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PARTIE 1 : LE TEXTE DES INSCRIPTIONS

1.2. Éléments complémentaires

Une douzaine d'inscriptions de notre corpus mentionnent des éléments qui sont absents du formulaire simple que l’on vient d’analyser. Envisageons-les les uns après les autres et tentons d’en saisir la logique.

Le nom dans l’inscription

Dans quatre inscriptions, un ou plusieurs noms de personnages sont ajoutés à la formule de dédicace. Ils ont sans doute un lien étroit avec le rituel, mais lequel et par quelle action cette articulation entre les deux se manifeste-t-elle ?

Dans certaines inscriptions, le texte précise le rapport entre la dédicace et le nom ajouté à la formule brève. C’est le cas du texte inscrit sur le pied d’autel de Mercenac33 :

Rite of Church Dedication in the Early Medieval Era, op. cit., p. 49-56-61‑65 repris par D. IOGNA-PRAT,

La Maison Dieu, op. cit., p. 268‑271.

Chapitre 1 : La forme textuelle

17 k(a)l(endas) a(u)g(ust)i dedicacio s(an)c(t)a Maria e(t) s(an)c(t)i Mi[c]haelis e[t] s(an)c(t)i Petri. Pridie no(na)s novemb(ris) s(an)c(t)i Stefani. Bernardus e(pisco)p(u)s dedicavi.

Bernard est clairement présenté comme un évêque. Son nom est suivi du verbe dedicare, confirmant ainsi qu’il est bien le prélat consécrateur. Toutefois, il n’apparaît pas selon les mêmes modalités que dans les inscriptions plus développées où l’évêque est présenté comme celui qui a dédicacé l’église en l’honneur d’un ou de plusieurs saints dans un texte où les informations se suivent de manière logique34. Ici, nous sommes en présence de

trois propositions inter-reliées, mais qui pourraient aussi fonctionner seules si elles n’étaient pas toutes gravées sur un seul support. La première phrase correspond en tout point à la formule brève, elle donne la date de la dédicace, le mot dedicatio au nominatif et le nom de trois saints. La deuxième phase donne une autre date, mais cette fois le mot

dedicacio n’est pas répété. Il s’agit sans doute d’une seconde dédicace, l’un pour l’église

et l’autre pour un autel ou encore deux dédicaces d’autels différents. La troisième, vient compléter ces informations, en donnant le nom de l’évêque, mais comme nous l’avons vu dans les inscriptions précédentes, cette donnée n’est pas essentielle à la compréhension du message, elle vient surtout le préciser.

Dans l’inscription sur l’autel majeur de l’église abbatiale Saint-Pierre-et-Saint- Paul de Caunes-Minervois35, il n’est plus question de l’évêque qui accomplit le rituel de dédicace, mais de l’édification de l’église par l’abbé et les moines :

In nomine Domini nostri Jesu, dedicatio s(anctorum) apostolorum Petri et Pauli, seu s(ancti) Stephani et s(ancti) Martini episcopi et confessoris Christi, 17 calendas decembris [- - -] quam aedificavit Anianus abba cum monachis suis.

Cette fois, dedicacio exprimé au nominatif est précédé de la formule in nomine Domini

nostri Jesus, qui est entre autres prononcée lorsque l’on trace les croix sur l’autel au

34 À titre d’exemple, voici le texte de l’inscription de l’ancienne église abbatiale de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) éditée dans le CIFM, t. 6, n° 21, p. 134-136 : « Anno millesimo nonagesimo 7 ab

incarnatione D(omi)ni 3 nonas janvarii hanc aula(m) Symon sacravit presul Agenni cu(m) Petro Lectorens[i] ep(iscop)o in nomine s(an)c(t)e Trinitatis et [in] ho[no]re(m) s(an)c(t)e Crucis et s(an)c(t)e Marie et s(an)c(t)i Maurini et omniu(m) s(an)c(t)oru(m) Dei. ».

