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Une anthropologie multi-site des réseaux académiques : analyse de deux situations ethnographiques (Delhi et Londres) situations ethnographiques (Delhi et Londres)

1. ESPACES DE CIRCULATIONS POSTCOLONIALES : RESTITUTIONS ETHNOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES ETHNOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES

1.1. Une anthropologie multi-site des réseaux académiques : analyse de deux situations ethnographiques (Delhi et Londres) situations ethnographiques (Delhi et Londres)

Londres, septembre 2017. Installé dans une des salles de lectures de la National Library, je repère un visage familier : un doctorant indien dont j’avais fait connaissance à Göttingen à l’occasion de mon travail de terrain en Allemagne. Cet étudiant est l’un de ceux qui, après la conclusion de leur master dans une université indienne réputée, partent en Europe pour leurs études doctorales. Pendant mon séjour en Allemagne un an plus tôt, nous avions brièvement partagé une grande salle de travail au Centre for Modern Indian Studies (CeMIS) de l’Université de Göttingen. Bien qu’inespérée, la rencontre ne me surprend pas, puisque les réseaux auxquels je m’intégrai dans le cadre de mon travail de terrain ont été non seulement très étendus géographiquement, mais aussi très actifs et interconnectés. Ces rencontres étaient par conséquent relativement ordinaires.

Grâce à cette coïncidence, j’apprends la tenue deux jours plus tard d’un colloque intitulé Poverty and Education from the 19th Century to the Present : India and Comparative Perspectives ayant lieu au German Historical Institute et au King’s College de Londres. L’événement en question marquait la conclusion d’un projet financé par la Max Weber Foundation et la Volkswagen Foundation, toutes les deux basées en Allemagne. Intitulé Transnational Research Group – Poverty Reduction and Policy for the Poor between the State and Private Actors : Education Policy in India since the Nineteenth Century, il regroupait des chercheurs rattachés au CeMIS (Allemagne), à la Jawaharlal Nehru University (Inde), au Centre for Studies in Developing Societies (CSDS, Inde), à l’India Institute (King’s College London) et

au German Historical Institute London (Allemagne-Angleterre). En somme, il s’agissait d’un colloque portant sur l’éducation en Inde, tenu dans la branche anglaise d’une institution allemande afin de présenter les résultats d’un projet financé par des fondations allemandes, reliant des institutions indiennes, allemandes et britanniques spécialisées dans les études sur l’Inde moderne et contemporaine.

Développé entre 2013 et 2017, ce projet constituait une activité majeure du CeMIS à l’époque de mon séjour en Allemagne, en 2016 : il finançait alors plusieurs bourses de doctorat et post-doctorat d’étudiants et chercheurs, ainsi que des missions de recherche et la venue d’un nombre important de chercheurs indiens. Par ailleurs, les circulations engendrées par ce projet s’entrecroisaient avec d’autres qui élargissaient encore plus ces connexions globales, comme je le montrerai plus loin. Ces réseaux, qui sont multiples et se superposent, sont coordonnés autant par des chercheurs d’origine indienne qu’européenne, reliant l’Angleterre, l’Allemagne, la France et l’Inde, entre autres pays, au travers d’une intense circulation de personnes et un grand nombre d’activités se déroulant sous l’égide de projets conjoints entre différents centres de recherche établis dans ces pays. Tout cela prend place dans un contexte de renouvellement des politiques scientifiques où les notions de dialogues symétriques entre le Nord et le Sud et le développement de réseaux dits « collaboratifs » président, en théorie, aux investissements en science. Ainsi, la retrouvaille bibliothécaire que je décris ci-dessus relève moins du hasard ou de l’anecdote que d’un exemple qui, à la fois circonscrit et donnant lieu à des connexions très vastes, s’avère assez représentatif des circulations académiques contemporaines qui seront l’objet de cette thèse.

