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8. CONCLUSION 1. Synthèse

8.2. Ambivalence des stratégies de légitimation

En somme, ces différentes stratégies rendent compte d’une attitude ambivalente de la part des artistes japonais-e-s. D’un côté, les artistes japonais-e-s et l’ensemble de la communauté flamenca japonaise partagent cette idée que l’authentique source du flamenco se situe en Andalousie. Aussi, ils perçoivent le flamenco non seulement en termes de musique, mais également de culture dans le sens de coutumes, de vie quotidienne et de tradition. Par conséquent, ils adoptent la stratégie du « boundary crossing » pour travailler à devenir des « flamenco-as » et s’assimiler au groupe dominant des artistes espagnol-e-s. De plus, la circulation vers ce centre-symbolique est également une manière de se légitimer, car elle atteste de l’acquisition de connaissances « authentiques » car provenant de « flamenco-a-s natif-ive-s » c’est-à-dire d’« Espagnols, Andalous ou Gitans ».

D’un autre côté, les artistes japonais-e-s tentent de se distinguer du centre-symbolique, en dés-ethnicisant les frontières du flamenco et en les redessinant sous d’autres « cultural stuff » : en leur attribuant soit des origines orientales et un lien de similarité avec la tradition artistique japonaise (buto, kabuki, théâtre Nô, naniwa-bushi) ; soit une dimension universelle (les humains, l’art universel, le patrimoine de l’humanité, les émotions humaines) qui détachent le flamenco de son ancrage local lié à l’Andalousie. Cette stratégie a montré que les artistes japonais-e-s tentent ici de rendre les frontières du flamenco plus floues (blurring) et moins distinctes (brightening) afin d’atténuer la « différence culturelle » et par conséquent leur exclusion. En outre, la communauté flamenca japonaise crée ses propres lieux du flamenco (tablaos et peñas) et instances de consécration, face au monopole des instances espagnoles quant à la remise de titres et de prix169.

Toutefois, ces stratégies de distinction et d’assimilation relèvent de tentatives, car comme je l’ai présenté tout au long de ce travail, les tensions liées à la légitimité et l’authenticité des personnes par rapport à leur appartenance ethnique structure fortement le monde du flamenco. Nous avons vu que le flamenco est revendiqué comme « algo nuestro » par les

169 Comme je l’explique au chapitre 7.3, on retrouve un pourcentage minime d’étranger-ère-s nominé-e-s et participant aux festivals et concours en Espagne.

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artistes espagnol-e-s. De plus, la pratique du flamenco hors du « pays d’origine » ne fait que renforcer ce sentiment d’appartenance du côté des artistes espagnol-e-s. Ainsi, les tentatives d’assimilation des artistes japonais-e-s restent partielles du fait qu’ils/elles sont souvent considérés par leurs pairs espagnols comme « étranger-ères » à cette pratique. De même que les tentatives de distinction et d’autonomisation des instances japonaises de consécration, qui exercent un effet intérieur (c’est-à-dire sur le territoire japonais), n’excluent pas que la production du flamenco soit déterminée par les conventions et les références du centre-symbolique. En effet, l’association ANIF et la fondation MARUWA attribuent leur prix sur la base du respect et de la continuité du « flamenco traditionnel ». Les participant-es au concours doivent prouver qu’ils/elles ont assimilé les conventions idéologiques et esthétiques du « flamenco traditionnel ». De plus, la fondation MARUWA encourage, par l’attribution de bourses, à étudier en Andalousie. A mon sens, ces stratégies sont partielles étant donné que malgré cette indépendance institutionnelle japonaise, le milieu japonais du flamenco se définit en dernier ressort par rapport aux instances et aux références andalouses. Le fait que les artistes japonais-e-s attendent la reconnaissance « définitive » d’acteurs andalous (artistes, festivals, concours, instances publiques comme la Junta de Andalucia, la municipalité de Jerez) prouverait l’insuffisance de ses propres instances de consécration. A souligner qu’au sein même de la communauté japonaise, élèves, public, aficionados, propriétaires de tablaos ou directeur de la revue Paseo flamenco, valorisent le flamenco provenant du « lieu d’origine » et ses références traditionnelles liées au mythe fondateur.

8.3. Ouverture

En guise de conclusion, j’aimerai ouvrir la réflexion sur des thématiques parallèles émergeant de mon terrain.

La relation que possède la communauté flamenca japonaise avec le flamenco est particulière dans le sens où elle maintient des connexions extrêmement fortes avec l’Andalousie et l’Espagne, en invitant les artistes espagnol-e-s, ou par la collaboration entre agences et entreprises espagnoles et japonaises. Par exemple, l’agence de Tina Panadero a travaillé durant 35 ans (1981-2016) avec le tablao El Flamenco (actuel

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renommé El Garlochi 170). Quant à l’agence japonaise Iberia, celle-ci possède des appartements à Grenade et offre des pacs de voyages (cours de flamenco, cours d’espagnol et entrées dans les tablaos de Grenades) aux Japonaises. Cette agence produit plusieurs spectacles à Tokyo avec des célèbres artistes espagnol-e-s. Son directeur Teruo Kabaya possède également une peña flamenca à Grenade du nom de El Samurai. De même pour les personnalités comme Shoji Kojima, Yoko Komatsubara ou encore Siroco, ceux-ci contribuent à la diffusion du flamenco en produisant des spectacles avec en tête d’affiche des artistes espagnol-e-s reconnu-e-s par le milieu flamenco. Ces divers exemples montrent à quel point le Japon offre des opportunités de travail intéressantes pour les artistes espagnol-e-s et devient une nouvelle terre d’accueil du flamenco. On pourrait donc se demander : en quoi le capital économique de certains acteurs de la communauté flamenca japonaise participe-t-il au développement et à la production du flamenco espagnol ? Et quel est le degré d’implication des acteurs japonais dans le financement du flamenco tant au Japon qu’en Espagne ?

Enfin, le second phénomène que j’ai pu observer – et qui n’a pu être traité que partiellement – est cette attribution de prix et de certificats venant d’instances publiques espagnoles comme la Junta de Andalucia, la municipalité de Jerez ou encore les logos de l’Institut Cervantes de Tokyo et de l’ambassade d’Espagne sur certaines affiches de spectacles japonais. Les questions qui se sont posées lors de mon terrain et auxquelles je n’ai pu que brièvement répondre et qui mériteraient d’être approfondies sont : Sur quels critères ces instances publiques espagnoles se basent-elles pour attribuer ces titres, logos, prix, certificats aux artistes japonais-e-s de flamenco et quels sont les enjeux de ces titres de reconnaissance ? Ces questions demandent à explorer un nouveau terrain que sont les institutions espagnoles.

170 En août 2016, le tablao El Flamenco change de propriétaire après 49 ans, c’est Naoyuki Muramatsu qui reprend le lieu et le renomme El Garlochi.

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9. ANNEXES