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b Les aires CA1 et CA

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Parmi les fonctions qu’assurent l’hippocampe, l’aire CA1 est impliquée dans la détection de changements de configuration et/ou d’organisation spatiale d’objets familiers dans des environnements connus comme inconnus. Plus précisément, l’aire CA1 de l’hippocampe intéragirait avec le cortex postrhinal pendant l’exploration d’objets familiers placés dans une nouvelle configuration, alors que l’exploration d’un objet inconnue active fortement le cortex périrhinal seul (Wan et al., 1999). D’autre part, l’aire CA1 est aussi impliquée dans les processus de consolidation de la mémoire contextuelle. De façon complémentaire, l’aire CA3 est plutôt impliquée à l’élaboration de la répresentation du contexte lors de l’acquisition (Daumas et al., 2005). Cette région apparait aussi comme fondamentale dans la reconstitution d’un contexte connu à partir d’indices de l’environnement, le « pattern completion » (Guzman et al., 2016; Leutgeb et Leutgeb, 2007). De récents articles ont aussi mis en évidence que CA3, en interaction avec le DG, contribue à la fonction de « pattern separation » (Cf paragraphe ci-dessus) (Leutgeb et al., 2007; Reagh et al., 2018 ).

Les aires CA1 et CA3 sont ainsi très étudiées pour leur rôle dans la mémoire spatiale et la représentation spatiale de l’environnement. Dans les années 1970, il a été décrit un nouveau type de cellule parmi les cellules pyramidales de l’hippocampe : les cellules de lieu (« place cells » (O'Keefe et Dostrovsky, 1971). Ces cellules de lieu augmentent leur fréquence de décharge lorsque l’animal entre dans une place particulière de son environnement (Figure 18 ; A). On peut alors créer une carte de l’environnement retraçant le trajet de l’animal et permettant de visualiser la distribution spatiale de l’activation d’une cellule de lieu (Figure 18 ; B) permettant de déterminer son champ de lieu (Figure 18 ; C). Ainsi, chaque cellule de lieu va avoir un champ de lieu particulier dans l’environnement exploré par l’animal (Fenton et al., 2008). Les cellules de lieu de l’aire CA1 et CA3 ont été très étudiées et des différences subtiles

20 dans l’activité de leurs champs de lieu ont pu mettre être mises en évidence. Ainsi, le champ de lieu des cellules de lieu de CA1 seraient modulées en fonction de la motivation de l’animal à se déplacer. Plus la motivation de l’animal est forte, plus les cellules de lieu du CA1 s’activent, remodelant leur champs de lieu (Kennedy et Shapiro, 2009; Kobayashi et al., 2003). Cela suggère que la réprésentation spatiale dans l’aire CA1 serait relativement flexible. Inversement, les champs de lieu de CA3 seraient très peu modulables, suggérant que les cellules de lieu de CA3 coderaient plutôt pour une représentation purement spatiale de l’environnement (Dupret et al., 2010). De par ces propriétés de CA1 et CA3, l’hippocampe est fortement impliqué dans la navigation et dans la mémoire spatiale.

Figure 18 : (A) Schéma de l’activation d’une cellule de lieu d’un rat en mouvement dans un labyrinthe et analogie ave c une carte rep résentant l es champs de lieu de diff érentes ce llules de lieu. (B) Représentation des déplacements d’un animal dans un open field (tracé gris) et des potentiels d’action (rond bleu) d’une cellule de lieu lors de ce trajet. (C) Carte de chaleur en fonction de la fréquence de décharge de la cellule de lieu représentée en (B). D’après http://hargreaves.swong.webfactional.com/place.htm et brainconnection.brainhq.com/2006/01.

Dans le cadre du vieillissement normal, des déficits subtils de navigation apparaissent dans un groupe de personnes âgées (73 ans), que ce soit dans un envrionnement réel ou vituel, comparé à un groupe de personnes jeunes (23 ans), alors que ces deux groupes présentent un score MMSE semblable (Cushman et al., 2008). Les patients MA présentent en revanche de grandes difficultés dans les tests d’orientation et de localisation spatiale par rapport à des individus non-MA du même âge (Cushman et al., 2008; Possin et al., 2016; Zakzanis et al., 2009). Les souris modèles de la MA présentent elles aussi de forts déficits de mémoire spatiale (Cacucci et al., 2008; O’Leary et Brown, 2009; Possin et al., 2016; Walker et al., 2011), ce qui fait de la navigation spatiale un paradigme translationnel particulièrement intéressant pour étudier la MA (Possin et al., 2016).

