession ou de ceux qui y seraient subrogés. »

Deuxième exemple de clause de subrogation réelle :

« Je soussigné * * déclare faire mon testament ainsi qu’il suit :

Je révoque tous testaments et dispositions de dernières volontés que j’ai pu faire antérieurement à ce jour.

Je lègue à ** la plus forte quotité disponible en pleine propriété de l’ensemble des biens meubles et immeubles qui composeront ma succession au jour de mon décès, sans préjudice de ses droits en usufruit sur le surplus.

* * ne pourra en aucun cas disposer à titre gratuit de ces biens ni les léguer. En cas de liquidation de ces biens, le montant touché en contrepartie devra être placé sur un compte individualisé ou remployé. Les investissements éventuellement réalisés remplaceront les biens liquidés, de sorte que ce qui restera de ce montant et des ces remplois au moment du décès de * * retournera à * *.

Le remploi peut être prouvé par toutes voies de droit, témoignages et présomptions compris. Les sommes dont * * a besoin pour subvenir à ses besoins conformément au train de vie qui est le sien, ne devront pas être remployées.

Ecrit, daté et signé de ma main le (date) à (lieu). »

Une problématique persiste. Faire jouer la subrogation, lorsqu'il y a confusion des patrimoines au décès du testateur, risque de mener à des problèmes de preuve ingérables. En outre, on se demande par quel moyen le notaire en charge de la succession du premier légataire et de la détermination du residuum pourra avoir connaissance des différentes substitutions intervenues. Certains notaires sont réticents à l’application de la subrogation car il est quasiment impossible d’assurer la traçabilité.

Par exemple, le grevé vend une maison qui lui avait été léguée par le testateur. Il remet l'argent sur un compte fusionné avec ses propres avoirs puis achète une voiture, fait de beaux voyages, rachète un petit chalet à la campagne,… La question est de savoir quels fonds ont servi à quoi, dans quoi le prix de vente de la maison a été remployé.

Le testateur peut remédier à ces difficultés relatives à la preuve par l’insertion de diverses clauses qui imposent, par exemple, l’établissement d’un inventaire ou encore la séparation des actifs sur des comptes bancaires distincts afin d’éviter la confusion des patrimoines. Comme nous le constatons, cela est fréquent en pratique puisque les clauses ci-dessus prévoient la mise en place de telles mesures de précaution.