35 Caunes-Minervois (Aude), église abbatiale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, XIe-XIIe s., CIFM, t. 12, n° 12, p. 20-21.

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moment de sa bénédiction et de sa consécration36. La date se trouve tout à la fin de la liste de saints et est suivie, juste après une lacune, du verbe aedificare, action exécutée par l’abbé Anian avec les moines. Ces ajouts aux informations de base de l’inscription brève de dédicace permettent d’en apprendre plus sur l’objet consacré, bien que celui-ci ne soit pas désigné clairement, peut-être l’était-il dans la partie de l’inscription manquante. Selon la présence de la formule in nomine semblable à la formule in honore des inscriptions d’autels et l’usage du verbe aedificare recensé dans d’autres inscriptions qui concernent la construction d’un autel, comme celui d’Elne par exemple37. Il s’agit sûrement de la

construction et de la dédicace de l’autel majeur de l’église abbatiale Saint-Pierre-et-Saint- Paul de Caunes-Minervois. L’abbé et ses moines apparaîtraient donc dans l’inscription à titre de constructeur de l’autel.

La correspondance entre le nom dans l’inscription et la dédicace n’est pas toujours claire du fait de la brièveté du texte. L’inscription de la chapelle de l'ermitage de Puyloubier38, qui débute par la mention de dédicace illustre bien ce cas de figure :

[10 kalendas madii] dedi[ca]cio templi istius. Amalricus episcopus.

Le nom de l'évêque est inscrit à la suite de la mention de la dédicace, mais aucun verbe ou mot connecteur ne permet de le relier à celle-ci ni même d'identifier sa fonction dans l’acte rapporté par l'inscription. Cette organisation du message donne l'impression que le nom est apposé à la mention de dédicace, car il s'agit de deux phrases indépendantes (non reliées par une conjonction) et, qui plus est, nominales (sans verbe). Le nom d'Amauri ici ne désigne pas nécessairement le prélat consécrateur. L’apposition du nom de l’évêque au formulaire bref de la dédicace de l’église invite à faire le lien entre les deux et à supposer qu’il s’agit bien du prélat consécrateur. L’absence d’un verbe ou d’un autre élément pour préciser le lien entre les deux répondrait à cette règle, qui tend à s’imposer pour une raison ou une autre, de la brièveté du formulaire. Toutefois, comme on réfère

36 « Ordo 40 ad benedicendam ecclesiam », dans Le Pontifical romano-germanique du Xe siècle,

éd. C. VOGEL et R. ELZE, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1963, vol. 2, p. (Studi e testi, 227).

37 Nous faisons ici allusion à la plaque de droite encastrée dans le maître autel baroque de l’église cathédrale Saint-Eulalie d’Elne éditée dans le CIFM, n° 45, t. 11, p. 54-57 : « Anno 69 post millesimo incarnacione

d(omi)nica [in]dicione VII revere(n)tisim(us) ep(iscop)us isti(us) ecclesie [--R]aimu(n)d(us) et Gaucefred(us) comes simulq(ue) Azalaiz comitissa parit(er)q(ue) hom(ni)b(us) hom(n)ib(us) istius t(er)re [p]otentes mediocres atq(ue) minores jusser(unt) hoc altare in onnore(m) D(omi)ni n(ost)ri Jh(es)u (Christi) et martiris hac virginis ej(us) Eulalice edificare p(ropte)r D(eu)m et r(e)mediu(m) animas illor(um) ».

Chapitre 1 : La forme textuelle

dans d’autres inscriptions au règne d’un roi, au temps d’un abbé39, le nom de l’évêque

pourrait avoir la fonction ici de replacer la dédicace dans l’épiscopat de l’évêque Amauri. L’évêque n’aurait pas la fonction de prélat consécrateur, mais de marqueur temporel comme dans l’inscription suivante. En effet, dans l’inscription brève de dédicace de l’église priorale Saint-Pierre de Portes-en-Valdaine, le nom de l’évêque, à l’ablatif singulier, occupe la position de complément circonstanciel de temps40 :

In dedicacione de sancto Petro Udalrico episcopo indictione 4, 10 kalendas octobris.

