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Adh´ esion par connecteurs entre ´ elastom` eres

3.2 Outils th´ eoriques

3.2.2 Adh´ esion par connecteurs entre ´ elastom` eres

Il existe de nombreux ouvrages et revues sur la fracture [80–83] et l’adh´esion [84, 85] dans les polym`eres. Notre ambition dans cette section est, face `a la vastitude du sujet, tout `a fait restreinte : nous cherchons des outils permettant d’estimer simplement l’ordre de grandeur de l’´energie d’adh´esion interfaciale qui se d´eveloppe, grˆace `a la coalescence, entre les particules d’un film de latex ; nous contenterons donc d’une pr´esentation r´eduite aux seuls ´el´ements qui nous seront utiles.

Travail thermodynamique d’adh´esion

Prenons deux blocs d’un mat´eriau A et d’un mat´eriau B au contact. Supposons que ces mat´eriaux ne contiennent que des mol´ecules ordinaires (i.e. pas de macromol´ecules) : l’interface entre les blocs ne peut alors pas se renforcer par coalescence, car aucune mol´ecule ne peut

✭✭ ponter ✮✮ la jonction ; les mol´ecules des mat´eriaux A et B n’interagissent par del`a l’interface

que par les simples forces mol´eculaires de van der Waals. Par cons´equent, lorsque l’on s´epare ces deux blocs, on perd une ´energie W (par unit´e d’aire) qui correspond simplement aux tensions de surface associ´ees `a la cr´eation d’interfaces avec l’air et `a la disparition de l’interface A/B. Cette ´energie W est souvent appel´ee travail thermodynamique d’adh´esion ou ´energie d’adh´esion de Dupr´e dans la litt´erature, et vaut

Air Eólastomeòre Eólastomeòre Air Eólastomeòre Eólastomeòre

Fig. 3.10 –Adh´esion par connecteurs entre deux ´elastom`eres. `A gauche, les chaˆınes sont attach´ees des deux cˆot´es de la fissure (les sites de fixation au r´eseau sont repr´esent´es pas des points noirs), et elles devront donc se rompre. `A droite, les connecteurs sont extraits du bloc auquel il ne sont pas fix´es, au fur et `a mesure de la s´eparation.

o`u γA, γB et γAB sont respectivement les tensions interfaciales entre le mat´eriau A et l’air, le mat´eriau B et l’air, et entre le mat´eriau A et le mat´eriau B. Cette ´energie W reste faible, de l’ordre de quelques dizaines de mJ/m2. Nous notons aussi que cette ´energie est r´eversible,

c’est-`a-dire r´ecup´erable en reformant l’interface (d’o`u son nom de✭✭ travail thermodynamique ✮✮).

Notre cas est diff´erent : nous cherchons `a estimer l’´energie d’adh´esion interfaciale entre deux particules de latex (ou deux pi`eces) constitu´ees d’un mat´eriau polym`ere. Dans ce cas, quand on se

place au-dessus de la Tg, l’interdiffusion cr´ee des ponts ou connecteurs qui relient les deux cˆot´es de l’interface. Supposons en outre que le mat´eriau a subi, parall`element `a l’interdiffusion, une r´eticulation chimique cr´eant un r´eseau auquel toutes les chaˆınes participent (c’est-`a-dire toutes les particules ont au moins un point d’attache) : on est alors dans la situation de deux ´elastom`eres reli´es par des chaˆınes connectrices. Imaginons maintenant que nous les s´eparions en propageant une fracture dans le plan de l’interface (et en proc´edant tr`es lentement). Tout comme dans le cas des mol´ecules courtes, nous avons une contribution thermodynamique W `a l’´energie d’adh´esion, mais nous constatons aussi qu’il existe une contribution interfaciale due aux connecteurs, si bien que l’´energie globale d’adh´esion G est sup´erieure `a W . Nous disposons de mod`eles permettant de calculer l’´energie d’adh´esion additionnelle dans deux cas-limites (fig. 3.10):

– lorsque les connnecteurs sont attach´es au r´eseau des deux cˆot´es de l’interface, et doivent donc ˆetre bris´es chimiquement au passage de la fracture (processus de scission) ;

– lorsque les connecteurs ne sont attach´es que d’un seul cˆot´e de l’interface, et sont alors extirp´es de la matrice environnante (processus d’extraction).

