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L’éloge funèbre dans son contexte social

1 Le genre rhétorique de l’éloge : source et contextualisation de son usage

1.1 L’éloge funèbre dans son contexte social

L’effervescence des idées humanistes de la Renaissance n’altère en rien la permanence d’une morbidité du catholicisme issu du Moyen Âge dont la principale préoccupation est la mort. Les ravages des épidémies et des guerres vont exacerber la peur de la mort et le pressentiment de la fin du monde. L’essor de la prédication, du théâtre religieux et surtout de l’im- primerie vont amplifier la représentation tourmentée de la mort. Aux xvie

et xviiesiècles encore, les ordres monastiques sont considérés comme un

idéal religieux, malgré les différentes réformes catholiques. Ces réformes vont s’attarder plutôt sur les manières de vivre des séculiers que sur les manières de croire des religieux (Brian et LeGall, 1999, p. 32). Certes, le mou- vement humaniste va proposer une pensée alternative qui incorpore l’idée de progrès. Cette vision dynamique de la société ira pendant longtemps à l’encontre de celle de la permanence, ancrée dans les ordres monastiques, c’est-à-dire d’une société créée par Dieu pour l’éternité. Ces deux visions persisteront même à l’intérieur du catholicisme, ne serait-ce que dans la division entre clergé séculier (dans le siècle) et les ordres religieux obéissant à une règle.

Ainsi, les ordres monastiques vont assurer la continuité d’un christianisme culpabilisant mais rédempteur. La prédication terrorisante du clergé reli- gieux poursuit deux objectifs. Tout d’abord, elle incite les fidèles à préparer leur mort à l’aide de artes moriendi. Ces « arts de mourir » circulent sous forme manuscrite en latin et en français. Par la suite, ces textes seront imprimés massivement1. Cette prédication encourage aussi les dévotions et les péni-

tences sur les souffrances du Christ pour gagner le salut. La représentation symbolique de la mort est centrée sur l’enfer, lieu de damnation éternelle où les défunts expient les péchés mortels, et le purgatoire où ils doivent racheter leurs péchés véniels selon le jugement dernier. Pour diminuer la

1. Entre 1600 et 1789, on recense 236 préparations à mourir en France (Isabelle Brian et Jean-Marie LeGall, 1999, p. 9-12).

durée de leur séjour et leurs épreuves, les fidèles peuvent invoquer l’aide de protecteurs dont le rôle consiste à intercéder en leur faveur auprès de Dieu. L’un des plus importants médiateurs est la Vierge Marie, une figure à la fois puissante, compatissante et protectrice.

Avec la réforme pastorale (1480-1540), la vie monastique devient l’anti- chambre du paradis et le lieu idéal pour acquérir le salut. Les membres des ordres religieux se veulent les plus fidèles imitateurs du Christ et leurs vœux leur assurent la récompense céleste. Très rapidement, les fidèles vont les considérer comme de puissants médiateurs terrestres. La Ligue Catholique et les associations de dévots vont encourager et promouvoir cet idéal monas- tique. Le mouvement de réforme pastorale va atteindre son apogée avec le Concile de Trente (1545-1563). Il propose de nombreuses innovations mais il se préoccupe peu des ordres religieux, sauf pour « rappeler l’obligation d’observer fidèlement leur règle » (Brian et LeGall, idem, p. 75) et soumettre les religieuses à la clôture (idem, p. 84). Les ordres plus anciens vont aspirer à la réforme et les nouvelles congrégations vont l’adopter dès leur création. Toute l’énergie spirituelle qui se dégage de ce grand mouvement de réforme catholique va inspirer de nouvelles formes d’apostolat, notamment l’ensei- gnement et l’assistance spirituelle, et cet engagement actif va l’emporter sur la vie contemplative. Entre 1450 et 1520, on voit apparaître un nombre impo- sant de nouvelles fondations qui, à leur tour, susciteront de nombreuses vocations. Cet essor va se poursuivre jusqu’en 1675. On estime que seule- ment à Paris, « cinquante-cinq maisons ou communautés religieuses sont fondées entre 1600 et 1639 » (Brian et LeGall, idem, p. 80). L’essor des congré- gations féminines en France est particulièrement spectaculaire1. Plus leurs

membres sont recrutés dans les rangs de l’élite sociale, plus la congrégation montre une tendance monastique. À l’inverse, les congrégations composées en majorité de membres issus des rangs moins élevés préfèrent la vocation d’hospitalière et d’assistance aux pauvres.

Fondée en Italie en 1501 par Angela Merici, la communauté des Ursu- lines est l’une de ces congrégations féminines réformées2. Les premières

sœurs de Sainte Ursule étaient regroupées en compagnies de jeunes femmes,

1. Soixante-deux carmels et trois cents communautés Ursulines sont établis en France au xviiesiècle. Joseph Bergin (2009, p. 137) donne une liste des plus importantes congrégations

féminines et la date de leur fondation : Ursulines (1592); Chanoinesses de Saint Augustin de la congrégation de Notre Dame (1597); Carmélites (1604); Capucines (1606); Compagnie des Sœurs de la Vierge Marie (1606); les Visitandines (1610); les Annonciades (1612); les Sœurs de Notre Dame du Refuge (1624).

2. Le livre de Mère Marie de Chantal Gueudré, o.s.u., publié en 1960 donne une vision panoramique de l’histoire des Ursulines en France. La plupart des livres et articles portant sur ce sujet se basent sur lui. Le tome II correspond à l’époque qui nous intéresse.

sans obligation de vœux perpétuels, qui se dévouaient à un apostolat actif auprès des pauvres et des malades. Inspirées par les pratiques commu- nautaires des Franciscains, soutenues par les Doctrinaires et l’autorité épis- copale, un groupe d’Ursulines adopte la vie commune en 1570. Grâce au soutien de nombreux évêques et du pape Clément VIII, une première com- pagnie s’établit en France à Avignon en 1594. Par la suite, plusieurs compa- gnies d’Ursulines apparaissent spontanément dans le sud de la France : Aix-en-Provence (1600), Arles (1602), Marseille (1602), Toulouse (1604), Dijon (1605), Bordeaux (1608), Valence (1608), Lyon (1610). Ces maisons adoptent des vœux simples et l’enseignement de la doctrine chrétienne. Le premier monastère des Ursulines de Paris, établi en 1612 puis consacré en 1634, entraîne un changement spirituel important puisque les Ursulines parisiennes acceptent dorénavant la vie monastique avec clôture papale et prononcent les traditionnels vœux perpétuels des ordres religieux. À partir de 1650, plusieurs compagnies d’Ursulines suivent l’exemple de Paris et le monastère parisien acquiert le statut de maison-mère. L’établissement des autres monastères se réalisera plus ou moins rapidement selon les régions.