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Améliorations apportées par le grevé aux biens objets du legs de residuo

Sous-section I - Problématique

En pratique, la question des améliorations apportées par le grevé à un ou plusieurs biens objets du legs de residuo revêt une importance considérable. On se demande quels sont les droits et obligations de l’appelé relativement aux biens qui ont fait l’objet d’améliorations.

Nous visons ici les améliorations financées par les deniers propres du grevé. En effet, si c’est le patrimoine de residuo qui a servi à financer les améliorations, la question d’une éventuelle indemnisation n’a pas lieu d’être. Dans ce cas, il va de soi qu’au décès du grevé, l’appelé recueillera le residuum, en ce compris le(s) immeuble(s) avec leurs améliorations. Immanquablement, la question de la preuve est ici à nouveau au premier plan et pèse sur l’appelé. Il lui faudra apporter des éléments de preuve qui établissent que c’est bien le patrimoine de residuo qui a permis de financer lesdites améliorations . 257

Ch. LOUSBERG, « Les libéralités résiduelles : aspects civils », in L’option, la condition, le terme et la substitution.

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Cette problématique survient généralement lorsque le légataire en premier rang a, par exemple, érigé une construction sur un terrain légué ou encore rénové la maison qui lui a été léguée. On vise donc principalement les améliorations apportées aux biens immeubles.

Sous-section II - Solutions avancées par la doctrine

Tout d’abord, une précision s’impose. Dans le cas où le grevé aurait fait ériger une construction sur le terrain légué, il ne s’agit point d’une aliénation. Il n’est donc pas possible d’en déduire que le légataire de residuo n’y aurait plus droit. Nous savons que si le grevé dispose à titre onéreux d’un bien objet du legs de residuo, les partisans de la doctrine minoritaire estiment à juste titre que l’appelé perd son droit sur ce bien et ne peut exiger le report de ce droit sur la contrepartie . En l’espèce, il n’est pas question d’aliénation puisque, en apportant des 258

améliorations aux biens légués, le grevé fait simplement usage desdits biens. Les actes posés sont en réalité des actes d’administration ou de gestion et non des actes de disposition . 259 Constitue le residuum ce qui, au décès du grevé, substituera en nature des biens légués. En cas d’améliorations apportées par le grevé aux biens légués comme évoqué ci-dessus, les biens subsistent effectivement en nature. Simplement, la question de l’indemnisation de la succession du fiduciaire est au coeur de la problématique et paraît de droit . 260

Avant d’entamer de plus amples développements, notons que pour ce qui est des dépenses d’entretien exposées par le grevé, elles ne devront pas être remboursées à la succession de ce dernier puisque, en droit belge, existe un principe général suivant lequel celui qui jouit d’un bien a la charge de son entretien. Ce principe est exprimé parl’adage suivant : ubi emolumentum, ibi onus. Il ressort des développements consacrés à la question par le Professeur P. Delnoy qu’au décès du grevé, le légataire en second rang recueille les biens transformés, à charge pour lui d’indemniser la succession du grevé pour les frais exposés et sommes investies dans le bien objet du résidu. L’appelé devra alors verser à la succession du grevé la valeur des améliorations.

Afin de déterminer la valeur dont l’appelé est redevable à l’égard des héritiers du fiduciaire, l’auteur suggère de recourir à la théorie des impenses, en application du principe général d’enrichissement sans cause. Retenons que, pour ce qui est des dépenses nécessaires, le montant de l’indemnité équivaut au montant de la dépense ; pour les dépenses utiles, l’indemnité s’élève au montant de la plus-value au jour du partage ; enfin, pour les dépenses voluptuaires, l’indemnisation est exclue puisque de telles dépenses n’ont servi qu’à l’agrément de celui qui les a exposées . 261

Nous tenons à préciser que le Professeur Delnoy fonde sa réflexion sur une application par analogie des articles 861 et 862 du Code civil applicables en matière de rapport. Ces articles ont été abrogés par la loi du 31 juillet 2017 entrée en vigueur le 1er septembre 2018 . À notre estime, cela 262

n’enlève rien au fait que l’application de la théorie des impenses et, plus généralement, du principe

Ph. DE PAGE, « La libéralité résiduelle - Aspects pratiques », Rev. not., 2017/2, n° 3115, p. 97.

