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JURISPRUDENCE DROITS PATRIMONIAUX. PIERRE SIRINELLI professeur à l Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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DROITS PATRIMONIAUX

PIERRE SIRINELLI professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

ALEXANDRA BENSAMOUN professeur à l’Université de Rennes 1

La Cour de justice de l’Union européenne continue à œuvrer pour dessiner – redessiner ? – les contours du monopole. Le premier axe, participant d’une jurisprudence foisonnante sur le sujet, tend à accroître, ou à confirmer, le champ du droit de communication au public (Premier axe). Le second élargit la portée de la directive « location-prêt » pour appréhender le prêt numérique (Deuxième axe). Enfin, la Cour a maintenu sa jurisprudence Usedsoft relative à l’épuisement du droit de distribution et fourni au passage

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des précisions inédites sur le droit de reproduction (Troisième axe). Au total, s’il est difficile de déceler une direction générale, ces décisions prouvent, s’il en était encore nécessaire, le pouvoir créateur de la jurisprudence européenne en droit d’auteur.

PREMIER AXE – DROIT DE COMMUNICATION AU PUBLIC

La Cour de justice de l’Union européenne vient, par deux fois, d’avoir recours au critère de connaissance qu’elle avait précédemment utilisé dans l’affaire GS Media pour caractériser un acte de communication au public.

Mais ces nouvelles décisions en font un usage dans un cadre un peu différent puisque les deux espèces qui étaient soumises au juge de Luxembourg ne concernaient pas un acte de communication primaire, ni même secondaire, mais la fourniture de moyens permettant au public d’avoir accès à des œuvres offertes sans autorisation des ayants droit.

I. Droit de communication au public et mise sur le marché d’un lecteur multimédia permettant un accès à des œuvres illicitement proposées sur des sites

Deux enseignements sont à tirer de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 26 avril 2017 (CJUE, 2e ch., 26 avril 2017, aff. C527/15, Stichting Brein c/Jack Frederik Wullems, ci-après « Filmspeler ») :

1 – La vente d’un lecteur multimédia, sur lequel ont été préinstallés des modules complémentaires, disponibles sur Internet, contenant des liens hypertextes

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renvoyant à des sites Internet librement accessibles au public sur lesquels ont été mises illicitement à la disposition du public des œuvres protégées, est un acte de communication au public ;

2 – La reproduction temporaire sur ce lecteur d’une œuvre protégée par le droit d’auteur obtenue par diffusion en flux continu (« streaming ») n’est pas exemptée du droit de reproduction.

Les faits à l’origine de la décision étaient les suivants. M. Wullems avait pris l’initiative de vendre via les réseaux numériques un lecteur multimédia (dénommé « filmspeler »). La fonctionnalité de cet appareil est de servir d’intermédiaire entre, d’une part, une source de données visuelles et/ou auditives (et par voie de conséquence, des œuvres de l’esprit) et, d’autre part, un écran de télévision. À l’initiative de M. Wullems, ce lecteur comportait, entre autres, un logiciel à code source ouvert permettant de lire des fichiers dans une interface facile à utiliser au moyen de menus structurés ainsi que des modules complémentaires, conçus par des tiers et disponibles sur Internet, qui ont pour fonction de permettre d’aller chercher les contenus désirés sur des sites. En effet, ces modules contenaient des liens, activables via la télécommande du lecteur multimédia, qui renvoyaient à des sites Internet de diffusion en flux continu exploités par des tiers. Certains de ces sites opéraient avec l’autorisation des ayants droit tandis que d’autres s’en dispensaient.

Pour résumer, les modules complémentaires ont pour fonction de puiser les contenus désirés sur les sites, licites ou illicites, de diffusion en flux continu et de les faire démarrer, d’un simple clic, sur le lecteur multimédia connecté

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à un écran de télévision. La publicité relative à ce lecteur met l’accent sur la possibilité de regarder ainsi, gratuitement et facilement, des œuvres disponibles sur Internet sans l’autorisation des titulaires de propriété littéraire et artistique.

Cette initiative n’a pas l’heur de plaire à Stichting Brein, une fondation néerlandaise de défense des intérêts des titulaires du droit d’auteur qui demande au tribunal de Midden-Nederland des Pays-Bas (Rechtbank Midden-Nederland), sur le fondement du droit de communication au public, d’ordonner à M. Wullems de cesser la vente de lecteurs multimédias ou l’offre de liens hypertextes qui donnent aux utilisateurs illégalement accès à des œuvres protégées.

Selon Stichting Brein, la commercialisation du lecteur multimédia par M. Wullems est un acte de « communication au public ». La demande est fondée sur la violation des articles 1er et 12 de la loi néerlandaise sur le droit d’auteur et des articles 2, 6, 7a et 8 de celle sur les droits voisins qui doivent, suivant les juges néerlandais, être interprétés à la lumière de l’article 3 de la directive 2001/29, dont elles assurent la transposition. La juridiction néerlandaise, estimant que la jurisprudence de la Cour ne permet pas de répondre avec certitude à ces interrogations décide de formuler quatre questions préjudicielles.

Les deux premières ont trait au droit de communication au public (A), les deux dernières au point de savoir si le consommateur final peut bénéficier de certaines des exceptions prévues à l’article 5 de la directive 2001/29 pour les actes qu’il accomplit (B).

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A – La mise en œuvre du droit de communication au public par la vente du lecteur multimédia

L’interrogation de la juridiction néerlandaise est double :

1) – La vente du lecteur comportant des modules complémentaires contenant des hyperliens renvoyant à des sites illicites est-elle un acte de communication au public ?

« 2) – Le point de savoir

si les œuvres protégées par le droit d’auteur n’ont jamais été publiées sur Internet avec l’accord du titulaire du droit d’auteur ou exclusivement au moyen d’un abonnement,

si les modules complémentaires contenant des hyperliens renvoyant à des sites Internet donnant directement accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur sans l’accord des ayants droit ou rendant ces œuvres librement accessibles et si ces modules complémentaires peuvent être installés sur le lecteur multimédia par les utilisateurs eux-mêmes et

si le public peut, même sans le lecteur multimédia, avoir accès aux sites et, donc, aux œuvres protégées par le droit d’auteur qui y sont rendues accessibles (sans l’accord des ayants droit)

a-t-il une incidence sur la réponse à donner à la première question ? ».