Johannes presbiter me fecit.

Sa fonction dans l’inscription est de replacer dans le temps la dédicace de l’église Saint-Pierre. Cette fois, une seconde proposition suit les marqueurs temporels indictione

4, 10 kalendas octobris, dans laquelle on trouve une formule connue sous le nom de

« signature épigraphique » 41. Elle se caractérise par la présence d’un nom suivi du verbe

facere selon la forme suivante : me fecit. Dans ce type d’inscription, « ce qui est fait »

n’est pas mentionné précisément. Néanmoins, nous pouvons suggérer pour l’inscription de Portes-en-Valdaine que le prêtre ait réalisé l’inscription, puisqu’il n’est pas vraiment plausible qu’il ait réalisé le support, on ne mentionne pas les ouvriers, et qu’il ait consacré l’église ou l’autel est exclu. Il s’agirait donc du prêtre qui grava ou rédigea le texte de dédicace, ce qui constitue l’unique témoignage permettant d’identifier le lapicide ou l’auteur du texte.

L’ajout d’un nom à l’inscription brève de dédicace n’a pas toujours pour fonction d’apporter des détails à la cérémonie en citant le prélat consécrateur. En effet, celui-ci n’est clairement mentionné que dans une inscription, celle du pied de l’autel de Mercenac ; dans les deux autres, à Puyloubier et à Portes-en-Valdaine, il est plutôt cité comme marqueur temporel. « Dédicace au temps de l’évêque Amalric » ; « dédicace au temps de l’évêque Uldaric » … C’est au temps d’Uldaric que le prêtre de l’inscription de

39 Nous retrouvons les deux dans l’inscription de l’église abbatiale de Pontlevoy (Loir-et-Cher, XIe siècle) éditée dans le CIFM, t. 25, n° 141, p. 164-166 : « + In onore s(an)c(t)i Joha[n](n)is Bactiste iste altare

sacratus est in tenpore Ansberti, primi abbati ; Adenor femina fieri jusit in tenpore Herrico rex » ou « + In onore s(an)c(t)i Joha[n](n)is Bactiste iste altare sacratus est in tempore Herrico rex ; in tenpore Ansberti, primi abbati, Adenor femina fieri jusit » ou « + In onore s(an)c(t)i Joha[n](n)is Bactiste iste altare sacratus est in tenpore Herrico rex, in tenpore Ansberti, primi abbati. Adenor femina fieri jusit ».

40 Portes-en-Valdaine (Drôme), église priorale Saint-Pierre, XIe s., CIFM, t. 16, n° 44, p. 158.

41 Emilie MINEO, L’artiste, l’écrit et le monument. Signatures épigraphiques en France au Moyen Âge

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Portes-en-Valdaine donne une voix à l’inscription pour qu’elle le présente comme celui qui l’a faite. Un peu plus loin, à l’église abbatiale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Caunes-Minervois, l’abbé et les moines sont présentés comme les responsables de l’édification de l’autel. Le nom ajouté aux éléments récurrents des inscriptions brèves de dédicace n’est donc pas toujours celui de l’évêque qui a consacré l’église. Les inscriptions qui mentionnent le prêtre ou l’abbé et ses moines montrent que les actes liés à la construction matérielle de l’église ou de l’autel avaient aussi leur importance. Enfin, celles dont le nom de l’évêque sert à préciser le temps de la dédicace exposent, à leur manière, l’importance du temps historique même si on y fait référence qu’exceptionnellement. Nous le retrouverons seulement dans deux autres inscriptions, mais cette fois sous la forme d’une mention de l’année.

