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Accepter une approche différente pour l’élevage

4. Pistes pour une nouvelle politique agricole

4.3. Accepter une approche différente pour l’élevage

Autant les raisonnements qui précèdent – et notamment ce qui concerne les marchés – s’appliquent sans grand problème aux grandes cultures et même aux cultures spécialisées, autant la problématique de l’élevage est différente. Or, il s’agit là d’un secteur essentiel : un tiers de la SAU fran- çaise est composé de surfaces toujours en herbes (STH) ; plus du quart du revenu agricole français provient des viandes bovines et ovines et du lait. En 2003 on comptait encore plus de 300 000 exploitations détenant au moins un animal et ces exploitations représentaient les deux tiers de la SAU fran- çaise.

La première raison qui pousse à traiter l’élevage à part tient au rapport de prix existant entre marchés mondiaux et prix européens. À la différence des céréales et malgré les baisses des prix d’intervention décidées en 2003, les prix mondiaux sont encore de 30 à 50 % inférieurs aux prix européens. Il est vrai que la notion de marché mondial est plus difficile à appréhender que pour les grains : la part des échanges sur la production est bien inférieure à 10 % ; il n’existe pas de mesures fiables pour suivre l’évolution des mar- chés qui ne font l’objet d’aucune cotation de référence sur les marchés à terme (les contrats de Chicago ne sont représentatifs pour la viande bovine qu’à l’échelle nord américaine et indirectement pour la zone « propre » c’est- à-dire indemne de fièvre aphteuse)(4).

La logique de la baisse des prix pratiquée lors de la réforme de 2003 n’a pu avoir les mêmes résultats que pour les céréales : les prix européens res- tent fortement décalés des prix mondiaux : la viande bovine brésilienne par- vient même à pénétrer en Europe en acquittant les tarifs douaniers du ré- (4) Le marché mondial de la viande bovine est divisé en deux : la zone « propre » sans fièvre aphteuse, ou zone « pacifique », qui comprend l’Amérique du Nord, le Japon et l’Australie notamment ; et la zone « sale » où il faut vacciner contre la fièvre aphteuse qui comprend le gros de l’Amérique du Sud, l’Europe, le Bassin méditerranéen… La différence de prix entre les deux zones va parfois du simple au double. Le développement de la maladie de la vache folle a encore compliqué les choses !

gime de droit commun, hors tout contingent tarifaire. Sauf à baisser encore de manière drastique les prix européens, on ne peut tabler, même à long terme sur une convergence avec les prix mondiaux.

C’est en partie ce qui explique que, dans les années quatre-vingt, le choix ait été fait de mettre en place des quotas laitiers afin d’endiguer l’hémorra- gie financière de l’OCM lait. Ces quotas ont été maintenus par la réforme de 2003 au moins jusqu’en 2013. À l’origine, les quotas avaient pour objectif de maîtriser la production et il n’était pas prévu d’en faire un outil de gestion du territoire. La gestion des quotas a été fort différente d’un État à l’autre : certains pays ont choisi de libéraliser leur marché des quotas, favorisant ainsi la concentration des exploitations laitières (Danemark, Pays-Bas), d’autres comme la France ont conservé un contrôle assez strict des structu- res en favorisant des exploitations moyennes (215 000 litres contre 460 000 aux Pays-Bas et 660 000 au Danemark). Ceci n’a pas empêché une forte diminution du nombre d’exploitations qui s’est accompagnée dans nombre de régions d’une véritable « crise morale ». En ce qui concerne la viande bovine, sévèrement secouée par la crise de la vache folle, les primes à la vache allaitante correspondent, dans les faits, à une forme de recouplage.

L’autre raison de considérer l’élevage de manière particulière est son rôle dans l’occupation des territoires les plus défavorisés ; c’est aussi sa place dans l’imaginaire des citadins (il y a toujours des animaux dans la ferme des enfants tout comme dans les Contes du chat perché de Marcel Aymé !). On en sait les contraintes supplémentaires en termes de bien-être animal mais cela justifie encore plus la présence de l’animal dont la fonction est moins de produire du lait et de la viande, de tondre le gazon que de maintenir l’occupation de l’espace.

Tout ceci explique que, pour le lait et la viande, il soit impossible d’envi- sager comme pour les céréales l’abandon de toutes les mesures de gestion des marchés. C’est aussi pourquoi le découplage total serait pour l’élevage encore plus absurde qu’ailleurs.

Que proposer alors ?

Le maintien d’un système de quotas ou de « droits à produire » pour le lait et les troupeaux allaitants (bovins et ovins) au moins pour les régions les plus sensibles et en s’appuyant sur un modèle extensif (charge maximale d’UGB à l’hectare). Ces quotas devraient être liés à la terre et donc inces- sibles et feraient en fait partie de l’enveloppe de primes et d’aides directes négociée dans le cadre contractuel que nous évoquions plus haut. Lait et viande, intégrés dans ces quotas, bénéficieraient de paiements compensa- toires spécifiques (deficiency payments) assurant la différence entre le prix d’objectif (target) et le prix de marché. En fait, nous reproduisons là le système existant aux États-Unis et au Canada pour le lait.

Faut-il suivre pour autant la Commission dans sa volonté implicite de supprimer la totalité des quotas laitiers à l’horizon 2013 ? Si tel devait être le cas – à l’exception donc des zones sensibles – il serait de toute manière

nécessaire de maintenir une protection du marché européen et probable- ment un système d’intervention – limité – pour la poudre et le beurre. En tout état de cause, si le système des quotas devait disparaître, il serait né- cessaire de maintenir, au niveau du contrôle des structures les gardes fous nécessaires pour éviter le développement d’exploitations intensives en hors- sol, d’usines à lait ou à viande.

Le problème pour les viandes bovines et ovines est différent dans la mesure où l’Europe est déjà importatrice. Une fois protégés, les systèmes extensifs nécessaires à l’aménagement du territoire, tout le problème sera d’aménager l’accès au marché communautaire

Il y a incontestablement une spécificité de l’élevage. C’est d’ailleurs là que les conditionnalités – et donc les contraintes – ont été les plus sévères. C’est là que l’idée de découplage total des aides n’a à peu près aucun sens. C’est là aussi que les contraintes OMC semblent les plus faciles à gérer pour un espace européen qui n’a plus vocation à être exportateur sur un marché mondial particulièrement étroit. C’est là enfin que la spécificité fran- çaise, en termes d’espace et de gestion des territoires, est la plus grande et justifie d’un traitement particulier dans une logique de cofinancement.