• Aucun résultat trouvé

Aperçu des commentateurs : Guibal et Narbonne

1.2 L’en-jeu de l’Autre : l’intrigue en-visagée

1.2.1 Aperçu des commentateurs : Guibal et Narbonne

Le développement des auteurs pour cette section sur l’altérité se sera établi autour des thématiques de la responsabilité ou du rapport de l’altérité (notion voulue comme philosophie) avec la théologie dont elle tire ses préceptes. Guibal et Narbonne offrent deux points de vue différents mais non moins complémentaires.

47 Il convient ici de souligner que je me concentre sur une œuvre en particulier d’Emmanuel Lévinas : Totalité et Infini – Essai sur l’extériorité, Paris, Livre de Poche, 1971

La thèse de Francis Guibal retrace un cheminement semblable à celui que j’emprunte pour aborder la philosophie de Lévinas, c'est-à-dire depuis la Torah jusque la notion de transcendance. Dans son article48, Guibal discerne la « théo-logie » de Lévinas (c'est-à- dire le « langage sur Dieu ») d’une certaine onto-théo-logie ambiante introduite entre autres par Heidegger. Le tournant opéré par Lévinas récuse la logique des théologiens quant à la question du soi et de Dieu, au profit du ressenti divin, de la rencontre altruiste. Guibal affirme que pour « Lévinas, l’ouverture du vivant humain à l’imprévisible réalité n’accède à sa vérité qu’en s’inclinant devant la hauteur de l’autre homme »49. Tout en ouvrant son analyse aux thématiques connexes comme la justice, l’Infini ou la transcendance, Guibal caractérise la philosophie transcendantale de Lévinas de phénoménologie éthique : « la phénoménologie éthico-métaphysique de Lévinas scrute surtout la percée de sens qui se produit à travers le Visage »50. La divinité se joue dans l’Autre face à soi, tout en étant liée à l’herméneutique, comme tend à le rappeler Guibal, car cette entrée en relation qui se fait par la parole (« Me voici ! ») r-éveille le dit écrit des Saintes Écritures qui appelle à la responsabilité :

« La vie des Écritures est inséparable de leur transmission et de leur enseignement, soit d’un renouvellement constant du sens auquel est nécessaire la singulière pluralité des voix interprétantes »51.

Dans cet article, Francis Guibal peint un portrait concluant de la philosophie de Lévinas. Son travail n’est pas original par la nouveauté sinon par sa qualité et son accessibilité. Jean-Marc Narbonne évoque quant à lui le détour par l’Autre que le soi se doit de faire pour atteindre l’Infini divin. La thèse de cet article est portée dans le titre lui-même : « De l’ “au-delà de l’être” à l’ “autrement qu’être” : le tournant lévinassien »52. Le

48 François Guibal, « Dieu sans le savoir – Une raisonnable façon de parler de Dieu ?», Shmuel Trigano et Danielle Cohen-Lévinas (dir.), Emmanuel Lévinas et les théologies,

Pardès, vol. 42, (2007) p. 45-64.

49 F. Guibal, « Dieu sans le savoir – Une raisonnable façon de parler de Dieu ?», p. 48. 50 F. Guibal, « Dieu sans le savoir – Une raisonnable façon de parler de Dieu ?», p. 50. 51 F. Guibal, « Dieu sans le savoir – Une raisonnable façon de parler de Dieu ?», p. 51. 52 Jean-Marc Narbonne, « De l’au-delà de l’être à l’autrement qu’être : le tournant lévinassien », Emmanuel Lévinas : une philosophie de l’évasion, Cités, numéro 25 (2006), p. 69-75.

critique fait référence à plusieurs textes de Lévinas – De Dieu qui vient à l’idée (1992) ou Autrement qu’être au-delà de l’Essence (1990) – pour illustrer l’ambivalence du questionnement ontologique. Narbonne reconnaît la nécessité dans la pensée de Lévinas, de participer à des échanges entre le sujet, l’Autre et Dieu. Cependant, Narbonne ne parvient pas, à mon sens, à réellement répondre à la problématique ontologique énoncée. De plus, il semblerait que la question du divin – toujours selon Narbonne – ne devienne que secondaire au regard de l’importance éthique de l’agir du sujet. Mais il poursuit en affirmant qu’avec Lévinas, il se trouve face à «un agapè qui monte, à savoir un amour désintéressé qui justement parce qu’il est tout tourné vers son prochain et séjourne près de lui, autorise une remontée vers Dieu »53. Jean-Marc Narbonne en vient à considérer le primat de l’éthique dans la philosophie d’Emmanuel Lévinas à la condition que « le divin se montre prêt, disons, à se détourner un instant de ses affaires pour se tourner vers les nôtres »54. Cette conception binaire me paraît éloignée de ma propre compréhension de Lévinas : il semblerait que Narbonne transpose des modèles relationnels propres aux humains, sur la relation avec Dieu. La philosophie lévinassienne dans la perspective de Narbonne amorce (à juste titre) « un autrement qu’être » : reste à savoir si les motifs évoqués par Narbonne correspondent à la conception de Lévinas, ce dont je doute grandement ; sa théorie du détour n’est-elle pas finalement l’expression de son propre détournement de l’essence55 de la pensée de Lévinas ?

Ces deux articles offrent un panorama divergent mais non moins intéressant de la réception de l’altérité dans la philosophie de Lévinas. Quand bien même ce point n’est pas abordé dans mon développement, il semblerait que l’acceptation du rapport qu’entretient Lévinas avec la théologie semble déterminant sur la réception de sa pensée chez les critiques. À mon sens, l’altérité (au sens lévinassien) telle qu’appréhendée par Francis Guibal s’avère mieux saisie et son analyse de meilleure qualité que celle de Jean-Marc Narbonne, bien trop théorique et coupée d’une réalité existentielle

53 J-M. Narbonne, « De l’au-delà de l’être à l’autrement qu’être : le tournant lévinassien », p. 74.

54 J-M. Narbonne, « De l’au-delà de l’être à l’autrement qu’être : le tournant lévinassien », p. 73.

(potentielle certes, mais non moins importante). Une certaine dualité semble s’instaurer quant à la réception de l’altérité entre Guibal et Narbonne ; pour ma part, je me situerai davantage dans la perspective énoncée par Guibal.