Quoiqu’affirmer la centralité des réseaux dans la construction d’une carrière académique puisse paraître un truisme pour toute personne initiée dans ce métier, il n’en reste pas moins que leur constitution, leur fonctionnement et la manière dont ils sont mobilisés par les personnes qui y sont engagées ne le sont pas. Ces dynamiques sont moins évidentes qu’on ne le pense, ou qu’on n’aime à le reconnaître. Ces réseaux expriment des transformations complexes qui s’opèrent au cœur des politiques scientifiques internationales, mais aussi au niveau des politiques culturelles, des débats épistémologiques, des pratiques institutionnelles et économiques et de nouvelles formes de subjectivités et action politique. En outre, étant essentiellement constitués de personnes issues de trajectoires de plus en plus diverses, et connectant des lieux variés dans leur charpente historique, sociale et politique, ces réseaux présentent une complexité qui ne peut être comprise qu’au travers d’un regard attentif envers des marqueurs sociaux comme la classe, l’origine, la caste, le genre et la langue. Comprendre

anthropologiquement les dynamiques contemporaines de production de réseaux, et d’une vie académique dans un sens plus large, exige une analyse des transformations en cours non seulement au niveau des politiques scientifiques et pratiques institutionnelles, mais aussi des politiques culturelles – de plus en plus constitutives des premières – ainsi que des nouvelles formes de subjectivités à l’époque actuelle.

Pour ce faire, je propose d’ouvrir cette thèse avec un chapitre plutôt ethnographique consacré à la description de deux événements académiques, notamment deux colloques tenus, respectivement, à Delhi et à Londres et qui articulent certains des réseaux qui constituent mon terrain de recherche. Ce dernier concerne le colloque mentionné ci-dessus, auquel je reviendrai de manière plus détaillée afin de donner continuité et densité herméneutique à ce récit, et que je mettrai en relation avec le premier de manière à montrer la nature connectée de cet espace académique transnational. Je soulèverai ainsi un certain nombre de questions que je considère centrales à la compréhension des mutations qui font l’objet de cette thèse, et qui seront traitées de manière plus approfondie et systématique au fil des prochains chapitres. Mon intention ici est de présenter deux situations ethnographiques précises mais englobantes et connectées, de manière à restituer empiriquement la diversité de trajectoires et la complexité des situations et relations qui constituent de manière dynamique des réseaux académiques. En décrivant ces deux événements, j’espère pouvoir mettre en relief des traces prégnantes mais normalement naturalisées de la sociabilité académique à laquelle tout chercheur est habitué, et qui disent long sur des codes, plus ou moins partagés, et plus ou moins acceptés par les uns et les autres, mais toujours cruciaux pour la construction d’une carrière académique au présent.

Cet exercice plutôt descriptif ouvre la première partie dédiée à la question de la constitution des réseaux, toujours en prenant compte autant de leur dimension essentiellement académique, c’est-à-dire les mailles institutionnelles et les politiques scientifiques qui leur permettent d’exister, que de leur dimension sociale plus large, exprimée à son tour dans les liens de classe, caste, politiques et familiaux sous-jacents à ces réseaux. Plus précisément, il sera question dans cette première Partie d’interroger les dynamiques de reproduction de certains réseaux sociaux et, à la fois, les stratégies adoptées par les nouveaux-arrivants non seulement de ce milieu académique mais aussi social qui y est traditionnellement associé. Naviguer entre les nuances inhérentes à une diversité de trajectoires qui donnent chair et les principes qui président ces pratiques institutionnelles me permettra d’avancer l’argument de cette étude, soutenant notamment l’existence d’une série de transformations qui s’opèrent à présent au sein des circulations entre l’Inde et l’Europe. En somme, je voudrais suggérer que les différentes

trajectoires, parfois apparemment contradictoires ou déplacées par rapport à certains milieux, sont l’expression la plus représentative de ces transformations en cours, ou pour le dire autrement c’est précisément l’existence de trajectoires nouvelles à ce milieu qui atteste du fait que nous sommes en face de, pour paraphraser Strathern à propos de l’académie contemporaine, « one kind of culture on the make » (Strathern, 2000, p. 1.).

