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Le contentieux climatique : vers une véritable reconnaissance jurisprudentielle

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Le contentieux climatique : vers une véritable reconnaissance jurisprudentielle

OTHMAN, Aïcha

Abstract

Le réchauffement climatique représente aujourd'hui l'une des menaces les plus importantes pour l'environnement et la biodiversité, il entraîne également de lourdes conséquences sociales et économiques. Face à cette crise, reconnue à présent comme un « état d'urgence climatique », la société civile connaît depuis plusieurs années des formes de mobilisation inédites. Parmi les « armes » à disposition, le droit apparaît comme l'instrument privilégié de cet engagement sociétal, se traduisant par un activisme judiciaire devant le prétoire.

Apparaissant comme un véritable « laboratoire » des défis juridiques actuels, les tribunaux nationaux se voient confrontés à toute sorte d'obstacles. Il convient alors de se demander comment le juge peut-il dépasser la jurisprudence classique du contentieux afin de contribuer au développement du droit et à sa capacité d'adaptation aux enjeux climatiques actuels.

OTHMAN, Aïcha. Le contentieux climatique : vers une véritable reconnaissance jurisprudentielle. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:149750

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(2)

Université de Genève – Faculté de droit Semestre d’automne 2020

L

E CONTENTIEUX CLIMATIQUE

:

VERS UNE VERITABLE RECONNAISSANCE JURISPRUDENTIELLE

Mémoire de maîtrise hors séminaire

Sous la direction du Professeur Makane Moïse Mbengue

Aïcha Othman

(3)

Table des matières

Liste des abréviations ... I

Introduction ... 1

I. Urgence climatique ... 3

1. D’un point de vue scientifique ... 3

2. D’un point de vue juridique ... 7

II. Prémisses du contentieux climatique ... 12

III. Litiges climatiques ... 15

1. Massachusetts v. Agence de protection de l’environnement ... 15

i. Faits ... 15

ii. Griefs invoqués ... 17

iii. Arguments de l’Agence de protection de l’environnement ... 19

iv. Raisonnement de la Cour suprême des États-Unis ... 20

v. Décision ... 22

2. Urgenda v. Pays-Bas ... 23

i. Faits ... 23

ii. Griefs invoqués ... 24

iii. Arguments de l’État néerlandais ... 25

iv. Raisonnement de la Cour du District de La Haye ... 27

v. Décision ... 30

IV. Adaptation aux règles traditionnelles du contentieux ... 33

1. Compétence juridictionnelle ... 33

2. Séparation des pouvoirs ... 35

3. Intérêt pour agir ... 36

4. Lien de causalité ... 39

V. Perspectives d’évolution ... 42

1. Responsabilité climatique étatique ... 42

2. Duty of care ... 44

Conclusion ... 47 Bibliographie ... II Déclaration de non-plagiat ... IX

(4)

Liste des abréviations

al. alinéa(s)

art. article(s)

CCNUCC Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

CEDH Convention européenne des droits de l’homme

cf. confer (se référer à)

ch. chiffre

consid. considérant(s)

COP Conférence des parties

édit. éditeur (trice) (s)

EPA Environmental Protection Agency (Agence de Protection de l’environnement)

etc. et caetera

GES gaz à effet de serre

GIEC Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

Ibid Ibidem (au même endroit)

Infra ci-dessous

n° numéro(s)

OMM Organisation météorologique mondiale op. cit. opus citatum

p. page

pp. pages

PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement

ss et suivantes

supra ci-dessus

v. versus

Vol. Volume

(5)

« Le plus grand investissement de l’humanité réside désormais dans la prise de conscience de sa vulnérabilité et de son combat pour sa survie » (Hubert REEVES)

Introduction

Nul ne peut contester, à l’heure actuelle, que le phénomène de l’évolution du climat mondial met l’humanité toute entière en péril. Le réchauffement climatique, dont les manifestations sont multiples et variées, représente aujourd’hui non seulement l’une des menaces les plus importantes pour l’environnement et la biodiversité, il entraîne également de lourdes conséquences sociales et économiques. La question du réchauffement planétaire étant désormais incontestablement liée à l’activité humaine, se pose la question des perspectives de mise en œuvre effective du droit face à de tels enjeux1.

En dépit de cette menace imminente, le droit international n’a, pour l’instant, pas été en mesure d’apporter des réponses adéquates à ce défi mondial. Pour reprendre les termes de Prosper WEIL, le droit international, de manière générale, et les accords internationaux, en particulier, peuvent être d’une « normativité graduée »2. Ainsi, leur force normative varie en fonction de la nature des obligations qu’ils contiennent et de la sanction en cas d’inexécution3. La souplesse des obligations et mécanismes de contrôle caractérisant les négociations internationales sur le climat ne permet pas, à l’heure actuelle, de contraindre les États à respecter leurs engagements internationaux.

Face à cette crise, reconnue à présent comme un « état d’urgence climatique », la société civile, forte de revendications qu’elle juge légitimes, connaît depuis plusieurs années des formes de mobilisation inédites. Parmi les « armes » à disposition, le droit apparaît comme l’instrument privilégié de cet engagement sociétal, se traduisant par un

1 TRÉBULLE, p. 39.

2 WEIL, p. 19.

3 Ibidem.

(6)

activisme judiciaire devant le prétoire4. Ce mouvement déclenché par certaines organisations non gouvernementales tend à proliférer au niveau national afin de contraindre les États à respecter leurs engagements, reflétant ainsi les attentes sociétales de renforcement des instruments juridiques sur le plan national.

