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Évolution de la mobilité dans le monde : quelle place pour la bicyclette ?

Dans le document Le retour du vélo comme mode de déplacement (Page 137-142)

La transition urbaine

5.3.3 Évolution de la mobilité dans le monde : quelle place pour la bicyclette ?

(Papon, 2001J)

En 1990, les habitants de la planète consacraient environ une heure par jour à se déplacer, en parcourant en moyenne quinze kilomètres. Quinze kilomètres en une heure, c’est justement la vitesse du vélo. Le vélo aurait donc pu à lui seul assurer la totalité de la mobilité mondiale. Or, ce n’est pas le cas, car cette mobilité est très mal répartie : les Nord-Américains parcouraient 62 kilomètres par jour, dont 50 en voiture et 9 en avion, tandis que les Africains, les Indiens ou les Chinois se contentaient de moins de 8 kilomètres par jour, dont 2 à pied.

Ainsi, au niveau mondial le vélo n’assure que 1,1 kilomètre par personne et par jour, soit 7% des distances parcourues, ce qui le classe au quatrième rang des moyens de transport, après la voiture, l’autobus, et la marche, et ex-aequo avec le train et l’avion. En termes de nombre de trajets effectués, la marche passe en tête, mais le vélo reste quatrième avec 11% des déplacements. Cette mobilité à vélo est extrêmement variable à travers le monde : la distance moyenne parcourue quotidiennement à vélo va de 80 mètres pour un Nord-Américain à 3 kilomètres pour un Chinois. L’Asie de l’Est continentale représente ainsi 65% du total mondial du kilométrage à vélo.

On retrouve cette variabilité à l’intérieur de chaque continent. Ainsi, dans l’Union Européenne, la pratique du vélo oscille de 24 kilomètres par personne et par an en Espagne (niveau comparable aux États-Unis) à environ 1000 kilomètres aux Pays-Bas et au Danemark (niveau comparable à la Chine).

Ces différences se retrouvent encore à l’intérieur de chaque pays, entre les différentes villes. En Chine, on note le plus grand écart entre Zhipo où 76% des déplacements sont faits à vélo, et Chongqing où il n’y a pas de vélo à cause d’un relief escarpé et de nombreux escaliers. Même aux États-Unis peu cyclistes en moyenne, on enregistre 22% de déplacements à vélo dans la ville universitaire de Davis. En France, Paris ou Marseille contrastent avec Avignon ou Strasbourg (tableau 32).

Tableau 32. Part du vélo dans les déplacements tous modes dans quelques villes

Ville Pays Année Part modale du vélo (%) Zhipo Chine 1993 76 Shaoxing Chine 1993 72 Shengyang Chine 1984 65 Pékin Chine 1987 54 moyenne Chine 1993 47 Hanoi Vietnam 1995 46 Delft Pays-Bas 1994 41 Pékin Chine 2000 40 Kanpur Inde 1987 30 Okayama Japon 1982 30 moyenne Pays-Bas 1987 29 Amsterdam Pays-Bas 1998 28 Jaipur Inde 1986 27 Shanghai Chine 1993 26 Surabaya Indonésie 1984 25 HoChiMinhVille Vietnam 1993 23 Matsuyama Japon 1982 23 Brême Allemagne 1990 22 Davis city USA 1990 22 moyenne Japon 1990 20 Fribourg Allemagne 1991 20 Morogoro Tanzanie 1994 20 moyenne Danemark 1998 17 Jakarta Indonésie 1984 17 Pune Inde 1986 17 Bobo Dioulasso Burkina Faso 1992 16 Tokyo Japon 1990 15 La Havane Cuba 1996 14 moyenne Inde 1980-1987 13 Casablanca Maroc 1976 12 moyenne monde 1990 11 moyenne Allemagne 1995 11 Avignon France 1980 10,4 Ouagadougou Burkina Faso 1992 10 Strasbourg France 1997 6,1 Perth Australie 1991 6 Surabaya Indonésie 1990 5 Madison city USA 1990 3,35 Bordeaux France 1998 2,9 moyenne France 1994 2,8 Bamako Mali 1994 2 Buenos Aires Argentine 1992 2 Jakarta Indonésie 1990 2 Kuala Lumpur Malaisie 1990 2 Santiago Chili 1995 2 Séoul Corée du Sud 1990 2 Tel Aviv Israël 1987 2 Lille France 1998 1,9 San Francisco USA 1990 0,95 Singapour Singapour 1990 0,7 moyenne USA 1990 0,7 Marseille France 1997 0,4 Paris France 1991 0,4 Alger Algérie 1990 0,3 New York USA 1990 0,3 Chongqing Chine 1993 0