La MA s’accompagne également d’une diminution du volume général de l’hippocampe (Aschenbrenner et al., 2018; La Joie et al., 2013), et toutes les régions sont impactées (Bobinski et al., 1995). Les aires CA1 et CA3 sont très touchées par la perte neuronale liée à la pathologie (Padurariu et al., 2012), et les neurones persistants présentent des altérations synaptiques (Scheff et al., 2007). Cela peut se refléter chez les patients MA, par l’altération de

21 la mémoire de reconnaissance d’objet dans un premier temps, puis par des perturbations de la mémoire spatiale (Didic et al., 2011). En effet, une étude longitudinale indique que des sujets porteurs de mutations FAD présentent une altération des performances de mémoire de reconnaissance des mots ou des visages 6 ans avant le diagnostic de MA (Fox et al., 1998). De même, les mémoires de reconnaissance d’objet, de localisation d’objet, ou de lieu sont aussi altérées par la pathologie que ce soit chez les patients (Cushman et al., 2008; Zakzanis et al., 2009) ou les souris modèles de la MA (Dodart et al., 1999; Wang et al., 2009; Zhang et al., 2012).

c. L’aire CA2

La sous-structure CA2 de l'hippocampe a été initialement identifiée par Lorente de Nò (Lorente de Nò, 1934), lui-même disciple de Santiago Ramón y Cajal, comme une région anatomiquement distincte de CA1 et CA3 (Kohara et al., 2013). Bien qu'il existe une littérature abondante sur les autres régions de l'hippocampe (CA1, CA3, et DG), les propriétés physiologiques et développementales du CA2 sont comparativement peu connues. Ce n’est que récemment que l’aire CA2 a été rétablie dans le circuit du traitement de l’information hippocampique (San Antonio et al., 2014). Bien que des cellules de lieu aient été signalées dans toutes les régions de la Corne d’Amon, des études récentes chez le rat ont montré que les cellules de lieu de l’aire CA2 ne semblent pas coder les lieux aussi efficacement que celles présentes dans CA1 et CA3. En effet, les champs de lieu des neurones de CA2 seraient réactualisés en réponse à un conflit entre un contexte connu par le passé et l’expérience actuelle de ce même contexte. Ainsi, les cellules de lieu seraient plus sensibles aux changements contextuels qu’aux changements spatiaux à proprement parlé (Lu et al., 2015; Wintzer et al., 2014), suggérant une contribution de l’aire CA2 dans la formation de la mémoire contextuelle (Alexander et al., 2016). De plus, il a été récemment mis en évidence qu’il existe dans l’aire CA2 une population de neurones particulièrement active lors de l’immobilité spécifiquement, suggérant un rôle dans la représentation de l’environnement lors de l’immobilité mais aussi dans le traitement mnésique lié à l’expérience (Kay et al., 2016). Les neurones pyramidaux de l’aire CA2 expriment des protéines différentes de ceux de CA1 et CA3 (Dudek et al., 2016; Piskorowski et Chevaleyre, 2013), permettant d’une part de délimiter ces sous-régions, et d’autre part de développer des souris transgéniques permettant la manipulation spécifique de l’aire CA2. Grâce à cette dernière approche, il a pu être démontré que l’aire CA2 joue un rôle crucial dans la mémoire sociale (Alexander et al., 2016; Hitti et al., 2014; Stevenson et Caldwell, 2014), ainsi que dans la modulation de la plasticité hippocampique (Boehringer et al., 2017; Caruana et al., 2012). Très récemment, il a même été mis en évidence le rôle de l’activité de la région CA2 dans la formation des « Sharp Waves

22 Ripples » (SWR) pendant l’éveil. Ces SWR hippocampiques sont des évènements fortement associés à la consolidation de la mémoire, représentant un mécanisme probable de transfert de la trace mnésique de l’hippocampe au néocortex pendant le sommeil (Buzsáki, 2015; Girardeau et Zugaro, 2011), ou pendant l’immobilité au cours de l’éveil (Kay et al., 2016). Dans le cadre de la MA, des altérations ont également été observées dans l’aire CA2. Il a été mis en avant que les patients MA présentent des diminutions de la calbindine D28K, une protéine de fixation du calcium, dans cette aire hippocampique (Maguire-Zeiss et al., 1995). Ces changements de l'homéostasie calcique affectent de nombreux processus cellulaires et peuvent participer à la cascade d'événements conduisant à un dysfonctionnement neuronal et à la mort des cellules (Heizmann et Braun, 1992). Une autre étude montre que des sujets porteurs de l’allèle ApoE4, et donc avec une forte probabilité de développer la MA, ont une diminution de l’activité du CA2 gauche avant même l’apparition des déficits cognitifs (Suthana et al., 2010). Or, il a été démontré qu’une perte de la transmission de l’aire CA2 menait à une hyperexcitabilité de l’hippocampe (Boehringer et al., 2017) pouvant ainsi contribuer aux déficits cognitifs précoces observés dans la MA. Lors de la progression de la MA, l’hippocampe en entier est impacté et donc l’aire CA2 aussi subit, comme les aires CA1 et CA3, une perte neuronale (Bobinski et al., 1995).

