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Chapitre 1 : Revue de littérature

1.3. Stratégies de contrôle de Salmonella spp et autres opportunistes de la volaille

1.3.2. Les alternatives aux antibiotiques

1.3.2.7. Les bactériocines

1.3.2.7.2. Applications des propriétés anti-infectieuses des bactériocines

1.3.2.7.2.1. Alimentaires

Les bactériocines servent en industrie alimentaire à la préservation et à la biosécurité des aliments. Elles ont un potentiel de bio-préservation de la viande, des produits laitiers, du poisson, des boissons alcoolisées, des salades, des aliments appertisés, des produits à base d’œufs, des légumes fermentés et des produits de boulangerie que l’on peut combiner ou non avec d’autres méthodes de conservation. Elles peuvent être également utilisées dans les emballages alimentaires (Cotter et al., 2005). La nisine (Nisaplin, Danisco) et la pédiocine PA-1 (ALTA 2431, Quest) sont aujourd’hui déjà commercialisées comme additif alimentaire (Cotter et al., 2005). La nisine est reconnue sécuritaire par la FDA (American Food and Drug Administration). Elle est utilisée pour la préservation du lait, de la viande, des produits végétaux ainsi que pour la préservation des produits de la mer (Le Blay et al., 2012). On ajoute dans l’aliment la bactériocine purifiée, semi-purifiée ou la souche productrice de la bactériocine (Cotter et al., 2005). Plusieurs études in vitro ont été réalisées pour évaluer le potentiel anti-infectieux de bactériocines telles que la nisine de Lactococcus lactis spp. et la divergicine M35 de Carnobacterium divergens contre Listeria monocytogenes (Chung, Dickson, & Crouse, 1989; Tahiri et al., 2004; Naghmouchi et al., 2006; Dabour, Zihler, Kheadr, Lacroix, & Fliss, 2009).

1.3.2.7.2.2. Vétérinaires

L’utilisation de bactériocines ou de souches productrices de bactériocines intéresse grandement le milieu vétérinaire dans la lutte contre certaines maladies. La mammite bovine est une infection intra-mammaire bactérienne très coûteuse pour l’industrie laitière. Elle est causée la plupart du temps par Staphylococcus

aureus, Streptococcus uberis et Streptococcus dysgalactiae. La nisine est déjà utilisée et commercialisée avec

succès pour la prévention et le traitement de cette maladie (Wipe Out®Dairy Wipes, Immucell, Portland, ME, USA). D’autres bactériocines potentielles ont été caractérisées et présentent de bons résultats. C’est le cas de la lacticine 3147, de la morricine 269 et de la kurstacine 287 qui sont efficaces contre S. aureus, alors que ce dernier est résistant aux antibiotiques commerciaux (Hammami et al., 2013). La lactococcose est une maladie du poisson qui engendre de grosses pertes économiques dans les milieux de la pêche et de l’aquaculture. Elle est causée par le pathogène Lactococcus garvieae. Les souches bactériennes L. lactis TW34 et L. garvieae DCC43 produisent respectivement la TW34 et la garvicine ML qui ont démontré in vitro une activité inhibitrice significative contre L. garvieae et qui pourraient ainsi devenir un moyen de lutte efficace contre ce pathogène (Sequeiros, Vallejo, Marguet, & Olivera, 2010; Borrero et al., 2011; Hammami et al., 2013).

1.3.2.7.2.3. Médicales

Au niveau médical, plusieurs études ont mis en évidence in vitro et in vivo avec succès l’efficacité thérapeutique des bactériocines dans le traitement d’infections nosocomiales, systémiques, cutanées, orales, respiratoires, gastro-intestinales et uro-génitales humaines (Hammami et al., 2013).

La résistance aux antibiotiques des microorganismes pathogènes nosocomiaux (entérocoques, pneumocoques, S. aureus par exemple) est de plus en plus fréquente. Leur menace pour la santé publique est réelle. Or, de très nombreuses études ont mis en évidence avec succès le potentiel anti-infectieux de certaines bactériocines contre ces bactéries pathogènes d’origine communautaire. Pour n’en citer que quelques-unes, la lacticine 3147 présente in vivo une activité inhibitrice significative contre S. aureus chez la souris (Piper, Casey, Hill, Cotter, & Ross, 2012; Hammami et al., 2013), tandis que deux bactériocines

Pediocin-like, E 50-52 et B 602, produites respectivement par Enterococcus faecium NRRL B-30746 et Paenibacillus polymyxa NRRL B-30509, ont montré une activité antimicrobienne significative contre plusieurs

espèces bactériennes nosocomiales multi-résistantes aussi bien à Gram-positif que négatif (Svetoch et al., 2009; Hammami et al., 2013).