La nature polymorphe du contentieux climatique constitue sa richesse, mais également sa complexité, rendant de ce fait difficile sa systématisation5. Les thématiques abordées dans ces procès sont vastes et abondantes, traitant aussi bien du droit climatique, que du droit de la responsabilité de l’État ou de l’entreprise. Les arguments des requérants mobilisent des notions de common law, de droits fondamentaux, de droit constitutionnel, mais également de droit des investissements et de droit des affaires. Apparaissant comme un véritable « laboratoire » des défis juridiques actuels, les tribunaux nationaux se voient confrontés à toute sorte d’obstacles. Il convient alors de se demander comment le juge peut-il dépasser la jurisprudence classique du contentieux afin de contribuer au développement du droit et à sa capacité d’adaptation aux enjeux climatiques actuels.

Ce travail présente la situation des changements climatiques dans le contentieux judiciaire national. Nous commencerons par exposer l’urgence climatique d’un point de vue juridique et scientifique (I) afin d’expliquer les origines du contentieux climatique (II). Nous reviendrons ensuite sur deux affaires emblématiques du contentieux en la matière : l’affaire Massachusetts v. Agence de protection de l’environnement et l’affaire Urgenda v. Pays-Bas (III). Finalement, nous examinerons dans quelle mesure les règles traditionnelles du contentieux peuvent s’adapter au contentieux climatique (IV), afin d’en tracer les perspectives d’avenir (V).

4 MALJEAN-DUBOIS, p. 35.

5 LEMOINE-SCHONNE, p. 75.

(7)

I. Urgence climatique

1. D’un point de vue scientifique

La question du réchauffement climatique est éminemment technique et suppose une analyse précise des données scientifiques soumises à débat. En raison du caractère particulièrement incertain de la question, il est essentiel de déterminer dans quel contexte scientifique évolue le droit international relatif à la protection de l’environnement6.

Depuis 1988, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ci- après : GIEC), joue un rôle primordial dans l’élaboration, la vulgarisation et la propagation des recherches sur le climat en produisant principalement des notes de synthèse détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio- économiques à l’attention des décideurs politiques7. Créé conjointement par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), le GIEC est un organe intergouvernemental non doté de la personnalité juridique internationale8. Ses rapports, élaborés sur la base d’un consensus scientifique, représentent un support d’informations à la prise de décision dans le cadre des négociations sur les changements climatiques9. À cet égard, le GIEC adopte une approche ex ante de la gestion des phénomènes environnementaux globaux10. En effet, l’objectif principal de son expertise est de conférer un traitement anticipatif des effets néfastes liés au phénomène des changements climatiques11.

Dans son premier rapport d’évaluation, publié en 1990, le GIEC insistait déjà sur l’importance d’amorcer une véritable coopération internationale en matière de changements climatiques, influençant ainsi la prise de décision des responsables

6 MBENGUE, p. 189.

7 CANFIN/STAIME, p. 15.

8 MBENGUE, p. 193.

9 CANFIN/STAIME, p. 15.

10 MBENGUE, p. 192.

11 Ibidem.

(8)

politiques, notamment avec l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après : CCNUCC) en 199212. Ce premier rapport faisait état de nombreuses incertitudes, constatant que « l’importance du réchauffement climatique est grossièrement cohérente avec les prédictions des modèles climatiques, mais elle est aussi comparable à la variété naturelle du climat »13.

Dans son deuxième rapport d’évaluation, publié en 1995, le GIEC suggère l’existence d’une « influence perceptible de l’homme sur le climat global »14. Bien que le GIEC laissait planer à ce moment-là des doutes sur le caractère certain de son expertise, il s’agissait avant tout d’une évaluation in concreto, ayant pour objectif de sensibiliser la communauté internationale sur les zones d’incertitude caractérisant le phénomène des changements climatiques15.

Quand bien même le troisième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2001, ne présentait pas encore une situation de certitude scientifique absolue, il révélait que « la plus grande part du réchauffement climatique observé au cours des cinquante dernières années a probablement été occasionnée par l’augmentation des concentrations en gaz à effet de serre »16. À ce stade, il est essentiel de noter l’évolution de la position du GIEC au regard de ses deux premiers rapports. En effet, le troisième rapport fait état de moins d’incertitudes scientifiques et davantage de probabilités quant à la nature anthropique des émissions de gaz à effet de serre (ci-après : GES) dans l’atmosphère17.

À l’occasion de son quatrième rapport d’évaluation publié en 2007, le GIEC se fait plus certain quant à la probabilité d’une influence de l’activité humaine sur le

12 LECLERC, p. 1.

13 GIEC, Changements climatiques 1990, Premier rapport d’évaluation – Résumés destinés aux décideurs, 1990, p. 6.

14 GIEC, Changements climatiques 1995, Deuxième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 1995, p. 22.

15 MBENGUE, p. 192.

16 GIEC, Changements climatiques 2001, Troisième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2001, p. 6.

17 MAYER, p. 10.

(9)

réchauffement climatique, affirmant que la « majeure partie de l’augmentation moyenne de la température observée depuis le milieu du vingtième siècle est très probablement due à l’augmentation observée de la concentration de gaz à effet de serre émis par l’activité humaine »18. Ce rapport présente, pour la première fois, une certitude scientifique en ce qui concerne le réchauffement climatique. En effet, le GIEC affirme que « le réchauffement du système climatique ne fait aucun doute, comme l’indique de façon évidente l’observation de l’augmentation de la température moyenne de l’air et des océans, la fonte généralisée des neiges et des glaces et l’élévation moyenne du niveau des mers »19. La publication de ce quatrième rapport marque un changement de paradigme, apparaissant comme le rapport le plus alarmiste de l’histoire du GIEC et avançant des preuves tangibles de l’irréversibilité du réchauffement climatique en cours et qu’un retour au statut quo ante n’est désormais plus envisageable20.