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Pour répondre à ces questions, la Cour articule un raisonnement en deux temps au cours duquel elle rappelle, d’abord, de façon classique, les principes mobilisables (1) pour, ensuite, les appliquer aux particularités de l’affaire (2).

1. La Cour de justice commence (points 24 à 34), d’abord, par rappeler le contenu de sa jurisprudence en matière de droit de communication au public.

Cette prérogative est un droit de nature préventive permettant aux ayants droit, par leur pouvoir d’interdire la communication au public, de s’interposer entre d’éventuels utilisateurs de leur œuvre et la communication au public que ces utilisateurs pourraient envisager d’effectuer (point 25).

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 « ne précisant pas la notion de « communication au public », il y a lieu de déterminer son sens et sa portée au regard des objectifs poursuivis par cette directive et au regard du contexte dans lequel la disposition interprétée s’insère » (point 26), en privilégiant une approche « large » afin de garantir un niveau élevé de protection permettant l’obtention par les ayants droit d’une rémunération appropriée (point 27).

Tout cela est déjà connu et a priori rassurant. Mais le lecteur de cette revue se souviendra que la proclamation de ces beaux principes n’a pas toujours – loin de là ! – eu les effets escomptés.

L’objectif fixé étant ainsi posé, comment l’atteindre ? La Cour se fait alors plus technique, rappelant qu’elle retient une « appréciation individualisée »

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(point 28). Pour que la prérogative reconnue à l’ayant droit soit considérée comme mise en œuvre par l’« utilisateur » de l’œuvre, il faut, d’une part, que l’acte accompli puisse être considéré comme étant un acte de « communication » (les juristes français parlent plus volontiers de « représentation ») et, d’autre part, que l’initiative querellée mette l’œuvre en contact d’un « public » (point 29).

L’appréciation de l’acte accompli (« communication » ?) passe, rappelle la Cour (point 30), par la prise en considération d’une pluralité de critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Par conséquent, ajoute la Cour, fidèle à sa jurisprudence,

« il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres, étant entendu qu’ils peuvent, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable ».

On se permettra, ici, de faire une nouvelle fois observer que la richesse et la diversité de l’approche de la CJUE confèrent à l’analyse du droit en cause à la fois souplesse et imprévisibilité. Si l’on peut louer la première, on doit aussi regretter la seconde tant elle éloigne la construction jurisprudentielle de la vertu attendue d’un système juridique : une certaine sécurité liée à la possibilité de connaître en amont, avant de déclencher l’acte en cause, et avec une certaine part de certitude, le contenu de la solution qui devrait être retenue. Mais à supposer cette difficulté surmontée par l’une des parties en cause, l’éventail de paramètres offert laisse une marge d’appréciation suffisamment large pour que l’autre partie en vienne à penser qu’il est loisible d’adopter un autre point de vue. Autrement dit, devant la diversité des paramètres à prendre en considération, chacun – « utilisateur » comme ayant droit – pourra –

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légitimement ou par inclinaison naturelle – penser que l’analyse à retenir doit nécessairement emprunter le critère qui lui convient le mieux. Il n’est donc, trop souvent, ni vérité absolue, ni vérité relative qui permette de savoir avec confiance quelle attitude, en amont, adopter. Ce qui amène à penser qu’une construction juridique qui conduit à attendre le verdict judiciaire pour savoir à quoi s’en tenir n’est pas nécessairement heureuse pour l’essor harmonieux de nouvelles activités et le déploiement d’initiatives culturelles.

Quoiqu’il en soit, parmi tous les critères envisageables, la Cour met, ici, en avant le « rôle incontournable » joué par l’utilisateur. Ce dernier réalisant un acte de communication « lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée » (point 31).

Ce point acquis, demeure la question de la présence d’un « public » sans laquelle l’acte accompli ne met pas en œuvre la prérogative reconnue à l’article 3 de la directive 2001/29.

La Cour renvoie sans surprise à sa jurisprudence en rappelant « que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important » (point 32). On ne reviendra pas sur la critique qu’il est possible d’adresser à cette approche qui privilégie l’aspect quantitatif (nombre important) de personnes au détriment de l’analyse qualitative (est un public tout destinataire qui ne relève pas du cercle de famille) qui était jusqu’alors retenue par le Droit français.

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On ajoutera que le raisonnement ici proposé est complété par les juges de Luxembourg par deux affirmations désormais classiques suivant leurs propres critères :

1– En matière de communication secondaire, une œuvre est réputée être communiquée au public seulement dans deux séries de cas :

– Soit lorsqu’est emprunté un « mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés » (et peu importe alors que la source initiale de la communication soit licite (v. TV Catchup, C-607/11 (2013), point 39) ;

– Soit, à défaut de cette différence, lorsque l’acte accompli lui permet de toucher un « public nouveau », c’est-à-dire un public n’ayant pas déjà été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de leur œuvre au public.

Si on saura gré à la Cour d’apporter cette dernière précision (évidente mais pas toujours énoncée avec clarté jusqu’alors), on lui reprochera toujours le recours à une exigence de « public nouveau » qui non seulement ne figure dans aucun texte international ou européen, mais semblait au contraire avoir été délibérément écartée – pour cause de non pertinence – par les négociateurs des textes internationaux (sur la question, P. Sirinelli, J.-A. Benazeraf, A. Bensamoun, Rapport pour le CSPLA sur le droit de communication au public, établissant l’historique de l’éloignement de l’interprétation européenne vis-à-vis des textes : http://www.culturecommunication.gouv.

fr/Thematiques/Propriete-litteraire-et-artistique/Conseil-superieur-de-la-

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propriete-litteraire-et-artistique/Travaux/Missions/Mission-du-CSPLA-sur-le- droit-de-communication-au-public pour la version en anglais et en français de ce rapport ; des mêmes auteurs, cette revue, janvier 2017, n° 251, p. 207 et s..

