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Un ensemble d’écosystèmes, étudié depuis des décennies sous l’angle naturaliste

CHAPITRE II Les zones humides étudiées : des contextes variés et des géosystèmes

A- Un ensemble d’écosystèmes, étudié depuis des décennies sous l’angle naturaliste

La première caractéristique des zones humides est d’être entre terre et eau. Ces deux éléments évoquent assez spontanément l’idée de nature. Nous sommes amenés à nous poser en préambule, une question simple d’apparence : existe-t-il encore des milieux naturels ? Les zones humides font-elles partie de cette catégorie ?

1- Peut-on parler de milieux naturels à propos des zones humides ?

Étymologiquement, le milieu est ce qui se trouve au centre. Son sens est déjà spatial et désigne aussi « l’espace occupant une position entre plusieurs personnes » (Dictionnaire historique de la langue française). À partir du 17e siècle, le terme est employé par les scientifiques pour exprimer « l’élément physique dans lequel un corps est placé », autrement dit « ce qui est interposé entre plusieurs corps et transmet une action physique de l’un à l’autre ». En 1842, Balzac emploie le mot pour parler de l’ensemble des conditions extérieures dans lesquelles vit et se développe un individu (Dictionnaire historique de la langue française). Le milieu géographique constitue ce qui entoure l’homme. Mais comment définir un milieu naturel ? Selon la définition que propose Demangeot, « le milieu est dit naturel lorsqu’y prédominent les éléments non ou peu transformés par l’homme : rochers, arbres, marais » (Demangeot, 1994). Pour être plus précis, il ajoute qu’un « milieu géographique est naturel lorsque les écosystèmes holocènes (7000 ans BP) y jouent encore le rôle principal, organiquement et statistiquement » (Demangeot, 1994). Si cette formulation est critiquable, elle n’en offre pas moins l’indication que les marais sont cités comme faisant partie des éléments peu transformés par l’homme et susceptibles de jouer le rôle principal dans un milieu. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire d’expliquer le fonctionnement écosystémique des zones humides. C’est en fonction du degré de construction du milieu que l’on détermine la naturalité d’une zone humide. Pour autant, cela ne signifie pas que l’activité humaine est absente ou exclue de la formation des zones humides.

Si nous pouvons convenir, avec Demangeot, que les zones humides font généralement partie des milieux qualifiés de naturels, il est nécessaire d’aller plus avant dans la définition de ces « milieux humides ».

2- Les définitions des zones humides : une approche naturaliste

Plusieurs définitions des zones humides ont été proposées à divers niveaux. Les définitions les plus souvent citées sont celle de Ramsar et celle de la Loi française sur l’eau.

• La convention RAMSAR15 sur la protection des milieux humides, qui s'est tenue à Ramsar (Iran) en 1971, définit les zones humides comme « des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d'eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l'eau est statique ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d'eau marine dont la profondeur à marée basse n'excède pas 6 mètres ». Cette définition très large est assez confuse car elle englobe de nombreux milieux radicalement différents, par exemple certains milieux aquatiques, dont les caractéristiques sont bien différentes de celles des zones humides. Elle a un caractère juridique dans la mesure où elle permet de définir les zones qui peuvent être protégées au titre de la convention Ramsar.

• Un autre essai de définition plus simple est apporté par la Loi française sur l'eau de 1992. « On entend par zones humides les terrains exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire; la végétation quand elle existe est dominée par des plantes hygrophiles16 produites au moins une partie de l'année » (Comité

15 En France, il existe seulement 22 sites, dont l’unique au Nord de la Seine est la baie de Somme, à titre de comparaison, il y en a 45 en Irlande (Ramsar, 2004).

interministériel de l'évaluation des politiques publiques, 1994) Cette définition est purement juridique et sera soumise aux réajustements de la jurisprudence.

