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Chapitre 3 La dynamique des substitutions linguistiques au Canada

3.3 Résultats

3.3.5 Analyse du choix linguistique des allophones au Québec

Si au Canada hors Québec presque toutes les substitutions linguistiques sont effectuées vers l’anglais, il en va tout autrement au Québec où le français et l’anglais constituent deux langues de convergence. Il n’y a pas de raison de croire a priori que le nombre de langues de convergence ait un impact significatif sur les taux de substitution linguistique. La Figure 3.3 montre en outre que la courbe de persistance linguistique du Québec est similaire à celle des autres régions canadiennes. Les forces sociolinguistiques qui sous-tendent les substitutions linguistiques (faible statut des langues étrangères par rapport aux langues officielles) sont les mêmes au Québec et au Canada hors Québec, ce n’est que l’attrait de l’une ou l’autre des langues officielles qui varie selon la région. Ainsi, la proportion des substitutions linguistiques réalisées vers le français révèle le statut relatif de cette langue par rapport à l’anglais, aspect fondamental de la dynamique linguistique au Québec. Dans un deuxième temps, les choix linguistiques sont donc modélisés en observant dans chacune des cohortes la proportion des substitutions réalisées vers le français, langue fortement majoritaire, mais codominante avec l’anglais dans la région de Montréal où s’installent la grande majorité des allophones.

Les allophones sont divisées en deux catégories « d’affinité linguistique » : francotropes et non- francotropes. Les allophones francotropes sont ceux dont les caractéristiques ethnoculturelles les prédisposent à réaliser une substitution linguistique vers le français. Aux fins de cette étude,

le caractère francotrope est déterminé empiriquement à l’aide du pays de naissance (pour les immigrants) ou de la langue maternelle (pour les natifs) : pour chaque groupe, un test binomial est effectué afin de déterminer si la proportion de substitutions linguistiques vers le français est significativement plus élevée que 0,5. Les allophones francotropes parlent généralement une langue latine ou sont originaires d’un pays dont la langue officielle est une langue latine, ou proviennent d’un pays de la francophonie. Les résultats empiriques ainsi obtenus sont similaires à ceux auxquels aboutissent d’autres méthodes plus théoriques (Castonguay 1994; Bélanger, Lachapelle et Sabourin 2011), sauf dans le cas précis des Italiens d’origine et des italophones, qui se retrouvent ici classés avec les non-francotropes, en dépit de leur origine latine.

La Figure 3.6A illustre la proportion des substitutions linguistiques réalisées vers le français au Québec pour les allophones de première et deuxième génération. On constate que la proportion d’allophones immigrants qui réalisent une substitution linguistique vers le français plutôt que vers l’anglais est relativement stable, autour de 70 %, et ce depuis le début des années 1980. On remarque également que la courbe a commencé son ascension avant les années 1970 et qu’elle l’a poursuivie jusqu’au début des années 1980. Chez les allophones de deuxième génération, la proportion des substitutions vers le français augmente de manière quasi linéaire durant toute la période allant de 1970 à 2006. La proportion rejoint même celle des immigrants allophones en 2006. Ce déphasage s’explique en partie par le fait qu’il y a un décalage entre l’immigration au Canada et la naissance des premiers enfants de seconde génération. Selon l’âge à l’arrivée, les changements observés dans la première génération se répercutent avec un certain délai dans la seconde.

Figure 3.6 Proportion des substitutions linguistiques effectuées vers le français au Québec

A. Population allophone immigrante ou née au Canada ; B. Population allophone née au Canada, selon l’affinité linguistique (francotrope ou non francotrope) ; C. Population allophone immigrante, selon l’affinité linguistique et l’âge à l’immigration ; D. Proportion de francotropes parmi la population allophone immigrante ou née au Canada. Source : Québec, recensement de 2006. Calculs de l’auteur.

La Figure 3.6B présente les données des immigrants de seconde génération selon qu’ils sont francotropes ou non francotropes. On note que la proportion des substitutions linguistiques vers le français augmente graduellement dans les cohortes récentes, et ce pour les deux groupes. Elle est plus marquée en absolu pour les francotropes (de 0,5 à 0,8), mais relativement plus importante pour les non-francotropes (de 0,1 à 0,3). Étant donnée la nature transversale des informations, cette progression pourrait alternativement indiquer que les substitutions vers le français sont plus fréquentes en bas âge, probablement en raison de la fréquentation obligatoire de l’école française imposée par la législation linguistique du Québec.

La Figure 3.6C explore l’évolution des substitutions linguistiques vers le français selon l’affinité linguistique des immigrants et leur âge à l’arrivée au Canada. On distingue les immigrants

arrivés alors qu’ils avaient moins de 15 ans (âge scolaire) des immigrants arrivés plus tard afin de bien marquer l’effet potentiel de la fréquentation de l’école française imposée par la législation linguistique québécoise adoptée à la fin des années 1970 (loi 101). Pour les immigrants arrivés à l’âge de 15 ans ou plus, on observe peu de variations dans les cohortes arrivées entre 1970 et 2006 : la proportion des substitutions vers le français reste relativement stable autour de 0,3 chez les non-francotropes (en légère diminution pour les cohortes récentes) et autour de 0,8 chez les francotropes (en légère augmentation pour les cohortes récentes). Pour les immigrants francotropes arrivés avant l’âge de 15 ans, on observe une augmentation importante des substitutions vers le français pour les cohortes des années 1970 suivie d’une relative stabilité autour de 0,8 à partir du début des années 1980. Chez les non-francotropes, l’augmentation est graduelle de 1970 à 2006, passant d’environ 0,2 à environ 0,5. Globalement donc, les données indiquent que les cohortes récentes d’allophones réalisent plus souvent une substitution linguistique vers le français que les cohortes plus anciennes, qu’il s’agisse d’immigrants ou d’individus nés au Canada. On remarque toutefois que l’évolution positive observée dans les sous-groupes (Figure 3.6B et Figure 3.6C) est moins marquée que celle observée pour les allophones dans leur ensemble (Figure 3.6A), ce qui laisse présager un effet de composition sous-jacent. La Figure 3.6D teste cette hypothèse en illustrant l’évolution de la proportion de francotropes au sein des différentes cohortes d’allophones (immigrants et nés au Canada) entre 1970 et 2006. La similarité entre les Figure 3.6A et Figure 3.6D est évidente : l’augmentation de la proportion des substitutions vers le français est fortement corrélée au changement de composition des cohortes d’allophones en termes d’affinité linguistique. Les cohortes plus récentes sont composées d’une proportion toujours plus grande de francotropes, ce qui a pour effet de faire augmenter la proportion des substitutions linguistiques effectuées vers le français.