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PARTIE I : Eléments de compréhension de la spectroscopie de plasma induit par laser

1.3 L’analyse quantitative en LIBS

L’information lumineuse provenant de la désexcitation des particules émettrices du plasma peut être utilisée de différentes manières. Au-delà de permettre d’établir un diagnostic du plasma en évaluant sa température et sa densité électronique, cette émission s’avère précieuse pour obtenir des informations sur la nature de l’échantillon analysé. D’une manière qualitative d’une part, en renseignant sur la présence ou l’absence d’un élément spécifique, mais également de manière quantitative, en corrélant l’intensité d’une (ou plusieurs) raie(s) et la concentration de l’élément ayant émis cette raie dans l’échantillon.

1.3.1 Droite d’étalonnage

La LIBS étant une technique pas ou peu destructive, elle en devient logiquement un candidat à l’analyse quantitative. Dans ce but, l’étude des spectres LIBS peut se faire selon diverses approches :

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 Etalonnage externe[101] : cette technique, que nous utiliserons dans le chapitre 2, nécessite de travailler avec des échantillons certifiés ayant la même matrice et une composition élémentaire similaire à celle de l’échantillon.

 Etalonnage interne[102] : basée sur la présence (naturelle ou ajoutée) d’un élément étalon en quantité unique. Le dosage ne se fait alors plus de façon absolue à partir d’une droite d’étalonnage, mais de façon relative par rapport à cet étalon interne.

 Analyse chimiométrique[103]–[105] : utilisation des outils statistiques pour extraire à partir de données expérimentales à n dimensions des informations pertinentes ; dans ce cas un modèle prédictif. 3 techniques chimiométriques couramment utilisées en LIBS sont l’ACP (Analyse en Composante Principale), la régression PLS (Partial Least Squares) et les réseaux de neurones.

 Analyse autocalibrée, ou Calibration-Free (CF)[75], [106]–[108] : méthode basée sur la corrélation entre les spectres LIBS expérimentaux et la modélisation de l’émission d’un plasma en ETL. Une itération informatique permet de comparer les spectres mesurés et calculés pour aboutir à la composition élémentaire de l’échantillon analysé.

Cette section sera à présent focalisée sur la méthode de l’étalonnage externe, que nous avons utilisé dans la partie II de ce rapport. D’une manière générale, cette méthode vise à prédire à partir d’un jeu de variables expérimentales x, par exemple l’intensité d’une raie d’émission d’un élément des étalons, la valeur d’une inconnue i, dans ce cas la concentration de ce même élément dans un échantillon inconnu. L’étalonnage externe se déroule alors en trois étapes :

1. Les spectres relatifs à l’élément à quantifier sont enregistrés pour tous les étalons et l’intensité de la raie (ou de plusieurs raies) est tracée en fonction de la concentration de l’élément dans les étalons. Ceci nous permet d’en déduire une fonction, dans la majorité des cas de type linéaire y=f(x). Un exemple de droite d’étalonnage est donné en figure 1.3, issue du dosage du baryum dans une matrice de tétraborate de lithium (Ba II, 455,403 nm).

2. La seconde étape consiste ensuite à enregistrer le spectre provenant de l’échantillon inconnu et à extraire l’intensité de(s) la raie(s) choisie(s) précédemment selon le même protocole.

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3. Il ne reste alors plus qu’à injecter la valeur de cette intensité dans la droite d’étalonnage fournie par l’étape 1 afin de déduire la concentration de l’élément à quantifier dans l’échantillon inconnu.

La régression (linéaire ou quadratique) se fait principalement par la méthode des moindres carrés. Basée sur une analyse statistique, elle implique cependant des incertitudes sur le résultat. Afin d’évaluer les performances de l’étalonnage et par conséquent celles de la prédiction, plusieurs paramètres peuvent être considérés. Le premier, de façon générale le plus connu quand il s’agit d’étalonnage, est le coefficient de corrélation r (ou coefficient de détermination). Ce coefficient permet de vérifier si le modèle de régression choisi est pertinent pour décrire la relation entre deux variables x et y, dans notre cas entre la concentration d’un élément dans les étalons et l’intensité d’émission d’une raie associée à cet élément. Il est défini par :

𝑟 = 𝑐𝑜𝑣(𝑦,𝑥)