Sur l’examen puis le rejet de ce critère par les délégués présents à la conférence de révision de Bruxelles de 1948 de la Convention de Berne, v. S. Ricketson et J. C. Ginsburg, International Copyright and Neighbouring Rights : The Berne Convention and Beyond, n° 12.26, 12.27 (2006). Adde, pour une critique de cette exigence dans d’autres pays de l’Union : P. B. Hugenholtz and S. C. van Velze, Communication to a New Public ? Three Reasons Why EU Copyright Law Can Do Without a ‘New Public’, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_

id=2811777 (19 July 2016). V. aussi pour une critique internationale : Avis sur le critère de « public nouveau » de l’Association Littéraire et Artistique Internationale (ALAI), qui après avoir dressé une liste des textes ainsi méconnus, énonce : « Il risque de mener à une procédure de règlement des différends de l’OMC et à une condamnation dans le cadre de l’accord sur les ADPIC en raison de son incompatibilité avec la Convention de Berne http://www.alai.org/assets/files/

resolutions/2014-avis-public-nouveau.pdf).

Mais ces observations négatives formulées, il convient d’observer que l’on retrouve, dans la décision rapportée, le cheminement juridique habituellement emprunté par la Cour de justice en dépit de la réitération des critiques à son endroit.

2– La Cour rappelle également qu’elle a, à maintes reprises, souligné que

« le caractère lucratif d’une communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, n’est pas dénué de pertinence ».

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Le lecteur n’en saura pas plus. Est-ce pour donner à ce critère un rôle dans l’appréciation des dommages-intérêts dus, ce qui serait compréhensible ? Ou bien est-ce comme élément constitutif du droit ? La formulation retenue (« pas dénué de pertinence ») peut conduire à penser que la présence d’un caractère lucratif n’est pas une exigence absolue. Dans cette approche, on rappellera nos convictions : la poursuite d’un but lucratif fait entrer l’acte accompli dans le champ du droit privatif de l’auteur, ne serait-ce que parce que celui qui recherche par son acte de communication un profit n’aura pas limité son initiative au seul cercle de famille. Mais l’absence de pareil but devrait être parfaitement neutre. Toutefois, la vérité oblige à dire qu’il faudrait être devin pour livrer la pensée profonde de la Cour qui a beaucoup fluctué à ce propos.

Ces prémisses étant rappelées, il convient d’appliquer les principes que la Cour fait siens à la situation en cause.

2. La vente querellée est-elle bien un acte de communication au public ?

Prenant appui sur l’article 3, paragraphe 1, et le considérant 23 de la directive 2001/29, les juges réaffirment qu’il « suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de telle sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès, sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité » (points 35 & 36). Forte de ce principe, la Cour avait pu ainsi déjà affirmer que le fait de rendre une œuvre accessible au public relevait d’un acte de communication sans qu’il soit nécessaire de déterminer si cette

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offre était suivie d’un acte effectif de transmission. Telle est la solution en cas de création d’un hyperlien (point 37) vers un site librement accessible (v. en ce sens, l’arrêt Svensson e.a., du 13 fév. 2014 : C466/12, point 18 [Cette revue, avril 2014, n° 240 p. 269 & s.] ; v. également l’arrêt GS Media, du 8 septembre 2016, C160/15, point 43 [Cette revue, janv. 2017, n° 251, p. 335 & s.]).

Tel est également le cas, nous disent aujourd’hui les juges de Luxembourg, de la vente d’un lecteur multimédia tel que celui en cause. Du seul fait, donc, de la fourniture d’un appareil ainsi équipé. C’est sans doute une observation de ce type qui fait naître dans l’esprit du défendeur un argument pour étoffer sa défense. Le considérant 27 de la directive 2001/29 ne proclame-t-il pas que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en tant que telle une « communication » au sens de cette directive ? À suivre ce parallèle (ce qui semblait être la position de la Commission dans cette affaire), M. Wullems n’aurait donc accompli aucun acte mettant en œuvre le droit d’exploitation des ayants droit des œuvres consultées (point 39).

Mais comparaison n’est pas raison (points 40 & s.). Et la Cour de citer d’autres affaires où cette fausse analogie a été écartée. Par exemple, s’agissant de la fourniture d’appareils de télévision dans des chambres d’hôtel : « si la

« simple fourniture d’installations physiques » ne constitue pas, en tant que telle, une « communication » au sens de la directive 2001/29, il n’en reste pas moins que cette installation peut rendre techniquement possible l’accès du public aux œuvres radiodiffusées. Dès lors, si, au moyen des appareils de télévision ainsi installés,

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l’établissement hôtelier distribue le signal à ses clients logés dans les chambres de cet établissement, il s’agit d’une communication au public, sans qu’il importe de savoir quelle est la technique de transmission du signal utilisée (arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C306/05, EU : C : 2006:764, point 46) ». Et, reprenant les conclusions (points 53 et 54) de M. l’avocat général dans la présente affaire, les juges soulignent, ici, que M. Wullems procède, « en pleine connaissance des conséquences de son comportement, à la préinstallation, sur le lecteur multimédia

« filmspeler », qu’il commercialise, de modules complémentaires qui permettent spécifiquement aux acquéreurs de celui-ci d’avoir accès aux œuvres protégées publiées sur des sites de diffusion en continu sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur et de permettre à ces acquéreurs de visualiser ces œuvres sur leur écran de télévision (v., par analogie, arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C306/05, EU : C : 2006:764, point 42). Cette opération permettant d’établir la liaison directe entre les sites Internet diffusant les œuvres contrefaites et les acquéreurs dudit lecteur multimédia, sans laquelle ces derniers ne pourraient que difficilement bénéficier des œuvres protégées, une telle activité ne se confond pas avec la simple fourniture d’installations physiques, visée au considérant 27 de la directive 2001/29. À cet égard, il ressort des observations qui ont été présentées à la Cour que les sites Internet de diffusion en flux continu en cause au principal ne sont pas facilement identifiables par le public et, s’agissant d’une majorité d’entre eux, changent fréquemment » (souligné par nous).

À lire la décision, on mesure que si le lecteur multimédia peut éventuellement être regardé comme une installation physique, l’appareillage ici en cause n’est pas « neutre » du fait de la volonté délibérée de M. Wullems d’y installer un équipement complémentaire permettant un accès à des

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contrefaçons. Par voie de conséquence, pour les juges, la fourniture d’un lecteur multimédia – qui permet, eu égard aux modules complémentaires qui ont été préinstallés sur celui-ci, d’avoir accès, par l’intermédiaire de menus structurés, aux liens contenus dans ces modules et offrant, une fois activés, un accès direct aux œuvres illicitement mises à disposition du public – doit être considérée comme un acte de communication au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

Voilà pour l’analyse de l’acte. Quid de la deuxième exigence, celle de

« public » ?