L’année

Deux seules inscriptions du corpus mentionnent l’année de la dédicace sans ambiguïté42, à savoir celle de l'église Saint-Vincent des Peintures (1123)43 et celle de

l’église Montaudran de Toulouse (1199)44. Dans la première, la formule de l’Incarnation

du Seigneur est en première position dans la phrase, suivi de l’année 1123 et finalement les informations que l’on trouve aussi dans les inscriptions brèves :

Anno ab incarnacione D(omini) 1123, 3 idus febroari dedicacio eccl(esi)e s(an)c(t)i Vincenti m(arti)r(is).

Dans la seconde inscription, celle de l’église Montaudran de Toulouse, la mention de dédicace précède celle de l’année et l’Incarnation n’est pas mentionnée, mais sous- entendue par les mots anno Domini :

3 nonas mai, dedicatio altaris Stefani et totius ecclesia, anno Domini 1199.

L'ajout de l'année ne perturbe ni l'ordre ni la valeur des éléments. La date est tout simplement précisée, comme c'est le cas dans différents documents de l'époque

42 Nous avons décidé de ne pas commenter l’inscription de l’église priorale Saint-Michel d’Albania de Saignon (84) parce que le texte, dont la date, est en grande partie restitué : cf. CIFM, t. 13, n° 67, p. 186-187. 43 Les Peintures (Gironde), église Saint-Vincent, XIIe s., CIFM, t. 5, n° 28, p. 115-116.

44 Toulouse (Haute-Garonne), église Montaudran, XIIe s., Citée par Janine LUNET, « Les clochers-murs de la Haute-Garonne », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France

Chapitre 1 : La forme textuelle

médiévale, comme les chroniques qui commencent par la formule de l'Incarnation suivie de l'année.

L’année est aussi présente dans les inscriptions plus développées, avec le nom de l’évêque, les circonstances et parfois le nom du fondateur, et ce, dans un seul texte. Ce sont ces inscriptions qui correspondaient au deuxième schéma de Jean Michaud, qu’il interprétait comme le développement de la formule brève45. Si notre recensement à

permis de démontrer que l’année est déjà présente dans certaines inscriptions contemporaines des formes brèves, il est vrai qu’un plus grand nombre est conservé pour la fin du XIe siècle, et que la présence de l’année dans ces inscriptions est encore plus représentative au XIIe siècle (tabl. 2). En regard du nombre conservé, nous constatons que leur présence est encore plus forte au XIIIe siècle.

Tableau 2 : Distribution par siècle des 85 inscriptions liées à la dédicace qui mentionnent l’année

Siècle Xe siècle XIe siècle XIIe siècle XIIIe siècle Nombre d’inscriptions

avec l’année 3 21 39 23

Nombre d’inscriptions produites/conservées

12 106 92 32

Relevons ici que les deux inscriptions dont le texte est vérifié (par sa présence dans le texte) font partie des plus tardives du corpus. Selon la date qu’elles portent, elles auraient été réalisées au début et à la fin du XIIe siècle, moment où la présence des

inscriptions, liées à la dédicace qui donnent aussi une date complétée par l’année, s’intensifie. Considérant la proximité de plusieurs d’entre elles (carte 2), probablement que la présence de l’année et même du nom dans ces inscriptions témoigne de la perméabilité de la forme brève des inscriptions brèves de dédicace qui, dans certains cas, emprunte quelques éléments présents dans les textes plus développés sans nécessairement transformer l’ensemble du texte.

Ces inscriptions ne concernent pas uniquement un temps cyclique, la présence de l'année les fait basculer dans le temps historique qui a un point précis entre le début et la fin des temps. L'année permet aussi de placer plus concrètement la dédicace dans l'histoire de l'église ; le temps des grands prélats, celui des grands événements. Cela ne change

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cependant pas l’issue, le Jugement dernier, au contraire, il donne seulement une dimension supplémentaire à celle-ci.