• Une définition purement scientifique a finalement été avancée au cours du débat de la Loi sur l’eau (Barnaud, 1998) :

« Les zones humides se caractérisent par la présence, permanente ou temporaire, en surface ou à faible profondeur dans le sol, d'eau disponible douce, saumâtre ou salée. Souvent en position d'interface, de transition, entre milieux terrestres et milieux aquatiques proprement dits, elles se distinguent par une faible profondeur d'eau, des sols hydromorphes ou non évolués, et/ou une végétation dominante composée de plantes hygrophiles au moins une partie de l'année. Enfin, elles nourrissent et/ou abritent de façon continue ou momentanée des espèces animales inféodées à ces espaces. Les zones humides correspondent aux marais, marécages, fondrières, fagnes, pannes, roselières, tourbières, prairies humides, marais agricoles, landes et bois marécageux, forêts alluviales et ripisylves marécageuses, mares y compris les temporaires, étangs, bras morts, grèves à émersion saisonnière, vasières, lagunes, prés salés, marais salicoles, sansouires, rizières, mangroves, etc. Elles se trouvent en lisières de sources, de ruisseaux, de fleuves, de lacs, en bordure de mer, de baies, et d'estuaires, dans les deltas, dans les dépressions de vallées ou dans les zones de suintement à flanc de collines » (définition arrêtée par le groupe d'experts en 1991, in Barnaud, 1998). Cette définition, si elle est la plus complète et satisfaisante à ce jour, illustre la difficulté de trouver un compromis pour définir les zones humides.

Nous verrons qu’il existe finalement un vocabulaire plus usité et qui fait davantage référence aux réalités que l’appellation scientifique de « zones humides », notamment avec le terme « marais ». (Cf. chapitres 3 et 4). Notons avant de conclure sur la question des définitions que la difficulté est parfois accrue du fait de plusieurs termes désignant un même « milieu ». Celui de « zone humide » est le plus large, les scientifiques lui préfèrent celui de « milieu humide », plus précis, et les canadiens francophones ont choisi l’expression de « terres humides », qui reprend plus fidèlement le terme anglo-saxons wetlands et qui offre l’avantage d’inclure la notion de terrain, d’étendue terrestre par la référence à la terre. Ces définitions nous renseignent néanmoins sur les différents aspects qui sont abordés quand on s’intéresse aux zones humides.

Puisque les zones humides constituent des espaces de mélange entre la terre et l’eau, deux grands facteurs sont pris en considération : d’une part, ce qui relève de l’hydrologie et d’autre part, ce qui caractérise le substrat (sol et végétation). Par définition, les zones humides sont des secteurs de transition, elles connaissent donc une dynamique propre. Celle-ci consiste généralement en l’évolution vers un comblement et un assèchement naturel des zones humides. Paradoxalement, cette dimension n’apparaît pas dans les définitions citées ci-dessus. Les études des zones humides qui empruntent la vision naturaliste sont pourtant nombreuses et anciennes. Il est intéressant de constater avec G. Barnaud et L. Mermet que les définitions scientifiques évoluent en fonction de l'échelle considérée, des spécialités disciplinaires, du niveau de connaissances et des échanges entre spécialistes quand les définitions juridiques, elles, varient essentiellement en fonction du rapport de forces et des pressions politiques exercées par les différents acteurs, notamment les protecteurs de la nature et les aménageurs (Barnaud, 1998; Mermet et Barnaud, 1997). On peut finalement se demander si la diversité des zones humides ne les rend pas indéfinissables. Il reste possible d’établir un tableau synthétique reprenant les différentes caractéristiques de ces définitions (voir le Tableau 5).

Tableau 5 : Tableau récapitulatif des définitions des zones humides en France

Le travail de définition des zones humides est en lien direct avec les nombreuses études qui ont été menées jusqu’à présent. L’orientation scientifique des définitions se retrouve très largement dans les

3- Le fort ancrage des thèses dans l’approche physique

Il nous semble intéressant de retracer l’évolution des études sur les zones humides, en vue de souligner les différentes thématiques qui se sont succédées. Nous nous basons principalement sur l’inventaire des thèses dont le titre contient « zone ou milieu humide » et/ ou « marais »17.