𝑆𝑦𝑆𝑥 1.22 où 𝑐𝑜𝑣(𝑦, 𝑥) = 1

𝑛−1𝑛𝑖=1(𝑦𝑖 − 𝑦𝑚)(𝑥𝑖− 𝑥𝑚). Dans cette définition, n est le nombre d’étalons, 𝑥𝑖 et 𝑦𝑖 la concentration d’un élément et l’intensité de sa raie associée pour l’étalon i (1 ≤ 𝑖 ≤ 𝑛), 𝑥𝑚 et 𝑦𝑚 les moyennes des concentrations et des intensités mesurées, et enfin 𝑆𝑥 et 𝑆𝑦 les déviations standards pour les valeurs x et y. Dans le cas d’un étalonnage linéaire, le coefficient de corrélation est équivalent au coefficient de corrélation de Pearson :

𝑟 = ∑(𝑥𝑖−𝑥𝑚)(𝑦𝑖−𝑦𝑚)

[∑(𝑥𝑖−𝑥𝑚)2∑(𝑥𝑖−𝑥𝑚)2]12 1.23 A noter que pour la calibration en LIBS, une valeur de r2 supérieure à 0,99 est considérée comme satisfaisante. Si ce coefficient permet de confirmer ou infirmer la validité d’un modèle de régression choisi, il est toutefois couramment admis qu’il ne peut à lui seul représenter la qualité dudit étalonnage. Pour cela, il est possible d’utiliser l’incertitude qu’induit la régression sur la mesure de la concentration d’un élément sur un échantillon inconnu.

Imaginons une régression linéaire de type y=ax+b : cette régression donne une incertitude sur les valeurs de a et b qui a pour conséquence de fournir un intervalle de confiance pour chaque valeur de y, défini par :

34 𝑦 = 𝑎𝑥 + 𝑏 ± 𝑡 × 𝜎𝑟𝑒𝑠[1 𝑛+ (𝑥−𝑥𝑚)2 ∑(𝑥𝑖−𝑥𝑚)2] 1 2 1.24

avec 𝜎𝑟𝑒𝑠 l’écart type résiduel et 𝑡le coefficient de Student définissant un niveau de confiance (typiquement 95%). Appliqué en chaque point de la droite de régression, on obtient une hyperbole de confiance entourant la droite. En considérant par la suite le nombre de répliques

p réalisées pour obtenir les valeurs des intensités, on peut alors définir des bandes de prédiction

plus étroites que les bandes de confiance et données par l’équation :

𝑦 = 𝑎𝑥 + 𝑏 ± 𝑡 × 𝜎𝑟𝑒𝑠[1 𝑝+1 𝑛+ (𝑥−𝑥𝑚)2 ∑(𝑥𝑖−𝑥𝑚)2] 1 2 1.25

Lorsque nous mesurons une intensité moyenne yinc pour un élément d’un échantillon inconnu, la droite d’étalonnage nous permet d’en déduire une concentration xinc. Les bandes de prédiction donnent alors, pour un niveau de confiance déterminé, deux valeurs x1 et x2 (figure 1.3) définissant un intervalle d’incertitude sur la déduction de la concentration inconnue :

𝑥2 = 𝑥𝑖𝑛𝑐+𝑡.𝜎𝑟𝑒𝑠 𝑎 (1 𝑝+1 𝑛)12 𝑥1 = 𝑥𝑖𝑛𝑐𝑡.𝜎𝑟𝑒𝑠 𝑎 (1 𝑝+1 𝑛)12 1.26

L’incertitude de la mesure en % de la concentration inconnue est alors donnée par𝑥2−𝑥1

𝑥𝑖𝑛𝑐 . Cette incertitude constitue un bon moyen pour évaluer la qualité de l’étalonnage.

Figure 1.3 Exemple de droite d’étalonnage entourée des bandes de prédiction. Elles permettent de déduire de la mesure de l’intensité dans l’échantillon inconnu (ici yu) une estimation de la concentration (xu) avec l’incertitude associée à cette estimation. Figure tirée de [109].

