Détente de Joule & Thomson I. L’expérience
A. Description de l’expérience
Cette détente est aussi appelée détente de Joule & Kelvin. Thomson, anobli par la reine Victoria a pris le titre de Lord Kelvin.
On dispose d’une canalisation cylindrique, horizontale, calorifugée, rigide et immobile dans le référentiel du laboratoire. L’aire S de sa section est constante. Voir figure 8 ci-dessous. On a placé en son milieu une bourre de coton. Un gaz entre par la section D. Il s’écoule lentement. Lorsqu’il rencontre la bourre de coton, il la traverse en se détendant. Puis il s’évacue par la section F.
On observe l’établissement d’un régime stationnaire : La pression du gaz, notée p1, est constante jusqu’à la bourre de coton. La pression du gaz après la bourre de coton, notée p2, est constante jusqu’à la sortie. On place deux thermomètres1 pour mesurer les températures du gaz, T1 et T2, de part et d’autre de la bourre de coton. Elles sont constantes.
T16 Figure 1 : Le dispositif de la détente de Joule & Kelvin.
Ô lectrice ! Ô lecteur ! Cette expérience est notablement différente de toutes celles déjà rencontrées.
Réfléchissez aux points suivants : Questions :
Le gaz est-il en équilibre thermodynamique ? Ses variables d’état varient-elles au cours du temps ?
Le gaz contenu dans la canalisation constitue-t-il un système fermé ? Le gaz contenu dans la canalisation constitue-t-il un système isolé ?
La transformation est-elle réversible ? proche de la réversibilité ? irréversible ? B. Résultats expérimentaux
Pour un gaz parfait2 l’expérience montre que la température finale est égale à la température initiale.
Pour les gaz réels cette détente s’accompagne d’une variation de température qui dépend de la nature du gaz et des conditions initiales de température et de pression.
C. Réversibilité, irréversibilité Cette évolution est irréversible.
Test du film3 : Même si l’écoulement est lent, le film de l’expérience passé en marche arrière est invraisemblable. Le gaz ne peut pas se comprimer en passant de la section F à la section D.
1 Techniquement, un couple thermométrique qui permet de détecter la différence de température.
2 L’expérience est nécessairement conduite avec un gaz réel. Pour obtenir un comportement de gaz parfait la pression initiale du gaz ne doit pas excéder quelques atmosphères. Voir T05 Le modèle de Van der Waals § II.
Par définition une transformation réversible est une suite continue d’états d’équilibre du système et de son milieu extérieur. Or le gaz n’est jamais en équilibre thermodynamique car la bourre de coton entretient une différence de pression entre deux parties du gaz.
II. L’analyse de la détente de Joule & Kelvin
A. Choix du système
Dans cette expérience le gaz n’est pas en équilibre thermodynamique. Mais ses variables d’état sont constantes : son état est stationnaire. De plus le gaz s’écoule de l’entrée à la sortie de la canalisation donc il ne s’agit pas d’un système fermé.
Ô lectrice ! Ô lecteur ! Comment faire pour étudier un système ouvert ? Réponse : On le « transforme » en un système fermé ! Mais qu’est-ce que cela veut dire et comment ?
Pour étudier cette détente on limite par la pensée une quantité n0 de gaz formant alors un système fermé {AA’B’B}.
À un premier instant de date ti cette quantité de gaz occupe le volume (AA’B’B)i, un peu plus tard à un instant de date tf elle occupe le volume (AA’B’B)f. La section (AA’) se déplace lentement de sa position (i) à sa position (f). La section (BB’) fait de même entre ses positions (i) et (f). Le gaz subit une détente donc le déplacement BiBf est plus grand que le déplacement AiAf. Voir figure 9 ci-dessous.
T16 Figure 2 : L’évolution du système fermé {AA’B’B} de l’instant de date ti à l’instant de date tf.
Ce système n’est pas isolé. Il est soumis à son poids, est en contact avec la canalisation ainsi que les portions (D) et (F) de gaz.
B. La transformation
La description de l’état de la quantité n0 de gaz est complexe puisque sa pression n’est pas uniforme. Le gaz se détend, sa pression diminue de p1 en amont de la bourre de coton à p2 en aval. Son volume augmente de (AA’B’B)i à (AA’B’B)f :
Les états du gaz ne sont pas des états d’équilibre mais sont stationnaires.
III. Étude énergétique
Ô lectrice ! Ô lecteur ! Quelles sont les formes d’énergie du système {AA’B’B} ? Que donne l’application du premier principe à ce système entre les instants de dates ti et tf ?
A. Variation d’énergie totale du système {AA’B’B}
Son énergie totale est la somme de son énergie cinétique globale et de son énergie interne. Le premier principe s’applique à la variation de son énergie totale :
T : État initial(n0,(AA'B'B)i)⎯détente de Joule & Kelvin⎯⎯⎯⎯⎯⎯→État final(n0,(AA'B'B)f)
Le gaz se déplace lentement donc son énergie cinétique est faible et négligeable devant son énergie interne. La variation d’énergie totale du système {AA’B’B} est donc quasiment égale à sa variation d’énergie interne :
Ô lecteur ! Ô lectrice ! Observez le système et décomposez-le par la pensée en deux parties. Comment ces deux parties évoluent-elles de la position (i) à la position (f) ? Voir figure 10 ci-dessous.
T16 Figure 3 : Les deux parties successives du système {AA’B’B} aux deux dates ti et tf.
Le système se compose dans la position (i) de deux parties, une partie amont et une partie médiane englobant la bourre de coton. Dans la position (f) deux parties : la même partie médiane et une partie aval.
