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PARTIE 1 : LE TEXTE DES INSCRIPTIONS

1.1. Les éléments structurels

Le vocabulaire susceptible d’évoquer la dédicace de l'église est riche. Pourtant, seuls quelques mots furent choisis dans les inscriptions brèves et certains d'entre eux reviennent systématiquement. Pour comprendre ces choix, tous les mots récurrents ont été analysés, à la fois de manière isolée et dans leurs relations avec les autres. L’analyse respecte leur ordre d'importance dans la structuration du message et leur nombre

1 J. MICHAUD, Les inscriptions de consécration…, op. cit., p. 83‑85. 2 Les schémas sont présentés en détail dans l'introduction de l’Annexe B.

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d'occurrences : le cœur/radical de l'inscription ; l'objet de la dédicace ; la désignation de l’objet dédicacé.

Date + dédicace + saint

Dans les inscriptions brèves de dédicace, la date est toujours donnée selon le calendrier romain, c’est-à-dire un quantième, un jour de référence (calendes, nones, ides) et le mois. Sans indication de l’année, la date de la dédicace définit un déroulement cyclique, celui de la liturgie, qui revient chaque année. Lorsque l’année est mentionnée, la dédicace de l'église s’inscrit dans le temps linéaire chrétien, depuis la Création jusqu’au Jugement dernier.

Dans toutes les inscriptions du corpus de cette étude l'acte dédicatoire ou consécratoire est exprimé par le mot dedicatio, toujours décliné au nominatif singulier. Le mot consecratio n’est jamais utilisé dans le corpus français, contrairement au cas italien par exemple3. Selon le recensement de toutes les inscriptions médiévales liées à la

dédicace de l'église du corpus français, effectué au début de cette recherche, les inscriptions brèves de dédicace sont pratiquement les seules à présenter la dédicace sans avoir recours à un verbe.

La date et le terme dedicatio exprimé au nominatif singulier sont complétés par la mention d'un ou de plusieurs saints (Tableau 1)4. Leur nom est accompagné par un adjectif qui permet de qualifier la nature de leur sainteté (sanctus, martyr, protomartyr, etc.). On distingue ainsi six catégories de saints : les apôtres, les évangélistes, les martyrs (incluant le protomartyr), les anges et archanges, les saints universels (incluant la Vierge) et les saints locaux. Deux dédicaces atypiques, l’une au Saint-Sépulcre (1 cas) l’autre à la Sainte-Croix (1 cas) n’entrent pas dans ces catégories. La dédicace en l'honneur du Dieu Sauveur est l’unique exemple, elle ne trouve aucun équivalent en épigraphie médiévale française5.

3 Nous faisons référence ici à une inscription italienne inédite que nous a présentée Carlo Tedeschi. 4 Dans l'Annexe A, les inscriptions présentées sous forme de liste précisent le vocable.

5 Saint-Philbert-de-Grandlieu (Loire-Atlantique), anc. église abbatiale Saint-Philbert de Grandlieu, IXe Xe s., Annexe B, n° 16, p. 333.

Chapitre 1 : La forme textuelle

Lorsque la dédicace concerne plusieurs vocables, ceux-ci mélangent différentes catégories de saints. Par exemple, la dédicace de l’église priorale Saint-Mamet de Peyrusse-Grande est faite à saint Jean l'Évangéliste, à sainte Foy et à saint Orens6 ; à l’église abbatiale Saint-Pierre et Saint-Paul de Caunes-Minervois, la dédicace est aux apôtres Pierre et Paul, au protomartyr Étienne et au martyr Martin7. C'est une manière de rejoindre différents saints de l'échelle céleste et de construire une dédicace universelle.

Cette distribution des catégories de saints n'est pas spécifique aux inscriptions brèves, les mêmes vocables se retrouvent dans des textes épigraphiques plus développés, mais au hasard des situations locales et des circonstances de la consécration (reliques, prélat consécrateur, etc.).

L'inscription brève de dédicace est donc principalement composée de la date, selon le calendrier romain, du mot dedicatio au nominatif singulier et du nom du saint. Prenons par exemple celle de l'église de Saint-Émilion Souterrain8 :

7 id(us) daece(m)b(ris) dedicacio s(anct)i Emilionis9.

