2.5 Quel rôle pour l’Union européenne ?
2.5.2 Actions non juridiques
Comme nous l’avons montré dans la section précédente, le cadre législatif
contraig-nant de l’Union européenne lié à l’harmonisation des politiques familiales en Europe
a été étendu mais reste limité. Sous le prisme intergouvernemental, d’autres
mécan-ismes ont émergé pour encourager les Etats membres à prendre des mesures dans
ce domaine.
C’est notamment le principe de la Méthode Ouverte de Coordination (MOC).
For-mulée lors du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, la MOC est un
instru-ment politique basé sur la coordination volontaire des Etats membres dans des
domaines qui relèvent essentiellement de la compétence des États (comme la
pro-tection sociale). Cette méthode est associée au « droit mou » (soft law en anglais)
et s’appuie sur l’évaluation par les pairs, le benchmarking et le partage des bonnes
pratiques pour rapprocher les législations nationales des Etats membres des objectifs
sur lesquels ils se sont mis d’accord au préalable. Les Etats soumettent
régulière-ment des rapports sur les progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs et
reçoivent des recommandations sur les points à améliorer.
Parmi les exemples de MOC dans le domaine des politiques familiales, on peut citer
« les objectifs de Barcelone ». En 2002, le Conseil européen de Barcelone avait
fixé des objectifs concernant la disponibilité, le caractère abordable et la qualité des
structures d’accueil des enfants d’âge préscolaire, à savoir la mise en place de
struc-tures d’accueil pour 90 % des enfants ayant entre trois ans et l’âge de la scolarité
obligatoire et pour 33 % des enfants âgés de moins de trois ans d’ici 2010. Au vu
des chiffres présentés dans les parties précédentes, force est de constater que ces
objectifs n’ont pas été atteints par plusieurs pays en 2015 et d’après les dernières
données disponibles
41, en 2018, 8 pays
42sur les 19 étudiés dans ce chapitre n’avaient
toujours pas atteints les 33% pour les enfants de moins de 3 ans et 9 pays
43n’avaient
pas atteints l’objectifs de 90% des enfants ayant entre 3 ans et l’âge de scolarité
obligatoire.
Ainsi si cette méthode étend l’influence de l’Union Européenne sur des domaines
sensibles politiquement tout en préservant l’autonomie des Etats membres, son
effi-cacité est parfois remise en cause. Faute de sanctions sévères pour le non-respect des
objectifs fixés, son efficacité n’est réelle que lorsqu’il y a consensus sur les objectifs
à atteindre et si la pression de faire moins bien que les autres Etats est suffisante
pour influer un changement sur les législations nationales.
Dans la même optique, la Commission européenne a mis en place le Programme
41https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-datasets/-/tps00185
42
Il s’agit de l’Allemagne, de l’Estonie, de l’Italie, de la Lituanie, de l’Autriche, de la Hongrie,
de la Tchéquie et de la Slovaquie.
43
Il s’agit de l’Allemagne, du Luxembourg, de la Finlande, des Pays-Bas, de l’Autriche, de la
Lituanie, de la Tchéquie, du Royaume-Uni et de la Slovaquie.
d’apprentissage mutuel en matière d’égalité de genres. Ce programme vise à
or-ganiser des séminaires plusieurs fois par an entre Etats membres pour échanger sur
les bonnes pratiques, notamment en matière d’articulation vie professionnelle-vie
privée. Les échanges d’expériences se font en particulier sur l’utilisation des congés
familiaux, la transition entre les congés et l’emploi ou la création de labels et de
certifications pour les employeurs ayant de bonnes pratiques en la matière
44.
De plus, chaque année depuis 2011, dans le cadre du semestre européen, la
Commis-sion européenne analyse les politiques économiques et budgétaires des Etats
mem-bres, pour coordonner les politiques entre les pays. Après un travail de suivi, la
Commission fournit un ensemble de recommandations à chaque Etat afin de donner
des lignes directrices aux gouvernements et parlement nationaux. Ces
recomman-dations couvrent notamment les moyens d’augmenter la participation des femmes
au marché du travail et d’assurer la disponibilité, la qualité et l’accessibilité des
services de garde formels. Par exemple en 2019, la Commission Européenne
recom-mandait à l’Autriche de « soutenir l’emploi à temps plein des femmes, notamment
en améliorant les services de garde d’enfants »
45.
En mars 2020, la Commission européenne a présenté sa « stratégie en faveur de
l’égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025»
46. Cette stratégie définit des
mesures clés pour les 5 prochaines années et s’engage à veiller à ce que la
Com-mission intègre une perspective d’égalité dans tous les domaines d’action de l’UE
(gender mainstreaming en anglais). Certains points de cette stratégie précisent les
actions de la Commission européenne sur des enjeux liés aux politiques familiales
comme « combler l’écart entre les femmes et les hommes en matière de prise en
charge des responsabilités familiales » ou « combler les écarts entre les femmes et
les hommes sur le marché du travail ».
Pour terminer cette partie sur les mesures non contraignantes mises en place par
l’Union européenne pour tendre vers une harmonisation des politiques familiales,
44
Pour plus d’informations, voir le site de la Commission européenne :
https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamental-rights/gender-equality/women-labour-market-work-life-balance/eu-action-promote-work-life-balance_fr
45
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52019DC0520&from=EN
46https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020DC0152&from=FR
il est important de mentionner l’importance de la collecte de données. En effet
pour pouvoir étudier les politiques familiales, fixer des objectifs et émettre des
recommandations il faut pouvoir se baser sur des données fiables et comparables.
De nombreuses données de ce chapitre sont issues d’Eurostat
47qui est une
direc-tion générale de la Commission européenne chargée de l’informadirec-tion statistique à
l’échelle communautaire. Cette instance produit les statistiques officielles de l’Union
en collectant et harmonisant les données publiées par les instituts statistiques
na-tionaux des Etats membres. On peut également noter la création en 2006 par le
Parlement et le Conseil de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les
femmes
48qui collecte, analyse et diffuse des données et des outils méthodologiques
pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ainsi les institutions européennes ont un champ d’actions limité concernant l’harmonisation
des politiques familiales. C’est principalement par la coordination volontaire des
Etats et l’édiction de normes juridiques (contraignantes ou non) liées au marché du
travail que la convergence des politiques familiales s’effectue lentement. L’intervention
de l’Union européenne dans ce domaine donne lieu à une réflexion plus profonde
sur le fonctionnement du système européen. En effet, d’après Julien Damon (2018)
« la question pour les politiques familiales européennes est bien celle, qui donne
lieu à tant de littérature, du modèle social européen. Il s’agit, pour un avenir de
relativement court terme, de savoir s’il est possible de continuer l’harmonisation
communautaire pour le marché intérieur, avec subordination des politiques sociales
à cet objectif principal, ou bien s’il est possible de donner plus de consistance aux
investissements sociaux, sans passer par l’unique truchement de l’organisation du
travail et du marché. [. . . ] Les politiques familiales, simplement entendues comme
moyens de lutter contre l’hiver démographique et contre les inégalités périlleuses
pour la cohésion sociale, sont une palette d’instruments et de mesures appelée à
être de plus en plus discutée, évaluée, appuyée et peut-être formatée au niveau
eu-ropéen.»
47
https://ec.europa.eu/eurostat/fr/home
48https://eige.europa.eu/
Dans le document
Essais sur les politiques familiales et l'emploi en Europe
(Page 97-101)