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I. Partie théorique

1.3 Pronoms clitiques accusatifs

1.3.2 Acquisition des pronoms clitiques accusatifs

L'acquisition des pronoms clitiques accusatifs est tardive dans le développement typique. Elle est notamment plus lente que celle des pronoms clitiques nominatifs (Van der Velde, 2003). Dans une étude longitudinale portant sur l'analyse du langage spontané d'un enfant francophone (de l'âge de 2;0 à 2;10 ans), Hamann (2003) relève que les premiers clitiques accusatifs chez cet enfant apparaissent à l'âge de 2;2 ans et qu'à l'âge de 2;9 ans, l'enfant ne les produit que dans 14% des contextes obligatoires. Grüter (2006), à travers une revue de la littérature, indique que le taux de production des pronoms clitiques accusatifs avoisine 90% seulement vers l'âge de 6 ans. Par ailleurs, il existe différents types d'erreurs selon l'âge de l'enfant lorsque les clitiques accusatifs ne sont pas produits. Ainsi les enfants de 3 ans produisent autant d’omissions que de groupes nominaux alors qu'à l'âge de 6 ans, ils produisent en majorité des groupes nominaux6 (Van der Velde, 2003). La réalisation d'un groupe nominal est grammaticalement correcte (contrairement à l'omission) mais est pragmatiquement inadéquate puisque le référent a déjà été énoncé précédemment (Delage, 2008). Il s'agirait d'un contournement des difficultés syntaxiques. En outre, au sein des pronoms clitiques accusatifs, on retrouve une différence entre le versant réceptif et productif en faveur du réceptif. Dans leur étude, Zesiger et al. (2010) testent les clitiques accusatifs sur ces deux versants chez des enfants francophones âgés de 3;5 ans à 6;5 ans. Dans la tâche de production, des photographies représentant des personnes effectuant des actions sont présentées à l'enfant puis une question de type « qu'est-ce que X fait à Y » lui est posée. Dans la tâche de jugement de vérité, les enfants doivent évaluer si la production d'une marionnette correspond à la photographie. Les résultats en réception (entre 95.5 et 98.4% de réponses correctes selon les groupes d'âge et lorsque la production de la marionnette est correcte) sont supérieurs à ceux obtenus en production (entre 56.3 et 86,7% de réponses correctes selon les groupes d'âge). De même, Grüter (2006) montre que les enfants francophones (âgés de 2;6 à 4;11 ans) omettent les clitiques accusatifs en production (lors du récit d'une histoire en images) mais sont cependant sensibles à leur omission dans une tâche de jugement. Au sein de l'acquisition des pronoms clitiques accusatifs, on retrouve aussi des différences selon les personnes. A l'aide d'une tâche de production induite, Tuller et al. (2011) testent l'acquisition des pronoms clitiques accusatifs 1ère personne (ACC1) et 3ème personne (ACC3) notamment chez des enfants neurotypiques (M = 6;7 ans). Les auteurs retrouvent une différence

6 Ex : « Jean lave la voiture » pour « Jean la lave »

significative entre ces deux morphèmes en faveur de la première personne. Lorsqu'ACC3 n'est pas produit, ils relèvent des omissions (9.9%) et des groupes nominaux en position d'argument (11,5%). Ce décalage développemental ACC1 versus ACC3 est également retrouvé dans l'étude de Kritzinger (2012) portant sur 41 enfants neurotypiques (âgés de 4.7 à 8.5 ans). Cette acquisition tardive des clitiques accusatifs relevées au travers des différentes études s'expliquerait selon Jakubowicz et al. (1998) par leur complexité syntaxique (cf. 1.3.1).

1.3.2.2 Données dans le développement atypique

Différentes études relèvent que l'acquisition des pronoms clitiques accusatifs est particulièrement difficile chez les enfants atteints de TSL. Dans l'étude de Jakubowicz et al.