Étant donné l’importance de l’intégrité de l’aire CA2 pour le bon fonctionnement de la mémoire sociale (Hitti et al., 2014), le fait que cette région soit impactée au cours de la MA suggère un effet direct sur la mémoire sociale des patients. En effet, les patients MA ont de grandes difficultés à reconnaitre les visages familiers (Kurth et al., 2015; Mendez et al., 1992; Roudier et al., 1998). Cependant, la mémoire sociale en elle-même est peu étudiée chez les patients atteint de la MA car les difficultés à reconnaitre des visages sont considérées comme associées soit à la prosopagnosie (Ringman et al., 2017), soit à l’altération de la mémoire épisodique et sémantique (Werheid et Clare, 2007). Chez les souris modèle de la MA, quelques études ont mis en évidence une altération de la mémoire sociale chez les souris Tg2576 (Deacon et al., 2009), voir même une altération de la sociabilité dans un autre modèle, les APPswe/PS1(A246E) (Filali et al., 2011). Des travaux en cours dans l’équipe (thèse de C. Rey sous la direction de L. Verret et C. Rampon) indique que l’altération de la mémoire sociale chez les souris Tg2576, modèles de la MA, est bien liée à un dysfonctionnement de l’aire CA2, comme c’est le cas chez les souris Df(16)A+/- modèles de la schizophrénie (Piskorowski et al.,

2016).

L’hippocampe est donc une structure impliquée dans la mémoire contextuelle, épisodique et sociale mais cette liste n’est pas exhaustive. Son bon fonctionnement, comme celui de

23 l’ensemble du cerveau, repose sur un équilibre entre excitation et inhibition (E/I). La régulation E/I au sein de l’hippocampe est extrêmement fine et complexe, et d’importants dysfonctionnements peuvent survenir si l’une ou l’autre des composantes de cette balance est altérée (Boehringer et al., 2017), ce qui est le cas dans la MA (Brady et Mufson, 1997).

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III. La balance excitation/inhibition

Dans le cortex et l’hippocampe, on trouve plusieurs types de neurones qui peuvent être classés en 3 grandes catégories : les cellules granulaires, les cellules pyramidales et les interneurones (sous-entendu, inhibiteurs). La distinction entre ces types fondamentaux de cellules nerveuses a été faite il y a près de 100 ans par le neurobiologiste espagnol Santiago Ramón y Cajal, sur la base de critères morphologiques (Figure 19) (Lopez-Munoz et al., 2006). Aujourd’hui, on les différentie aussi par leur capacité à activer les neurones post-synaptiques, pour les cellules pyramidales et granulaires, ou à inhiber l’activation des neurones post- synaptique, pour les interneurones.

Figure 19 : Dessins origi naux de coupe de cervelet des premiers travaux d e Santiago Ra món y Cajal (1988). D’après (Lopez-Munoz et al., 2006).

Les neurones pyramidaux (Figure 20), cellules excitatrices, représentent environ 80-90% du nombre total de neurones en fonction des régions cérébrales. Ces neurones possèdent une longue dendrite apicale, orientée verticalement, plusieurs dendrites basales et un axone qui peut se projeter à de grandes distances dans d’autres régions du cerveau (Bekkers, 2011; Spruston, 2008). Si toutes les cellules pyramidales ont une morphologie commune, de nouvelles approches génétiques et moléculaires ont permis de mettre en évidence des sous- types distincts (Nelson et al., 2006; Spruston, 2008). Les cellules pyramidales reçoivent des milliers de contacts synaptiques et utilisent le glutamate comme neurotransmetteur permettant la dépolarisation de la membrane des neurones post-synaptiques (Figure 21 ; A). Elles sont en quelque sorte le support essentiel au traitement et à la transmission d’informations.