Le cinquième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2014, est sans conteste l’expertise la plus élaborée et la plus exhaustive que le GIEC ait jamais produit. Sa date de publication, précédant de quelques mois la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (ci-après : COP 21), a servi de base scientifique permettant d’alimenter les négociations entre les États21. Les points saillants ressortant du rapport sont les suivants :

- Les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, qui ont augmenté depuis l’époque préindustrielle en raison de la croissance économique et démographique, sont actuellement plus élevées que jamais. À ce rythme, le

18 GIEC, Changements climatiques 2007, Quatrième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2007, p. 5.

19 GIEC, Changements climatiques 2007, Quatrième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2007, p. 2.

20 GIEC, Changements climatiques 2007, Quatrième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2007, p. 14.

21 TORRE-SCHAUB, L’affirmation d’une justice climatique au prétoire, p. 182.

(10)

seuil des 2° C supplémentaires, qui est l’objectif international réitéré lors des conférences successives des Nations unies sur le climat, sera franchi dès 203022.

- Il est extrêmement probable, avec une probabilité supérieure à 95%, que l’élévation de la température terrestre relevée depuis le milieu du vingtième siècle soit le fait de l’accumulation des gaz à effet de serre d’origine humaine23.

- L’élévation du niveau de la mer, l’une des conséquences majeures du réchauffement climatique, est estimée à une moyenne de 28 à 98 centimètres d’ici 210024.

- Les rendements des grandes cultures pourraient perdre en moyenne 2% par décennie sans réel effort d’adaptation, alors que pour répondre à la demande mondiale, il faudrait en augmenter la production de 14% par décennie. La sécurité alimentaire sera affectée et la pauvreté augmentera, plus particulièrement en Afrique, Asie et Amérique du Sud25.

- Des risques accrus d’extinction des espèces concernent une large partie des espèces terrestres et marines, dont de nombreuses ne seront pas capables de se déplacer suffisamment rapidement pour trouver des climats plus adaptés au cours des changements climatiques26.

22 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 4.

23 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 5.

24 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 8.

25 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 15.

26 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 13.

(11)

- Le coût économique de l’inaction est extrêmement élevé. Une augmentation de la température mondiale de 2° pourrait entraîner une perte d’entre 0,2 et 2 % des revenus annuels mondiaux27.

Bien que les évaluations du GIEC soient principalement fondées sur des prémisses scientifiques et techniques, sa dimension juridique ne peut être niée. Les différents rapports d’évaluation énumérés ci-dessus ont, à de nombreuses reprises, entraîné l’adoption de nouveaux instruments juridiques relatifs aux changements climatiques28. De ce fait, le GIEC ne joue plus simplement un rôle technique, il est davantage appelé à jouer un rôle dans le façonnement des instruments juridiques relatifs à la protection globale du climat29.

2. D’un point de vue juridique

Comme indiqué précédemment, les évaluations scientifiques de la situation climatique mondiale ont servi, à de nombreuses reprises, de déclencheurs à l’adoption de nouveaux instruments juridiques relatifs aux changements climatiques30. Dans sa résolution 45/212, l’Assemblée générale des Nations Unies a expressément commandé au comité intergouvernemental de négociations de s’appuyer sur le rapport du GIEC,

« y compris son étude relative aux mesures juridiques »31.

Le droit international issu de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique de 1992 avait pour vocation de parvenir à un accord universel ambitieux et contraignant sur le climat32. Malgré les réunions périodiques successives, l’idée d’une convention internationale obligatoire pour tous reste hypothétique, les

27 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 16.

28 MBENGUE, p. 201.

29 Ibidem.

30 cf. supra, p. 3.

31 Résolution 45/212 du 21 décembre 1990, « Protection du climat pour les générations présentes et futures, N 15.

32 HUGLO, p. 25.

(12)

États étant généralement hostiles à tout instrument juridique pouvant aliéner leur liberté de légiférer33.

Aujourd’hui, l’Accord de Paris, adopté le 19 décembre 2015, est considéré comme un pas en avant décisif dans la programmation de la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle globale34. Cependant, la route qui a mené à ce résultat a été difficile. Son « ancêtre juridique », le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, a établi un système imposant aux pays développés de réduire leurs émissions de GES selon une approche top-down, c’est-à-dire que seuls les pays industrialisés avaient des objectifs de réduction juridiquement contraignants, fixés dans l’Annexe B du Protocole35. La principale raison d’une telle différenciation résidait dans la disparité évidente entre les pays industrialisés et les pays en développement en terme de responsabilité historique dans la dégradation du climat mondial36.

Rétrospectivement, l’expérience du Protocole de Kyoto est mitigée. Bien qu’il s’agisse de la première réelle tentative d’établissement d’un mécanisme fonctionnel pour réduire les émissions de GES dans l’atmosphère, certains pays mentionnés dans la non-Annexe B sont devenu les plus grands émetteurs de GES avant même la fin de la première phase d’engagement, notamment la Chine et l’Inde37. Le Protocole de Kyoto devait couvrir une période allant jusqu’en 2012, en attendant l’adoption d’un nouvel instrument international qui le remplacerait dès 2013 : l’Accord de Copenhague (ci- après : COP 15). Cependant, d’importants désaccords entre les Parties concernant le

33 HUGLO, p. 25.

34 BOISSON DE CHAZOURNES, p. 97.

35 COURNIL/VARISON, p. 48.

36 CCNUCC, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, 13 juin 1992, formulé dans le principe 7 : « Les Etats doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l'intégrité de l'écosystème terrestre. Etant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l'environnement mondial, les Etats ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l'effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l'environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent. ».

