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La quête de l’absolu

2- Émergence, flexibilité, irradiation

Gilbert Durand souligne que la mythocritique aura pour principale visée de « déceler derrière le récit qu’est un texte, oral ou écrit, un noyau mythologique, ou mieux un patron (pattern) mythique. 695» Pour ce faire, il préconise de repérer, dans le texte moderne, la redondance d’un certain nombre d’éléments faisant référence au mythe et le rendant discernable. Cela peut être un épisode, un héros, un décor, une situation particulière que Durand, reprenant la terminologie de Lévi-Strauss, qualifie de ‘‘mythème’’, c'est-à-dire «la plus petite unité de discours mythiquement significative.696»

Mais si les recherches de Gilbert Durand, notamment son étude sur l’œuvre de Xavier de Maistre697 ou encore la méthode proposée par Claude Lévi-Strauss698, ont considérablement alimenté la critique littéraire, ces travaux demeurent néanmoins dédiés à l’anthropologie et à l’ethnologie, c'est-à-dire que le texte littéraire est perçu dans ces deux cas, comme un simple support parmi d’autres, et non pas comme une fin en soi.

2- Émergence, flexibilité, irradiation

Il appartiendra essentiellement à Pierre Brunel de reprendre la mythocritique de Gilbert Durand pour tenter de l’introduire dans le domaine proprement littéraire, en la délivrant de ses dimensions éminemment philosophique et anthropologique. Dans son ouvrage intitulé Mythocritique, théorie et parcours, Pierre Brunel, qui refuse le qualificatif de théoricien, propose pourtant une méthode d’analyse. L’objectif est de mieux lire la littérature à travers les mythes, par l’intermédiaire d’une méthode flexible et rigoureuse qu’il veut exclusivement « au service de l’œuvre et comme un autre mode de lecture.699»

695 Gilbert Durand, Introduction à la mythodologie, Paris, Seuil, coll. « poétique », 1977, p. 184.

696 Gilbert Durand, Figures mythiques et visages de l’œuvre : de la mythocritique à la mythanalyse, Paris, Dunod, 1992, p. 344.

697 Cf. Gilbert Durand « Le Voyage et la chambre dans l’œuvre de Xavier de Maistre », in Romantisme, Vol 2, n°4, 1972, pp. 76-89. http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1972_num_2_4_5408

698 Dans son ouvrage, Anthropologie structurale, Claude Lévi-Strauss expose une méthode d’analyse des mythes du point de vue anthropologique, en prenant pour exemple le mythe d’Œdipe. Lévi-Strauss insistera sur le fait que cette méthode est exclusivement destinée aux recherches ethnologiques.

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Après avoir exploré les difficultés méthodologiques et terminologiques, il pose pour principe que « le mythe langage préexistant au texte, mais diffus dans le texte, est l’un de ces textes qui fonctionnent en lui 700». Il résume également le principal objectif de la mythocritique en affirmant que cette dernière « s’intéressera surtout à l’analogie qui peut exister entre la structure du mythe et la structure du texte.701» Enfin, il formule les trois étapes fondamentales de sa méthode d’analyse :

l’émergence, la flexibilité et l’irradiation

La première étape, l’émergence, consiste essentiellement, en s’appuyant sur les notions de répétitions, de relations et d’analogie, à réaliser un relevé systématique de toutes les unités mythiques explicites présentes dans le corpus. Par la suite, il faut approfondir la lecture et chercher les allusions implicites en analysant les événements, les lieux, les gestes des personnages qui peuvent évoquer de manière latente le récit mythique. Il faut également détecter les scénarios et les thèmes qui reviennent souvent dans la mythologie (fratricide, parricide, démesure, inceste, etc.).

Après avoir relevé les données mythiques explicites et implicites, qui nous permettront de démontrer les analogies existantes entre les textes initiaux et les textes modernes, nous pouvons passer à la seconde étape que Pierre Brunel qualifie de flexibilité. En fait, notre étude ne se limitera pas à une simple recherche d’analogies entre les mythes et les romans. Il nous faudra également étudier, tout en les mettant en parallèle, les transformations que les deux auteurs vont faire subir aux mythes. À cet égard, Brunel affirme que « rien n’est moins fixé que le mythe.702» D’ailleurs, Pierre Albouy, précurseur de l’étude des mythes en littérature, insistait, dès 1969, sur le fait qu’il ne peut y avoir de mythe littéraire « sans palingénésie qui les ressuscite dans une époque dont ils se révèlent aptes à exprimer au mieux les problèmes propres. 703» Nous tenterons donc, comme le préconise également André Dabezies, d’étudier « les inflexions modifiant le schéma

700 Ibid., p. 61. 701 Ibid., p. 67. 702 Ibid., p. 80.

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mythique originel.704» ou autrement dit, la reformulation des mythes par les auteurs étudiés, en analysant leur portée, le contexte socio-historique ou socioculturel des œuvres, ainsi que certains éléments biographiques pertinents. Ceci constitue déjà une esquisse de mythanalyse705.

Enfin, la troisième étape, qualifiée d’irradiation, consiste, quant à elle, à analyser l’ensemble de l’œuvre d’un auteur pour tenter de voir comment les mythes latents irradient toute sa production littéraire. En effet, une image mythique détectée dans un texte peut rayonner dans un autre texte du même auteur. Ce phénomène est appelé par Pierre Brunel l’irradiation sous-textuelle. Bien évidemment, il ne s’agira nullement au cours de cette recherche d’appliquer au roman une grille de lecture rigide, car l’œuvre littéraire existe pour elle-même, et n’a jamais été écrite pour qu’une méthode précise lui soit appliquée. Or, justement, la mythocritique que Pierre Brunel ne conçoit « qu’au service de l’œuvre et comme un autre mode de lecture706», offre, selon lui, au chercheur, à la fois la « rigueur et le goût de la liberté.707»

704 André Dabezies, « Des mythes primitifs aux mythes littéraires », in Dictionnaire des mythes littéraires,

op.cit., p. 1185.

705 Le terme mythanalyse a été forgé par Denis Rougemont. Il s’agit d’une méthode d’analyse qui a pour préoccupation principale, l’étude des transformations que peuvent subir les mythes dans un contexte socioculturel donné. Mythanalyse et mythocritique sont consubstantielles : l’une fournissant la matière première indispensable (mythèmes résurgents à une époque donnée), l’autre offrant une perspective plus large, culturelle, sociale et historique.

706 Pierre Brunel, Mythocritique, Théorie et parcours, op.cit., p.12. 707 Ibid.

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CHAPITRE II

La révolte métaphysique