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I. Urgence climatique

1. D’un point de vue scientifique

La question du réchauffement climatique est éminemment technique et suppose une analyse précise des données scientifiques soumises à débat. En raison du caractère particulièrement incertain de la question, il est essentiel de déterminer dans quel contexte scientifique évolue le droit international relatif à la protection de l’environnement6.

Depuis 1988, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ci-après : GIEC), joue un rôle primordial dans l’élaboration, la vulgarisation et la propagation des recherches sur le climat en produisant principalement des notes de synthèse détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques à l’attention des décideurs politiques7. Créé conjointement par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), le GIEC est un organe intergouvernemental non doté de la personnalité juridique internationale8. Ses rapports, élaborés sur la base d’un consensus scientifique, représentent un support d’informations à la prise de décision dans le cadre des négociations sur les changements climatiques9. À cet égard, le GIEC adopte une approche ex ante de la gestion des phénomènes environnementaux globaux10. En effet, l’objectif principal de son expertise est de conférer un traitement anticipatif des effets néfastes liés au phénomène des changements climatiques11.

Dans son premier rapport d’évaluation, publié en 1990, le GIEC insistait déjà sur l’importance d’amorcer une véritable coopération internationale en matière de changements climatiques, influençant ainsi la prise de décision des responsables

6 MBENGUE, p. 189.

7 CANFIN/STAIME, p. 15.

8 MBENGUE, p. 193.

9 CANFIN/STAIME, p. 15.

10 MBENGUE, p. 192.

11 Ibidem.

politiques, notamment avec l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après : CCNUCC) en 199212. Ce premier rapport faisait état de nombreuses incertitudes, constatant que « l’importance du réchauffement climatique est grossièrement cohérente avec les prédictions des modèles climatiques, mais elle est aussi comparable à la variété naturelle du climat »13.

Dans son deuxième rapport d’évaluation, publié en 1995, le GIEC suggère l’existence d’une « influence perceptible de l’homme sur le climat global »14. Bien que le GIEC laissait planer à ce moment-là des doutes sur le caractère certain de son expertise, il s’agissait avant tout d’une évaluation in concreto, ayant pour objectif de sensibiliser la communauté internationale sur les zones d’incertitude caractérisant le phénomène des changements climatiques15.

Quand bien même le troisième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2001, ne présentait pas encore une situation de certitude scientifique absolue, il révélait que « la plus grande part du réchauffement climatique observé au cours des cinquante dernières années a probablement été occasionnée par l’augmentation des concentrations en gaz à effet de serre »16. À ce stade, il est essentiel de noter l’évolution de la position du GIEC au regard de ses deux premiers rapports. En effet, le troisième rapport fait état de moins d’incertitudes scientifiques et davantage de probabilités quant à la nature anthropique des émissions de gaz à effet de serre (ci-après : GES) dans l’atmosphère17.

À l’occasion de son quatrième rapport d’évaluation publié en 2007, le GIEC se fait plus certain quant à la probabilité d’une influence de l’activité humaine sur le

12 LECLERC, p. 1.

13 GIEC, Changements climatiques 1990, Premier rapport d’évaluation – Résumés destinés aux décideurs, 1990, p. 6.

14 GIEC, Changements climatiques 1995, Deuxième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 1995, p. 22.

15 MBENGUE, p. 192.

16 GIEC, Changements climatiques 2001, Troisième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2001, p. 6.

17 MAYER, p. 10.

réchauffement climatique, affirmant que la « majeure partie de l’augmentation moyenne de la température observée depuis le milieu du vingtième siècle est très probablement due à l’augmentation observée de la concentration de gaz à effet de serre émis par l’activité humaine »18. Ce rapport présente, pour la première fois, une certitude scientifique en ce qui concerne le réchauffement climatique. En effet, le GIEC affirme que « le réchauffement du système climatique ne fait aucun doute, comme l’indique de façon évidente l’observation de l’augmentation de la température moyenne de l’air et des océans, la fonte généralisée des neiges et des glaces et l’élévation moyenne du niveau des mers »19. La publication de ce quatrième rapport marque un changement de paradigme, apparaissant comme le rapport le plus alarmiste de l’histoire du GIEC et avançant des preuves tangibles de l’irréversibilité du réchauffement climatique en cours et qu’un retour au statut quo ante n’est désormais plus envisageable20.

Le cinquième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2014, est sans conteste l’expertise la plus élaborée et la plus exhaustive que le GIEC ait jamais produit. Sa date de publication, précédant de quelques mois la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (ci-après : COP 21), a servi de base scientifique permettant d’alimenter les négociations entre les États21. Les points saillants ressortant du rapport sont les suivants :

- Les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, qui ont augmenté depuis l’époque préindustrielle en raison de la croissance économique et démographique, sont actuellement plus élevées que jamais. À ce rythme, le

18 GIEC, Changements climatiques 2007, Quatrième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2007, p. 5.

19 GIEC, Changements climatiques 2007, Quatrième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2007, p. 2.

20 GIEC, Changements climatiques 2007, Quatrième rapport d’évaluation – Rapport de synthèse, 2007, p. 14.

21 TORRE-SCHAUB, L’affirmation d’une justice climatique au prétoire, p. 182.

seuil des 2° C supplémentaires, qui est l’objectif international réitéré lors des conférences successives des Nations unies sur le climat, sera franchi dès 203022.

- Il est extrêmement probable, avec une probabilité supérieure à 95%, que l’élévation de la température terrestre relevée depuis le milieu du vingtième siècle soit le fait de l’accumulation des gaz à effet de serre d’origine humaine23.

- L’élévation du niveau de la mer, l’une des conséquences majeures du réchauffement climatique, est estimée à une moyenne de 28 à 98 centimètres d’ici 210024.

- Les rendements des grandes cultures pourraient perdre en moyenne 2% par décennie sans réel effort d’adaptation, alors que pour répondre à la demande mondiale, il faudrait en augmenter la production de 14% par décennie. La sécurité alimentaire sera affectée et la pauvreté augmentera, plus particulièrement en Afrique, Asie et Amérique du Sud25.

- Des risques accrus d’extinction des espèces concernent une large partie des espèces terrestres et marines, dont de nombreuses ne seront pas capables de se déplacer suffisamment rapidement pour trouver des climats plus adaptés au cours des changements climatiques26.

22 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 4.

23 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 5.

24 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 8.

25 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 15.

26 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 13.

- Le coût économique de l’inaction est extrêmement élevé. Une augmentation de la température mondiale de 2° pourrait entraîner une perte d’entre 0,2 et 2 % des revenus annuels mondiaux27.

Bien que les évaluations du GIEC soient principalement fondées sur des prémisses scientifiques et techniques, sa dimension juridique ne peut être niée. Les différents rapports d’évaluation énumérés ci-dessus ont, à de nombreuses reprises, entraîné l’adoption de nouveaux instruments juridiques relatifs aux changements climatiques28. De ce fait, le GIEC ne joue plus simplement un rôle technique, il est davantage appelé à jouer un rôle dans le façonnement des instruments juridiques relatifs à la protection globale du climat29.

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