Citation liturgique et biblique

Trois inscriptions du corpus à l’étude ajoutent au formulaire de base une brève citation psalmique, qui peut aussi être envisagée comme une référence au rituel de dédicace, puisque la phrase en question est prononcée au cours de celui-ci.

L'inscription de l’église priorale de Saint-Pierre de Nant46 fait précéder la mention

de la dédicace par l’expression « pax huic domui », suivie d’une croix :

Pax uic domui + 6 idus agustas dedicacio s(ancte) ecles(ie).

L’expression Pax hui domui renvoie aux paroles prononcées par l’évêque lorsqu’il franchit le seuil de l’église pour une première fois47. Cette citation est inspirée des paroles

que Jésus aurait demandées à ses 72 disciples de prononcer lorsqu'ils entraient dans les maisons pour prêcher la Bonne Nouvelle48. L’évêque est donc ici placé sur le même plan que les apôtres et l’église est associée à la maison dans laquelle les apôtres prêchèrent la Bonne Nouvelle. Ce geste de l’évêque a lieu précisément après le triple circuit à l'extérieur de l'église, moment où il revêt le pouvoir de dédicacer l’église avant le tracé de l'alphabet sur le sol qui symbolise, entre autres, l’entrée du verbe dans sa nouvelle demeure49. La présence de cette citation sur le même support que la mention de la dédicace est une manière d’évoquer l’exégèse liturgique de la transformation de l’édifice de pierre en Maison de Dieu par les gestes précis et les paroles prononcées.

46 Nant (Aveyron), église priorale Saint-Pierre, XIe s., CIFM, t. 9, n° 41, p. 64-65.

47 « Ordo 40 ad benedicendam ecclesiam », op. cit., p. 33, n° 21 : « Tunc statim ostio aperto intrans in

ecclesiam cum ministris duobus vel tribus et cum mansionario et acolito dicat : Pax huic domui, tribus vicibus. R. Amen. Et clauditur ostium aecclesiae ».

48Vulgate latine, Luc, 10, 5 : « In quacumque domum intraveritus primum dicite : pax huic domui »

Bibliorum sacrorum latinae versiones antiquae seu Vetus italica..., éd. Pierre SABATIER [1re éd. 1743-1749 Reims], Turnhout, Brepols, 1981, vol. 2/3, p. 309.

49 Cécile TREFFORT, « Opus litterarum. L’inscription alphabétique et le rite de consécration de l’église (IXe- XIIe siècle) », Cahiers de civilisation médiévale, 53, , vol. 53, p. 153‑180, p. 180.

Chapitre 1 : La forme textuelle

Une seconde inscription, celle de l’autel de l’église abbatiale Saint-Martin de Chamborand50, pourrait, elle aussi, être inspirée d’une antienne récitée lors du rituel de la

dédicace. L'inscription se développe comme suit sur différentes faces d'un autel : Face 1 :

[---] compsit Acvarnus

Face 2 :

[---ecclesi]ae decus. O metuende D(eu)s.

Face 3 :

+ 17 k(a)l(endas) julii de(dicacio) haec in honore sacrae caele{stis}

Sous toutes réserves compte tenu des lacunes, la face 2 semble évoquer la phrase « O

quam metuendus est locus iste, vere non est hic aliud nisi domus Dei et porta coeli » de

manière allusive. Cette antienne est inspirée des paroles de Jacob lorsqu'il se réveilla du songe qu'il fit la tête sur une pierre, symbolisant l’autel de pierres qu’il construisit sur le mont Béthel où il fit une offrande qui lui permi de s’entretenir avec Dieu51. Cette fois, cette citation correspond à deux temps de l'ordo 40 du Pontifical romano-germanique. Cette antienne est d'abord chantée durant le tracé du double alphabet sur le sol. Les mots sont ensuite repris dans l'antienne qui débute lorsque l'église est tout entière consacrée, juste avant de procéder à la messe finale52. Cette dernière associe explicitement l'autel à la porte du ciel.