Le régime est stationnaire donc l’état de la partie médiane ne change pas. En d’autres termes les molécules passent mais leur nombre et la distribution de leurs positions et vitesses ne changent pas. Donc l’énergie interne de cette partie est constante.
Ô lectrice ! Ô lecteur ! Utilisez la décomposition du système en deux parties pour expliciter les valeurs de son énergie interne puis simplifiez le calcul.
De fait, le calcul se simplifie (!) :
Ô lecteur ! Ô lectrice ! Interprétez cette dernière équation.
La partie médiane est constituée d’une quantité stationnaire, constante n1 de gaz. Les parties amont et aval sont donc constituées d’une même quantité n de gaz avec n = n0 – n1. Tout se passe donc comme si on observait la transformation suivante de la quantité n de gaz entre deux états d’équilibre :
L’énergie interne de la quantité n de gaz passe de U(T1,V1) à U(T2,V2). L’équation précédente devient en choisissant les deux variables (T, p) :
Ô lectrice ! Ô lecteur ! Rappel du § II.A.1 : Pourquoi choisir les variables (T, p) plutôt que (T, V) ? ET f −ET i =W +Q
EKf
négligeable! +Uf
⎡
⎣⎢
⎢
⎤
⎦⎥
⎥− négligeable!EKi +Ui
⎡
⎣⎢
⎢
⎤
⎦⎥
⎥=W+Q
Uf −Ui !W +Q
U
{
(AA')i(AA')f}
gaz amont
! "## ##$+U
{
(AA')f(BB')i}
gaz médian
! "## ##$
⎡
⎣
⎢⎢
⎤
⎦
⎥⎥− U
{
(AA')f(BB')i}
gaz médian
! "## ##$+U
{
(BB')i(BB')f}
gaz aval
!##"##$
⎡
⎣
⎢⎢
⎤
⎦
⎥⎥=W +Q
U
{
(AA')i(AA')f}
amont
!##"##$−U
{
(BB')i(BB')f}
!##"aval##$=W +Q
T : État initial(n,p1,V1,T1)⎯détente de Joule & Kelvin⎯⎯⎯⎯⎯⎯→État final(n,p2,V2,T2)
U(T2,p2)−U(T1,p1)=W +Q
B. Échanges d’énergie sous forme de chaleur et de travail
Ô lecteur ! Ô lectrice ! Encore une étape ! Quels sont les échanges d’énergie de ce système avec son milieu extérieur ?
Échange d’énergie sous forme thermique :
La quantité n0 de gaz ne reçoit pas d’énergie sous forme de chaleur : D’une part l’ensemble du gaz ne change pas d’état ; D’autre part la canalisation est calorifugée donc il n’y a pas d’échange thermique avec l’atmosphère ; Il n’y en a pas non plus avec le gaz (D) qui est la même température que la partie amont ; Ni de même avec le gaz (F) qui est la même température que la partie aval. Donc :
Échanges d’énergie sous forme de travail :
La canalisation est horizontale donc le vecteur-poids ne travaille pas.
La quantité n0 de gaz ne reçoit pas d’énergie sous forme de travail de la part de l’atmosphère car la canalisation est rigide : les forces pressantes atmosphériques ne se déplacent pas donc ne travaillent pas.
Elle reçoit de l’énergie sous forme de travail de la part du gaz (D) et du gaz (F). Les forces pressantes exercées par ces deux gaz se déplacent donc elles travaillent.
Du côté amont :
Du côté aval :
Finalement :
IV. Conséquences
A. La détente de Joule & Kelvin est isenthalpique
Ô lectrice ! Ô lecteur ! Vous arrivez bientôt au bout de vos peines ! En tenant compte des échanges d’énergie, introduisez l’enthalpie dans la dernière expression du premier principe appliqué à ce système.
Reportons l’expression du travail reçu dans le premier principe :
Et séparons les termes concernant les états amont et aval. L’enthalpie, fonction des variables (T, p), fait son apparition :
La détente de Joule & Kelvin est donc une transformation isenthalpique.
B. La deuxième loi de Joule
Ô lectrice ! Ô lecteur ! Enfin ! Transposez l’obtention de la première loi de Joule (voir T15.C1) pour énoncer la deuxième loi de Joule.
Q=0
Wamont =W(! Fp1)= !
Fp1
.
A" ! """
iAf= p1S AiAf = p1V1
Waval =W(! Fp2)= !
Fp2
.
B" ! """
iBf=−p2S BiBf =−p2V2
W= p1V1− p2V2
U(T2,p2)−U(T1,p1)= p1V1− p2V2
U(T2,V2)+ p2V2=U(T1,V1)+p1V1 H(T2,p2)= H(T1,p1)
La pression du gaz parfait GP diminue de p1 à p2 tandis que ni sa température ni son enthalpie ne varient. Et ceci quelles que soient les pressions p1 et p2 :
Ceci montre que la pression du gaz parfait n’a pas d’influence sur son enthalpie. C’est la deuxième loi de Joule : L’enthalpie d’un gaz parfait n’est fonction que de sa température.
Remarque historique : La détente de Joule & Kelvin date de 1852. La deuxième loi de Joule est donc, comme la première, antérieure aux travaux statistiques de Boltzmann sur les gaz.
La détente isenthalpique de Joule & Kelvin apporte à ses contemporains par la deuxième loi de Joule une nouvelle connaissance énergétique des gaz parfaits.
HGP(Ti,p1)
⎯ →
T⎯
HGP(Tf,p2) =car ΔH=0
!
HGP(Ti,p1)=
car Tf=Ti
!
HGP(Ti,p2)⎫
⎬ ⎪
⎭ ⎪
quelles que soient p1et p2
⇒HGP:T →HGP(T)