L'inscription commence par un quantième (le 7) suivi d'un jour de référence (les ides de décembre) attaché à un mois (celui de décembre) ce qui donne selon le calendrier grégorien le 14 décembre. Cette date est suivie par le terme dedicatio exprimé au nominatif singulier, puis le nom du saint, associant ainsi directement la date à de la dédicace au saint. Une des caractéristiques essentielles des inscriptions brèves de dédicace est précisément de produire une confusion entre le vocable et le saint. La phrase

6 Peyrusse-Grande (Gers), église priorale Saint-Mamet (absidiole sud), XIe s., CIFM, t. 6, n° 62, p. 67. 7 Caunes-Minervois (Aude), église abbatiale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, XIe-XIIe s., CIFM, t. 12, n° 12, p. 20-21.

8 Saint-Émilion (Gironde), église Saint-Émilion Souterrain, XIe s., CIFM, t. 5, n° 29, p. 117-118.

9 Mornas (Vaucluse), église Notre-Dame du Val de Romiguier, 2e moitié XIe s., Annexe B, n° 22, p. 355. Tableau 1 : Catégories des saints présents dans le texte des inscriptions brèves Apôtres Évangélist

es

Martyrs Anges et archanges

Saints universels Saints locaux Tous les apôtres (1) Pierre (7) Paul (3) Matthieu (1) André (1) Paul (1) Marc (1) Jean (1) Andéol (1) Vincent (1) Laurent (1) Privat (1) Étienne, proto. (2) Michel (3) Troupes célestes (1) Martin (3) Étienne (2) Foy (1) Vierge/Marie ( 6) Jean-Baptiste ( 2) Émilion (1) Romain (1) Mamet (1) Orens (1) Foy (2) Bernard (1) Nicolas (1)

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dit « dédicace de saint Émilion », cela évoque donc la dédicace du saint, mais un tel sens est étrange. Il n’est toutefois pas impossible qu’il s’agisse de la dédicace du saint puisque la dedicacio c’est l’état de grâce spirituel des élus10. Une telle ambiguïté serait impossible avec le mot consecratio. Comment peut-on savoir s'il s'agit de la dédicace du saint, ou de celle de l'église ? Si le texte de l'inscription de l'église Saint-Émilion-Souterrain ne répond pas à cette question explicitement, d'autres textes le font.

La dédicace de quoi ?

L'objet de la dédicace, le plus souvent l'église (dans 25 cas), est précisé dans plus de la moitié des inscriptions (dans 35 cas), mais selon différentes modalités d'expression. Dans l’inscription de l'église de Saint-Sulpice-de-Faleyrens11, il prend place entre le

terme dedicatio et le nom du saint :

7 k(a)l(endas) decembris dedicatio eccl(esi)e beati Sulpicii.

De cette manière, non seulement l'église est désignée comme l'objet de la dédicace, mais on vient aussi préciser qu'il s'agit de l'église du bienheureux Sulpice. Cela permet d'envisager que le terme ecclesia dans les inscriptions où le terme est absent est soit sous- entendu, soit le sens est différent, soit on a voulu jouer sur l’ambiguïté.

Le terme ecclesia n'est pas le seul à faire référence au lieu de culte, nous retrouvons basilica dans 6 cas12, locus dans 2 cas dont 1 avec ecclesia13 et templum dans seulement 1 cas14. Est-ce que ces mots ont une valeur supplémentaire par rapport au terme plus générique ecclesia ? Sans avoir poussé les recherches sur l'évolution lexicale de chacun de ces termes, il est possible de faire quelques remarques générales. Ils étaient tous déjà utilisés durant l'Antiquité en référence à un édifice de culte (basilica, templum)

10 Didier MEHU, « La dialectique aedificatio – dedicatio dans l’œuvre d’Augustin d’Hippone. À propos du sermon 163 », Laval théologique et philosophique, 2018, p. 181‑191.