37 COURNIL/VARISON, p. 49.

(13)

caractère contraignant de l’accord et l’allocation des obligations de réduction des émissions de GES ont fait obstacle à la conclusion d’un accord global38.

Il est important de noter que l’Accord de Paris marque une profonde rupture de paradigme en introduisant une approche bottom-up de la gestion des émissions de GES, tout en maintenant un certain degré de différenciation. Cette perspective est exprimée à l’art. 3 de l’Accord, prévoyant que :

« A titre de contributions déterminées au niveau national à la riposte mondiale aux changements climatiques, il incombe à toutes les Parties d’engager et de communiquer des efforts ambitieux au sens des articles 4, 7, 9, 10, 11 et 13 en vue de réaliser l’objet du présent Accord tel qu’énoncé à l’article 2. Les efforts de toutes les Parties représenteront une progression dans le temps, tout en reconnaissant la nécessité d’aider les pays en développement Parties pour que le présent Accord soit appliqué efficacement »39.

L’Accord introduit un objectif ambitieux d’augmentation de température à ne pas outrepasser et prévoit pour ce faire un objectif en matière d’utilisation d’énergie à satisfaire avant la fin du vingtième siècle40. La réalisation de ces objectifs est prévue à l’art. 2 al. 1 let. a de l’Accord qui prévoit que :

« Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en : contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter

38 COURNIL/VARISON, p. 49.

39 CCNUCC, Décision 1/CP.21 (12 décembre 2015), Accord de Paris, article 3.

40 BOISSON DE CHAZOURNES, p. 98.

(14)

l’élévation de la température à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques »41.

Le présent Accord reconnaît ainsi l’importance de faire des efforts considérables mais ne les défini pas expressément. Contrairement à la logique suivie par le Protocole de Kyoto, l’Accord de Paris ne contient aucune disposition précisant spécifiquement les réductions d’émissions de GES que les États doivent réaliser pour atteindre l’objectif ambitieux de l’Accord42.

Bien que l’Accord de Paris soit considéré comme le premier accord global contraignant en matière climatique, il repose sur un ensemble complexe de normes et recommandations ayant différents degrés de force contraignante43. Certaines dispositions obligent clairement les États à agir d’une certaine manière tandis que d’autres définissent le cadre dans lequel certaines attentes doivent être développées44. L’art. 4 al. 1 de l’Accord témoigne de cette ambivalence en prévoyant que :

« En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »45.

41 CCNUCC, Décision 1/CP.21 (12 décembre 2015), Accord de Paris, article 2 al. 1 let. a.

42 COURNIL/VARISON, p. 53.

43 VOIGT, p. 28.

44 VOIGT, p. 28.

45 CCNUCC, Décision 1/CP.21 (12 décembre 2015), Accord de Paris, article 4 al. 1.

(15)

La formulation au conditionnel des obligations de limitation des émissions de GES permet d’affirmer que l’Accord est vraisemblablement fondé sur de la soft law46. Cette prérogative est d’ailleurs considérée comme centrale pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris. En effet, plusieurs auteurs s’accordent à dire que la soft law offre à la société civile la capacité de se saisir de l’Accord pour en déterminer l’efficacité en matière environnementale47. Les litiges climatiques permettent alors de « durcir » un droit « souple » en se saisissant de l’Accord de Paris, notamment des objectifs de températures qu’il institue, afin, notamment, d’exiger une révision à la hausse des objectifs de réductions des États ou d’interdire des projets d’infrastructures polluantes48.

Pour conclure, l’adoption globale de l’Accord de Paris par la communauté internationale a incontestablement favorisé la tendance naissante de revendications climatiques judiciaires de la part de citoyens et organisations à but non lucratif, demandant à leurs gouvernements de revoir leurs politiques au regard des postulats scientifiques actuels49. Généralement fondé sur un raisonnement juridique complexe composé de différentes notions, principes et obligations, l’Accord de Paris fourni désormais un support supplémentaire à l’étoffe juridique du contentieux en matière climatique50. Incarnant actuellement l’instrument juridique de lutte contre les changements climatiques de base, l’Accord de Paris ne constitue en réalité qu’une pièce d’un puzzle plus étendu et complexe qui doit être complété par d’autres acteurs, notamment les ONG environnementales, les avocats, les juristes, les économistes, et bien évidemment les scientifiques du climat51.

46 COURNIL/VARISON, p. 55.

47 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 31.

48 Ibidem.

49 COURNIL/VARISON, p. 65.

50 Ibidem.

51 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 28.

(16)

II. Prémisses du contentieux climatique

De toute évidence, le contentieux climatique s’est développé, depuis de nombreuses années, devant les juridictions nationales à l’initiative de personnes privées, d’associations ou de collectivités publiques, afin de faire reconnaître la responsabilité des entités industrielles dans l’excès d’émissions de GES, ou pour remettre en cause la responsabilité de l’État en matière climatique52. A titre indicatif, plus de 1'300 plaintes relatives aux changements climatiques ont été recensées entre 2006 et 2019, devant une trentaines de juridictions nationales53.

Les premiers procès climatiques sont considérés comme la pierre angulaire du contentieux en la matière, servant de modèle aux contentieux suivants54. Afin de mieux comprendre les sources et le développement postérieur du contentieux climatique, il convient tout d’abord de remonter aux origines des premiers procès qui ont permis d’ouvrir la voie au contentieux climatique contemporain55.