Nous passons ces deux situations en revue l’une apr`es l’autre.

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Energie de scission – Mod`ele de Lake et Thomas

Pour estimer l’´energie due au processus de scission des chaˆınes✭✭ connectrices ✮✮, nous reprenons

l’argument classique de Lake et Thomas [86]. L’article original se consacrait au calcul de l’´energie

coh´esive de fracture d’un ´elastom`ere, et non `a l’´energie interfaciale due `a la scission de con-necteurs. Toutefois, le contenu physique du mod`ele original est tout `a fait transposable ici.

L’id´ee est la suivante : quand une chaˆıne attach´ee entre deux points se brise par rupture chimique d’un des monom`eres, c’est qu’elle avait atteint son extension maximale et que tous les monom`eres entre les points d’attache ´etaient au seuil de la rupture7. Par cons´equent, il faut pour propager la fracture interfaciale fournir une ´energie de l’ordre d’une ´energie de liaison covalente Uχ `a tous ces monom`eres. En supposant qu’il y a en moyenne ˜n monom`eres entre les points d’attache d’un connecteur, et en multipliant par la densit´e surfacique ˜σ des connecteurs

subissant une scission8, on aboutit `a l’estimation suivante de l’´energie d’adh´esion de scission par unit´e d’aire

Gχ= Uχ˜σ . (3.12)

Cette ´energie est irr´eversiblement perdue : lorsque les chaˆınes rompent, l’´energie est dissip´ee sous forme de chaleur.

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Energie d’extraction – Mod`ele de Rapha¨el et de Gennes

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E. Rapha¨el et P.-G. de Gennes ont propos´e en 1992 une mod´elisation du processus d’ex-traction de chaˆınes au passage d’une fracture `a l’interface entre deux ´elastom`eres [87, 88]. Leur pr´eoccupation initiale ´etait de calculer l’´energie d’adh´esion d´evelopp´ee lorsque des✭✭ promoteurs

d’adh´esion✮✮ sont greff´es `a la surface d’un des ´elastom`eres et ont interdigit´e dans le deuxi`eme.

Le r´esultat principal du mod`ele est que l’´energie de fracture quasi-statique (`a vitesse de pro-pagation quasi-nulle) est plus grande que le travail thermodynamique, car lorsque les chaˆınes sont extraites de la matrice, elles sont expos´ees `a l’air (perdant ainsi une ´energie de surface de l’ordre de γa2 par monom`ere) et sont ´etir´ees (perdant une ´energie entropique d’environ kbT

par monom`ere). `A temp´erature ambiante, les deux termes sont comparables et de l’ordre d’une liaison de van der Waals Uv. En tenant compte de la densit´e surfacique ˜σ de connecteurs ainsi

extraits et de leur longueur ˜n, on a

Gextr= Uv˜σ . (3.13)

On note que cette formule et celle de Lake et Thomas pour la scission pr´esentent la mˆeme structure au niveau des lois d’´echelles (bien que leurs fondements physiques soient totalement dissemblables). L’´energie Gextr est, ici encore, perdue irr´eversiblement : l’´energie fournie aux chaˆınes est dissip´ee lorsque celles-ci sortent compl`etement de la matrice d’accueil et s’affaissent sur la surface de greffage.

Nous supposons par la suite que les conclusions de ce mod`ele restent valables dans notre situa-tion d’interdiffusion, relativement proche du cas de greffage de connecteurs. Nous notons aussi que dans certains cas, les chaˆınes interfaciales traversent de multiples fois le plan de fracture entre les ´elatom`eres, ce qui incite `a les compter chacune comme plusieurs connecteurs distincts. Cette modification du mod`ele a ´et´e ´etudi´ee par Ji et de Gennes [89], qui ont montr´e que pour l’´energie quasi-statique, chaque chaˆıne doit compter comme un connecteur unique ind´ependamment du nombre effectif de travers´ees de l’interface9.