La Cour, pour conclure à la présence d’un « public » (point 45 : « cette communication vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique un nombre important de personnes »), reprend ici la grille d’analyse qu’elle avait déjà exposée (seuil de minimis, destinataires potentiels, accès parallèle ou successif à l’œuvre par ces derniers…) :

« 44 À cet égard, la Cour a précisé, d’une part, que la notion de « public » comporte un certain seuil de minimis, ce qui exclut de cette notion une pluralité de personnes concernées trop petite, voire insignifiante. D’autre part, afin de déterminer ce nombre, il convient de tenir compte des effets cumulatifs qui résultent de la mise à disposition des œuvres auprès des destinataires potentiels. Ainsi, il n’est pas seulement pertinent de savoir combien de personnes ont accès à la même œuvre parallèlement, mais il convient également de savoir combien d’entre elles ont successivement accès à celle-ci [v., en ce sens, arrêts du 15 mars 2012, Phonographic

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Performance (Ireland), C162/10, EU : C : 2012:141, point 35 ; du 27 fév. 2014, OSA, C351/12, EU : C : 2014:110, point 28, et du 31 mai 2016, Reha Training, C117/15, EU : C : 2016:379, point 43 ainsi que jurisprudence citée] ».

Mais la communication étant secondaire, l’exigence se dédouble et le public touché doit être, en raison de la jurisprudence (contestable) précédemment rappelée, « nouveau ».

Un public nouveau « est un public qui n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale » (point 47). Et la Cour de rappeler (points 47 & s.) sa construction jurisprudentielle en matière d’hyperliens :

1– La création d’un hyperlien qui conduit vers un site « ouvert » licite n’est pas constitutive d’un acte de communication au public, faute de « public nouveau ».

Observons que les juges de Luxembourg prennent soin de préciser (point 48) qu’il n’en est ainsi que lorsque le site ouvert a été autorisé. En l’absence d’un pareil accord, et par application de la définition du public nouveau qui vient d’être rappelée, l’auteur peut faire interdire pareille initiative :

« 48 En effet, il ressort des arrêts mentionnés au point précédent que le placement, sur un site Internet, de liens hypertextes vers une œuvre

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protégée qui a été rendue librement disponible sur un autre site Internet, avec l’autorisation des titulaires du droit d’auteur de cette œuvre, ne saurait être qualifié de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. À cet égard, la Cour a constaté que, dès lors que et tant que cette œuvre est librement disponible sur le site Internet auquel le lien hypertexte permet d’accéder, il doit être considéré que, lorsque les titulaires du droit d’auteur de cette œuvre ont autorisé une telle communication, ceux-ci ont pris en compte l’ensemble des internautes comme public, de telle sorte que l’acte de communication en question n’est pas effectué auprès d’un public nouveau. Toutefois, la même considération ne saurait être déduite de ces arrêts en l’absence d’une telle autorisation (voir, en ce sens, arrêt du 8 sept. 2016, GS Media, C160/15, EU : C : 2016:644, points 42 et 43) » (souligné par nous).

La solution est logique. Mais on saura gré à la Cour de le dire clairement de sorte que l’arrêt rapporté est plus clair que la précédente construction (Svensson/

Bestwater/GS Media) proposée par elle. Il faut comprendre que la solution de l’affaire GS Media a éclairé d’un jour nouveau (importance de la licéité du site visé) celle énoncée dans l’affaire Svensson. On savait les constructions complémentaires, mais il est heureux que ce soit ici clairement affirmé.

En outre, les juges de Luxembourg précisent que « l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 […] prévoyant précisément que chaque acte de communication d’une œuvre au public doit être autorisé par le titulaire du droit d’auteur » (souligné par nous), il est loisible de considérer que la création d’un hyperlien vers un site ouvert illicite met en œuvre le droit de communication au

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public même lorsque l’auteur aura autorisé un autre site (différent de celui qui est effectivement pointé) à mettre les œuvres en cause à la disposition du public.

2– La création d’un hyperlien qui contourne les mesures de restriction d’accès (par exemple, abonnement et code) d’un site « fermé » est un acte qui met en œuvre le droit de communication au public, « le placement d’un tel lien constituant alors une intervention délibérée sans laquelle lesdits utilisateurs ne pourraient bénéficier des œuvres diffusées » (point 49).

3– La personne qui offre un accès direct à des œuvres en sachant ou devant savoir que le lien hypertexte qu’elle a placé donne accès à une œuvre illégalement publiée sur Internet accomplit un acte de « communication au public » (point 49). La Cour confirme ainsi sa très curieuse construction fondée sur l’élément de connaissance de l’illicéité du site pointé.

4– Cette connaissance est présumée – de manière simple – lorsque le placement de liens hypertextes est effectué dans un but lucratif. En ce cas, il peut être attendu du créateur de lien « qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent lesdits liens hypertextes » (point 49). Tant que la preuve contraire de l’ignorance n’est pas rapportée, il y a lieu de considérer que le créateur de l’hyperlien a accompli un acte de communication au public.

Par application de ces solutions, il peut être affirmé que la vente du lecteur multimédia ainsi équipé met en œuvre le droit de communication au public.

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D’une part, parce que cet acte a été accompli en « pleine connaissance de cause » (point 50), comme le démontrent les publicités relatives à ce lecteur qui mentionnent spécifiquement que ce dernier permet la consultation gratuite et aisée d’œuvres mises à la disposition du public sans l’autorisation des titulaires de droits (connaissance effective).

D’autre part, parce que « la fourniture dudit lecteur multimédia est réalisée dans le but d’en retirer un bénéfice, le prix acquitté pour ce même lecteur multimédia étant versé notamment pour obtenir un accès direct aux œuvres protégées, disponibles sur des sites de diffusion en flux continu sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur » (point 51).

Pour résumer à l’extrême le raisonnement suivi, il est loisible de dire que la Cour a, dans son analyse du droit de communication au public, repris tous les critères qu’elle avait déjà – à tort ou à raison – exposés. On fera cependant observer que :

– dans sa démonstration relative à l’acte de communication, elle insiste sur le « rôle incontournable » de la personne poursuivie ;

– dans sa nécessaire distinction entre pareil acte et la simple fourniture de moyens, elle utilise comme critère celui d’un acte accompli « en pleine connaissance des conséquences » du comportement querellé (insistant sur le fait que l’opération accomplie permet « d’établir la liaison directe entre les sites Internet diffusant les œuvres contrefaites et les acquéreurs

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dudit lecteur multimédia, sans laquelle ces derniers ne pourraient que difficilement bénéficier des œuvres protégées »).