Tout commence aux États-Unis56. Plusieurs motifs justifient l’importante dynamique du contentieux climatique dans ce pays. D’une part, le système juridique de common law, du fait de sa plus grande souplesse et son efficacité en matière contentieuse, a favorisé le développement de ces litiges, par opposition aux pays suivant la doctrine de civil law57. En effet, dans le système de common law, le juge est un arbitre jouant un rôle neutre dans la présentation des preuves58. Ce sont les parties qui, pour soutenir leur cause, ont recours à des experts, sélectionnés et rémunérés par elles, à l’inverse du système de civil law dans lequel seul le juge a la capacité de recourir à l’expertise59. Le droit américain est régi par des règles différentes concernant l’expertise scientifique et

52 HUGLO, p. 173.

53 SETZER/BYRNES, p. 3.

54 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 52.

55 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 53.

56 COURNIL, p. 246.

57 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 45.

58 LECLERC, Le juge et l’expert, p. 54.

59 Ibidem.

(17)

son utilisation dans le procès60. Il offre ainsi au juge une plus grande latitude de jugement face aux informations scientifiques, aux normes relatives à l’administration des preuves61. Par son approche relativement flexible à l’égard des expertises scientifiques, le système de common law permet alors de faire évoluer le droit du climat, et pour cause, la question de la preuve scientifique est un élément central du procès climatique62.

D’autre part, il semblerait que le recours au contentieux se multiplierait davantage dans un climat de contestation envers les gouvernements nationaux eu égard à l’insuffisance ou l’inexistence réglementaire en matière climatique63. Ces formes de manifestations épousent des formes d’expressions empruntées à la désobéissance civile64. L’une des causes qui justifierait l’émergence d’un mouvement de contestation de la société civile dans les années 2000 réside dans le fait que les États-Unis sont restés en dehors du régime international de gouvernance du climat durant cette même période65. En effet, les États-Unis n’ont jamais ratifié le Protocole de Kyoto, ce qui a renforcé l’absence d’un cadre législatif réglementaire dans le pays66. Pour cette raison, de nombreuses poursuites judiciaires se sont alors engagées afin de contraindre l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (Environmental Protection Agency, ci-après : EPA) ainsi que d’autres agences gouvernementales à lutter contre les changements climatiques : il s’agit de la « première vague » d’actions en justice climatique aux États-Unis67.

Cette « première vague » de procès climatiques, ainsi que la doctrine engendrée, ont permis de mieux comprendre les avancées du droit, tout en soulignant les difficultés auxquelles ces litiges étaient confrontés, notamment celles ayant trait aux règles de

60 TORRE-SCHAUB, Le rôle des incertitudes dans la prise de décision aux États-Unis, p. 694.

61 Ibidem.

62 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 70.

63 PEEL/OSOFSKY,p.312.

64 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 196.

65 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 15.

66 TABAU/COURNIL, p. 675.

67 PEEL/OSOFSKY,p.331.

(18)

procédure68. L’affaire emblématique symbolisant cette période embryonnaire du contentieux climatique est l’affaire Massachusetts v. Agence de protection de l’environnement, rendue en 2007, qui posera les premiers fondements du contentieux en matière climatique. En bref, les demandeurs exposaient que depuis le refus du président Bush de ratifier le Protocole de Kyoto, le gouvernement n’a cessé de réinterpréter le Clean Air Act alors que ce texte avait précisément pour objectif de légiférer lorsqu’il qu’un danger contre la santé publique ou le bien-être survenait69. La question juridique centrale qui se posait dans l’affaire en question était alors de déterminer si l’EPA avait la compétence de légiférer par le biais du Clean Air Act au sujet des limitations d’émissions de GES dans l’atmosphère70. Cet arrêt de la Cour Suprême des États-Unis sera analysé de manière plus approfondie dans la suite de ce travail71.

68 VANHALA Lisa/HILSON,p. 146.

69 PEEL/OSOFSKY,p.326.

70 PEEL/OSOFSKY,p.312.

71 cf. infra, p. 15.

(19)

III. Litiges climatiques

La judiciarisation de la question climatique a pris une dimension considérable depuis de nombreuses années72. L’affaire Massachusetts v. Agence de protection de l’environnement a été le déclencheur d’une dynamique de responsabilisation climatique dans la sphère juridique73. Ce mouvement inédit a pu ultérieurement se fertiliser à travers la récente affaire Urgenda v. Pays-Bas74. Dans la suite de ce travail, l’intérêt sera porté sur ces deux affaires emblématiques afin de déterminer le rôle qu’elles ont joué dans la lutte contre les changements climatiques devant les instances judiciaires.

1. Massachusetts v. Agence de protection de l’environnement

i. Faits

La loi sur l’assainissement de l’air (en anglais : Clean Air Act) a été adoptée en 1970 par le Congrès des États-Unis75. A son Titre II, le texte prévoit que l’EPA est autorisée à réguler les polluants de l’air provenant des véhicules à moteur76. En effet, la section 202(a) paragraphe 1 exige que :

« The Administrator of the Environmental Protection Agency set emission standards for any air pollutant from motor vehicles or motor vehicle engines which in his judgment causes, or contributes to, air pollution which may reasonably be anticipated to endanger public health or welfare »77.

Malgré cela, le fait de déterminer si les émissions de GES constituent des « polluants de l’air » demeurait incertain, d’où l’absence de régulation au niveau fédéral en la

72 VANHALA Lisa/HILSON,p. 142.

73 Ibidem.

74 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 15.

75 Ibidem.

76 CLEAN AIR ACT, Titre II.

77 CLEAN AIR ACT, article 202 (a) paragraphe 1.

(20)

matière78. Dans ce contexte d’insuffisance législative, douze États ont saisi la Cour Suprême des États-Unis pour contraindre l’EPA à légiférer en matière de restrictions des émissions de GES en vertu du Clean Air Act79.