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P. DELNOY, « Le legs de residuo », in Ph. DE PAGE, et A. CULOT (dir.), Actualités civiles et fiscales en droit

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successoral, Collection Patrimoines et fiscalités, Anthémis, Louvain-la-Neuve, 2006, p. 95 ; Ph. DE PAGE, « La

libéralité résiduelle - Aspects pratiques », Rev. not., 2017/2, n° 3115, p. 97.

Ph. DE PAGE, « La libéralité résiduelle - Aspects pratiques », Rev. not., 2017/2, n° 3115, p. 97.

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P. DELNOY, « Le legs de residuo », in Ph. DE PAGE, et A. CULOT (dir.), Actualités civiles et fiscales en droit

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successoral, Collection Patrimoines et fiscalités, Anthémis, Louvain-la-Neuve, 2006, pp. 96-97.

Loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant

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de l’enrichissement sans cause semble toujours à propos en la matière. En effet, ces dispositions n’étaient qu’une application du principe général d’indemnisation pour enrichissement sans cause 263

qui trouve toujours à s’appliquer dans l’ordre juridique belge.

En cas de construction d’une villa sur le terrain objet du legs, au décès du grevé, l’appelé recueillera le terrain dans l’état où il se trouve, c’est-à-dire avec la villa et ce, en vertu du principe de l’accession. Le bénéficiaire final devra tout de même indemniser la succession du grevé de la valeur de ce qui ne faisait pas partie du legs de residuo (améliorations). Dans notre exemple, il s’agirait de la valeur de la villa au jour du décès du grevé . 264

Plus délicate est l’hypothèse dans laquelle le grevé a, après le décès du testateur, acquis un immeuble au moyen d’un crédit hypothécaire dont les mensualités ont été remboursées grâce à des fonds provenant du patrimoine légué. Dans ce cas, comme l’écrit Ch. Lousberg, on doute que l’appelé puisse recueillir l’immeuble. Cela, sous réserve de l’existence d’une clause expresse qui prévoirait le remploi des fonds objets du legs de residuo dans l’acte d’acquisition. De la sorte, la chaîne de subrogation serait respectée. En l’absence d’une telle clause, le grevé resterait propriétaire de l’immeuble car « la foi due au titre empêche de considérer que le financement de l’immeuble peut influer sur le droit de propriété » . Les héritiers du grevé ne seraient même pas tenus 265

d’indemniser l’appelé du montant dont s’est appauvri le patrimoine fidéicommissaire. Sous réserve de l’abus de droit et en l’absence d’une obligation de remploi, le grevé est libre d’utiliser les fonds légués à lui par le testateur, même dans le but d’enrichir son propre patrimoine. Une fois consommé, l’argent qui faisait l’objet du legs disparaît . 266

Cette solution apparaît injuste et inéquitable aux yeux de certains auteurs, dont M. Van Quickenborne. L’auteur suggère que le bien soit intégré au patrimoine qui a le plus contribué à son acquisition. Bien entendu, le titulaire de ce patrimoine serait tenu d’indemniser l’autre patrimoine à hauteur de ce qu’il a financé . 267

C. Antoine, quant à elle, propose un système différent qui consisterait à attribuer l’immeuble à l’appelé ou aux héritiers du grevé en fonction de l’importance des améliorations par rapport au bien tel qu’il a été légué. En outre, l’attributaire du bien se verrait tenu d’indemniser l’autre partie.

Si la valeur de ces améliorations est moindre que celle du bien fidéicommissaire au jour du décès du testateur, c’est à l’appelé qu’est attribué le bien, à charge pour lui d’honorer l’obligation d’indemnisation qui lui incombera. Il sera redevable d’une indemnité envers la succession du

Principe dégagé par la jurisprudence.

