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Recueil des données :

D) Apports de ce mémoire de recherche

Bien davantage que les difficultés rencontrées, nous retiendrons de ce travail tout ce qu’il a apporté à notre future pratique professionnelle. Le travail auprès de ces enfants fut riche à tout niveau et bien plus vaste que de prime abord.

Durant ces quelques mois de travail expérimental, nous avons côtoyé et accompagné onze enfants au développement dit «dysharmonique », « retardé » ou encore « troublé ». Si le diagnostic n’est pas à remettre en question, il convient de ne pas se laisser duper par une étiquette et de ne pas entrer dans une réflexion simpliste consistant à conclure des difficultés de l’enfant à partir de sa pathologie initiale : « c’est un enfant trisomique, c’est pourquoi il ne parle pas ». Au contraire, chaque enfant doit être perçu dans sa singularité. Un bilan précis et non uniquement centré sur le langage doit permettre de découvrir précisément les compétences cognitives et communicatives acquises et celles qui ne le sont pas.

165 Tout au long de cet accompagnement d’enfants jeunes, nous avons éduqué notre regard. Nous avons appris à ne pas seulement observer ce que nous nous attendions à voir mais tout ce que l’enfant nous donnait à voir, que ce comportement nous paraisse approprié ou non. Quel que soit le système de communication mis en place par un enfant, les possibilités d’interactions sont réelles.

Le travail à l’aide du support film est également intéressant car il permet plusieurs analyses, des réinterprétations, des remises en question et la détection de signes passés inaperçus lors de la passation.

Par ailleurs, travailler avec des enfants si jeunes et si différents oblige à une adaptation à chacun : ne pas rester figé dans un protocole donné mais savoir ajuster sans biaiser le test.

Nous devons être en attente de tout ce que les enfants nous proposent : il convient d’être attentif à ce que l’enfant possède pour ensuite élargir son système de communication et ses préoccupations cognitives. En tant que thérapeutes de la communication, nous devons être en attente du moindre regard, du moindre geste et réaliser qu’ils ont une signification. A nous de la trouver.

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Conclusion

Ce mémoire de recherche avait pour objectif de cerner les liens entre la communication préverbale et les préoccupations cognitives des jeunes enfants présentant un retard de développement. Notre principale hypothèse était que le pointage proto-déclaratif survenait dans le même temps que l’organisation d’actions sur les objets, tout comme chez l’enfant ordinaire.

Pour atteindre cet objectif et répondre à cette hypothèse, nous avons étudié l’apparition des compétences socles communicatives, des fonctions de communication et des gestes signifiants grâce à l’échelle d’évaluation de la communication sociale précoce (ECSP) ainsi que les préoccupations cognitives de ces enfants, à partir de la manipulation de matériel non signifiant.

Nonobstant le faible échantillon de population, l’absence de passation-type et la variété des pathologies, cette étude a, tout d’abord, permis de mettre en évidence l’apparition quasi simultanée du pointage proto-déclaratif et de l’organisation d’actions chez l’enfant présentant un retard de développement.

En outre, l’évolution de la communication semble se dérouler selon le schéma des enfants ordinaires : tout d’abord un système presque exclusivement gestuel, peu à peu enrichi par le système verbal.

Au regard des résultats obtenus, on remarque le développement plus précoce de la communication que celui des premiers raisonnements : si cognition et communication évoluent de façon parallèle, les facultés communicatives semblent toujours légèrement supérieures aux capacités cognitives.

De même, les observations retenues permettent de souligner l’utilisation de mots choisis en fonction des préoccupations cognitives actuelles des enfants, quel que soit leur niveau de développement. Les liens entre communication et cognition sont donc réels et nombreux, qu’il s’agisse de communication verbale ou non verbale.

167 Enfin, la variété des âges de développement obtenus ainsi qu’une fréquente hétérogénéité dans le développement prouvent la spécificité de l’évolution des enfants présentant un retard développemental. Ces derniers ont parfois de nombreux schèmes à leur disposition avant d’accéder à l’organisation d’actions et un vocabulaire très varié avant d’utiliser le pointage proto-déclaratif. L’évolution des enfants avec un retard de développement apparaît donc moins linéaire que celle des enfants ordinaires: les acquisitions développementales ne se font pas selon le même continuum temporel, chez ces deux populations.

Par extension, cette étude amène à penser que les enfants étant fréquemment en contact avec les éléments de l’environnement, dans des situations nombreuses et variées, seront plus sensibles aux interactions avec leur entourage. Pour les enfants dont le développement est retardé, la multiplication des expériences cognitives serait ainsi une manière de les aider à entrer dans la communication.

De même, ce travail permet également de repenser la notion de communication verbale, qui ne peut être totalement opposée à la communication non verbale. La communication n’est pas absolument assujettie à la parole et au lexique : ils en sont, bien entendu, un support essentiel mais non suffisant. En effet, ce ne sont pas toujours les enfants avec le plus de mots qui communiquent le plus aisément. L’étude de la communication non verbale permettrait peut-être d’augurer de la communication globale.

Ceci étant, nous pouvons conclure en affirmant que les personnes avec un faible niveau de compréhension et d’expression non verbales sont davantage handicapées que les sujets maîtrisant ces sous-catégories communicatives, indépendamment de l’étendue du lexique.

En conséquence, les recherches à venir pourraient se consacrer à l’étude de la communication non verbale chez des enfants déficients intellectuels plus âgés. Il serait intéressant de découvrir le devenir de ces deux composantes du développement, cognition et communication : atteignent-elles un seuil similaire après quelques années ou la communication prévaut-elle encore ? Il resterait également à démontrer l’importance de la mimogestualité de communication, de façon passive et active, dans l’intégration de ces enfants ou de ces jeunes. Une troisième issue serait d’appliquer notre dispositif expérimental à

168 une population plus importante, d’un point de vue quantitatif, et/ou de se cantonner à des enfants présentant la même pathologie initiale.

Au terme de ce travail, il nous apparaît fondamental de renoncer à une prise en charge orthophonique purement langagière : l’apprentissage de mots sans concepts sous-jacents ne peut être constructif. Une prise en charge axée sur la pragmatique, notamment sur la communication non verbale et para-verbale, ainsi que la possibilité pour chaque enfant d’élargir ses certitudes quant au monde qui l’entoure grâce à l’expérimentation sont indispensables, à tout âge et pour toute pathologie.

Ainsi, les enfants pourront parler mais aussi avoir quelque chose à dire : ils pourront questionner et se questionner, faire des liens entre les mots et le réel et les enrichir au fur et à mesure de leurs expériences et de leurs découvertes. Ils pourront également raconter, sans rester dans une dénomination apprise, ne possédant pas de réelle valeur communicative.

Leurs récits peuvent être étonnants, inattendus, mais toujours le reflet de leur connu, de leur compréhension du monde qui les entoure. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils prendront leur place d’interlocuteurs à part entière. Après tout, « Le vrai locuteur est celui qui surprend. » (Frédéric François, 1980)

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