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1.2 Nanomatériaux

1.2.2 Abaissement du point de fusion et mécanisme de frittage

Nous avons vu que les propriétés physico-chimiques des matériaux pouvaient être considérablement modifiées à l’échelle nanométrique. Un exemple intéressant de ce phénomène est la diminution du point de fusion avec la taille des nanoparticules (« melting point depression ») [60], [61]. Appliquée à la mise en œuvre de l’argent, dont l’intérêt pour le report des puces a été démontré dans le premier chapitre, l’utilisation de cette propriété pourrait permettre de faire baisser considérablement la température de la mise en œuvre de pâtes d’argent frittées.

Historiquement, cette propriété a été observée dès 1954 par Takagi [61], pour des nanoparticules métalliques de Pb, Sn et Bi. Des études similaires ont par la suite été menées par Blackman [62] puis Wronski [63] sur Sn, Coombes [64] sur Pb et In et Gladkich [65] sur Ag, Cu, Al et Ge. La méthode expérimentale consistait à détecter les changements de morphologie des poudres au microscope électronique ou bien les changements sur les clichés obtenus par diffraction électronique. Compte tenu de la dispersion des tailles des particules dans un spécimen, cette méthode donnait directement accès à une gamme de températures de fusion uniquement. Pour des résultats plus précis, la distribution de tailles dans l’échantillon a été corrélée avec des études quantitatives de l’évolution des clichés de diffraction. D’un point de vue théorique, des modèles ont été proposés dès 1909 pour prévoir ou modéliser la diminution du point de fusion. Un premier travail de Pawlow, [66] a donné un modèle thermodynamique où la variation de la température de fusion diminue linéairement avec l’inverse de la taille des particules. Par la suite, de nombreux auteurs ont proposé avec succès des modèles théoriques pour décrire la dépendance à la température du point de fusion [60].

Bien qu’il n’ait pas été fait d’étude précise donnant la diminution de la température de fusion de l’argent avec la diminution de taille, on peut supposer, par analogie avec l’or, que celle-ci devient notable en dessous d’environ 20 nm (Figure 13).

Figure 13. Diminution du point de fusion de l'or avec la taille des nanoparticules [60].

Plusieurs travaux récents ont rapporté un début de frittage de nanoparticules d’argent à basse température, dès 150°C pour des nanoparticules de 20 nm par exemple [67], [68], [69]. Comme le

frittage a lieu à partir d’environ les deux tiers de la température de fusion, on comprend que l’utilisation de nanomatériaux puisse permettre d’abaisser fortement les températures de frittage. Les procédés de frittage sont employés dans une grande diversité de domaines et en particulier en microélectronique pour la réalisation de circuits hybrides, de substrats multicouches métal- céramique, de condensateurs céramiques multicouches, de composants magnétiques. Les mécanismes physiques mis en jeu sont nombreux et dépendent de variables telles que la température, la pression, l’atmosphère gazeuse et la taille de particules [70] mais aussi de procédés qui permettent notamment d’accroître les vitesses de chauffe en promouvant le frittage au détriment du grossissement des grains [71], [72], [73], [74]. Nous ne détaillerons pas toutefois les divers processus de frittage, notre travail étant focalisé principalement sur la décomposition des oxalates d’argent et la formation de nanoparticules réactives à basse température, plutôt que sur le frittage des grains d’argent aux températures élevées. Nous renverrons donc le lecteur aux références [75], [76], [77], [78], [79], [80], [81] pour la description détaillée des différentes phases du frittage. La force motrice à l’origine du frittage est la réduction de l’excès d’énergie associée aux surfaces d’un corps poreux. En conséquence les nanomatériaux caractérisés par des tailles comprises entre 1 et 100 nm ont une énergie de surface très importante, qui permet de réduire l’énergie thermique à fournir pour le frittage.

