• Aucun résultat trouvé

I. Urgence climatique

2. D’un point de vue juridique

Comme indiqué précédemment, les évaluations scientifiques de la situation climatique mondiale ont servi, à de nombreuses reprises, de déclencheurs à l’adoption de nouveaux instruments juridiques relatifs aux changements climatiques30. Dans sa résolution 45/212, l’Assemblée générale des Nations Unies a expressément commandé au comité intergouvernemental de négociations de s’appuyer sur le rapport du GIEC,

« y compris son étude relative aux mesures juridiques »31.

Le droit international issu de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique de 1992 avait pour vocation de parvenir à un accord universel ambitieux et contraignant sur le climat32. Malgré les réunions périodiques successives, l’idée d’une convention internationale obligatoire pour tous reste hypothétique, les

27 GIEC, Changements climatiques 2014, Cinquième rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, 2014, p. 16.

28 MBENGUE, p. 201.

29 Ibidem.

30 cf. supra, p. 3.

31 Résolution 45/212 du 21 décembre 1990, « Protection du climat pour les générations présentes et futures, N 15.

32 HUGLO, p. 25.

États étant généralement hostiles à tout instrument juridique pouvant aliéner leur liberté de légiférer33.

Aujourd’hui, l’Accord de Paris, adopté le 19 décembre 2015, est considéré comme un pas en avant décisif dans la programmation de la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle globale34. Cependant, la route qui a mené à ce résultat a été difficile. Son « ancêtre juridique », le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, a établi un système imposant aux pays développés de réduire leurs émissions de GES selon une approche top-down, c’est-à-dire que seuls les pays industrialisés avaient des objectifs de réduction juridiquement contraignants, fixés dans l’Annexe B du Protocole35. La principale raison d’une telle différenciation résidait dans la disparité évidente entre les pays industrialisés et les pays en développement en terme de responsabilité historique dans la dégradation du climat mondial36.

Rétrospectivement, l’expérience du Protocole de Kyoto est mitigée. Bien qu’il s’agisse de la première réelle tentative d’établissement d’un mécanisme fonctionnel pour réduire les émissions de GES dans l’atmosphère, certains pays mentionnés dans la non-Annexe B sont devenu les plus grands émetteurs de GES avant même la fin de la première phase d’engagement, notamment la Chine et l’Inde37. Le Protocole de Kyoto devait couvrir une période allant jusqu’en 2012, en attendant l’adoption d’un nouvel instrument international qui le remplacerait dès 2013 : l’Accord de Copenhague (ci-après : COP 15). Cependant, d’importants désaccords entre les Parties concernant le

33 HUGLO, p. 25.

34 BOISSON DE CHAZOURNES, p. 97.

35 COURNIL/VARISON, p. 48.

36 CCNUCC, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, 13 juin 1992, formulé dans le principe 7 : « Les Etats doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l'intégrité de l'écosystème terrestre. Etant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l'environnement mondial, les Etats ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l'effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l'environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent. ».

37 COURNIL/VARISON, p. 49.

caractère contraignant de l’accord et l’allocation des obligations de réduction des émissions de GES ont fait obstacle à la conclusion d’un accord global38.

Il est important de noter que l’Accord de Paris marque une profonde rupture de paradigme en introduisant une approche bottom-up de la gestion des émissions de GES, tout en maintenant un certain degré de différenciation. Cette perspective est exprimée à l’art. 3 de l’Accord, prévoyant que :

« A titre de contributions déterminées au niveau national à la riposte mondiale aux changements climatiques, il incombe à toutes les Parties d’engager et de communiquer des efforts ambitieux au sens des articles 4, 7, 9, 10, 11 et 13 en vue de réaliser l’objet du présent Accord tel qu’énoncé à l’article 2. Les efforts de toutes les Parties représenteront une progression dans le temps, tout en reconnaissant la nécessité d’aider les pays en développement Parties pour que le présent Accord soit appliqué efficacement »39.

L’Accord introduit un objectif ambitieux d’augmentation de température à ne pas outrepasser et prévoit pour ce faire un objectif en matière d’utilisation d’énergie à satisfaire avant la fin du vingtième siècle40. La réalisation de ces objectifs est prévue à l’art. 2 al. 1 let. a de l’Accord qui prévoit que :

« Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en : contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter

38 COURNIL/VARISON, p. 49.

39 CCNUCC, Décision 1/CP.21 (12 décembre 2015), Accord de Paris, article 3.

40 BOISSON DE CHAZOURNES, p. 98.

l’élévation de la température à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques »41.

Le présent Accord reconnaît ainsi l’importance de faire des efforts considérables mais ne les défini pas expressément. Contrairement à la logique suivie par le Protocole de Kyoto, l’Accord de Paris ne contient aucune disposition précisant spécifiquement les réductions d’émissions de GES que les États doivent réaliser pour atteindre l’objectif ambitieux de l’Accord42.

Bien que l’Accord de Paris soit considéré comme le premier accord global contraignant en matière climatique, il repose sur un ensemble complexe de normes et recommandations ayant différents degrés de force contraignante43. Certaines dispositions obligent clairement les États à agir d’une certaine manière tandis que d’autres définissent le cadre dans lequel certaines attentes doivent être développées44. L’art. 4 al. 1 de l’Accord témoigne de cette ambivalence en prévoyant que :

« En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »45.

41 CCNUCC, Décision 1/CP.21 (12 décembre 2015), Accord de Paris, article 2 al. 1 let. a.

42 COURNIL/VARISON, p. 53.

43 VOIGT, p. 28.

44 VOIGT, p. 28.

45 CCNUCC, Décision 1/CP.21 (12 décembre 2015), Accord de Paris, article 4 al. 1.

La formulation au conditionnel des obligations de limitation des émissions de GES permet d’affirmer que l’Accord est vraisemblablement fondé sur de la soft law46. Cette prérogative est d’ailleurs considérée comme centrale pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris. En effet, plusieurs auteurs s’accordent à dire que la soft law offre à la société civile la capacité de se saisir de l’Accord pour en déterminer l’efficacité en matière environnementale47. Les litiges climatiques permettent alors de « durcir » un droit « souple » en se saisissant de l’Accord de Paris, notamment des objectifs de températures qu’il institue, afin, notamment, d’exiger une révision à la hausse des objectifs de réductions des États ou d’interdire des projets d’infrastructures polluantes48.

Pour conclure, l’adoption globale de l’Accord de Paris par la communauté internationale a incontestablement favorisé la tendance naissante de revendications climatiques judiciaires de la part de citoyens et organisations à but non lucratif, demandant à leurs gouvernements de revoir leurs politiques au regard des postulats scientifiques actuels49. Généralement fondé sur un raisonnement juridique complexe composé de différentes notions, principes et obligations, l’Accord de Paris fourni désormais un support supplémentaire à l’étoffe juridique du contentieux en matière climatique50. Incarnant actuellement l’instrument juridique de lutte contre les changements climatiques de base, l’Accord de Paris ne constitue en réalité qu’une pièce d’un puzzle plus étendu et complexe qui doit être complété par d’autres acteurs, notamment les ONG environnementales, les avocats, les juristes, les économistes, et bien évidemment les scientifiques du climat51.

46 COURNIL/VARISON, p. 55.

47 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 31.

48 Ibidem.

49 COURNIL/VARISON, p. 65.

50 Ibidem.

51 LORMETEAU/TORRE-SCHAUB, p. 28.

Documents relatifs