S’agissant de la première observation, on souscrira au raisonnement de la Cour pour peu que le caractère « incontournable » du rôle soit un élément suffisant à la qualification en acte de communication au public et non un élément nécessaire. On pourrait, du reste, s’interroger sur l’intérêt de maintenir l’exigence de « nouveau public », ayant trait, elle, selon la Cour, au deuxième élément constitutif de l’acte : la présence d’un public…

S’agissant de la deuxième précision, il y a lieu d’observer que l’on retrouve, ici, la référence à un élément de « connaissance » pour admettre que l’acte accompli entre bien dans le champ d’une communication au public. Nous avions critiqué cette position (cette revue, janv. 2017, n° 251, p. 335 & s.) lorsque la CJUE avait – pour juger de la présence d’un acte de communication – posé l’exigence en matière d’hyperliens conduisant vers un contenu illicite.

C’était transformer tant la nature de la responsabilité encourue que la notion même de communication.

Mais les choses sont, semble-t-il, différentes dans la présente affaire. Ce critère n’est exigé que parce que nous ne sommes ni en présence d’un acte de communication primaire, ni même d’un acte de communication secondaire.

Il s’agit de juger d’un acte qui consiste à mettre à la disposition du public un appareil qui contient des éléments fournis par des tiers et permettant d’offrir un accès à des sites qui eux-mêmes rendent disponibles des œuvres illicites !

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C’est dire que ce critère – malvenu – qui avait été utilisé dans l’affaire GS Media pour restreindre le domaine et la portée du droit de communication au public, est utilisé ici pour en accroître le champ en permettant d’appréhender des actes qui relèvent, dans d’autres États, de ce qu’il est permis de désigner sous le vocable de « responsabilité dérivée ».

Grâce à la construction posée par la CJUE, les personnes qui facilitent l’accès à des contrefaçons proposées ou commises par des tiers peuvent voir leur responsabilité engagée sur le terrain du droit d’auteur par le biais du droit de communication au public. La Cour vient, en quelque sorte, d’harmoniser le statut des personnes qui ne sont pas à l’origine des communications illicites mais qui les facilitent sciemment, sans qu’il y ait lieu de réfléchir davantage à des hypothèses de complicité ou de responsabilité du du fait d’autrui (pour un approfondissement de cette idée, voir, infra, II, p. 134 & s.).

B – Le non-bénéfice de l’exception posée à l’article 5 paragraphe 1 de la directive 2001/29

Deux autres questions préjudicielles étaient posées à la Cour.

L’une d’entre elles (la troisième, au total) était ainsi libellée : « 3) L’article 5 de la directive 2001/29 doit-il être interprété en ce sens que le fait pour un consommateur final de réaliser une reproduction temporaire d’une œuvre protégée par le droit d’auteur obtenue en diffusion en flux continu sur un site Internet appartenant à un tiers sur lequel cette œuvre est proposée sans l’accord

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du ou des titulaires du droit d’auteur n’est pas une « utilisation licite » au sens du paragraphe 1, sous b), de cette disposition ? ».

L’autre (la quatrième, donc) avait trait au respect du test en trois étapes (article 5, paragraphe 5 de la directive 2001/29).

Écartant l’argument de la Commission sur le caractère hypothétique des questions préjudicielles posées (dès lors qu’elles se rapporteraient à la diffusion en flux continu d’œuvres protégées par le droit d’auteur et non à la vente d’un lecteur multimédia ; points 54 à 58), la Cour répond à cette double interrogation en rejetant le possible jeu de l’exception.

De façon classique, elle rappelle que le bénéfice de l’exception, obligatoire, posée à l’article 5, paragraphe 1, suppose la réunion de cinq conditions, cumulatives (point 61) et d’interprétation stricte (point 62), puisqu’il s’agit d’une dérogation à un principe général :

– l’acte querellé de reproduction doit non seulement être provisoire, – mais aussi transitoire ou accessoire ;

– il doit constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique ;

– l’unique finalité de ce procédé est de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé, et

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– ledit acte n’a pas de signification économique indépendante.

Il faut, à ces exigences, y ajouter celles – générales, cumulatives et communes à toutes les exceptions – posées par le triple test (ou test en trois étapes) de l’article 5, paragraphe 5. Pour mémoire, l’exception invoquée :

– n’est applicable que dans certains cas spéciaux

– qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou d’un autre objet protégé

– ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

S’agissant de l’exigence d’« utilisation licite » (quatrième exigence de l’alinéa 1 de l’article 5), il y a lieu de voir si l’utilisation en cause a été autorisée par les titulaires du droit d’auteur ou, à défaut, si elle entre dans le champ d’une exception à ce droit ou bien se situe en dehors du domaine du droit.

La première hypothèse étant ici indiscutablement à écarter, demeure à explorer le bénéfice d’une exception… qui devrait de toute façon répondre aux conditions du triple test. Mais, ici également, le bât blesse.

Certes, dans son arrêt du 4 octobre 2011 (Football Association Premier League e.a., C403/08 et C429/08, EU : C : 2011:631, points 170 à 172), la

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Cour avait pu estimer que les actes éphémères de reproduction qui permettaient un fonctionnement correct du décodeur satellitaire et de l’écran de télévision, rendaient possible la réception des émissions contenant des éléments protégés de sorte que la simple réception de ces émissions en tant que telle, à savoir leur captation et leur visualisation, dans un cercle privé, ne présentait pas un acte limité par la réglementation applicable, ce qui permettait de conclure que les actes de reproduction en cause avaient pour unique finalité de permettre une

« utilisation licite » des œuvres au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2001/29.

Mais, dans l’espèce rapportée, « eu égard, en particulier, au contenu de la publicité faite pour le lecteur multimédia en cause […] et de la circonstance […]

que le principal attrait dudit lecteur pour les acquéreurs potentiels réside dans la préinstallation des modules complémentaires concernés, il y a lieu de considérer que c’est, en principe, de manière délibérée et en connaissance de cause que l’acquéreur d’un tel lecteur accède à une offre gratuite et non autorisée d’œuvres protégées » (point 69 ; souligné par nous).

