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a Interneurones PV et plasticité cérébrale

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Au cours de la dernière décennie, la recherche sur la fonction des interneurones PV a bénéficié d’un bond en avant grâce au développement d’une lignée de souris PV-Cre par le groupe de Silvia Arber (Hippenmeyer et al., 2005), ouvrant la possibilité de manipuler cette population de neurones spécifiquement, et d’en observer les conséquences tant sur l’activité cérébrale que sur le comportement des animaux. Ainsi, au-delà d’avoir permis la réalisation des travaux princeps qui ont établi le lien de causalité entre l’activité des interneurones PV et l’émergence des oscillations gamma (Cardin et al., 2009; Sohal et al., 2009 ), ces souris se sont avérées être un outil précieux pour étudier la contribution des neurones PV dans la plasticité cérébrale en général, et dans les processus mnésiques en particulier.

La première mise en évidence du rôle des interneurones PV dans la régulation de la plasticité cérébrale concerne le système visuel, et plus précisément la mise en place de la dominance

55 oculaire au sein du cortex visuel primaire. En effet, le système visuel des mammifères juvéniles nécessite une maturation post-natale qui dépend de l’expérience et qui s’observe sur l’ensemble des voies visuelles aux niveaux cortical et sous-cortical. Il existe une période sensible, ou période critique, au cours de laquelle l’organisation des circuits corticaux est particulièrement influencée par l’expérience sensorielle (Figure 44) (Micheva et Beaulieu, 1997). Cette période critique a été largement étudiée en privant les animaux de vision par tarsorraphie, suture des paupières. Par cette approche, il a été montré qu’une privation monoculaire de quelques jours chez le singe, pratiquée avant sa huitième semaine, conduit à une amblyopie durable, c’est-à-dire à un déséquilibre d’acuité visuelle entre les deux yeux. Cependant, une inversion des sutures pratiquées pendant cette période (8 semaines post- natal) permet de restaurer la fonction de l’œil amblyope, ce qui constitue la démonstration d’une plasticité cérébrale dépendante de l’expérience (Hubel et al., 1977; Le Vay et al., 1980). Un autre moyen d’étudier la période critique est de priver les animaux d’informations visuelles en les élevant dans l'obscurité totale, ce qui a pour conséquence de prolonger la période de sensibilité de la dominance oculaire et donc de repousser dans le temps cette période critique (Figure 44) (Cynader et Mitchell, 1980; Fagiolini et al., 1994; Mower, 1991). Chez les souris déficientes pour une isoforme de l'enzyme de synthèse du GABA (GAD65-KO), il n’y a pas de décalage de la période critique malgré l’obscurité. De plus, la privation monoculaire chez ces souris ne provoque pas de déséquilibre d’acuité visuelle entre les deux yeux (Hensch et al., 1998). Ces travaux indiquent que la présence de GABA est critique, voire nécessaire, pour la mise en place de la plasticité corticale dépendante de l’expérience au cours de cette période critique. Afin de vérifier cette hypothèse, les auteurs ont par la suite injecté un activateur allostérique (diazépam) des récepteurs aux benzodiazépines, permettant de potentialiser la réponse des récepteurs GABA, dans le cortex visuel de souris GAD65-KO soumises à une privation monoculaire, et ont montré que cela était en mesure de rétablir une dominance oculaire et donc la maturation corticale (Hensch et al., 1998). Inversement, réduire la transmission inhibitrice dans le cortex visuel de rat adulte (>P85), par le biais d’un inhibiteur de la GAD (3-MPA), permet de rouvrir la période critique en réponse à la privation monoculaire (Harauzov et al., 2010). Cela suggère que la période critique serait modulée par la transmission GABAergique, et donc par l’activité des interneurones inhibiteurs (Figure 44). Parmi les interneurones présents dans le cortex visuel, les interneurones PV sont ceux innervant les somas (pour les cellules à panier) ou les axones (pour les cellules chandeliers) des neurones pyramidaux. De plus, l’expression de PV dans le cortex visuel des rongeurs ne commence que 12 jours après naissance, soit légèrement avant le début de la période critique (Del Rio et al., 1994). Cette observation suggère un rôle de la maturation des neurones PV dans la mise en place de la période critique. En effet, les souris sur-exprimant le facteur

56 neurotrophique BDNF, connu pour accélérer la maturation du système visuel et donc d’avancer la période critique (Figure 44) (Cabelli et al., 1995), montrent une maturation accélérée des interneurones PV par rapport aux souris de souche sauvage (Huang, Z. J. et al., 1999). Les interneurones PV dans le cortex visuel controlatéral à la privation monoculaire présentent moins de marqueurs d’activation cellulaire (C-Fos et Arc) après stimulation visuelle, que dans le cortex ipsilatéral (Mainardi et al., 2009; Yazaki-Sugiyama et al., 2009). Ainsi, le recrutement bilatéral des interneurones PV du cortex visuel semble être nécessaire pour permettre la plasticité dépendant de l’expérience.

Figure 44 : Évolution temporelle de la période critique de dominance oculaire en fonction de la privation monoculaire ou de l’applications d’agents pharmacologiques. La sensibilité à la privation monoculaire est li mitée à une période critique qui commence che z la souris e nviron une semaine après l'ouverture des yeux (au13è m ejour après la naissance) et atteint son maximu m un mois

après la naissance. La privation monoculaire ne provoque l’amblyopie que si elle a lieu au cours de la période critique. Les cercles rouges indiquent l'apparition, le pic et la fin de l'amblyopie résultant d'une privation monoculaire. L'appariti on de la p lasticité peut être retardée en empêchant directement l a maturation de la transmission médiée par le GABA (par suppression ciblée du gène de Gad65), ou par l'élevage à l'obscurité dès la naissance (flèche rouge). À l'inverse, la période critique peut être avancée en potentialisant la transmis sion du GABA avec des ben zodia zépines just e après l'ouverture des y eux ou en favorisant la maturation rapide des interneurones par le biais de la surexpression du facteur neurotrophique BDNF (flèche bleue). D’après (Hensch, 2005).

En conclusion, pendant le stade juvénile, la mise en place de la période critique de plasticité corticale est intimement liée à la maturation des interneurones PV. Sachant que les interneurones PV sont aussi impliqués dans la modulation des réponses sensorielles chez l’adulte (Cardin et al., 2009), on pourrait poser l’hypothèse que la plasticité induite par l’expérience récente, nécessaire au bon déroulement des processus cognitifs, est sous-tendue par une régulation de l’état de maturation des interneurones PV d’un individu adulte.

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