Le Congrès des États-Unis, dans son amendement de 1990 du Clean Air Act, ne mentionnait pas le CO2 comme un polluant dangereux pour l’air80. Ainsi, quand bien même les industries devaient réduire leurs quantités d’émissions dangereuses selon les seuils imposés par l’Acte, elles n’étaient cependant pas limitées s’agissant des émissions de CO2, dès lors que ce dernier n’était pas qualifié par le texte comme un

« polluant dangereux »81. Le gouvernement américain a refusé, malgré les interpellations des environnementalistes et du Congrès, de réglementer au niveau fédéral la question, privilégiant plutôt les actions volontaires menées par les entreprises82. Avant que la Cour Suprême des États-Unis ne se saisisse de la question à l’occasion de l’affaire Massachusetts v. EPA, plusieurs tribunaux de districts ont du se prononcer sur le sujet83.

En 2005, la Cour d’appel du District de Columbia ainsi que la Cour du Southern District de New York ont rendu deux décisions allant dans le même sens. Dans leurs actions respectives, les demandeurs affirmaient que le réchauffement climatique avait déjà commencé à se produire sous la forme d’une augmentation des températures, démontrée de façon documentée par de nombreuses expertises et sources scientifiques fiables, notamment par les expertises du GIEC84. Les décisions finales de ces affaires s’alignent sur la décision du gouvernement américain en maintenant le refus de contraindre l’EPA à légiférer sur la limitation des émissions de GES85. Après ces échecs, la Cour Suprême des États-Unis se saisira de l’affaire le 26 juin 2006, afin de

78 COX, p. 145.

79 Ibidem ; les États en question : Californie, Connecticut, Illinois, Maine, Massachusetts, New Jersey, New Mexico, New York, Orgon, Rhode Island, Vermont et Washington.

80 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 53.

81 Ibidem.

82 Ibidem.

83 TORRE-SCHAUB, Le rôle des incertitudes dans la prise de décision aux États-Unis, p. 692.

84 Ibidem.

85 Ibidem.

(21)

déterminer si l’EPA est ou non habilitée à légiférer par le pouvoir que lui confère la Loi fédérale sur l’assainissement de l’air 86.

ii. Griefs invoqués

Le droit international de l’environnement n’a pas été invoqué dans l’affaire Massachusetts v. EPA87. Les demandeurs ont préféré se fonder sur le droit national, le droit international étant effectivement très peu invoqué devant les instances américaines88.

Les demandeurs ont mis en avant deux éléments. Ils ont d’abord avancé que le texte du Clean Air Act avait précisément pour objet de légiférer lorsqu’un danger pour la santé publique et pour le bien-être venait à survenir, alors que le gouvernement interprétait ce texte différemment89. Les demandeurs ont ensuite soutenu que la section 202(a) du Clean Air Act ne conditionnait pas l’obligation de légiférer à des arguments techniques, politiques, économiques ou sur des obligations imposées par des traités internationaux, comme le justifiait le gouvernement américain90.

Sur le fond, le premier argument soulevé par les demandeurs était celui du « dommage à tous », examiné ultérieurement par la Cour sous l’angle de l’intérêt pour agir91. Le point central de leur argumentation tendait à dire que le réchauffement climatique était un phénomène global, et que par conséquent, il atteint la communauté en général92. De la même manière, les dommages causés à l’environnement affectent le

« bien public », l’atmosphère93. La question à laquelle les demandeurs ont été confrontés était de savoir si le « dommage global » était évaluable et réparable en

86 HUGLO, p. 176.

87 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 55.

88 Ibidem.

89 PAYNE/ROSENBAUM, p. 817.

90 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 55.

91 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 265.

92 Ibidem.

93 Ibidem.

(22)

justice94. Ainsi, la question du dommage et sa qualification étaient au cœur du débat95. Certes, la question du dommage environnemental dépend essentiellement des expertises scientifiques, il n’en demeure pas moins que sa qualification dépend également de l’interprétation qui en est faite par les juges96. Elle dépend par ailleurs du deuxième argument invoqué par les demandeurs, le lien de causalité97.

Lorsque les juges établissent des indices pour déterminer l’existence des dommages et leur nature, ils ont recours à l’établissement du lien de causalité98. A cet égard, il s’agissait d’interpréter et donner un sens aux incertitudes scientifiques. Une fois de plus, l’apport d’expertises scientifiques a permis aux demandeurs d’établir un lien de causalité entre le dommage global « causé à tous » par les émissions de CO2 et le réchauffement climatique99. Les demandeurs ont par ailleurs soumis une étude de l’Outdoor Industry Foundation, présentée comme une expertise scientifique, prouvant que les activités en plein air jouaient un rôle crucial dans l’économie américaine et que ces dernières seraient fortement affectées si le réchauffement climatique poursuivait son cours100.

Parallèlement à ces arguments purement juridiques, les demandeurs ont également mobilisé certaines théories juridiques. Premièrement, l’action s’est fondée sur la théorie du Parens Patriae, doctrine de common law visant la défense de la propriété de l’État et matérialisée par le droit à « respirer un air non pollué »101. Pour appuyer leur propos, les demandeurs ont souligné que la section 302 du Clean Air Act établissait

« l’obligation de veiller sur la santé » de l’administration102. Deuxièmement, la partie demanderesse a mobilisé la théorie des « nuisances publiques », corpus des règles de la demande en responsabilité pour dommages causés au public103. Sur la base de

94 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 57.