Le premier défi relatif au frittage de matériaux nanométrique concerne les phénomènes d’agrégation ou d’agglomération qui sont susceptibles d’affecter les matériaux à cause de leur petite taille et de leur forte réactivité. L’agglomération consiste en l’attraction de particules entre elles par les interactions faibles, telles que les forces de Van der Waals et les forces électrostatiques. On parle d’agrégation lorsque les particules sont reliées entre elles par des ponts solides de force significative [82]. Une des différences principales entre agglomérat et agrégat est que l’agglomérat peut généralement être dispersé par apport d’énergie extérieure (agitation mécanique ou ultrasonique). La Figure 14 illustre la différence entre l’agglomération et l’agrégation.

Les deux états précédemment décrits engendrent une distribution hétérogène de particules avant frittage et diminuent l’efficacité de celui-ci [83]. On utilise généralement le rayon effectif d’une particule, pour caractériser la capacité à fritter d’une poudre agglomérée ou agrégée. Dans ces deux cas, lorsque plusieurs particules sont assemblées par des liaisons fortes ou faibles, le rayon effectif devient beaucoup plus important et lorsqu’il atteint une taille micrométrique, l’avantage des nanoparticules est perdu (Figure 14). Par conséquent, l’agrégation en particulier, doit être à tout prix évitée lors de la préparation des nanoparticules et au cours de leur conservation. De nombreux additifs sont utilisés comme dispersants pour éviter tout contact entre nanoparticules voisines. Un autre défi pour le frittage des nanomatériaux est la diffusion non densifiante à basse température. Nous avons vu précédemment que différents mécanismes de diffusion pouvaient conduire à la densification du matériau ou seulement à sa consolidation.

Les diffusions densifiantes et non densifiantes [84] sont dominantes selon la gamme de température à cause de leurs énergies d’activation différentes (Figure 15). A des températures relativement basses, le frittage est contrôlé par la diffusion de surface et résulte dans la formation de ponts entre les particules mais peu de densification. A des températures plus hautes, la diffusion aux joints de grains domine le frittage et conduit à la densification. Si une diffusion non densifiante peut avoir lieu, elle va consommer la force motrice nécessaire. La densification sera plus difficile par la suite, même à haute température. Les nanomatériaux sont particulièrement sensibles à ce problème à cause de leur haut rapport surface sur volume qui facilite grandement les diffusions de surface à basse température.

Figure 15. Deux régimes de vitesse de densification et leur dépendance en fonction de la température [50]

Il est alors préférable d’utiliser un chauffage rapide pour éviter de passer par le régime à basse température et limiter les diffusions non densifiantes. Plusieurs techniques de frittage ont été développées pour augmenter la vitesse de frittage, telles que le frittage micro-ondes, le frittage activé par plasma, le frittage FAST (Field Assisted Sintering Technology) [71], [72], [73]. Il est rapporté que dans un cas extrême (vitesse de chauffe de 4900 °C/min) réalisé par frittage micro- ondes sur l’oxyde de zinc le grossissement des grains est supprimé et la densification augmentée de quatre ordres de grandeur comparé au frittage standard avec des vitesses lentes [74]. Le frittage micro-ondes peut être appliqué pour le chauffage de poudres métalliques avec une grande efficacité.

Des vitesses de chauffe rapides peuvent cependant induire des chocs thermiques importants sur les équipements électroniques, ce qui est une des causes principales de défaillance. Par ailleurs, il s’agit de solutions techniques complexes et couteuses. Ces nouvelles approches sont donc généralement difficiles à mettre en œuvre dans une production à l’échelle.

D’après la discussion ci-dessus, les forces motrices du frittage augmentent avec la diminution de la taille des particules. Il est donc possible d’obtenir des interconnexions par frittage à partir de poudres nanométriques tout en restant dans des domaines de températures et de pressions admissibles pour l’assemblage de composants électroniques [26], [29]. C’est en se basant sur cette affirmation que nous nous efforcerons dans ce manuscrit, de proposer une nouvelle solution d’interconnexion.

1.2.3 Aspects sécurité et contraintes liées à une utilisation industrielle des poudres