11 Saint-Émilion (Gironde), église Saint-Sulpice-de-Faleyrens, XIIe s., CIFM, t. 5, n° 36, p. 126.

12 Souspierre (Drôme), église ?, XIe s., Michèle Bois, Henri Desaye et Jean-Claude Mège, « Quelques inscriptions médiévales de la Drôme », Mémoire de la société archéologique de Montpellier, 21, 1993, p. 75‑77. ; Carsan (Gard), église Notre-Dame, Xe-XIe s, Annexe B, n° 13, p. 325 ; Saint-Privat-des-Salses (Hérault), église paroissiale Saint-Privat, Xe XIe s., CIFM, t. 12, n° 66, p. 172 ; Lagnes (Vaucluse), église Saint-Nicolas-de-Galas, 2e moitié XIe s., CIFM, t. 13, n° 53, p. 166 ; Robion (Vaucluse), église Saint-Pierre, XIe s., Annexe B, n° 23, p. 358 ; Lit-et-Mixe (Landes), ancienne église de Lit, XIe s., CIFM, t. 6, n° 10, p. 97.

13 Rodelle (Aveyron), sanctuaire de Sainte-Tarcisse (conservée), Xe-XIe s., Annexe B, n° 12, p. 291 ; Avignon (Vaucluse), Musée de la ville. Provenance : ancienne église Saint-Étienne, XIe s., CIFM, t. 13, n° 17, p. 126-127.

Chapitre 1 : La forme textuelle

ou à la sépulture d'un saint (locus)15. Certains d'entre eux ont été transmis par des textes importants de l'Église chrétienne comme la dédicace du Temple de David et de Salomon, modèles vétérotestamentaires de la dédicace de l'église et de l'autel. Le choix de désigner l'édifice ecclésial, plus précisément comme un temple, renvoie sans doute à la conception du lieu de culte « le Temple vivant » de Dieu (II Cor. 6, 16), réflexion engagée dès les premiers temps de la religion chrétienne16. Ainsi, utiliser les mots basilica, templum ou

locus plutôt qu'ecclesia est un moyen susceptible d'évoquer les fondements de la religion

chrétienne et d'ouvrir la réflexion sur l'origine d'une nouvelle église.

Selon le rapport entre le nombre d'inscriptions où la référence à l’église se fait par un autre mot (basilique, lieu, temple, pour un total de 8 inscriptions) et le nombre de documents du corpus de notre thèse (63 en tout) nous concluons que leur usage est anecdotique. Ces termes ne sont pas davantage utilisés dans les inscriptions plus développées qui citent le nom de l’évêque et quelques éléments sur les circonstances du rituel. Parmi les 245 inscriptions recensées qui évoquent d’une manière ou d’une autre le rituel, 11 cas font référence au temple plutôt qu’à l’église, 8 cas au lieu, 13 cas à la basilique, 7 cas à la « aula », 15 cas à la maison ; contre 62 cas qui utilisent simplement le terme église. En revanche, ces termes semblent plus courants dans les inscriptions qui portent un texte aux rimes riches, mais pour l’affirmer il nous faudrait refaire les statistiques. Ils sont aussi présents dans les chartes de consécration qui contiennent des citations bibliques17, tirées notamment de l'Ancien Testament. Ce qu’il faut donc retenir est le faible taux d'occurrence des mots savants pour désigner la dédicace dans les inscriptions de dédicace en général, ce qui est un premier indice pour leur caractère ordinaire. Cela nous permet de revenir sur l’hypothèse concernant l’ambiguïté église/saint soulevée précédemment. Il semble peu probable que les auteurs utilisant un vocabulaire restreint aient eu l’idée de l’assimilation de l’église au saint. Pour eux, sans doute, l’association d’une dédicace avec un nom de saint évoquait sans ambiguïté la dédicace du lieu. Nous sommes là en présence de la formule la plus brève possible de l’inscription

15 Sur la notion de locus au Moyen Âge : D. MEHU, « Locus, transitus, peregrinatio. Remarques sur la spatialité des rapports sociaux dans l’Occident médiéval (XIe- XIIIe siècle) », op. cit.

16 D. IOGNA-PRAT, La Maison Dieu, op. cit., p. 30‑33.

17 Michel LAUWERS, « Consécration d’églises, réforme et ecclésiologie : recherche sur les chartes de consécration provençales du XIe siècle », dans Mises en scène et mémoires de la consécration de l’Église

dans l’Occident médiéval. Actes de la table ronde organisée au Centre d’études médiévales d’Auxerre entre le 27 et le 29 juin 2005, éd. D. Méhu, Turnhout, Brepols, 2007, p. 169.