95 Ibidem.

96 TORRE-SCHAUB, Le rôle des incertitudes dans la prise de décision aux États-Unis, p. 694.

97 TORRE-SCHAUB, Le rôle des incertitudes dans la prise de décision aux États-Unis, p. 687.

98 COURNIL, p. 249.

99 MCCORMICK/SIMMENS/GLICKSMAN/PADDOCK/KIM/WHITED/DAVIES,p. 979.

100 Ibidem.

101 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 549.

102 Ibidem.

103 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 265.

(23)

nombreuses expertises scientifiques, les demandeurs ont fait valoir que les effets négatifs des émissions de GES et du réchauffement climatique avaient des effets sur la santé publique et sur toute une série de droits et libertés publiques, notamment le droit de pratiquer la pêche, la navigation maritime et fluviale, le ski et d’autres activités de plein air104.

iii. Arguments de l’Agence de protection de l’environnement

L’EPA a fait valoir plusieurs arguments en défaveur d’une législation fédérale permettant d’éviter les conséquences néfastes du réchauffement climatique. D’abord, le défendeur justifie l’exclusion de son obligation de légiférer en vertu du Clean Air Act, expliquant que la limitation des émissions de GES est une considération globale et qu’il ne s’agit donc pas d’une question concernant exclusivement l’air respiré au niveau local des États-Unis105. Selon ce raisonnement, puisque le phénomène global du réchauffement climatique a une portée internationale, la loi nationale du Clean Air Act n’a qu’une vocation locale, et non globale106.

Le deuxième argument invoqué par l’EPA a trait à l’interprétation des incertitudes107. La question délicate des incertitudes est un argument sérieux qui pourrait permettre aux autorités de légiférer108. Afin de bloquer le processus décisionnel, la partie défenderesse a plaidé qu’afin de prendre au sérieux les incertitudes scientifiques, il est nécessaire d’établir un lien de causalité évident entre les émissions de GES et leurs effets néfastes sur la santé publique109. A cet argument, les demandeurs ont rétorqué que l’incertitude scientifique n’est pas une base valable permettant à l’EPA de refuser de légiférer. Selon eux, la question qui se posait devant la Cour Suprême n’était pas de savoir si le lien de causalité pouvait être établi avec certitude, mais au contraire de savoir s’il s’agissait d’une raison valable pour l’EPA de réglementer le polluant110.

104 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 549.

105 Ibidem.

106 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 57.

107 TORRE-SCHAUB, Le rôle des incertitudes dans la prise de décision aux États-Unis, p. 694.

108 Ibidem.

109 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 549.

110 Ibidem.

(24)

iv. Raisonnement de la Cour suprême des États-Unis

Avant toute chose, la Cour Suprême des États-Unis a constaté que les demandeurs avaient la qualité pour agir111. Elle énonce que :

« The case has been argued largely as if it were one between two private parties ; but it is not. The very elements that would be relied upon in a suit between fellow-citizens as a ground for equitable relief are wanting here. The State owns very little of the territory alleged to be affected, and the damage to it capable of estimate in money, possibly, at least, is small. This is a suit by a State for an injury to it in its capacity of quasi-sovereign. In that capacity the State has an interest independent of and behind the titles of its citizens, in all the earth and air within its domain. It has the last word as to whether its mountains shall be stripped of their forests and its inhabitants shall breathe pure air »112.

Dans un deuxième temps, la Cour suprême a estimé que l’EPA avait la compétence de légiférer en matière de réduction des émissions de GES113. Elle explique que l’EPA ne pouvait d’ailleurs pas invoquer la dispense de son obligation légale d’agir « en raison de certaines incertitudes résiduelles » relatives au changement climatique114. La Cour se justifie en alléguant que :

« The Administrator shall by regulation prescribe (and from time to time revise) in accordance with the provisions of this section, standards applicable to the emission of any air pollutant from any class or classes of new motor vehicles or new motor vehicle engines,

111 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 810.

112 Ibidem.

113 Ibidem.

114 Ibidem.

(25)

which in his judgment cause, or contribute to, air pollution which may reasonably be anticipated to endanger public health or welfare »115.

La Cour suprême reprend la définition du terme « polluant atmosphérique » contenue dans le Clean Air Act, le définissant comme « tout agent de pollution atmosphérique ou toute combinaison de tels agents, y compris toute substance ou matière physique, chimique, biologique ou radioactive émise dans l’air ambiant ou qui y pénètre de toute autre manière »116. L’opinion majoritaire des juges a conclu que les GES correspondaient effectivement à la définition au sens large du polluant atmosphérique mentionné dans le Clean Air Act117.

Concernant la question du lien de causalité, la Cour suprême s’est accordée à dire qu’un lien adéquat existe entre les émissions de GES du secteur des transports aux États-Unis et les dommages causés dans l’État de Massachusetts par l’élévation du niveau de la mer et l’érosion côtière118. Elle confirme ainsi les justifications scientifiques apportées par la partie demanderesse. Le raisonnement de la Cour a apporté une distinction fondamentale entre deux principes : la causalité générale et la causalité individuelle119. Quand bien même un lien de causalité individuel est difficilement démontrable en matière de réchauffement climatique, la causalité générale vise seulement les « liens réels entre le facteur causant un dommage et ce dommage en général »120. Les juges ont ainsi opté pour cette approche dite « flexible » de l’interprétation du lien de causalité, retenant que les expertises ont apporté une preuve basée sur « les possibilités de survenance du risque », et « un lien substantiel entre la cause et le dommage »121.

115 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 549.

116 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 496.

117 Ibidem.

118 Ibidem.

119 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 469.

