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Les événements et les mouvements sociaux organisés par des intellectuels

Chapitre VI : La contribution à l’Histoire des intellectuels formés durant la période 1862-1945

2. Les événements et les mouvements sociaux organisés par des intellectuels

En 1892 à Hanoi, quelques interprètes et instituteurs vietnamiens du Tonkin frappés de l'insuffisance de leur instruction et désireux de la compléter conçurent le projet de se réunir, tous les jeudis et les dimanches, afin de se perfectionner dans l'étude du français240. Le succès de leurs premières réunions et les avantages linguistiques qu'ils en retirèrent dès le début, les amenèrent promptement à étendre leur action et à constituer une société régulière, qui fut

238 Cité et traduit par Huu Ngoc, Regard sur la poésie vietnamienne, dans fr.nhandan.com.vn, Mercredi, 04 juin 2014.

239 Ung Qua, Il y a une renaissance annamite, la revue Nam Phong (Supplément en français), N° 173, 1932.

240 Société d'Enseignement mutuel du Tonkin, Historique de la Société d'enseignement mutuel du Tonkin, Hanoi, impr Tonkinoise, 1922, p. 3.

fondée le premier avril 1892, sous le nom de Société d’enseignement mutuel du Tonkin (Hoi Tri Tri, SEM du Tonkin), autorisée par le Résident supérieur du Tonkin. Le but que se proposait cette société était comme son nom l'indique d'initier ses membres à la connaissance du français et de propager cette langue au Tonkin.

À partir de la fin du XIXe siècle, la Société organisait des cours destinés à des publics d’adultes et d’enfants à Hanoi. Au début du XXe siècle, l’école de la SEM du Tonkin comptait parmi les principaux établissements scolaires « à l’occidentale » avant de devenir une simple école privée parmi d’autres. Quant aux cours du soir, les cours de quốc ngữ et de français, ou encore de mathématiques, étaient gratuits ; ils se développèrent rapidement après 1908. Au fil des années, la Société organisait également d’autres cours, payants ceux-là, avec un objectif plus professionnel, comme des cours complémentaires destinés aux jeunes certifiés du primaire, des cours de sténographie et de comptabilité commerciale, des cours de préparation aux concours, etc.

En province plusieurs écoles élémentaires ont été créées et entretenues par la Société notamment à Haiduong et à Hungyen. Les écoles semblables aux établissements de l'instruction publique étaient régies par le programme officiel des écoles franco indochinoises, l'enseignement y était gratuitement donné à un grand nombre d'enfants. Les instituteurs de ces établissements étaient recrutés par voie de concours parmi les jeunes gens titulaires du brevet élémentaire ou du diplôme d'études complémentaires franco annamites. Le nombre des élèves augmentait de jour en jour en raison de la régularité des cours, de la modicité des contributions scolaires, et surtout du nombre très satisfaisant de candidats reçus chaque année au certificat d'études et admis en qualité de boursiers au Collège du Protectorat. En dehors du cycle primaire, des cours du soir étaient également organisés et fréquentés par les jeunes gens déjà titulaires du certificat d'études primaires qui, en raison de leur situation de fortune, ou de la limite d'âge fixée par les règlements en vigueur, ne pouvaient suivre les cours réguliers des différents collèges. Le programme suivi était celui des établissements d'enseignement complémentaire et conduisait les élèves à l'obtention du brevet élémentaire ou du diplôme d'études complémentaires franco indigènes. Les professeurs étaient pour la plupart des fonctionnaires indigènes de l'administration française qui avaient fait leurs études en France ou étaient sortis de l'Université indochinoise, et titulaires du baccalauréat métropolitain, des divers diplômes de l'enseignement supérieur de l'Indochine et même des diplômes d'Ingénieurs des Travaux Public, des Arts et Métiers, etc.…241

Mais la Société ne s'occupait pas uniquement des jeunes. Elle pensait aussi aux petits employés, aux artisans et aux ouvriers de toutes les classes, auxquels manquaient à l’époque des distractions saines et utiles.

Dans cette optique, la Société organisait des conférences sur des sujets très divers : littérature, géographie, hygiène etc.