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de dédicace qui ne conserve que les éléments les plus importants pour la transmission du message : la date, la dédicace et le nom du saint.

Du corpus de notre thèse, 3 inscriptions concernent la consécration d'un autel18. Le formulaire est très proche de celui étudié précédemment. La différence majeure est le remplacement du mot ecclesia par altare. Au contraire du terme ecclesia parfois remplacé par templum, locus ou basilica, l'autel n'est jamais désigné par un autre mot qu'altare. Pourtant, comme pour le terme ecclesia, les mots pour y référer ne manquent pas : ara,

tabula, locus sont privilégiés dans les poèmes épigraphiques ainsi que la référence à la

« Porte du ciel » ou encore à l’Arche d’Alliance19.

Dans l'inscription d'Escalans20, ce changement entraîne l'ajout d'un élément,

anecdotique dans le reste du corpus des inscriptions brèves : la formule in honore :

17 k(alendas) jan(uarii) dedicacio istius alt[a]re in ho(no)re // sa[nc]toru[m] a[postolorum [---]] sancti [---].

Cette formule, présente seulement dans deux autres inscriptions brèves de dédicace, caractérise davantage les textes dans lesquels la dédicace apparaît sous la forme d'un verbe (Introduction, corpus). Elle était également présente dans les mêmes inscriptions qui utilisent un autre terme plus savant (ara, locus…)21. Cette fois, la formule in honore

apporte une précision supplémentaire au texte : il s’agit de la dédicace de l’église « en l’honneur du saint » et non de la dédicace du saint comme on aurait pu le croire avec les inscriptions les plus brèves.

18 Vilhosc (Alpes-de-Haute-Provence), église priorale Saint-Gervais, XIe s., CIFM, t. 16, n° 17, p. 24 ; Campagnac (Aveyron), église priorale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Canac, XIe-XIIe s., CIFM, t. 9, n° 4, p. 10 ; Escalans (Landes), église priorale Saint-Jean-Baptiste, XIe s., CIFM, t. 6, n° 8, p. 94.

19 Nous citerons comme exemple les poèmes de Suger et plus particulièrement celui composé pour l’antependium d’or du chevet selon l’édition suivante : SUGER, « Scriptum consecrationis ecclesiae sancti Dionysii : Écrit sur la consécration de l’église de Saint-Denis », dans Œuvres, éd. F. Gasparri, Paris, Les

Belles Lettres, 1996, vol. 1 (Les Classiques de l’Histoire de France au Moyen Âge, 37), p. 124-125. L’inscription est la suivante :

« Magne Dyonisi, portas aperi Paradisi, Suggeriumque piis protege praesidiis.

Quique novam cameram per nos tibi constituisti, In camera celi nos facias recipi,

Et pro pr[a]esenti, celi mensa satiari. Significata magis significante placent ».

20 Escalans (Landes), église priorale Saint-Jean-Baptiste, XIe s., CIFM, t. 6, n° 8, p. 94.

21 Cécile TREFFORT, « La place d’Alcuin dans la rédaction épigraphique carolingienne », Annales de

Chapitre 1 : La forme textuelle

Il faut saut doute s’étonner aussi de retrouver le verbe dedicare qui n’est pas employé dans les rituels en lien avec l’autel, on parle toujours de consecratio. Cela témoigne-t-il d’un décalage entre la pratique et la théorie des textes liturgiques ? La question mériterait d’être investiguée par une analyse comparée des textes épigraphiques et manuscrits. La récurrence du terme dedicatio au nominatif et le faible nombre d’occurrences des dédicaces d’autels permet néanmoins d’envisager que ces inscriptions concernent en premier lieu l’église et que celles destinées à l’autel en soient dérivées. On n’aurait pas conçu un formulaire spécifique à la consécration d’un autel, mais simplement repris celui pour la dédicace de l’autel en l’adaptant. Cette adaptation montre la force que pouvait avoir la formule brève qui, comme le montre l’absence de la formule in honore malgré son importance dans la clarté du message, est la plus épurée possible. Ce sont d’ailleurs les inscriptions avec les adjectif-pronoms démonstratifs qui présentent les formes les plus brèves.