120 Ibidem.

121 Ibidem.

(26)

v. Décision

A cinq voix contre quatre, le Cour suprême des États-Unis a admis le recours de la partie demanderesse, condamnant ainsi l’EPA a réguler les émissions de CO2 en vertu de Clean Air Act122. Cependant, la Cour, dans cet arrêt, ne va pas donner de précisions sur le cadre de la régulation que l’EPA doit adopter, créer ou modifier à travers le Clean Air Act123. La question, bien que tranchée par la Cour, laisse néanmoins entrevoir quelques incertitudes sur les modalité d’action à adopter par l’EPA124.

Cette décision permet de faire évoluer les règles procédurales en matière de contentieux climatique. La question de la preuve étant au cœur de l’affaire, elle permet de poser les premières bases d’une dynamique judiciaire. L’invocation par la Cour d’une interprétation « flexible » du lien de causalité face aux incertitudes scientifiques permet également de faire évoluer l’argumentation du contentieux climatique.

Considérée comme une décision historique, l’affaire Massachusetts v. EPA constitue une avancée majeure pour le droit du climat ainsi que pour les règles procédurales indissociables au procès climatique125.

122 SUPREME COURT OF THE UNITED STATES, Massachusetts v. EPA, consid. 469.

123 TORRE-SCHAUB, Le rôle des incertitudes dans la prise de décision aux États-Unis, p. 713.

124 Ibidem.

125 HUGLO, p. 175.

(27)

2. Urgenda v. Pays-Bas

Par un arrêt du 24 juin 2015, la Cour du District de La Haye a rendu une décision historique de par sa contribution à la justice climatique126. Quand bien même cette décision est limitée dans son champ d’application rarione personae aux Pays-Bas, ratione materiae à la politique d’atténuation des émissions de GES et ratione temporis à l’horizon 2020, sa portée a largement dépassé les frontières, servant de terrain d’entraînement aux juridictions du monde entier127.

i. Faits

Fondation de droit néerlandais, Urgenda a été créée en 2007 par Marjan MINNESMA et le Professeur Jan ROTMANS afin de mettre en pratique leurs analyses théoriques sur la transition durable de la société aux Pays-Bas128. L’appellation « Urgenda » est une contraction des termes « urgence » et « agenda », témoignant de la préoccupation des requérants face à l’immobilisme de l’État en matière climatique129.

Le 12 novembre 2012, Urgenda a envoyé une lettre au gouvernement des Pays-Bas par laquelle elle demandait que la politique climatique du pays suive un objectif de réduction des émissions de GES de 40% par rapport à 1990, d’ici 2020130. Dans sa réponse, le Secrétaire d’État à l’infrastructure et à l’environnement a approuvé les revendications d’Urgenda, indiquant que le gouvernement tentait de rester dans la limite d’une élévation de la température moyenne globale de 2 degrés131. Toutefois, il a précisé que la politique climatique des Pays-Bas s’inscrit dans une dynamique internationale, dès lors, l’État ne peut se déterminer seul sur la question d’élever le niveau d’ambition de son objectif d’atténuation pour 2020132. Ayant conscience de la

126 TABAU/COURNIL, p. 673.

127 Ibidem.

128 TABAU/COURNIL, Les grandes affaires climatiques, p. 76.

129 Ibidem.

130 TORRE-SCHAUB, L’affirmation d’une justice climatique au prétoire, p. 173.

131 Ibidem.

132 Ibidem.

(28)

nécessité actuelle d’entreprendre des mesures renforcées d’atténuation des émissions de GES, Urgenda a décidé de saisir la justice par la voie du contentieux133.

Accompagnée de 886 citoyens néerlandais, Urgenda a engagé une action devant la Chambre commerciale de la Cour du District de la Haye le 20 novembre 2013 afin à mettre en jeu la responsabilité de l’État au vu de l’ambition trop faible de sa politique climatique134. Les demandeurs soutenaient que l’action inadéquate de l’État en matière de changements climatiques équivalait à une violation du devoir de diligence, invoquant ainsi la responsabilité civile en matière délictuelle en vertu de l’article 6 :162 du Code Civil néerlandais ainsi que l’article 20 de la Constitution135.

ii. Griefs invoqués

Sur le fond, Urgenda reproche à l’État néerlandais de ne pas déployer d’efforts suffisants pour réduire ses émissions de GES136. Pour justifier son propos, la fondation se base sur de nombreux rapports scientifiques, notamment les évaluations du GIEC137. En outre, la requérante affirme que les Pays-Bas ont largement profité de l’utilisation des énergies fossiles depuis la révolution industrielle, les plaçant parmi les États dont le taux d’émission de GES par habitant est le plus élevé138. Par ailleurs, Urgenda souligne que l’État néerlandais, signataire de la Convention des Nations Unies pour le climat ainsi que l’Accord de Paris, a l’obligation de respecter ses engagements internationaux139. Enfin, la fondation plaide qu’un devoir de diligence (en anglais : duty of care) pèse sur l’État néerlandais et que, par conséquent, ce dernier doit prendre les mesures nécessaires pour réduire son impact sur le réchauffement planétaire140.

133 TORRE-SCHAUB, L’affirmation d’une justice climatique au prétoire, p. 173.

134 ROY/WOERDMAN,p.169.

135 Ibidem ; L’article 21 de la Constitution néerlandaise prévoit que « les pouvoirs publics veillent à l’habitabilité du pays ainsi qu’à la protection et à l’amélioration du cadre de vie.

136 COX, p. 146.

137 Ibidem.

138 LEAL FILHO/LACKNER/MCGHIE,p.240.

139 SPIER,p. 184.

140 MINNEROP, p. 158.

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