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2.1. Un contexte éducatif défavorable à l’expression de besoins éducatifs locaux

La difficulté majeure à laquelle est confronté le système éducatif français est d’arriver à concilier la logique d’uniformisation de l’éducation et la logique d’adaptation à la diversité des situations éducatives locales. Comme l'explique Bouvier (2009, §25), « La variété des situations territoriales, en termes d’économie, de culture, de composition sociologique des populations, de ressources, etc. oblige à imaginer une conception locale des questions d’éducation et à tenir compte de l’aménagement du territoire. ». Dans un pays où tout se définit en termes d’égalité, notamment d’égalité d’accès, le système éducatif français, confronté aux transformations majeures des sociétés contemporaines mondialisées « balance en fait entre égalité/uniformité nationale et adaptation aux problèmes sociaux territorialisés » (Van Zanten cité par Beillerot et Collette, 2003, p. 33). Pour Attali, Bazoge et Saint- Martin, (2011, p. 267), « la contradiction entre la recherche d’une culture commune à tous les Français et la nécessaire adaptation à la diversité des élèves, notamment culturelle, se fait jour, dans la perspective d’une lutte contre l’échec scolaire générateur d’échec social ». Cette contradiction s’exprime dans les programmes d’ÉPS.

En effet, pour Gleyse (2011b), l’organisation des programmes du secondaire autour d’un socle commun et autour de compétences propres et méthodologiques avec comme entrée les huit groupements d’APSA accorde davantage de crédit à

l’approche culturaliste en basculant du côté des savoirs et des techniques plutôt que du côté du développement de la personne. Par exemple, Combaz et Hoibian (2011) notent que les activités athlétiques, les sports collectifs et les activités gymniques sont mis en avant en tant qu’activités fondamentales depuis la publication des instructions officielles pour l’ÉPS de 1967. Or, ces trois activités font partie des APSA listées dans les nouveaux programmes de 2008 pour constituer la culture corporelle commune à tous les élèves français. Ce non renouvellement des pratiques sociales de référence est problématique dans la mesure où, comme le soulignent Combaz et Hoibian (2011), ces activités sont celles qui sont les plus rejetées par les élèves.

De plus, la logique d’uniformisation qui anime le système éducatif conduit à l’identification de savoirs cloisonnés en disciplines scolaires hiérarchisées, à leur restriction et à leur immobilité. Le caractère problématique de ce constat s’accentue avec le développement exponentiel des connaissances et la multiplication des sources non scolaires d’information. Plus les savoirs se diversifient, plus l’école légitime la transmission de savoirs culturels fondamentaux non renouvelés. Cette uniformisation et cette centration sur le savoir font écho aux difficultés du système éducatif à assurer l’égalité d’accès de tous les élèves à une culture commune. Comme le souligne Gleyse (2011a) à propos des programmes d’ÉPS:

Pour enseigner il suffit d’avoir un savoir académique, de l’autorité, du charisme et de faire régner la discipline. Connaître l’ensemble des méthodes pédagogiques est inutile. Exit, un siècle de recherches sur la meilleure façon de permettre aux élèves de toutes les catégories sociales d’accéder au savoir. (Ibid., p. 20)

Pour autant, selon Beckers (2007b, §47), on ne peut reprocher à l’école « son ambition de doter les élèves de savoirs et de savoir-faire généraux, applicables à de multiples situations puisque c’est précisément là son but ». Ainsi, si les programmes d’ÉPS sont orientés par une approche culturaliste, les connaissances, capacités et attitudes à développer chez les élèves qui apparaissent dans le troisième niveau de compétences à développer correspondent davantage à une approche

développementaliste de l’enseignement. Bien qu’orientés par une approche culturaliste, les programmes offrent des opportunités aux enseignants de développer des approches développementalistes. Ils sont donc confrontés dans la mise en œuvre de ces programmes à deux approches contrastées de l’enseignement de l’ÉPS. La tentative d’uniformisation qui pesait sur les programmes d’ÉPS au regard des orientations du système éducatif se solde par un compromis non équilibré entre deux approches de l’enseignement de l’ÉPS. De plus, la façon dont les programmes sont conçus ne détermine en aucun cas la façon dont ils vont être interprétés et mis en œuvre par les enseignants. Selon Legendre (2008, p. 46), « Tout curriculum est un objet socialement construit et négocié ». Il en résulte que la mise en application des programmes par les enseignants de l’éducation n’est uniforme qu’en théorie. Dans ce contexte, les enseignants sont amenés à faire des choix en fonction de leurs priorités que nous développons ci-dessous.

2.2. Un contexte éducatif favorable aux orientations de valeur privilégiées par les enseignants d’éducation physique et sportive

Les programmes d’ÉPS laissent une liberté pédagogique importante aux enseignants et favorisent per se une diversité de postures et d’interprétations amenant ainsi les enseignants à développer leur propre pratique d’enseignement en fonction de leurs OV. Sur les deux pôles d’un continuum, ils peuvent se situer entre l’option de délivrer un enseignement uniforme aux différents élèves, prescrit au niveau national, dans lequel est recherché la performance individuelle et collective des élèves et celle de délivrer un enseignement diversifié entretenant des liens étroits avec la réalité des élèves; ce dernier type d’enseignement serait adapté au contexte local dans lequel se trouve l’enseignant, pour lequel est recherché dans ce cas plutôt le développement personnel et collectif des élèves.

L’approche culturaliste se trouve questionnée dans ce continuum. En effet, elle pose certains problèmes quant aux défis que doivent relever les enseignants.