Lier le texte et son contexte

Les adjectif-pronoms démonstratifs hic/haec/hoc (10 cas)22, iste/ista (11 cas)23 et

ejusdem (2 cas)24 sont parfois introduits dans l'inscription brève de dédicace. La plupart du temps, ils sont insérés juste avant la désignation de l'église, comme dans l'inscription de Saint-Pierre de Montélimar :

18 k(a)l(endas) se(ptem)b(ris) dedicacio ujus ecl(esi)ae s(anctae) [G]i[ta]e s(anctus) Petrus ap(ostol)i25.

De cette manière, le texte fait explicitement référence au lieu ou à l’objet dédicacé. Ces adjectifs-pronoms démonstratifs créent une relation entre l’inscription et un lieu spécifique qu’ils désignent26. Dans cette inscription par exemple, la présence du déictique

22 Vilhosc (04) ; Revest-Saint-Martin (04) ; Campagnac (12) ; Chamborand (23) ; Chantemerle-Lès- Grignan (26) ; Montélimar (26) ; Souspierre (26) ; Germigny-des-Prés (45) ; Agen (47) ; Buoux (84) ; Lagnes (84).

23 Saint-Martin (04) ; Bessuéjouls (12) ; Rodez (12) ; Puyloubier (13) ; Escalans (40) ; Lit-et-Mixe (40) ; Padirac (46) ; Apt (84), linteau ; Saignon (84) ; Saint-Christol (84) ; Saint-Pantaléon (84).

24 Agen (47) ; Mane (04), église priorale.

25 La transcription donne deux nombres (11 et 7) sur deux lignes différentes que nous avons additionnés ici pour concentrer notre attention sur le reste du texte. Nos hypothèses concernant la question des deux nombres superposés sont élaborées dans l’Annexe B et dans la partie 3 : Montélimar (Drôme), chapelle Saint-Pierre dite Sainte-Guitte, château des Adhémar, XIe s., Annexe B, n° 11, p. 302.

26 Cette opération est le sujet de toute une partie de la thèse d'Estelle INGRAND-VARENNE, Langues de bois,

de pierre et de verre, t. 1 : Étude, op. cit., p. 165‑193, aujourd'hui publiée sous le titre suivant : E. INGRAND- VARENNE et C. TREFFORT, Langues de bois, de pierre et de verre, op. cit.

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haec au génitif (huius) permet de lier l'inscription qui se réfère à la dédicace de l'église

Sainte-Guitte-et-Saint-Pierre au lieu de son énonciation. Ce texte, composé du mot

dedicatio, d'un déictique, de l'objet de la dédicace et d'un vocable, est l’un de ceux qui

compte le plus d'éléments parmi les inscriptions brèves de dédicace27.

Cependant, le déictique est aussi présent dans les inscriptions les plus laconiques, comme celle de Saint-Martin-les-Eaux :

N(o)n(as) novimber dedicacio istius eccl(esi)e28.

Sa présence est presque systématique lorsque le texte ne mentionne pas le saint en l’honneur duquel l’église est dédicacée. Sur les 63 documents de notre corpus, 20 inscriptions ne mentionnent pas le nom d’un saint, dont 12 ont recours à un déictique démonstratif. Le pronom démonstratif crée ainsi un lien entre le texte et le lieu de son inscription spécifique. Il accorde une plus grande importance à sa dimension matérielle en créant un lien physique entre la personne qui lit, l’inscription et le lieu où elle se trouve.

Dans ce type d’inscription, il n'est plus uniquement question de lier ensemble le texte et son support, mais bien de compléter le texte par son contexte d'énonciation : l'église. En effet, même si dans cette inscription le vocable n'est pas précisé, l'inscription y fait directement référence par le pronom ista. Il ne s'agit plus de la dédicace d'une église, mais de la dédicace de cette église dans laquelle le fidèle se tient.