Pour ce faire, je réaliserai des mouvements analytiques complémentaires. J’esquisserai d’abord une analyse en surplomb qu’apportera initialement des éléments et outils nécessaires pour que nous puissions, ensuite, gratter sur le vernis. Cette stratégie investit dans la dimension multi-site de cette enquête et de son terrain composé de lieux géographiquement lointains mais amalgamés par le biais de la circulation de personnes, imaginaires, ressources et projets. Ce faisant, je tenterai de faire sortir les points à la fois de contact et de rupture qui produisent un espace social transnational où les frontières nationales deviennent plus ou moins poreuses pour les uns et sont renforcées pour les autres. Il serait question aussi d’étudier les manières dont des institutions et subjectivités sont réciproquement forgées par le biais de ces circulations.

Delhi, février 2017 : être au cœur de la vie académique delhiite

À la suite d’un long travail de terrain entre l’Angleterre et l’Allemagne, et après avoir rencontré un grand nombre de chercheurs d’origine indienne en Europe, il me semblait important de mettre ces discours et trajectoires en perspective par le biais d’une enquête auprès de ceux qui sont rentrés en Inde après une période d’études (et parfois de travail) sur le continent européen. Mon principal contact à Delhi, où la plupart de mon terrain indien a été conduit, était Saya, professeur à l’University of Delhi (DU) et dont j’avais fait la connaissance à Paris lors de sa participation à une réunion d’un réseau international en études globales composée par des chercheurs de plusieurs continents. Il est intéressant de le mentionner, car cela donne une idée de l’étendue de ces réseaux, Saya m’a été présenté par un étudiant indien à Paris qui, à son tour, était ami d’un autre étudiant indien que j’avais rencontré en Allemagne quelques mois plus tôt dans le contexte de mon travail de terrain dans ce pays10

. Par ailleurs, je

10

En ce qui concerne les circulations académiques entre l’Inde et l’Europe, la France demeure une destination, ou point de passage, moins proéminent comparée avec l’Angleterre, l’Allemagne et probablement les Pays Bas. Le nombre d’étudiants indiens dans les universités françaises est fort limité et les centres de recherche spécialisés en Asie du Sud comptent très peu de chercheurs d’origine indienne. L’INALCO fait figure d’exception par rapport à la présence d’enseignants sud-asiatiques (mais aussi, asiatiques en général et africains), mais leur position au sein des différents départements correspond à des enjeux très spécifiques à l’Institut. Faute d’espace, je ne pourrai pas me consacrer davantage à cette problématique, mais il suffit de souligner que la plupart des chercheurs indiens

rencontrerai d’autres étudiants de Saya à Londres, spécialement dans la salle Asian and African Studies de la British Library.

Lors de mon arrivée à Delhi, Saya m’accueillit, comme d’habitude, de manière très chaleureuse. L’un des événements auxquels il m’invita était un pot amical au Centre for the Studies of Developing Societies (CSDS). Il s’agit d’un moment informel de sociabilité à la veille de l’ouverture de la conférence Servants’ Pasts, 16th to 20th Century, co-organisée par l’University of Delhi (Inde), Re:Work - Humboldt Université de Berlin (Allemagne), ZMO (Leibniz-Zentrum Moderner Orient, Berlin, Allemagne) et CSDS, avec le soutien de l’European Research Council. En somme, un colloque articulant une large maille globale d’institutions qui ne fait pas figure d’exception, bien au contraire se constitue de plus en plus en terrain privilégié de rencontre d’une certaine classe de chercheurs intégrés – ou en voie d’intégration – à des réseaux de circulation entre l’Inde et l’Europe. Qui plus est, ces colloques organisés dans le cadre de grands projets de coopération entre l’Europe et l’Inde, généralement mais pas exclusivement financés par le premier11

, deviennent l’espace par excellence de viabilisation, par le biais de la consolidation de liens symboliques complexes et souvent précaires, d’une vie académique comme projet personnel.

