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L’œuvre d’Emily Dickinson a été abondamment étudiée, et ce, sous presque tous les angles. Mentionnons d’emblée que nous nous sommes concentrée sur la littérature de langue française comme champ d’investigation de notre recherche. Nous croyons ainsi pouvoir cerner l’entièreté de notre sujet tout en tenant compte des limites que nous impose la rédaction d’un mémoire comportant un volet création. La thèse de Françoise Delphy sur Emily Dickinson15, publiée en 1984, s’est avérée une source d’information fort utile eu égard à notre recherche, car non seulement s’agit-il d’une étude approfondie des thèmes de la poésie dickinsonienne, mais l’auteur a également puisé des pistes de réflexion auprès de thématiciens tels que Jean-Pierre Richard, Georges Poulet et leur précurseur, Gaston Bachelard.

13 Aurélie Guillain, « Le saisissement à l’approche de l’infini : le scandale dans Old Man (dans ‘If I Forget

Thee, Jerusalem’, 1939) et ‘As I Lay Dying’ (1930) de William Faulkner », dans Revue française d’études américaines, Paris, février 2004, no 99, p. 46.

14Christian Bobin, La dame blanche, Paris, Gallimard (L’un et l’autre), 2007, p. 36. 15 Françoise Delphy, Emily Dickinson, Paris, Didier Érudition, 1984, 597 p.

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De son côté, dans des ouvrages publiés en 1993 et en 2009, Christine Savinel s’est plutôt attachée aux formes que prend le discours poétique de Dickinson comme autant de figures métaphoriques du secret16 et du manque17, à commencer par l’impact de la non-publication de ses poèmes sur son écriture18. Au Québec, Charlotte Melançon a publié en 2006, aux Éditions du Noroît, un recueil de quatre essais19 abordant les principaux ingrédients qui ont contribué à nourrir le « mythe » Emily Dickinson, notamment sa réclusion et l’adoption du blanc comme unique couleur de vêtement. Il y est question également de son amour des oiseaux, de leur omniprésence dans sa poésie et de la vaste correspondance que la poète entretenait avec ses amis. En effet, 1 050 lettres écrites de sa main ont été conservées. De plus, la revue Liberté a publié en 1986 un dossier, sous la direction de François Hébert, qui lui a été consacré20. Au sommaire y figurent des articles de Charlotte Melançon, de Pierre Nepveu, de Robert Melançon et de Jacques Brault, pour n’en nommer que quelques-uns. Soulignons les livres des poètes Christian Bobin21 et Claire Malroux22 ainsi que celui, tout récemment, de la romancière Dominique Fortier23 ; ces ouvrages ont tracé un portrait sensible et intimiste de la vie de la poète et de son œuvre, textes qui ont ouvert la voie à notre entrée dans le monde de Dickinson. Finalement, la pièce de théâtre « Émilie ne sera plus jamais cueillie par l’anémone », texte du poète et dramaturge Michel Garneau, a été jouée à l’Espace Go du 11 septembre au 13 octobre 1990. Une mise en lecture de ce texte a été présentée le 22 octobre 2019 dans le cadre du festival Québec en toutes lettres, événement auquel nous avons eu le bonheur d’assister. Il s’agit d’une fabulation tirée de la vie et de l’œuvre d’Emily Dickinson, qui a le mérite d’avoir évité les lieux communs suscités trop souvent par le parcours singulier de la poète24.

16 Christine Savinel, Emily Dickinson et la grammaire du secret, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2009,

287 p.

17 Christine Savinel, Poèmes d’Emily Dickinson, au rythme du manque, Paris, Presses universitaires de

France, 2009, 159 p.

18 Entre 1850 et 1866, seuls dix poèmes d’Emily Dickinson furent publiés, tous anonymes et probablement à

son insu. En 1878, le poème “Success is counted sweetest” est publié dans l’anthologie A Masque of Poets, toujours de façon anonyme. Tiré de “The Publication Question” [en ligne].

https://www.emilydickinsonmuseum.org/publication_question [Texte consulté le 11 novembre 2019].

19 Charlotte Melançon, La prison magique, Montréal, Éditions du Noroît (Chemins de traverse), 2006, 196 p. 20François Hébert [dir.], dossier « Emily Dickinson », dans Liberté, vol. 28, no 2 (1986), 160 p.

21 Christian Bobin, La dame blanche, op. cit., 119 p.

22 Claire Malroux, Chambre avec vue sur l’éternité : Emily Dickinson, Paris, Gallimard, 2005, 290 p. 23 Dominique Fortier, Les villes de papier, op. cit., 192 p.

24 Le film « A Quiet Passion », réalisé par Terence Davies, est paru au Québec en 2017 sous le titre « Emily

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Notre objectif est d’ajouter modestement un nouvel éclairage sur une poésie qui a traversé le temps et dont la voix singulière résonne encore aujourd’hui. Le thème de la verticalité dans l’œuvre de Dickinson n’ayant pas été exploré, du moins de façon explicite et approfondie, nous tenterons d’offrir un autre parcours parmi tous ceux qu’il aurait été possible d’emprunter. D’ailleurs, le critique Jean-Pierre Richard ne dit-il pas que « chaque lecture n’est jamais qu’un parcours possible, et d’autres chemins restent toujours ouverts. Le chef-d’œuvre c’est justement l’œuvre ouverte à tous les vents et à tous les hasards, celle qu’on peut traverser dans tous les sens25. » Cette définition correspond parfaitement à

l’œuvre poétique d’Emily Dickinson puisque ses poèmes ont été analysés, scrutés, soupesés sous tous les angles, sans que leur substance ait été complètement extraite. Une interprétation n’a de cesse d’en entraîner une autre, et ce, depuis 1890, date de la première publication de ses poèmes. Par cet essai, nous désirons ajouter notre pierre à l’exploration de l’infinitude de la poésie dickinsonienne.

Nous avons choisi comme corpus l’édition bilingue Poésies complètes26. Au total,

1 789 poèmes, écrits de 1850 jusqu’à son décès en 1886, sont regroupés dans cette édition, dont Françoise Delphy a assuré la traduction. À ce jour, il s’agit de la seule publication de l’œuvre poétique complète traduite en langue française. Celle-ci est fondée sur l’édition définitive établie par Ralph W. Franklin en 1999. Bien qu’il existe plusieurs anthologies des poèmes d’Emily Dickinson, notre choix de corpus a été motivé par une caractéristique importante de notre approche méthodologique, à savoir la critique thématique selon Jean-Pierre Richard, laquelle considère comme essentiel de prendre en compte l’œuvre entière afin d’en traduire avec justesse la cohérence interne. Mais avant d’entreprendre l’analyse proprement dite des poèmes, il importe de préciser en quoi consistent le cadre théorique et la méthodologie retenus.

d’Emily Dickinson. Mentionnons également le film « Wild Night with Emily », réalisé par Madeleine Olnek, sorti aux États-Unis en 2018. Par ailleurs, le service par abonnement Apple TV+ a lancé en novembre 2019 une série télévisée de dix épisodes sous le titre « Dickinson ».

25 Jean-Pierre Richard, Poésie et profondeur, Paris, Seuil (Points), 1955, p. 10. 26 Emily Dickinson, Poésies complètes, op. cit., 1 469 p.

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