• Aucun résultat trouvé

Agriculture et environnement en France :

Agriculture et environnement en France :

scénarios à l’horizon 2025

Sébastien Treyer et Gabriel Lecat

Direction des études économiques et de l’évaluation

Un autre élément majeur de la réflexion du groupe de La Bussière a consisté à s’appuyer sur une analyse rétrospective des relations entre agri- culture et environnement en France, de 1960 à 2005. Cette analyse des évolutions passées a mis en évidence la pluralité des réseaux d’acteurs qui sont en émergence tant dans le monde de l’environnement, où différents types d’enjeux sont envisagés sans être tous compatibles, suivant que l’on privilégie la qualité de la vie, la production de biocarburants, la protection de la nature et de la biodiversité ou la protection des ressources en eau « uti- les » par exemple, que dans le monde de l’agriculture, pourtant héritier d’une spécificité et d’une unité face au reste de la société. Cette pluralité dans chacun des deux mondes pourrait conduire à l’avenir à des reconfigurations des relations entre les acteurs, qui auront un impact fort sur la manière dont les thèmes environnementaux seront définis et pris en charge.

En tenant compte de ces deux cadrages principaux, quatre scénarios différenciés ont été construits en faisant des hypothèses contrastées sur les trois dimensions suivantes :

• comment s’exprime en 2025 la demande sociale d’environnement (sur quel thème, par quel réseau d’acteurs, à quel niveau géographique), et com- ment se traduit-elle en une régulation environnementale ?

• quel est le modèle agricole dominant en 2025 ? • quelle est la logique d’usage de l’espace en 2025 ?

Ces quatre scénarios présentent donc quatre états possibles du secteur agricole en 2025, en lien avec un type de régulation environnementale, et ayant chacun un impact différencié sur l’état de l’environnement. Chaque scénario fait l’objet d’une représentation cartographique hypothétique de la localisation des productions en France et d’un chiffrage d’ordres de gran- deur d’un certain nombre d’indicateurs économiques et environnementaux. Aucun des quatre scénarios n’est apparu invraisemblable, plusieurs pouvant même être considérés comme relativement tendanciels.

1. La France des filières, l’environnement agro-efficace

Le premier scénario, « La France des filières, l’environnement agro- efficace » décrit une situation où la priorité assignée à l’agriculture fran- çaise, dans un contexte de compétitivité économique accru, est de conser- ver son rang comme leader agro-industriel en Europe. L’agriculture est for- tement intégrée dans un système agroalimentaire dont les normes s’impo- sent aux producteurs. La demande environnementale s’exprime via les or- ganisations de consommateurs, préoccupés par une garantie de sécurité sanitaire et alimentaire. Un cadre réglementaire fixe des objectifs pragma- tiques concentrés sur la qualité des produits et sur les ressources en eau. Il s’en suit une adaptation essentiellement technologique aux problèmes environnementaux, axée sur une prise en charge des flux de polluants alors

que, dans le même temps, les pressions sur l’espace s’accroissent. Le dé- veloppement de biocarburants à large échelle exprime le plus nettement l’offre environnementale émanant de l’agriculture. Dans ce scénario, les contributions positives de l’agriculture en termes de paysage et de biodiversité ne viennent que lorsque les produits agricoles portés par les filières peuvent valoriser une image environnementale. On s’oriente plutôt vers la constitu- tion de petites « réserves » (zones Natura 2030) perdues dans un océan de médiocrité environnementale. Il peut en découler des conflits latents, portés par les « perdants » de ce scénario : les environnementalistes – voire les distributeurs d’eau – qui exigent mieux qu’un environnement « aux nor- mes ».

2. L’agriculture duale : une partition environnementale

Pour gérer cette tension entre recherche de productivité et environne- ment, le deuxième scénario : « L’agriculture duale : une partition environnementale » envisage qu’en 2025 la séparation entre agriculture pro- ductive et agriculture générant des impacts environnementaux positifs est assumée pour conserver les deux ‘modèles’. Cette séparation se traduit dans tout l’espace européen et particulièrement en France. Mais la coexis- tence de ces deux types d’agriculture ne se fait pas spontanément : elle repose sur des politiques publiques et des réseaux d’acteurs qui gèrent un partage du territoire, fruit d’un compromis politique européen qui s’impose aux territoires. Les politiques publiques traduisent cette dualité :

• dans les zones productives, des objectifs minimaux en matière d’envi- ronnement et de sécurité sanitaire sont définis ;

• dans les zones « douces », les aides favorisent des systèmes souscri- vant au respect de conditions « structurelles » : présence de surfaces de compensation écologique, diversité de rotations, promotion d’élevage her- bager, bilan azoté contraignant…

On retrouve dans les zones productives des pratiques essentiellement fondées sur une gestion des flux optimisée, mais sous contrainte de produc- tivité. Les pressions sur l’environnement sont fortes, comme dans le pre- mier scénario. Au contraire, dans les zones douces, l’accent est mis sur le maintien d’espaces multifonctionnels et sur une maîtrise d’ensemble du ni- veau de production : l’amélioration d’ensemble est notable, du fait de critè- res structurels combinant exigences dans la diversité des espaces agricoles et de gestion des flux. Des pratiques de gestion environnementale fines, nécessitant un savoir faire que les exigences structurelles ne peuvent inté- grer, peuvent néanmoins être perdues localement.