Situé à Civil Lines – un quartier autrefois aménagé pour l’administration coloniale britannique et qui abrite aujourd’hui une classe très aisée ainsi que des bâtiments gouvernementaux –, le CSDS est un lieu prestigieux de la recherche en sciences sociales en Inde et un point d’ancrage important pour certains réseaux transnationaux qui constituaient mon terrain. Mes visites à cette institution étaient fréquentes, autant pour des entretiens que pour des événements auxquels je participais comme auditeur, mais aussi pour travailler dans sa petite et accueillante bibliothèque, installée dans un ancien bâtiment en style bungalow colonial

rattachés à cette institution, y compris quelques-uns que j’ai rencontrés, se consacre à l’enseignement des langues,

ce qui est une activité souvent considérée comme moins prestigieuse. Certes, une offre plus grande de journées d’études et colloques tenus en anglais ont contribué à une présence plus importante des chercheurs indiens rattachés à plusieurs institutions européennes, mais il n’en reste moins qu’une circulation systématique dans le cadre de projets de recherche et de coopération avec des universités indiennes restent rares en France.

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Au sujet de ce projet spécifiquement, le rapport préliminaire qui date de septembre 2017 affirme que, en raison du changement de gouvernement indien en 2014, le côté indien a rencontré des entraves bureaucratiques (ICAS:MP, 2017, p. 52). Ils mentionnent, par exemple, les problèmes liés aux subventions attendues de la part du gouvernement indien, qui n’ont finalement pas été versées. Cela ne veut pas dire, pour autant, que la circulation d’investissements est unidirectionnelle entre les deux régions : plusieurs des centres européens de recherche sur l’Inde et l’Asie du Sud ont été récemment fondés où élargis grâce aussi à de considérables sommes versées par le gouvernement Indien, qui devient un investisseur stratégique surtout pour les universités britanniques. Je reviendrai à cette question en profondeur dans le chapitre 7, où j’aborderai les rapports entre travail académique et engagement politique transnational. Toujours à ce sujet, étant donné l’alignement politique à l’extrême droite du gouvernement indien et sa présence dans les agences scientifiques, il ne serait pas absurde de suggérer qu’un projet mené par un centre de recherche notoirement de gauche soit délibérément boycotté.

donnant sur un agréable jardin. Des bureaux individuels distribués sur deux étages accueillent les chercheurs du centre dans un cadre privilégié de travail, à quoi s’ajoute une pelouse devant le bâtiment et qui fait office d’espace de sociabilité. Les recherches développées au CSDS se consacrent à des thématiques contemporaines très liées à la sphère du politique dans ses diverses configurations : soit dans leurs formes institutionnalisées (démocratie, élections, gouvernance etc.), soit moins institutionnalisées (mouvements sociaux et artistiques), « le politique » est scruté dans son croisement avec les domaines du religieux, de l’environnement, des médias, entre autres.

En arrivant au CSDS, vers 19h, je descends les escaliers vers une salle donnant sur une terrasse équipée à son tour d’un espace barbecue où la viande est préparée. Dans la salle, une quinzaine de personnes, en majorité des Indiens, mange et boit des boissons variées dans un cadre informel. La consommation des nourritures carnées et de l’alcool mérite une attention particulière parce qu’elle témoigne d’un style de vie associé à l’« intellectuel » moderne indien, séculaire et progressiste, quoiqu’un certain nombre ne partage pas de ces mêmes habitudes alimentaires. L’intégration dans les réseaux académiques dépend aussi de liens d’affinité intellectuelle et personnelle qui sont construits, certes, dans des contextes de sociabilité comme celui-ci, mais qui, en plus mobilisent des codes et des dispositions culturelles, sociales et politiques fondamentaux à la consolidation de liens forts. Ce répertoire d’inclinations et pratiques – tel que la consommation de viande et d’alcool, en Inde – n’est pas anodin dans la mesure où ces pratiques renvoient à des représentations de l’intellectuel moderne et cosmopolite. À cet égard, le végétarianisme, par exemple, peut être associé aux politiques religieuses fondamentalistes hindoues – ainsi que le yoga – alors que la consommation de viande s’avère un symbole de rupture avec les logiques traditionalistes du système de castes. Ce qui est en question ici, ce n’est pas seulement l’opposition à des cosmogonies provincialistes d’un hindouisme conservateur et puriste fondé sur le brahmanisme végétarien, mais aussi l’inscription dans un modèle de sujet indien moderne, comme je le montrerai en détail dans le chapitre 2.