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Figure 20 : Relations ent re des cellules inhibitrices (cellule bistratifiée, c ellule chandelier et cellule à panier) et une cellule pyramidale. D’après (DeFelipe et Farinas, 1992)

Figure 21 : Modèles d’un réseau neuronal simpli fié en fonction de l’activation d’un neurone excitateur (A) ou inhibiteur (B)

Les interneurones (Figure 20) sont en comparaison peu nombreux (environ 10-20% du nombre total de neurones), mais chacun d’entre eux peut contrôler l’activité de plusieurs centaines voire milliers de cellules pyramidales par le biais de connexions synaptiques dendritiques, somatiques, péri-somatiques, ou axo-axoniques. L’activation d’un interneurone provoque la libération de neurotransmetteurs, GABA ou glycine, induisant une hyperpolarisation des neurones post-synaptiques (Figure 21 ; B). Ce sont donc les neurones responsables du contrôle « local » de l’activité d’autres neurones et sont très variés dans leur forme et leur fonction (Alger et Nicoll, 1982; Andersen et al., 1963; DeFelipe et Farinas, 1992) (cf introduction 4.e). Ils permettent le contrôle temporel et donc la synchronisation de la

26 succession de charges/décharges des neurones post-synaptiques, faisant émerger une activité neuronale rythmique/répétitive qui est appelée oscillation (Figure 22).

Figure 22 : Modèle d’activation d’une seule cellule générant des potentiels d’a ctions permettant de former une oscillation. Un potentiel d’action peut se former lors que la membrane de repos se charge positivement jusqu’au seuil d’activat ion de la cellule correspondant à la phase ascendante (A : charge, B : zone gri se) avant de retou rner à son potentiel de me mbr ane au repos en se chargeant négativement correspondant à la phase descendante (A : décharge, B : zone blanche). La succession de cette action permet la visualisation d’une oscillation. D’après (Buzsáki, 2006).

Les oscillations cérébrales, que l’on peut observer sur les enregistrements de grandes populations de neurones comme un électroencéphalogramme (EEG) ou un potentiel de champ (Local Field Potential, LFP), sont donc la conséquence de l’activation synchrone de populations de neurones. Selon Buzsáki: « la synchronisation est l'un des moteurs les plus persuasifs de la nature, allant des atomes aux neurones, du marché boursier à l'ouragan. La synchronie se produit lorsque certaines forces rassemblent les événements dans une fenêtre temporelle donnée, déterminée par une constante de temps systématique intégrée dans le système » (Buzsáki, 2006). Des oscillations peuvent ainsi être observées à toutes les échelles du vivant et de l’environnement, et nous ne pouvons imaginer un monde sans elles. En neurobiologie, la synchronisation de populations neuronales est un événement important voire indispensable au bon fonctionnement du système nerveux central (Buzsaki et Watson, 2012; Yizhar et al., 2011b). Dans toutes les aires cérébrales, l'activité des populations neuronales est constamment en changement entre synchronie et asynchronie en fonction des différents stimuli reçus du monde extérieur (Zheng et al., 2016; Zold et Hussain Shuler, 2015), mais aussi des signaux internes (Colgin et al., 2009; Kim et al., 2013; Stenner et al., 2014).

La synchronisation de l’activité neuronale est essentielle à la bonne propagation des informations mais aussi aux processus cognitifs (Singer, 1993). Par ailleurs, il a été mis en évidence que plusieurs pathologies associées à des troubles cognitifs, comme la schizophrénie (Chen et al., 2014; Nakazawa et al., 2012; Woo et al., 1998), l’autisme (Pizzarelli et Cherubini, 2011; Rapanelli et al., 2017; Takano, 2015), ou encore la MA (Brown et al., 2018; Frere et Slutsky, 2018; Lam et al., 2017; Palop et Mucke, 2009; Styr et Slutsky, 2018; Verret

27 et al., 2012) présentent une altération du fonctionnement des interneurones qui entraine un déséquilibre de la balance E/I.

Ainsi, l’équilibre de la balance E/I est complexe, fragile, et peut être perturbée par l’altération du fonctionnement des neurones inhibiteurs et/ou excitateurs. Par exemple, bloquer l’inhibition par le biais d’antagonistes des récepteurs au GABA (bicuculline, picrotoxin, pentylenetetrazol (PTZ)) provoque une activité anormale des cellules excitatrices, résultant en une hypersynchronie pouvant conduire à une crise d'épilepsie (Dhir, 2012; Klioueva et al., 2001; Ramwell et Shaw, 1965; Soderfeldt et al., 1981). De la même manière, amplifier l’excitation par le biais d’agonistes des récepteurs glutamatergiques (acide kaïnique) aboutit aux mêmes résultats (Bertoglio et al., 2017; Sperk et al., 1983; Sperk et al., 1985). Par ailleurs, ces agents pharmacologiques sont utilisés pour mimer l’épilepsie dans des modèles animaux. Ainsi, une des conséquences de l’altération de la balance E/I que l’on peut retrouver dans la MA est l’hypersynchronie neuronale plus communément appelée épilepsie.

« Epilepsy is an illness of various shapes— and horrible. » « L'épilepsie est une maladie de diverses formes— et horrible. » —Aretaeus of Cappadocia, ancient Greek physician (Temkin O (1994) The falling sickness: a history of epilepsy

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