Dans l’inscription de Buoux53, la mention de la dédicace est inscrite devant une

citation biblique :

[.] non[as] januarii [---d]edicat[i]o ujus ecl(es)ie. Vos q(ui) transitis q(ui) [crimina] flere velitis p(er) me transite, sum janua vi{ta}e.

50 Chamborand (Creuse), église abbatiale Saint-Martin, XIe-XIIe s., CIFM, t. 4 (II), n° 3, p. 71-72.

51 Vulgate, Genèse, 28, 17 : « Pevensque, Quam terribilis est, inquit, locus iste ! non est hic aliud nisi domus Dei, et porta coeli », Bibliorum sacrorum latinae versiones antiquae seu Vetus italica..., éd. Pierre SABATIER [1re éd. 1743-1749 Reims], Turnhout, Brepols, 1981, vol. 1/3, p. 80.

52 « Ordo 40 ad benedicendam ecclesiam », op. cit., p. 136 et 173. 53 Buoux (Vaucluse), église du fort de Buoux, XIe-XIIe s., inédite.

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Cette phrase est un appel au passant probablement inspirée du début des Lamentations (I, 12) : O vos omnes qui transitis per viam54. Elle ne trouve pas de parallèle dans le rituel

de dédicace de l’église, mais elle se retrouve dans une inscription de l’église Saint- Marcel-Lès-Sauzet, gravée à la base d’un tympan sur lequel est sculptée une Vierge à l’enfant avec le tétramorphe. En invitant le fidèle à entrer dans l’église pour être sauvé, l’inscription met en parallèle la transformation de celui-ci avec celle de l'église55. La

première étant préalable à la seconde puisque c'est dans l'église qu'ont lieu tous les sacrements qui ponctuent la vie du fidèle et lui permettent d'accéder à la vie éternelle.

Ces trois inscriptions sont étroitement liées à la porte, celle du Ciel, mais aussi celle de l'église. L’inscription de Nant met en relation la dédicace de l'édifice et le franchissement du seuil par l'évêque, celle de Chamborand associe la dédicace avec la porte du Ciel et celle de Buoux avec l'entrée du fidèle dans l'église. Dans tous les cas, le texte associe la finalité du rituel, la dédicace de l'église et un geste préalable ou une conséquence de sa réussite. Pour l’évêque ou les ecclésiastiques qui connaissaient la liturgie, l’association entre la forme de dédicace et une citation liturgique ou biblique est une forme d’exégèse du rituel.

***

En résumé, trois catégories d'informations sont parfois ajoutées au formulaire bref de l’inscription de dédicace : le nom, l'année et la citation liturgique ou biblique. À la différence du schéma de base, ceux-ci n'ont jamais la même forme, valeur ou fonction. Dans la plupart des cas, les éléments ajoutés donnent des informations supplémentaires, mais ils ne viennent pas changer la structure du texte. Lorsque c'est le cas, le formulaire pourrait témoigner de l'évolution de l'inscription brève vers la plus développée comme l'avait proposé J. Michaud dans sa thèse. Les trois citations diffèrent aussi dans leur contenu, mais elles sont intrinsèquement liées par leur origine biblique ou liturgique qui renvoie à l'aspect transitoire de la porte. L'inscription brève de dédicace a donc une forme que les ajouts et compléments ne viennent pas bouleverser.

54 « Nova Vulgata », Base de données The Unbound Bible, Biola University, 2005-2006.

55 Le parallèle entre la dédicace de l'église et celle du fidèle est fait par Augustin d'Hippone dans le sermon 163 étudié par D. MEHU, « La dialectique aedificatio – dedicatio dans l’œuvre d’Augustin d’Hippone. À propos du sermon 163 », op. cit.

Chapitre 1 : La forme textuelle

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