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Nous terminerons cette section en mentionnant les concepts de Limite de Détection (LdD) et de Limite de Quantification (LdQ). Ces limites correspondent respectivement à la plus faible quantité d’analyte que l’on peut distinguer du bruit de fond et à la plus faible quantité d’analyte que l’on peut quantifier, dans les deux cas avec une incertitude raisonnable et selon une méthodologie analytique déterminée. Comme le souligne Mermet [110], ces concepts sont compliqués à exploiter correctement. Ils dépendent de nombreux paramètres comme la fiabilité de l’instrumentation, la qualité des échantillons ou la gamme de concentration de l’étalonnage. De plus, ils peuvent s’exprimer analytiquement de différentes manières suivant que l’on considère la déviation standard du bruit de fond proche de la raie étudiée, la déviation standard relative du signal net (après correction de la ligne de fond), la détermination graphique à partir de la droite d’étalonnage, la méthode MDL (Method Detection Limit) ou l’incertitude de l’estimation de la concentration. Chacune de ces méthodes possèdent ses avantages et inconvénients et le choix d’une plutôt qu’une autre est encore sujet à discussions.

Nous emploierons dans ce rapport la méthode la plus courante aujourd’hui, à savoir la méthode dite 3s. Dans cette approche, la définition de la LdD reste arbitraire, car dépend du taux de risque choisi pour décider si un signal détecté est dû à l’analyte ou non : ici tout signal au-dessus du seuil de 3.σb avec σb l’écart type du bruit de fond, aura 99% de chance d’être dû à la présence effective de l’analyte. Elle présuppose également que les fluctuations du bruit de fond soient de type Gaussien, ce qui n’est pas toujours le cas et constitue donc une limite de la méthode 3s. Cette méthode est cependant facile à mettre en œuvre et à exploiter, les LdD et LoQ étant définis de la manière suivante :

𝐿𝑑𝐷 = 3.𝜎𝑏

𝑠 et 𝐿𝑑𝑄 =10.𝜎𝑏

𝑠 1.27

avec 𝜎𝑏 l’écart type du bruit de fond près de la raie d’intérêt et s la pente de la droite d’étalonnage.

Nous évaluerons les performes analytiques de notre système LIBS dans le chapitre 2 et verrons notamment que la LIBS permet de réaliser des étalonnages sur une large gamme de concentration en une seule fois, même si cela a pour conséquence de fournir des LdD et LdQ relatives à la gamme étudiée, qui ne sont pas donc les valeurs absolues théoriques du système expérimental.

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1.3.2 Effet de matrice et autoabsorption

La technique d’étalonnage externe que nous avons choisie pour nos expériences est, dans le cas de la LIBS, sensible à deux effets majeurs qui nuisent à la qualité de l’étalonnage : l’effet de matrice et l’autoabsorption. Le premier est lié au fait qu’une même concentration d’analyte dans deux matrices différentes (par exemple du titane dans du verre et dans un polymère) peut conduire à deux intensités d’émission différentes et mener par conséquent à des droites d’étalonnage différentes selon la matrice pour les mêmes conditions expérimentales. Cela peut être lié à des températures de plasma différentes[111] ou à une variabilité du volume de matière ablaté. En effet, l’ablation laser en régime nanoseconde est dépendante des propriétés physico-chimiques du matériau (coefficient d’absorption, conductivité thermique et/ou électrique…), deux matériaux différents vont donc très probablement mener à deux volumes d’ablation distincts. Au final, les pentes des droites d’étalonnage d’un analyte provenant de matrices disparates vont varier et fausser les analyses quantitatives. Il est cependant possible de remédier à l’effet de matrice par une normalisation du signal collecté, qu’elle soit réalisée par rapport à un élément de la matrice elle-même, la température, le volume de matière ablaté ou autre.

L’autoabsorption est la conséquence d’une spécificité du plasma LIBS, celui-ci n’est pas optiquement épais. Si cette particularité est fondamentale pour l’existence même de la LIBS, en ce sens qu’elle permet aux photons de s’échapper du plasma et donc d’être collectés pour analyses, elle peut également mener à l’absorption d’un photon émis par un autre élément au voisinage de sa trajectoire. Dans ce cas, la raie correspondant à la longueur d’onde de ce photon est élargie et son intensité sous-estimée. Il est à noter que la raie autoabsorbée est parfois reconnaissable par son « creusement » au niveau de sa partie centrale. D’un point de vue analytique, les intensités issues des étalons ne vont plus suivre une tendance linéaire : les hautes concentrations engendrant un signal sous-estimé, l’ancienne droite d’étalonnage devient une courbe adoptant un comportement quadratique (figure 1.4). Il est possible de limiter l’auto- absorption de façon empirique par un choix adapté de la raie d’émission : il faut pour cela éviter autant que possible les raies résonantes et celles provenant d’un atome dont la probabilité de transition est élevée. Si l’autoabsorption est quand même présente, il est alors possible d’en tenir compte en choisissant une régression quadratique et non plus linéaire comme modèle d’étalonnage.