Les exigences du triple test ne sont pas davantage remplies (point 70), puisque les actes querellés permettant la consultation d’œuvres illicitement proposées « sont de nature à porter atteinte à l’exploitation normale de telles œuvres et à causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires du droit, dès lors que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 78 et 79 de ses conclusions, il en résulte normalement une diminution des transactions légales relatives à ces œuvres protégées, laquelle cause un préjudice injustifié aux titulaires du droit d’auteur ».

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La conclusion s’impose donc : les actes de reproduction temporaire, sur ce lecteur multimédia, d’une œuvre protégée obtenue par diffusion en flux continu sur un site Internet appartenant à un tiers proposant cette œuvre sans l’autorisation du titulaire du droit ne remplissent pas les conditions énoncées à l’article 5, paragraphes 1 et 5, de la directive 2001/29. Ils ne peuvent donc échapper à l’opposabilité du droit.

II. Mise en œuvre du droit de communication au public par la mise à disposition d’une plateforme permettant des échanges pair à pair (P2P)

La mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer), constitue un acte de communication au public, en raison du rôle incontournable ainsi joué.

Ziggo et XS4ALL sont des fournisseurs d’accès à Internet dont une partie importante des abonnés utilise la plateforme de partage en ligne « The Pirate Bay » (ci-après TPB). Cette dernière offre à ses utilisateurs (« pairs » ou « peers ») la possibilité de partager (téléchargements ascendants comme descendants), par fragments (« torrents »), des œuvres qui se trouvent sur leurs propres ordinateurs. Bien que le recours à la technologie « pair à pair » puisse être fait pour l’échange de données de toute nature, la pratique la plus répandue, désormais, concerne des œuvres protégées par les droits de propriété littéraire et artistique, mises à disposition sans l’accord des ayants droit. Tel

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était le cas dans l’espèce soumise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2e ch., 14 juin 2017, affaire C610/15, Stichting Brein c/Ziggo BV, XS4ALL Internet BV).

La façon de procéder est ainsi décrite par la Cour (points 9 & 10) : « Pour pouvoir partager des fichiers, les utilisateurs doivent d’abord télécharger un logiciel spécifique, appelé « client-BitTorrent », qui n’est pas fourni par la plateforme de partage en ligne TPB. Ce « client-Bit-Torrent » est un logiciel qui permet de créer des fichiers torrents. Les utilisateurs (appelés « seeders ») qui souhaitent mettre un fichier qui se trouve sur leur ordinateur à la disposition d’autres utilisateurs (appelés

« leechers ») doivent créer un fichier torrent au moyen de leur client-BitTorrent. Les fichiers torrents renvoient à un serveur centralisé (appelé « tracker ») qui identifie les utilisateurs disponibles pour partager un fichier torrent particulier ainsi que le fichier média sous-jacent. Ces fichiers torrents sont téléchargés vers l’amont (upload) par les seeders sur une plateforme de partage en ligne, telle que TPB, qui procède ensuite à leur indexation, afin que ceux-ci puissent être retrouvés par les utilisateurs de la plateforme de partage en ligne et que les œuvres auxquelles ces fichiers torrents renvoient puissent être téléchargées vers l’aval (download) sur les ordinateurs de ces derniers en plusieurs fragments, au moyen de leur client-BitTorrent ».

Ces initiatives ne sont pas du goût des ayants droit qui voient dans ces échanges, dénués d’autorisation, des actes de contrefaçon. Pour cette raison, Stichting Brein, qui est une fondation néerlandaise qui défend les intérêts des titulaires du droit d’auteur, demande, à titre principal, qu’il soit ordonné aux fournisseurs d’accès Ziggo et XS4ALL de bloquer les noms de domaine et les adresses IP de la plateforme de partage en ligne TPB, afin d’éviter ces partages par la voie de leurs services.

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La demande est accueillie par les premiers juges mais rejetée en appel.

Saisi à son tour, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays- Bas) décide d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation de la directive de l’Union sur le droit d’auteur afin d’être éclairé sur la situation d’une plateforme de partage de type « The Pirate Bay ».

Cette dernière effectue-t-elle bien un acte de « communication au public », au sens de la directive 2001/29 (article 3, paragraphe 1) ? Ce qui conduirait à considérer que faute d’autorisation des ayants droit, la plateforme enfreint le droit d’auteur. Est-il possible, par ailleurs, de solliciter les FAI ?

Les deux questions préjudicielles posées sont les suivantes :

« 1) L’administrateur d’un site Internet réalise-t-il une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsqu’aucune œuvre protégée n’est présente sur ce site, mais qu’il existe un système […] dans lequel des métadonnées relatives à des œuvres protégées qui se trouvent sur les ordinateurs d’utilisateurs sont indexées et classées pour les utilisateurs de sorte que ces derniers peuvent ainsi tracer les œuvres protégées et les mettre en ligne ainsi que les télécharger sur lesdits ordinateurs ?

2) Si la première question appelle une réponse négative :

L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et l’article 11 de la directive 2004/48 permettent-ils de rendre une injonction à l’encontre d’un intermédiaire au sens desdites dispositions lorsque cet intermédiaire facilite les atteintes commises par des tiers de la manière visée à la première question ? »

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La première question consiste donc à savoir si la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer) constitue un acte de communication au public.

Pour y répondre, la Cour reprend alors la démarche démonstrative qui était la sienne dans l’affaire du lecteur multimédia examinée deux mois plus tôt (affaire Filmspeler, supra, I). Elle commence par rappeler que cette prérogative, de nature préventive, doit être envisagée en privilégiant une approche « large » afin de garantir un niveau élevé de protection permettant l’obtention par les ayants droit d’une rémunération appropriée (points 20 à 22). Elle précise, comme dans son arrêt du 26 avril 2017, que la notion de « communication au public » implique une appréciation individualisée dans la vérification de la présence de ses deux éléments constitutifs (« communication » et « public »).

Cette recherche doit être menée par le recours à une batterie de critères, envisagés tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres (points 23 à 25). On est ici dans un « acquis communautaire » qui sert désormais de référent constant.

Le raisonnement étant un parfait décalque de celui conduit dans la précédente décision, il n’est pas surprenant d’y retrouver, pour l’appréciation de l’acte accompli, le recours au critère du « rôle incontournable joué par l’utilisateur et le caractère délibéré de son intervention » (point 26). Et les juges de redonner le même corps à la notion : l’« utilisateur réalise

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un acte de communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée ».