Legionella pneumophila est l’un des pathogènes responsables de la pneumonie, une infection respiratoire

pouvant être mortelle. Elle infecte l’homme par inhalation d’aérosols contaminés. La bactériocine warnericine RK, produite par Staphylococcus warneri RK, est la première bactériocine découverte ayant une activité anti- infectieuse significative contre Legionella. D’autres bactériocines actives contre des pathogènes responsables de pneumonies ont été caractérisées (Hammami et al., 2013). Knoetze et al. ont étudié le peptide ST4SA produit par Enterococcus mundtii ST4SA. Ils ont mis en évidence une forte activité inhibitrice du peptide contre

Acinetobacter baumannii, Enterococcus faecalis, Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus et Streptococcus pneumoniae, des pathogènes causant l’otite. Le peptide ST4SA pourrait ainsi servir à traiter

l’otite (Knoetze, Todorov, & Dicks, 2008; Hammami et al., 2013). Carroll et al. ont démontré in vitro que la lacticine 3147 pouvait être un outil efficace de lutte contre la tuberculose. En effet, elle s’est montrée très active contre Mycobacterium tuberculosis H37Ra, Mycobacterium avium subsp. paratuberculosis ATCC 19698 et Mycobacterium kansasii CIT11/06 même à de faibles concentrations (Carroll et al., 2010; Hammami et al., 2013). Enfin, la compagnie AOP Orphan Pharmaceuticals AG a développé un traitement de la fibrose kystique basé sur le lantibiotique duramycine sous le nom de Moli1901 (Hammami et al., 2013).

De nombreuses infections de la peau, telles les impétigos, furoncles et abcès sous-cutanés, sont causées par des staphylocoques. Les staphylocoques sont aussi responsables de la maladie de Ritter, du syndrome de

choc toxique ainsi que du NTED (Neonatal toxic shock syndrome-like Exanthematous disease). Une autre maladie de la peau, l’acné, est causée quant à elle par Propionibacterium acnes et Staphylococcus

epidermidis (Hammami et al., 2013). De nombreuses bactériocines ont montré une activité anti-

staphylocoques significative. C’est le cas de l’épidermicine NI01, produite par S. epidermidis 224, une souche isolée de la peau humaine, qui présente une activité anti-infectieuse contre S. epidermidis, Staphylococcus

saprophyticus, Staphylococcus hominis, S. warneri, E. faecium, VRE, MRSA et S. aureus 1195 (Sandiford &

Upton, 2012; Hammami et al., 2013). Une lotion contre l’acné contenant la bactérie E. faecalis SL-5 produisant la bactériocine ESL5 a été testée avec succès. En effet, ESL5 inhibe efficacement P. acnes, Bacillus cereus,

Bacillus subtilis, L. monocytogenes et S. aureus (Kang et al., 2009; Hammami et al., 2013).

On retrouve parmi les infections de la cavité orale les caries dentaires, les parodontopathies telles que les gingivites ou encore les halitoses (mauvaise haleine) (Hammami et al., 2013). Streptococcus mutans BCS3-L1 est prometteuse pour la prévention et le traitement des caries dentaires. En effet, cette souche, mutée pour ne plus produire d’acide lactique à l’origine de la carie, produit en revanche un lantibiotique, la mutacine 1140, qui cible S. mutans et lui donne un avantage sélectif dans la colonisation de la cavité orale (Hillman et al., 1998; Hillman et al., 2000). En 2007, ils ont ajouté des modifications génétiques à S. mutans BCS3-L1 (appelée alors A2JM) pour permettre son élimination rapide en cas d’effets secondaires indésirables et gagner en stabilité génétique (Hillman, Mo, McDonell, Cvitkovitch, & Hillman, 2007; Hammami et al., 2013). Les chercheurs travaillant sur S. mutans BCS3-L1 ont également développé un rince-bouche maintenant la santé buccale breveté sous le nom de ProBiora3 (Oragenics) contenant trois souches probiotiques (Streptococcus

uberis KJ2, Streptococcus oralis KJ3 et Streptococcus rattus JH145). ProBiora3TM a été testé chez le rat ainsi

que chez l’homme et s’est montré sans danger pour la santé et efficace comme agent anti-infectieux (Hillman, McDonell, Hillman, Zahradnik, & Soni, 2009; Zahradnik et al., 2009; Hammami et al., 2013). Il obtient en 2008 la désignation GRAS (Generally Recognized As Safe) par la Food and Drug Administration des Etats-Unis (Oragenics). La mauvaise haleine est due aux produits du métabolisme des micro-organismes buccaux (acide valérique, acide butyrique et putrescine). Deux lantibiotiques, la salivaricine A et la salivaricine B, produits par