• Au début du développement de la recherche et de la multiplication des thèses, c’est-à- dire dans les années 1970 (Laganier, 2002), les travaux qui portent sur les zones humides ont une approche physique, hydrogéologique, pédologique, biologique, ainsi qu’un point de vue biogéographique (développement des espèces végétales surtout). (Ex : Les marais charentais, essai de géographie physique, R. Regrain, 1979). Les études relèvent d’une approche qu’on peut qualifier d’écologique. Leur but est de mieux comprendre les fonctionnements complexes d’un milieu assez mal connu (Marais et Wadden du littoral français, F. Verger, 1969).

• Au cours des années 1980, apparaît la préoccupation de l’étude historique des zones humides (ex : Inamabilis : l’homme et le marais dans le monde romain, essai d’archéologie du paysage, G. Traina, 1987) qui mène peu à peu aux thématiques de gestion et de restauration des milieux (ex : Du désir de patrimoine aux territoires de projets, paysage et gestion conservatoire des milieux humides protégés, P. Donadieu, 1993).

• L’étude des aspects sociologiques n’apparaît véritablement qu’au cours des années 1990-2000 ; B. Picon et J.-P. Billaud font à ce titre figures de précurseurs avec leurs thèses (respectivement : L’espace et le temps en Camargue en 1978 et Aménagement de l'espace et reproduction des sociétés locales : le cas du Marais poitevin vendéen en 1980). Dans la décennie 90, une autre inflexion a lieu. Les thèses abordent petit à petit la question des usages (Les zones humides du Laonnois, fonctionnement, usages, gestion B. Sajaloli, 1993 ; L’eau en Camargue, A. Rivière- Honegger, 1990), sans que les études naturalistes connaissent un ralentissement dans le rythme de leur production. Certaines thèses s’orientent davantage vers l’analyse du couvert végétal, notamment grâce à la photo-interprétation et à la télédétection à partir de la fin des années 90 (ex : Apport des données optiques et radar pour l’estimation de la biomasse des fourrages andins de milieux saturés en eau, S. Moreau, 2002). A partir de cette même période, les études portant sur le droit et les politiques liés aux zones humides font leur apparition mais restent marginales (La régulation juridique des interactions entre les démarches économique et environnementale : enjeu pour un développement durable : l'exemple des marais salants de la presqu'île guérandaise, M. Amisse-Gauthier, 2002 ; Les Politiques publiques de paysage et de patrimoine : un outil de gestion des territoires : Le cas du marais Vernier (Eure) et des coteaux de la Roche-Guyon (Val d'Oise), N. Dumont-Fillon, 2002).

Durant cette trentaine d’années, c’est l’approche naturaliste qui reste majoritaire dans les thèses déposées en France sur les zones humides ou les marais (125 thèses sur 172 ont une approche principalement naturaliste soit plus de 70%). Tandis que les premières thèses avaient mis en évidence la richesse biologique des écosystèmes, les suivantes ont mis leur rôle environnemental en avant et d’autres ont souligné leur disparition. La cinquantaine de thèses dont l’approche n’est pas naturaliste a évolué au fur et à mesure de ces avancées scientifiques. Prenant la mesure de l’importance des zones humides et du danger qu’elles couraient, de nouvelles thèses s’interrogent sur les liens que les sociétés tissent avec ces milieux (du point de vue sociologique, géographique, juridique, gestionnaire, etc…). L’évolution du nombre de thèses sur les zones humides et la lente transformation de leurs thèmes a

donc suivi le rythme de la prise de conscience de la société. Si certaines thèses ont pu déclencher une prise de conscience, la plupart ont bénéficié de l’intérêt que porte nos sociosystèmes aux zones humides, notamment grâce aux financements proposés par les administrations ou les collectivités territoriales.

Ce n’est que peu à peu que, dans les thèses, l’action de l’homme est replacée aux côtés des zones humides au même titre que les facteurs naturels de leur évolution. C’est pour cette raison que le concept de géosystème est intéressant : il permet une approche de la dimension humaine et historique de l’étude des zones humides.