Alors que la présence du pronom démonstratif est aléatoire dans les inscriptions de dédicace d'église, elle est systématique dans les inscriptions d'autel. Prenons pour commencer celle d’un autel dans l'église Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Canac qui introduit justement l'autel avec le pronom-adjectif ujus29 :

8 k(a)l(endas) april(is), d(edica)c(io) uj(us) altaris.

27 J. MICHAUD, Les inscriptions de consécration…, op. cit., p. 82‑92.

28 Saint-Martin-lès-Eaux (Alpes-de-Haute-Provence), église Saint-Martin, XIe s., Annexe B, n° 3, p. 291. 29 Campagnac (Aveyron), église priorale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Canac, XIe-XIIe s., CIFM, t. 9, n° 4, p. 10.

Chapitre 1 : La forme textuelle

Seule la date et la mention de la dédicace de l'autel sont mentionnées. Cette inscription est similaire aux précédentes, si ce n'est que l'objet de la dédicace est l'autel au lieu de l'église.

L'inscription de dédicace de l'ancienne église priorale de Vilhosc30 ne présente pas non plus un grand écart avec les précédentes :

7 k(a)l(endas) mar[cii] dedicacio h(aec)31 altaria s(ancti) Sepulcri (et) s(ancti) Ber[nardi].

Le terme dedicatio est suivi du pronom-adjectif hoc. La dédicace est donc présentée en ces termes : le 7 des calendes de mars, dédicace de cet autel saint Sépulcre et saint Bernard. Dans celle-ci, les vocables sont précisés, mais ils ne forment qu'une seule entité avec l'autel.

Dans la dernière inscription, celle d'Escalans, le mot dédicace est suivi du pronom

istud suivi du mot altare :

17 k(alendas) jan(varii) dedicacio istius alt[a]re in ho(no)re // sa[nc]toru[m] a[postolorum [---]] sancti [---].

Cette fois, le texte détermine non seulement l'objet de la dédicace hoc altare, mais aussi la fonction des saints que l'introduction de la formule in honore permet de préciser.

Il est possible de proposer différentes explications pour la présence dans les inscriptions de dédicace d'autels d’un pronom démonstratif, mais nous en retenons une en particulier. Considérant qu'il apparaît dans trois inscriptions au contenu différent dont le point commun est l’objet de la dédicace, l’autel, nous supposons que ce soit la désignation de cet objet précis qui explique l’usage du pronom démonstratif. Comme l’autel est étroitement lié aux saints qui y sont contenus et parce que la dédicace de l'église est dépendante de celle de l'autel, c’est l’hypothèse qui semble la plus plausible pour l’instant32. Cette articulation de l'écriture, de l'autel et de la dédicace apparaît clairement

30 Vilhosc (Alpes-de-Haute-Provence), église priorale Saint-Gervais, XIe s., CIFM, t. 16, n° 17, p. 24. 31 La nouvelle étude de cette inscription permet de lire un h barré après le mot « dedicacio » de la deuxième ligne. A priori on devrait avoir ici un génitif, huius s’il n’y a qu’un autel, ou horum s’il y en a 2, ce que laisse entendre le mot altaria. Mais altaria est un nominatif pluriel, on devrait donc avoir un nominatif pluriel pour le déictique : haec.

32 Dans l'ordo 40 du Pontifical romano germanique du Xe siècle, la bénédiction de l'autel et sa consécration précèdent celle de l'église. Les schémas des auteurs suivants illustrent bien cette idée : B. REPSHER, The

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dans les inscriptions carolingiennes où, à l'inverse de celles-ci, l'inscription n'a pas pour sujet le rituel de dédicace, mais sa finalité : la présence des saints en ce lieu.

***

Pour préciser le schéma présenté par Jean Michaud, il est possible de dire que pour les inscriptions brèves de dédicace, la date est composée d'un quantième, d'un jour de référence et du mois selon le calendrier romain, que l'acte dédicatoire, s'il en est un, est présent par le terme dedicatio exprimé au nominatif singulier et que le patronage correspond à une ou plusieurs des 6 catégories de saints répertoriées dans ces inscriptions. D'autres éléments peuvent également être utilisés comme un terme précis pour désigner l'objet de la dédicace (ecclesia, basilica, altare…) ou un pronom qui permet de rendre

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