Le raisonnement est pareillement identique à propos de l’autre élément constitutif de la prérogative, la présence d’un « public » : nombre indéterminé mais assez important de destinataires potentiels/communication selon un mode technique spécifique différent du premier ou, à défaut, présence d’un

« public nouveau », c’est-à-dire non déjà pris en compte par les titulaires du droit/possibilité de faire jouer un rôle au « caractère lucratif » de la communication (points 27 à 29).

La « boîte à outil juridique » étant exactement la même, l’intérêt de la décision est d’en voir l’application aux actes querellés.

Quant à l’acte de communication, les juges rappellent (points 31 à 33) qu’« il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de telle sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’elles choisissent individuellement, sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité ». La solution, déjà connue, avait été également rappelée par l’arrêt du 26 avril dernier. La mise à disposition, le fait de rendre accessible une œuvre relève de la communication au public sans qu’il soit nécessaire que ces initiatives soient suivies d’un acte de transmission effectif.

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Et les juges de rappeler la conclusion qu’ils avaient déjà tirée de ces prémisses : « en principe, tout acte par lequel un utilisateur donne, en pleine connaissance de cause, accès à ses clients à des œuvres protégées est susceptible de constituer un « acte de communication », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 » (point 34).

Concrètement ?

Suivant M. l’avocat général (point 45 de ses conclusions), les juges relèvent « qu’il est constant que des œuvres protégées par le droit d’auteur sont, par l’intermédiaire de la plateforme de partage en ligne TPB, mises à la disposition des utilisateurs de cette plateforme, de manière à ce que ceux-ci puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement (point 35, souligné par nous).

La circonstance suivant laquelle les œuvres ainsi mises à la disposition par la plateforme de partage en ligne TPB « ont été mises en ligne sur cette plateforme non pas par les administrateurs de cette dernière, mais par ses utilisateurs » est- elle de nature à changer l’approche retenue ? Non, répond la Cour. Car « il n’en demeure pas moins que ces administrateurs, par la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, interviennent en pleine connaissance des conséquences de leur comportement, pour donner accès aux œuvres protégées, en indexant et en répertoriant sur ladite plateforme les fichiers torrents qui permettent aux utilisateurs de celle-ci de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to- peer) » (souligné par nous). La Cour et M. l’Avocat général partagent la même

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conviction : sans l’intervention des administrateurs de la plateforme, « lesdites œuvres ne pourraient pas être partagées par les utilisateurs ou, à tout le moins, leur partage sur Internet s’avérerait plus complexe » (point 36). Ce qui démontre un

« rôle incontournable dans la mise à disposition des œuvres en cause » (point 37, souligné par nous).

N’existe-t-il aucune échappatoire notamment par l’affirmation selon laquelle les administrateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ne réaliseraient qu’une « simple fourniture d’installations » ? Surgit, ici, le même moyen de défense que dans l’affaire Filmspeler, tranchée le 26 avril, puisque selon le considérant 27 de la directive 2001/29, la personne qui se contente de pareil rôle n’accomplit pas un acte de communication au public.

Le moyen de défense connaît le même insuccès. Dans la mesure où la plateforme TPB, d’une part, « procède à l’indexation des fichiers torrents, de sorte que les œuvres auxquelles ces fichiers torrents renvoient puissent être facilement localisées et téléchargées par les utilisateurs de ladite plateforme de partage », d’autre part, « propose, en sus d’un moteur de recherche, un index classant les œuvres sous différentes catégories, fondées sur la nature des œuvres, leur genre ou leur popularité, au sein desquelles sont réparties les œuvres qui sont mises à disposition, le respect du placement d’une œuvre dans la catégorie adéquate étant vérifié par les administrateurs de cette plateforme » et, enfin, procède à la suppression des fichiers torrents obsolètes ou erronés et filtre de manière active certains contenus (point 38), l’argument doit être écarté.

L’acte accompli est bien un acte de communication et non une simple fourniture d’installation.

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Cette communication touche bien un public (points 39 à 46), puisque s’adressant à l’ensemble des utilisateurs de cette plateforme qui peuvent accéder, à tout moment et simultanément, aux œuvres protégées qui sont partagées par l’intermédiaire de ladite plateforme, elle « vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique un nombre important de personnes » (point 42 reprenant le point 45 de l’arrêt du 26 avril 2017 et la jurisprudence qui y était citée). Ce public est même « nouveau » puisqu’il « n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale » (point 44), ce que les administrateurs de la plateforme ne pouvaient ignorer puisque non seulement ils en avaient été dûment informés (point 45) mais qu’en plus cette mise à disposition d’œuvres sans autorisation est leur objectif proclamé. Et la Cour de relever, par ailleurs, qu’il ne saurait être contesté que la mise à disposition et la gestion de la plateforme de partage en ligne était « réalisée dans le but d’en retirer un bénéfice » notamment grâce à des recettes publicitaires considérables.

Il y a donc bien un acte de communication au public de la part de la plateforme, ce qui rend inutile l’examen de la deuxième question préjudicielle.

On le voit, l’affaire Ziggo, présentement commentée, reprend la structure et le contenu du raisonnement proposé par la Cour dans l’affaire Filmspeler (supra, I).

Faut-il s’en étonner alors que les deux décisions ont été rendues à deux mois d’intervalle à propos d’une problématique identique ? Dans les deux affaires, la personne poursuivie facilitait des actes de contrefaçon par la

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fourniture de moyens. Ce qui a conduit inéluctablement la Cour à proposer des critères de distinction entre « la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » qui échappe au droit d’auteur (considérant 27) et la communication au public qui en participe.

L’essentiel de l’apport des décisions réside donc dans l’analyse de cet acte pour des hypothèses qui se situent dans une configuration bien différente de celle d’une communication primaire classique, voire d’une communication secondaire. Certes, les deux affaires – Filmspeler et Ziggo – ne sont pas identiques, puisque la première concernait une forme de fourniture de liens (via le lecteur multimédia vendu) tandis que la seconde traitait de la fourniture d’autres moyens (plateforme facilitant P2P) d’accéder aux œuvres contrefaisantes. Mais les deux avaient donc en commun cet acte de facilitation de la contrefaçon par une intervention offrant les moyens d’un accès au public.