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P. DELNOY, « Le legs de residuo », in Ph. DE PAGE, et A. CULOT (dir.), Actualités civiles et fiscales en droit

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successoral, Collection Patrimoines et fiscalités, Anthémis, Louvain-la-Neuve, 2006, pp. 95-97 ; Ch. LOUSBERG, « Les

libéralités résiduelles : aspects civils », in L’option, la condition, le terme et la substitution. Effets civils et fiscaux sur l’organisation et la transmission d’un patrimoine, Limal, Anthemis, 2017, p. 136.

Ch. LOUSBERG, « Les libéralités résiduelles : aspects civils », in L’option, la condition, le terme et la substitution.

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Effets civils et fiscaux sur l’organisation et la transmission d’un patrimoine, Limal, Anthemis, 2017, p. 136. Ch. LOUSBERG, ibidem, p. 137.

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M. VAN QUICKENBORNE, « Het legaat de residuo », TPR, 1972, p. 637.

grevé . À l’inverse, si la valeur des améliorations est supérieure ou égale à celle du bien, celui-ci 268

sera attribué aux héritiers du grevé sur lesquels pèsera alors l’obligation d’indemnisation . 269 270

La mise en oeuvre d’un tel système aurait pour conséquence que la nature des droits reconnus à l’appelé, à savoir réelle ou personnelle, varierait suivant la valeur des améliorations apportées aux biens par le grevé. Dans l’hypothèse où la valeur de ces améliorations serait inférieure à celle du bien légué, l’appelé disposerait d’un droit réel alors que, dans l’hypothèse inverse, il aurait un droit de nature personnelle.

L’auteure estime que ce système est plus adapté à la réalité et offre, dans un souci d’équité, des solutions plus justes. Elle explique qu’il se pourrait que les améliorations apportées au bien par le grevé soient conséquentes et représentent une valeur considérable par rapport à la valeur du bien tel que légué par le disposant. L’auteure illustre ses propos en évoquant la construction d’une villa sur un terrain modeste légué par le testateur. La valeur de la maison pourrait se révéler nettement supérieure à celle du terrain. Les héritiers du grevé pourraient alors légitimement estimer qu’il est inéquitable et anormal que le tout revienne à l’appelé . 271

Sous-section III - Existence d’un droit de rétention et possibilité d’exiger la

restitution du bien originel ?

Le Professeur Delnoy a précisé que le droit à indemnisation n’autorise nullement les héritiers du grevé à retenir le bien qui a fait l’objet des améliorations jusqu’au paiement de l’indemnité par l’appelé. En effet, dès le décès du grevé, ce dernier a un droit immédiat à obtenir le residuum . 272

En outre, l’appelé ne peut exiger la restitution du bien originel. Il ne peut donc requérir que le bien objet des améliorations lui soit remis dans son état d’origine, soit dans l’état dans lequel le grevé l’a reçu au décès du testateur. La raison en est que l’appelé est lié par les actes de jouissance posés par le grevé. Par exemple, en cas de construction d’une maison sur le terrain légué, il n’est pas question pour l’appelé d’exiger la démolition de la villa. En vertu de l’adage accessorium principale sequitur, il est tenu de reprendre le terrain ainsi que ses accessoires qu’est la construction . 273

L’appelé devrait indemniser les héritiers du grevé à hauteur de la plus-value consécutive aux améliorations.

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Dans ce cas, l’indemnité correspondrait à la valeur que l’immeuble aurait eu au décès du grevé s’il n’y avait pas

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apporté d’améliorations.

C. ANTOINE, « La traçabilité des libéralités de residuo », Rev. not., 2010/8, n° 3044, p. 502.

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C. ANTOINE, ibidem, p. 502.

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P. DELNOY, « Le legs de residuo », in Ph. DE PAGE, et A. CULOT (dir.), Actualités civiles et fiscales en droit

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successoral, Collection Patrimoines et fiscalités, Anthémis, Louvain-la-Neuve, 2006, pp. 95-97 ; Ch. LOUSBERG, « Les

libéralités résiduelles : aspects civils », in L’option, la condition, le terme et la substitution. Effets civils et fiscaux sur l’organisation et la transmission d’un patrimoine, Limal, Anthemis, 2017, p. 136.

P. DELNOY, ibidem, p. 96.