À ma surprise, une partie considérable des gens présents m’était familière à la suite d’un long séjour que j’avais réalisé en Allemagne quelques mois plus tôt. Particulièrement des doctorants et post-doctorants, indiens et européens, qui étaient venus à Delhi pour participer à ce colloque – et je rencontrerai encore d’autres doctorants et jeunes chercheurs allemands le lendemain. Je comprendrai plus tard à quel point ces réseaux sont plus actifs, larges et interconnectés que je n’aurais pensé au départ, mais aussi qu’ils fonctionnent comme des

espaces d’attribution et circulation d’un capital symbolique fondamental à la construction de carrières dans un contexte de mobilité internationale accrue, incertaine et marquée par une dépendance structurale envers ceux qui occupent des postes permanents.

Saya, l’interlocuteur que j’ai mentionné initialement, est présent à la soirée. Professeur à la DU, il appartient à cette génération d’enseignants indiens seniors qui ont fait leurs études en Inde avant d’intégrer, à la fin des années 1990, des réseaux européens (voir indo-étatsuniens), à l’intérieur desquels ils jouent un rôle de facilitateurs de la circulation de jeunes chercheurs. Des gens comme Saya, qui transitent continuellement en Allemagne et en France dans le cadre de leur participation à des réseaux différents mais qui se superposent, représentent une génération qui a vécu tardivement la période de transition initiée vers le début des années 2000 de relative ouverture de ces circulations à un nombre moins limité d’académiques. Je rencontrerai nombre de cas similaires, c’est-à-dire de professeurs entre cinquante et soixante-dix ans qui, en ayant fait carrière (et très souvent leurs études) en Inde, jouent aujourd’hui un rôle central dans la circulation et intégration de jeunes chercheurs indiens qui partent en Europe pour leur doctorat et qui peut-être essayent d’y rester.

Grâce à un capital symbolique important, Saya incorpore le rôle ambivalent d’un personnage charismatique qui met ce capital au service de nouveaux-arrivants dans le milieu de manière considérée comme généreuse et désintéressée12

– très souvent en faveur de ses propres étudiants, avec qui il nourrit des relations très affectueuses, mais non seulement comme c’était le cas pour moi, – avec, à la fois, l’inévitable position d’autorité qui concentre ce capital dont un grand nombre de néophytes dépendent – même si ces relations prennent des formes apparemment symétriques, voire même amicales, en termes d’une certaine sociabilité quotidienne. Participer à ces colloques, qui s’inscrivent dans un projet consacré aussi à « enhance the careers of junior research fellows » (ICAS:MP, 2017, p. 82), signifie également participer à la circulation rituelle de ces dons dont les non-établis sont investis symboliquement – et mes interlocuteurs en étaient tous conscients. Soit à Delhi, soit à Londres, ou encore à Berlin, Saya a toujours été présent dans nos conversations au travers de son nom et de ses étudiants. En même temps, il représente une figure d’autorité qui semble exister malgré lui. Pendant le diner, par exemple, il me présente quelques-uns de ses étudiants, toujours avec grande affection, alors qu’eux se réfèrent à lui comme « Saya sir ». Le traitement prénom + sir

12

Pour une analyse de la notion de désintéressement dans le milieu intellectuel, voir les travaux et cours en sociologie historique de Gisèle Sapiro (2006, 2009, 2013).

est très courant à Delhi, n’étant pas restreint à Saya qui se montrait, à vrai dire, gêné auprès de moi. Évidemment, le terme sir n’était pas employé par ces étudiants avec qui on sortait dans les bars, par exemple, mais les rapports d’affection et en même temps hiérarchiques restaient présents par le biais d’une admiration affectueuse13

.

À l’occasion de cette soirée, je fais la connaissance d’un certain nombre de chercheurs qui deviendront eux-aussi mes interlocuteurs. Étant parti en Inde afin de rencontrer ceux qui y étaient rentrés – pour différentes raisons, et non pas forcément définitivement – après une période d’études et parfois de travail intermittent en Europe, je me retrouve à discuter avec Praneshacharyah et Rajkumar. Après avoir réalisé leurs études en Europe grâce à un