7Comme pour une chaˆıne macroscopique homog`ene ne comportant pas de maillon plus faible que les autres.

8La densit´e de connecteurs d´efinie ici, et not´ee ˜σ, ne doit pas ˆetre confondue avec la densit´e de chaˆınes pontantes σ [´eqs. (3.5) et (3.6)]. Ces deux quantit´es peuvent selon les cas, ˆetre ´egales ou non.

9En revanche, `a vitesse de de fracture finie, il apparaˆıt une diff´erence entre les situations o`u les chaˆınes ne franchissent qu’une fois l’interface et celles o`u elles font de multiples travers´ees [89].

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Energies `a vitesse finie

Les ´energies que nous avons donn´ees ci-dessus sont valables dans la limite d’une fracture interfaciale s’ouvrant tr`es lentement. Dans les situations d’int´erˆet pratique, les vitesses sont souvent plus ´elev´ees, et les ´energies de fracture augmentent fortement. Outre la contribution interfaciale d’extraction ou de scission que nous avons d´ecrite (qui varie en fonction de la vitesse de sollicitation), il existe aussi une contribution de volume due `a la dissipation visco-´elastique dans le mat´eriau. En supposant les caract´eristiques physico-chimique du syst`eme fix´ees, l’´energie d’adh´esion ne d´epend que de la vitesse v de propagation de la fracture et de la temp´erature T de travail. Sans perte de g´en´eralit´e, on peut ´ecrire cette ´energie sous la forme [90, 91]

G(v, T ) = G0

1 + f (v, T )

, (3.14)

o`u G0 repr´esente la contribution `a vitesse nulle (due aux interactions interfaciales seules) et o`u la fonction f , a priori quelconque, rend compte `a la fois des pertes visco-´elastiques de volume et de la d´ependance en vitesse de la contribution interfaciale. Certains auteurs proposent de factoriser le terme 

1 + f (v, T )

en une contribution interfaciale et une contribution volumique

d´ecoupl´ees (voir la revue [85]), par exemple en ´ecrivant :

G(v) = G0

1 + Ψ(v)

1 + Φ(v, T )

, (3.15)

avec Ψ(v) le terme interfacial (ind´ependant de la temp´erature) et Φ(v, T ) le terme visco-´elastique (d´ependant `a la fois de v et de T , et ob´eissant `a la loi de superposition temps-temp´erature [90, 91]). Maugis [92] propose pour sa part d’additionner les contributions interfaciales et volumiques plutˆot que de les multiplier comme dans la formule ci-dessous. Mais il est tout `a fait possible aussi qu’un tel d´ecouplage entre terme d’interface et terme de volume soit inadapt´e [85]. La situation reste, jusqu’`a pr´esent, incertaine.

Du point de vue th´eorique, les pertes visco-´elastiques ont ´et´e mod´elis´ees par un certain nombre d’auteurs, dont de Gennes [93–95]. En ce qui concerne le terme interfacial, Marciano et Rapha¨el ont ´etudi´e la d´ependance en vitesse apparaissant dans le mod`ele de chaˆınes en extraction [88, 96].

Pour notre ´etude de la comp´etition interdiffusion-r´eticulation, nous nous limiterons cepen-dant aux r´egimes de tr`es basse vitesse, et nous chercherons simplement `a optimiser les ´energies quasi-statiques (3.12) et (3.13) donn´ees dans le paragraphe pr´ec´edent. Il faudrait sans doute ´

etendre l’´etude en effectuant l’optimisation `a vitesse de fracture finie ; notre espoir est toutefois que les indications fournies par l’optimisation✭✭ quasi-statique ✮✮ gardent un sens qualitatif mˆeme

aux vitesses de fracture non-nulles.