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Figure 1.4 Illustration des conséquences combinées de l’effet de matrice et de l’autoabsorption. La droite bleue représente une régression linéaire provenant du dosage du calcium dans une matrice de verre. Les points noirs sont les données expérimentales du dosage de la même raie dans la même gamme de concentration sur un verre différent et la ligne noire est la régression quadratique associée à ces données.

1.3.3 Introduction à la CF-LIBS

Comme nous l’avons évoqué, l’étalonnage externe est très sensible à l’effet de matrice. La LIBS autocalibrée, ou Calibration-Free LIBS, est une procédure permettant de s’affranchir de cette difficulté. Mentionné initialement par Ciucci et al [112], elle offre un moyen d’effectuer des analyses quantitatives sur des échantillons particulièrement complexes et inhomogènes. L’idée générale est de considérer chaque mesure d’intensité comme auto-suffisante, ne nécessitant donc pas de référence à une courbe d’étalonnage. La LIBS autocalibrée requiert toutefois de poser quatre hypothèses :

1. L’ablation doit être stœchiométrique. Russo et al ont montré que cette condition est remplie pour des densités d’énergie supérieures au GW/cm2 [113], ce qui est généralement le cas en régime nanoseconde.

2. Le plasma doit être à l’ETL.

3. Le plasma doit être optiquement fin. 4. Les plasma est uniforme.

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Lorsque ces conditions sont remplies, les équations de Boltzmann et de Saha indiquent que la connaissance de la température, de la densité électronique et des données spectroscopiques des raies étudiées permettent de déterminer les populations des niveaux d’énergies de toutes les espèces. Il est alors possible de relier l’intensité d’une raie Ir mesurée à la population du niveau supérieur de la raie par :

𝐼𝑟 = 𝐹𝐶𝑥ℎ𝑐

𝜆 𝐴𝑖𝑗 1.28

où 𝐴𝑖𝑗 est le coefficient d’Einstein d’émission spontanée de la transition ij, h est la constante de Planck, c la vitesse de la lumière, λ la longueur d’onde de la transition, 𝐶𝑥 est la concentration de l’espèce x, et F un facteur expérimental dépendant de λ. En prenant plusieurs raies d’émission et en combinant l’équation 1.28 à l’équation de Boltzmann, nous pouvons tracer une droite de Boltzmann dont l’ordonnée à l’origine est donnée par :

𝑦𝑥 = ln ( 𝐹𝐶𝑥

𝑈𝑥(𝑇)) 1.29 avec 𝑈𝑥(𝑇) est la fonction de partition de l’espèce x. Le facteur F peut être obtenu en normalisant à 1 la somme des concentrations de tous les éléments présents dans l’échantillon :

∑ 𝐶𝑥 𝑥 =1

𝐹∑ 𝑈𝑥 𝑥(𝑇)𝑒𝑦𝑥= 1 1.30 Une fois F déterminé, l’équation 1.29 permet de déterminer la concentration (volumique) de chaque élément 𝐶𝑥. Enfin, nous ajouterons qu’il est également possible de remonter à la concentration des espèces si l’on connait la densité électronique du plasma. Dans ce cas, la densité de population Nx (proportionnel à Cx) de toutes les espèces peut être calculée à partir d’une densité électronique choisie arbitrairement, en général autour de 1017 cm-3. La somme de ces populations donne alors une nouvelle valeur de la densité électronique et de manière itérative, la densité électronique converge[112].

L’analyse quantitative par la méthode autocalibrée permet en théorie d’obtenir de bonnes performances analytiques, même en présence d’échantillons complexes. En pratique, elle rencontre certains obstacles[108], [114] comme le choix des raies d’intérêts, l’erreur associée aux probabilités des transitions ou aux données spectroscopiques pour certains éléments (notamment les gaz rares).

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1.4 Formation moléculaire dans les matériaux organiques sous