L’ÉPS est aujourd’hui au cœur d’un ensemble de questions de société liées à la santé, au bien-être, à la citoyenneté, à l’égalité des chances, à la laïcité ou encore à l’intégration des élèves à besoins spécifiques. Ces questions font de la classe d’ÉPS un lieu ou s’expriment des normes, des valeurs, des croyances ou des représentations véhiculées par la société. Face à ces nouveaux défis, les enseignants se mobilisent pour développer des OV alternatives à celles de performance et de compétition véhiculées par l’approche culturaliste. Cibler les résultats sportifs attendus dans les programmes, tout en voulant garantir l’égalité des chances, tient de l’impossible aux yeux des enseignants selon Beckers (2007a). D’autant plus pour Delaunay (2009) lorsqu’il s’agit de proposer en termes de compétences attendues des performances motrices et comportementales complexes et très précises, conçues pour des valides sportifs, qu’aucun handicapé ne pourra parvenir à réaliser. Ce constat renforce la nécessité pour les enseignants d’ÉPS de prendre position le long de ce continuum, comme l’explique Legendre (2008),

Le professionnel dispose tout au plus de repères, d’objectifs et d’exigences à respecter qui ne font qu’orienter sa démarche. Il lui appartient de sélectionner, dans un répertoire de ressources, celles qu’il juge pertinentes et de les combiner en fonction du contexte et du but à atteindre. (Ibid., 2008, p. 30)

Cela signifie, comme l’évoque Parlier (1994, cité par Legendre, 2008) qu’un même but peut être atteint par des dispositifs différents, une même réponse attendue produite par diverses démarches. Une telle vision de l’enseignement peut entraîner une grande diversité dans la mise en œuvre des tâches d’enseignement (planifier l’apprentissage, gérer l’interaction avec les élèves) par les enseignants selon les choix éducatifs qu’ils font et les OV auxquelles ils adhèrent. D’autant plus que ces choix ont des conséquences singulières sur l’apprentissage des élèves.

En outre, dans le contexte éducatif actuel, l’accentuation des tâches incombant aux enseignants est marquée par une autonomie pédagogique accrue. On attend des enseignants qu’ils soient capables de coopérer efficacement, de prendre des décisions,

de faire preuve d’initiative et d’engager leur subjectivité dans l’interprétation des prescriptions (Caritey, Erard, Merle et Werckerlé, 2011; Legendre, 2008).

Cette autonomie est d’autant plus difficile à endosser pour les enseignants d’ÉPS dans la mesure où ils ne disposent pas de manuels scolaires pour les guider dans leurs choix. Il existe des documents d’accompagnement (par exemple les fiches ressources annexées aux programmes) proposant des illustrations d’enseignement pour la mise en œuvre des programmes (MÉN, 2005). Seulement, la discipline ÉPS dans une société centrée sur le savoir et la transmission du savoir, dispose peu ou prou de matériel pédagogique clair et uniforme centré sur les contenus et méthodes d’enseignement de l’ÉPS. Pour Gauthier, Desbiens, Malo, Martineau et Simard (1997), cette spécificité conduit ainsi les enseignants à se servir des diverses connaissances et ressources teintées de valeurs pour structurer et dispenser leur enseignement. Pour une large part, ces connaissances et ressources proviennent de leurs formations initiale et continue, de leurs expériences personnelles et professionnelles ou encore, de revues, d’ouvrages et de sites Internet professionnels spécialisés.

Faire appel à la subjectivité des enseignants implique pour ces derniers de définir et clarifier les OV auxquelles ils adhèrent, les finalités qu’ils souhaitent poursuivre et les moyens qu’ils entendent utiliser pour les mettre en œuvre. C’est à eux de construire leurs logiques de l’intervention qui intègrent dialectiquement anticipation, agir et réflexion critique (Lenoir, Maubant, Hasni, Lebrun, Zaid, Habboub et McConnel, 2007) dans une tension entre les deux pôles du continuum. Dans ce cadre, l’intervention se définit selon Lenoir, Larose, Deaudelin, Kalubi et Roy (2002) comme:

Un praxis qui tient compte des intentions poursuivies et des attentes de l’État, de la profession, de l’intervenant, des sujets, ainsi que des contraintes relevant du contexte (social, culturel, économique, etc.) pour poser, en fonction de la qualité du jugement du praticien et des valeurs

auxquelles il adhère, un ensemble d’actes jugés efficaces pour conduire au changement attendu. (Lenoir et al., 2002, p. 8)

Cette spécificité, associée à la liberté pédagogique laissée aux enseignants d’ÉPS par les programmes institutionnels pour construire, développer et implanter leur modèle d’enseignement, conforte les enseignants dans la structuration de leur activité d’enseignement selon les OV qu’ils privilégient. Cela suppose cependant pour Guillemard (2010) d’avoir clarifié au préalable le modèle de société que l’on souhaite construire en commun. À ce sujet, nous considérons, à l’instar d’Huet (2000), qu’il n’existe pas de modèle optimal de l’enseignement, « chaque enseignant se construit « son » modèle, « son » approche de l’enseignement, pour répondre, à la fois, aux missions que lui confie l’institution et aux valeurs éducatives qu’il porte personnellement » (Ibid., 2000, p. 46).

Les enseignants disposent donc de libertés dans le choix des contenus à enseigner. Cette liberté s’exprime dans leur pratique d’enseignement in situ. Dans la section suivante, nous argumentons notre choix de partir dans ce contexte de l’analyse de la pratique d’enseignement pour éclairer les OV sous-jacentes des enseignants.