3. L’Europe des régions, un patchwork aux résultats

environnementaux contrastés

Dans le scénario 3, « L’Europe des régions, un patchwork aux résultats environnementaux contrastés », l’Europe des régions est devenue une réa- lité en 2025. L’agriculture est désormais un secteur économique comme un autre, sans politique agricole commune. Les produits des régions se con- frontent sur le marché européen. Dans un contexte de concurrence accrue entre territoires, chacun s’emploie à faire valoir ses avantages compétitifs, en s’organisant au niveau régional. Les territoires sont les lieux où se négo- cient et s’élaborent autant de modèles agricoles. Les projets locaux de ges- tion environnementale sont élaborés en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, ce qui conduit à des objectifs environnementaux adaptés aux demandes locales. Contrairement aux scénarios précédents, il n’y a pas de mode d’action unique en termes de gestion d’espaces multifonctionnels (de leur destruction à leur « co-production » par l’agriculture) ; les modali- tés de gestion des flux sont extrêmement variables, depuis une simple an- nonce d’obligation de moyens peu contraignants (mais rares dans une situa- tion où l’évaluation locale est devenue la règle) à une prise en charge volon- taire des flux. Dans ce scénario, l’état de l’environnement s’inscrit dans un gradient allant de réels succès agri-environnementaux (combinaison d’une demande environnementale forte et de qualité, de systèmes agraires dans un environnement préservé) à une absence de prise en charge effective (absence de demande environnementale, systèmes agraires agressifs dans un environnement déjà dégradé).

4. Une agriculture ‘Haute performance environnementale’

Le scénario 4 : « Une agriculture ‘Haute performance environnementale’ » repose sur une rupture consistant à considérer l’environnement non plus comme une contrainte mais comme une opportunité pour l’agriculture, no- tamment pour défendre la spécificité du secteur. En 2025, les attentes environnementales sont au cœur des demandes de la société européenne. L’intégration des normes environnementales dans le comportement des con- sommateurs restructure le fonctionnement économique et politique de l’Eu- rope. Un modèle d’agriculture « Haute Performance Environnementale » est défini. Il s’appuie sur la base de l’agriculture biologique, dont il fait évo- luer les termes techniques – en conservant néanmoins le non-recours à des produits de traitement phytosanitaire – et économiques pour en faire un modèle de portée européenne. Ce modèle est défendu et implique un pro- tectionnisme sanitaire et environnemental assumé. Cette mutation profonde passe nécessairement par un « contrat » social et politique particulièrement fort, comparable à celui qui prévalut à la mise en place de la PAC dans les années soixante. Elle nécessite une forte intensité en main d’œuvre, tant en termes quantitatifs que qualitatifs, au regard des savoir-faire mobilisés. L’état

environnemental qui résulte de cette intégration technique entre économie et environnement correspond à une évolution très significative de l’état des paysages, de la biodiversité sur l’ensemble des territoires. Les espaces agri- coles gagnent en fonctionnalité écologique, et permettant une restauration des espèces communes et remarquables qui en dépendent, même si le maintien d’une activité agricole plus dense sur tout le territoire peut ne pas convenir à toutes les espèces. La situation des ressources et des risques naturels s’améliore, notamment du fait de l’abandon des phytosanitaires. La réparti- tion plus homogène des productions conduit à une moindre consommation d’énergie.

Ces quatre scénarios montrent que des évolutions importantes sont à venir, quel que soit le scénario, et que de nouveaux partenaires apparaîtront sur la scène agricole. Ils désignent aussi, pour tous les acteurs en présence, des espaces de choix et un certain nombre de contraintes. Pour les politi- ques publiques, en particulier, ils illustrent que la régulation entre agriculture et environnement pourra se faire selon des modalités distinctes, et ils don- nent de premières pistes pour imaginer les impacts différenciés des divers systèmes de régulation possibles.

1. Nature et enjeux des risques en agriculture

La production agricole est une activité structurellement exposée au ris- que du fait de l’incertitude sur le niveau des prix et sur les rendements. La variabilité des rendements résulte principalement des aléas climatiques tan- dis que la variabilité des prix provient notamment de la saisonnalité des pro- ductions, du caractère plus ou moins périssable des denrées produites, de la faible élasticité de la demande de produits alimentaires, de la dépendance de la demande aux aléas climatiques et sanitaires.

Par ailleurs, les agriculteurs supportent également un risque sur le re- venu qui provient de l’instabilité des politiques agricoles et de l’existence d’irréversibilités. Ainsi, les agriculteurs ayant opté pour des contrats territo- riaux d’exploitation (CTE) herbagers en 2000 courent le risque en 2006 de voir le montant de leur DPU réduit.

Selon le ministère de l’Agriculture américain (USDA), les agriculteurs doivent faire face à cinq catégories de risque qui reprennent les trois types de risques déjà évoqués ci-dessus :

• les risques de production résultent de l’incertitude sur les rendements et sur la croissance des animaux du fait des aléas climatiques et sanitaires. Ces aléas peuvent affecter la qualité et la quantité de la production ;

• les risques de marché sont relatifs à l’incertitude sur les prix de vente des productions et d’achat des intrants. Le risque de marché est variable d’une production à l’autre ;