La Chine représente à elle seule plus de 60% de l’usage du vélo dans le monde. C’est donc là que se joue l’avenir de la bicyclette. Or l’on constate que l’utilisation du vélo qui y a considérablement augmenté entre 1970 et 1995, jusqu’à atteindre près de la moitié de la mobilité urbaine, marque le pas. La production de vélos est passée de 45 millions en 1995 à 23 millions en 1998. Les ventes de bicyclettes sur le marché intérieur sont passées de 19 millions en 1996 à 9 millions en 1998. Cependant, le parc a continué à augmenter de 450 millions en 1992 à 530 millions en 2000, mais cette augmentation concerne plus les campagnes que les villes, puisque dans ces dernières l’équipement est passé de 194 vélos pour 100 ménages en 1995 à 179 en 1997. La raison de ce déclin est facile à trouver : le nombre de cyclistes tués chaque année est passé de 13000 en 1981 à 24000 en 1993, et encore plus depuis. Cette hécatombe est due à l’augmentation du parc de véhicules à moteur, passé de 3,2 millions en 1985 à 15,6 millions en 1997, sans compter les motocycles, de l’ordre de 45 millions en 2000, ni les véhicules agricoles. Ainsi, l'explosion récente des véhicules à moteur a aggravé l'insécurité routière et rendu la bicyclette moins attractive pour les classes moyennes en termes de statut.

En fait, cette situation du vélo en Chine est exemplaire de l’histoire de la pratique du vélo, qui a suivi partout le même cycle. Le vélo a connu un âge d’or avant le développement massif des véhicules à moteur. Cet âge d’or correspond en Europe occidentale à la première moitié du vingtième siècle, où le vélo a représenté jusqu’à 20% de la mobilité, cohabitant avec le chemin de fer, le tramway, l’autobus, la marche à pied… et quelques rares automobiles. Puis, dans les années 1950 et 1960, les véhicules à moteur individuels, d’abord à deux puis à quatre roues ont eu le double effet de rendre la circulation à vélo plus risquée et porteuse d’une image rétrograde, ce qui a conduit au déclin du vélo, de manière parallèle dans tous les pays d’Europe, y compris aux Pays-Bas. C’est ce déclin que l’on observe aujourd’hui en Chine, et que l’on a pu observer vers 1990 en Inde, dans les années 1980 en Indonésie (voir Jakarta et Surabaya dans le tableau 32) et dans d’autres pays émergents.

La suite du cycle est plus différenciée. Dans certains pays, le vélo a presque perdu son rôle de moyen de transport, et n’a plus subsisté qu’à l’état de jouet d’enfant ou d’article de sport. C’est le cas aux États-Unis, pionniers de la motorisation dans les années 1920, où le vélo n’est plus guère pratiqué que comme loisir sur des infrastructures spécifiques où l’on se rend en SUV (Sport Utility Vehicle), 4x4 ou autre camion léger. C’est d’ailleurs dans ce pays que sont apparus différentes spécialités comme le VTT (mountain bike) ou le BMX. Les pays latins d’Europe sont un peu dans ce cas, avec une forte tradition de sport cycliste (Giro, Tour de France, Vuelta), et le vélo est plus un spectacle qu’un objet quotidien. Les Pays-Bas sont les premiers à avoir pris conscience des limites de l’automobile, et pris sérieusement en compte le vélo comme alternative, dès 1975, après le premier choc pétrolier. Les autres pays nordiques et germaniques ont suivi le mouvement et développé de véritables politiques de transport multimodales. Cette prise de conscience ne s’est produite que vers 1995 au Royaume-Uni et en France et n’y a produit à ce jour que des résultats limités. Aux États-Unis, l’automobile est trop profondément ancrée dans les habitudes et les formes urbaines pour que la politique en faveur du vélo et de la marche comme moyens de transport initiée avec la loi ISTEA ait un effet significatif.

Au Japon, le vélo sur piste est un sport très populaire (keirin). Mais le vélo y est aussi devenu un moyen de déplacement très ordinaire, pour des trajets courts locaux, ou en complément d’un réseau de chemin de fer très développé, en l’absence de toute politique spécifique. Les vélos sont tenus de circuler sur les trottoirs, et le problème principal est le stationnement aux abords des gares. Cela a amené les autorités à y construire des parcs à vélos à plusieurs étages, souvent entièrement automatiques, car 19% des Tokyoïtes vont à la gare à vélo pour prendre le train (contre 44% en Hollande).

Ainsi les exemples des pays les plus avancés : Japon, Pays-Bas, Danemark montrent que le vélo peut jouer un grand rôle comme moyen de transport. Dans les pays les moins avancés, le vélo peut améliorer fortement la productivité, par exemple en libérant la femme africaine des corvées d’eau et de bois. Mais pour assurer un avenir au vélo comme moyen de transport, il faut éviter de le cantonner dans une image de jouet, de loisir, ou de spectacle, et lui accorder une vraie place dans la politique de transport. La motorisation de la Chine semble conduire à une chute inéluctable du nombre de cyclistes dans le monde. Mais si l’on retient l'hypothèse selon laquelle la moitié des ressources pétrolières utilisables a déjà été brûlée, l’âge d’or de l’automobile, fondé sur une énergie bon marché, risque d’avoir un terme prochain, et le vélo a encore de beaux jours devant lui.

Dans le document Le retour du vélo comme mode de déplacement (Page 137-142)