 L’Association de la diffusion du quốc ngữ

Les lettrés et les intellectuels vietnamiens ont reconnu les avantages du quoc ngu pour l’évolution du niveau de connaissance du peuple vietnamien. Face à la situation de l’analphabétisme de la masse de la population, et soucieux de l’avenir de la nation, les intellectuels vietnamiens ont impulsé des mesures légales dans le cadre du régime colonial pour contribuer à résoudre cette situation. Après de nombreuses démarches insistantes des intellectuels, les autorités françaises ont accepté de créer une association de diffusion du quoc ngu par l’arrêté n° 3622-A du 29 juillet 1938 du Résident supérieur au Tonkin242. Ses membres des premiers jours étaient les lettrés et les intellectuels : Nguyễn Văn Tố, Bùi Kỷ, Phan Thanh, Quản Xuân Nam, Đặng Thai Mai, Võ Nguyên Giáp, Hoàng Xuân Hãn, Nguyễn Văn Huyên, Lê Thước, Nguyễn Hữu Đang et plusieurs autres intellectuels vietnamiens.

La mission de cette association était d’enseigner aux compatriotes vietnamiens la connaissance du quốc ngữ pour pouvoir lire facilement dans la langue vietnamienne les informations utiles pour la vie quotidienne en organisant des cours gratuits d’enseignement de quốc ngữ.243 L’Association de la diffusion du quốc ngữ comporte une section d’enseignement chargée la formation, une section de rédaction des manuels qui conçoit les livres et les documents pour l’apprentissage des élèves, une section de propagande qui est chargée de faire le recrutement de nouveaux membres et une section des finances244.

Le temps de chaque promotion dure 3 ou 4 mois245. Les livres et les stylos sont distribués gratuitement. La première promotion comporte deux classes et est organisée au siège de la Société d’enseignement mutuel du Tonkin et à l’École privée Thang Long à Hanoi le 9 septembre 1938246. Cette association a pu se développer rapidement. D’après Phạm Mạnh

242 Nguyen Phuong Ngoc, A l’origine de l’anthropologie au Vietnam. Rechercher sur les auteurs de la première moitié du XXe siècle, Presses Universitaires de Provence, 2012.

243 Hoa Bang, May nha bao tien khu, dans la revue Tri Tân, n° 116, p. 21.

244 La Revue Tri Tân, n° 116, p.21

245 Khái Sinh, Hội truyền bá quốc ngữ Hanoi (l’Association de la diffusion du quốc ngữ de Hanoi), dans la Revue Tri Tân, n° 94, le 6 mai 1943, p.17

246 Phạm Mạnh Phan, Hoi truyen ba chu quoc ngu voi tren ba van hoc tro (l’Association de la diffusion du quốc ngữ avec plus ses trente milles élèves), dans la revue Tri Tân, n°200, le 16 août 1945, p.15

Phan, de 1938 à 1945, elle a ouvert 14 promotions et elle a formé plus de 30 000 élèves au Tonkin.

Tableau 10 : Effectif des classes, des enseignants et des élèves de L’Association de la diffusion du quốc ngữ de 1938 à 1944 Promotions (1938-1944) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Classes 2 4 9 9 12 13 20 21 23 25 31 35 53 Enseignants 30 45 60 70 87 105 173 165 179 185 210 245 417 Élèves 800 1000 1200 1100 1400 1600 3200 3100 3100 3200 3300 3000 3800

Source : Phạm Mạnh Phan, Hoi truyen ba chu quoc ngu voi tren ba van hoc tro, op.cit, p. 15.

L'Association a également étendu ses activités à la région de l’Annam. D’après un rapport en 1944 de Nguyen Van To, le président de l’Association, celle-ci a enseigné en Annam le quoc ngu à plus de 4 000 élèves.247 Après l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945, le Bình dân học vụ (Service de l’Éducation populaire) créé par le gouvernement de Ho Chi Minh, est chargé de lutter contre l’analphabétisme. Le Bình dân học vụ est considéré comme le successeur de l’Association de la diffusion du quốc ngữ.