Streptococcus salivarius, ont démontré une activité inhibitrice significative contre les bactéries responsables

de l’halitose : Micrococcus luteus I1, Streptococcus anginosis T29, Eubacterium saburreum ATCC 33271 et

Micromonas micros ATCC 33270 (Burton, Chilcott, Moore, Speiser, & Tagg, 2006; Hammami et al., 2013).

Le tractus gastro-intestinal (GI) abrite un microbiote très riche et divers. Celle-ci est essentielle à la santé de l’hôte. Elle participe à la maturation du système immunitaire ainsi qu’à la défense de l’hôte contre les pathogènes entériques, tels que Clostridium difficile, Listeria monocytogenes et Salmonella. La lacticine 3147 produite par L. lactis ainsi que la thuricine CD produite par Bacillus thuringiensis DPC 6431 ont montré une

activité antimicrobienne significative contre C. difficile (Rea et al., 2007; Rea et al., 2010). Néanmoins, la thuricine CD est préférable comme agent thérapeutique car elle possède un spectre d’action restreint et n’a ainsi que peu d’impact sur la composition du microbiote commensal, ce qui n’est pas le cas de la lacticine 3147, ni des antibiotiques vancomycine et métronidazole (Rea, Dobson, et al., 2011; Hammami et al., 2013). Parmi les bactériocines actives contre L. monocytogenes, on trouve la piscicoline 126, la carnobactériocine BM1, la carnocycline A, l’avicine A, Abp118, la pédiocine PA-1 et l’entérocine CRL35 (Hammami et al., 2013). Abp118 est intéressante car elle peut être produite in situ par sa souche productrice probiotique Lactobacillus

salivarius UCC118 et conserver son activité antibactérienne. Corr et al. ont inoculé Lb. salivarius UCC118 à

des souris et ont démontré l’activité inhibitrice in vivo du probiotique contre L. monocytogenes via la production de Abp118 (Corr et al., 2007). Ils ont montré également que le mutant stable de Lb. salivarius UCC118, qui ne produit plus Abp118, ne confère plus à l’hôte de protection contre Listeria et que la souris hôte n’est plus non plus protégée lorsque Listeria exprime abpIM, un gène de résistance à Abp118 codant la protéine immunitaire AbpIM. Salmonella est inhibée par la microcine J25 ainsi que par la microcine C7 et les colicines 1b et E1 (Hammami et al., 2013). La microcine C7 et les colicines 1b et E1 produites par E. coli H22 ont montré une activité anti-infectieuse significative contre Enterobacter agglomerans, E. coli, Klebsiella pneumoniae,

Morganella morganii, Salmonella enterica, Shigella flexeneri et Yersinia enterocolitica (Cursino et al., 2006;

Hammami et al., 2013).

Les bactériocines peuvent également être appliquées aux traitements des infections uro-génitales. C’est le cas de la lactocine 160 qui pourrait servir à la prévention et au traitement de la vaginose bactérienne. La lactocine 160 est produite par une bactérie du microbiote commensal vaginal, Lactobacillus rhamnosus 160. Elle inhibe spécifiquement Gardnerella vaginalis et Prevotella bivia, causant la vaginose, sans altérer le microbiote naturel du vagin composé principalement de Lactobacillus (Turovskiy, Ludescher, Aroutcheva, Faro, & Chikindas, 2009; Hammami et al., 2013). Qui plus est, la lactocine 160 n’irrite pas le tissu épithélial vaginal et n’a pas d’activité hémolytique (Dover, Aroutcheva, Faro, & Chikindas, 2007; Hammami et al., 2013).

Pour une revue complète et détaillée des applications des propriétés anti-infectieuses des bactériocines, voir Hammami et al. (Hammami et al., 2013).