(1998), les 13 TSL francophones (de 5;7 à 13 ans) obtiennent un pourcentage de réponses correctes de seulement 25,2% pour les ACC3 dans une tâche d'élicitation contre 78,7% pour le groupe contrôle (âgé de 5;6 à 5;11 ans). Ils produisent majoritairement un groupe nominal mais les auteurs relèvent également des omissions et la production de pronoms réfléchis. Ce sont les mêmes types d'erreurs que celles relevées chez les enfants neurotypiques mais leurs réponses sont plus souvent agrammaticales. En compréhension (tâche de désignation d'image), les performances des TSL concernant ACC3 ne diffèrent pas de celles du groupe contrôle. De même, dans l'étude de Tuller et al. (2011), des TSL francophones plus âgés (de 11 à 20 ans) ont des taux de production de ACC3 significativement inférieurs à ceux d'enfants neurotypiques (M = 6;7 ans). En effet, le score obtenu par les TSL est de 50%

tandis qu’il est de 70% pour le groupe contrôle. Ces auteurs notent aussi que cette catégorie de pronom est difficile à acquérir pour des enfants ayant une surdité légère moyenne (âgés de 11;9 à 15;1 ans) et pour des enfants souffrant d'épilepsie rolandique (âgés de 11;3 à 16;10 ans). Ces deux groupes présentent des taux de production inférieurs à ceux d'enfants contrôles âgés de 11;4 ans dans une tâche d'élicitation.

Zachou (2013) a étudié les ACC3 chez 10 enfants DYS de langue italienne (M = 9 ans) sur le versant productif (tâche d'élicitation) et sur le versant réceptif (tâche de jugement de grammaticalité). Dans son étude, ces derniers produisent 74,6% de réponses correctes tandis que le groupe contrôle équivalant en âge chronologique en produit 95,9%. La différence entre les deux groupes est significative. Sur le versant réceptif, ces derniers obtiennent également des scores inférieurs à ceux du groupe d'enfants neurotypiques (M = 9;4 ans).

En outre, il est relevé que les enfants atteints d'autisme inversent les pronoms personnels. En production, cette inversion est réputée pour être particulièrement marquée

entre les 1ères et 2èmes personnes. Evan et Demuth (2012), dans une étude longitudinale de corpus portant sur un enfant atteint du syndrome d'Asperger (de 0;11 à 2; 11 ans) montrent que ce dernier inverse 13% des pronoms personnels 1ère personne et 79% des pronoms personnels 2ème personne. Les auteurs expliquent ces inversions par des difficultés pragmatico-discursives. Par ailleurs Perovic, Modyanova et Wexler (2013) comparent 14 AUT de langue anglaise (âgés de 6;6 à 17 ans) à deux groupes contrôles (âgés de 3 à 9 ans):

un groupe apparié au niveau du raisonnement non verbal et un groupe apparié au niveau des capacités grammaticales en réception. Les enfants AUT, par rapport aux groupes contrôles, obtiennent des résultats inférieurs dans la compréhension des pronoms réfléchis « himself » et « herself » (principe A7) mais obtiennent un score non significativement différent dans la compréhension des pronoms non réfléchis « him » et « her » (principe B). Les auteurs retrouvent chez le groupe AUT un décalage entre pronoms réfléchis et non réfléchis en faveur des seconds, décalage inverse à celui retrouvé au sein de la population neurotypique.

Néanmoins, Terzi, Marinis, Francis et Kotsopoulou (2012) montrent des résultats inverses chez 20 enfants AUT de langue grecque (âgés de 5 à 8 ans). Ces derniers présentent des performances équivalentes à celles du groupe contrôle de même âge chronologique pour les pronoms réfléchis (principe A) mais des performances inférieures pour les pronoms clitiques (principe B). Terzi et al. (2012) évoquent plusieurs raisons à cette différence de résultats entre les deux études: différence de setting de l'expérience, différence des propriétés syntaxiques des pronoms en anglais et en grec (les pronoms correspondant au principe B en anglais ne sont pas des pronoms clitiques) et différence de population (son étude n'inclut que des enfants atteints d'autisme de haut niveau). On pourrait également expliquer ces résultats contradictoires par l'existence de sous-groupes d'AUT: un groupe sans et un groupe avec troubles du langage. En effet, Perovic, Modyanova et Wexler (2013) relèvent que 26 AUT avec troubles langagiers (M = 11;8 ans) montrent des résultats inférieurs au groupe contrôle apparié en raisonnement non verbal dans l'interprétation des pronoms réfléchis dans une tâche de désignation d'image, ce qui n'est pas le cas des 22 AUT sans troubles langagiers (M

= 11;2 ans). L'ensemble de ces données au sein des différentes populations (enfants atteints de TSL, de dyslexie ou encore d’autisme) converge en faveur de la proposition de Delage (2008: 93) selon laquelle, le clitique accusatif est un « marqueur de trouble, non spécifique à une pathologie en particulier, mais plutôt sensible à une acquisition atypique en général ».

7 Cf. note 5.

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