 La Commission de diffusion d'hygiène et de médecine occidentale au sein de l’Association générale des étudiants de l'Université indochinoise (A.G.E.I) L’Association générale des étudiants de l'Université indochinoise fondée en 1936248 se développe fortement pendant la période de la guerre 1940-1945 avec plusieurs activités des jeunes intellectuels. La Commission de diffusion d'hygiène et de médecine occidentale au sein de l’Association générale des étudiants de l'Université indochinoise est fondée en 1942249 par des jeunes étudiants de l’Université de l’Indochine afin d’aider leurs compatriotes dans la lutte contre les maladies. Le programme de cette Commission comporte des activités théoriques et pratiques250 :

- Théoriques : Diffusion des connaissances d’hygiène par des affiches et des photos ; l’organisation de conférences sur l'hygiène.

- Pratiques : examens de santé à la campagne, organisation d'une section d’examens à domicile

247 La revue Tri Tan, n° 153, le 3 août 1944, p.17

248 Gouvernement de l’Indochine, Rapports au grand Conseil des Intérêts Economiques et Financiers 1936, p.109

249 La revue Tri Tân, n° 86, le 11 mars 1943, p20.

La Commission de diffusion d'hygiène et de médecine occidentale a obtenu des résultats positifs. Environ 90 000 dossiers sanitaires ont été diffusés dans le public sur 9 problèmes : le paludisme, la syphilis, le cancer, la tuberculose, la typhoïde, la variole, la rage, l'assainissement de l'eau potable. La Commission a organisé plusieurs entretiens sur l'hygiène dans un camp de jeunes, « le statut des responsables de la jeunesse et du milieu rural en matière d'assainissement rural », « l'eau potable », « la maladie du chien fou », « la maladie dormante », « l’opium » Une section de consultations qui a été installée dans le village de Tuong Mai, pendant 5 mois, a examiné 1.207 personnes.

 L’Association Ánh Sáng

Face à l’impuissance des pouvoirs locaux sur la question du logement des pauvres, un groupe d’intellectuels du journal Phong Hoa, puis Ngay Nay avec la collaboration des architectes a fondé l’Association Ánh Sáng ou « Groupe lumière » dans sa traduction française, pour chercher des solutions tournées vers les préoccupations sociales de la paysannerie et visant à réformer la vie campagnarde par l'hygiène. Cette Association est basée à Hà Nội. L’Association Ánh Sáng autorisée une première fois à fonctionner en 1933 par le résident supérieur du Tonkin, est dissoute par les autorités trois ans plus tard. Le 14 octobre 1937, elle est de nouveau autorisée, et c’est à partir de cette date qu’elle devient véritablement opérationnelle et que ses actions deviennent perceptibles.251

Lors de cette deuxième fondation, ses buts sont définis dans ses statuts (Art.2) : a) de lutter contre les logements insalubres ;

b) d’encourager ou d’envisager, avec l’aide de l’administration et des particuliers, la construction de cités ou de logements salubres dans les centres populeux, le creusement de puits, le tracement de chemins, la canalisation et l’établissement de hameaux modernes dans les villages ;

c) de consolider les effets bienfaisants de la multiplication de logements salubres par des encouragements moraux et matériels à la bonne tenue des immeubles et des appartements, ainsi que par le développement de l’éducation ménagère des femmes en vue d’une meilleure tenue du foyer familial, de la pratique de l’hygiène et de l’application des principes essentiels de l’économie domestique; de venir en aide, dans

251 Caroline Herbelin, Des habitations à bon marché au Việt Nam. La question du logement social en situation coloniale, Moussons, numéro spésial 13,14 , 2009, p. 123-146.

le plus grand nombre possible de cas et sous des formes appropriées, aux familles victimes du logement insalubre252.

Cette association a attiré une audience considérable, notamment grâce au prix des adhésions, volontairement maintenu très bas pour permettre aux plus pauvres d’en devenir membre. En effet, la revue Ngày nay évoque plusieurs milliers d’adhérents et la Sûreté recense en 1940 près de 3.000 membres au Tonkin253. Elle a construit des maisons Anh Sang à Phuc Xa de Hanoi pour des habitants pauvres.

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