En traitant chacune des deux affaires de manière totalement identique, la Cour admet – sur le fondement de leur problématique commune – un régime, harmonisé, concernant tant le droit de communication au public (point de vue de l’ayant droit) que la responsabilité pour facilitation de la contrefaçon (situation de la personne qui prend l’initiative de fournir ces moyens).

La construction relative à cette fourniture de moyens est alors (indépendamment des critères habituellement retenus) la suivante :

– Il faut que l’acte querellé touche un « public » compris comme un nombre indéterminé de destinataires potentiels et impliquant un nombre

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de personnes assez important. Le but lucratif poursuivi pouvant jouer un rôle.

– Il faut que, par l’acte accompli, la personne dont on prétend qu’elle communique l’œuvre au public, joue un « rôle incontournable ».

C’est dire qu’elle doit être intervenue « en pleine connaissance des conséquences de son comportement ». C’est le cas lorsque consciente de la portée de son acte, elle rend indirectement accessible une œuvre qu’elle sait contrefaisante. Pour autant, l’acte querellé n’a pas à être « indispensable » pour le public. C’était le cas dans l’affaire Filmspeler par le fait de rendre possible, en toute connaissance de cause, les chargements sur ses lecteurs multimédias d’hyperliens pointant des sites. C’est le cas en classant les œuvres sur une plateforme. L’accès par le public aux œuvres contrefaisantes était possible sans l’intervention des personnes poursuivies mais se serait révélé plus complexe. Le facilitateur, par son initiative, accomplit un acte de communication.

Pour autant, il ne se contente pas de fournir des moyens, car son rôle est « incontournable », « décisif » ou « délibéré » (Filmspeler, point 49 ; Ziggo, point 26) et réalisé « en pleine connaissance des conséquences de son comportement », c’est-à-dire en sachant qu’il facilite la contrefaçon (Filmspeler, point 31 ; Ziggo, points 26, 34) puisque l’analyse de la Cour s’appuie sur la connaissance par l’intéressé des contrefaçons.

La vérité oblige à dire que les critères retenus tant pour qualifier l’acte de communication que pour écarter l’exemption pour cas de « simple fourniture

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d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » (considérant 27) sont semblables. Mais il est vrai que dans les deux cas, il s’agit d’affirmer que l’on est bien dans le champ du droit de communication.

Cette construction appelle trois observations.

La première a trait aux ayants droit qui se plaignaient souvent des analyses retenues par les juges de Luxembourg, voyant dans les interprétations retenues (et les conditions surprenantes posées) des rétrécissements du champ des droits reconnus par les Directives relatives au droit d’auteur. D’un certain point de vue, cette nouvelle séquence jurisprudentielle, vouée à harmoniser les solutions dans l’Union, les restitue dans leurs prérogatives.

La deuxième observation concerne le rôle dévolu à la notion de « public nouveau » par la Cour qui en fait une exigence, notamment en cas de communication secondaire. En donnant toute sa place au rôle de l’agent pour la qualification de l’acte, la Cour réemprunte, intellectuellement, le chemin parcouru par les négociateurs réunis par le passé à Genève. On sait que ces derniers, en 1948, lors des travaux de la Conférence de Bruxelles ayant abouti à l’adoption de l’article 11 bis, alinéa 1, de la Convention de Berne, avait envisagé le recours au critère de « public nouveau » pour en définitive l’écarter (par 13 voix contre 5), lors de cette même Conférence, et en retenir un autre apparu comme plus pertinent, celui d’« autre organisme » (adopté d’abord en sous- commission puis à l’unanimité par la Conférence). Ces travaux ont pu être ainsi résumés : « Si les critères de « nouvelle communication publique » et de « nouveau public » se sont révélés inopérants pour cerner des activités distinctes de l’organisme

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autorisé par l’auteur à radiodiffuser son œuvre, la conférence n’a en revanche jamais mis en doute le fait que la distribution d’une œuvre radiodiffusée par un tiers constitue toujours un nouvel acte de communication au public. […] La disposition qui constitue maintenant le texte de l’article 11 bis 1) 2° de la Convention de Berne a été adoptée en sous-commission par 12 voix contre 6 (Doc. Berne, p. 290), puis à l’unanimité par la conférence » (Les principes commentés relatifs à la distribution par câble, Le Droit d’auteur, OMPI 1984, n° 63-67, p. 144 et s.).

Quel intérêt, au vu de la solution proposée dans les décisions Filmspeler et Ziggo de conserver, cette condition mal venue et inutile ?

La troisième observation concerne le curieux parallèle qui semble se poursuivre entre le droit de communication au public et le statut de certains prestataires techniques issu de la directive 2000/31 relative au commerce électronique.

Nous avions indiqué (cette revue, janv. 2017, n° 251, p. 335 & s.) que la solution retenue par l’arrêt GS Media (précité, I) s’écartait des canons du droit d’auteur en exigeant, pour caractériser un acte de communication au public un élément de connaissance (celui du caractère illicite du contenu pointé par un hyperlien). Outre le fait que pareille construction s’affranchissait de toutes les solutions posées par les textes internationaux ou européens, c’était aussi transformer la nature objective d’un droit en une espèce de responsabilité subjective.

Le critère de connaissance est ici maintenu. Cela peut être considéré de deux façons.

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Soit de manière négative : la Cour persiste à utiliser un critère normalement indifférent.

Soit de façon différente : les juges de Luxembourg y ont ici recours dans des hypothèses plus lointaines que celles originellement visées. Il n’est question ni de communication primaire ni de communication secondaire.

Il s’agit d’appréhender par la notion de communication des actes qui dans d’autres États relèvent d’une responsabilité dérivée (ou de second degré).

Pour certains, cette approche – et cette exigence de connaissance – permet d’assurer une large portée au droit de communication. Il s’agit de permettre l’interdiction des actes de ceux qui facilitent la contrefaçon ou qui en fournissent aux consommateurs les moyens.

Mais au-delà de ce constat, il faut en revenir au parallèle qui peut être fait avec d’autres acteurs, dont les prestataires techniques. La présente affaire (Ziggo) le met encore plus en lumière que la première (Filmspeler).

On sait que la personne qui fournit stockage ou hébergement dans les conditions prévues par l’article 14 de la directive 2000/31 bénéficie, suivant les dispositions de ce texte, d’un statut favorable d’irresponsabilité conditionnée.

Si le prestataire joue un rôle passif, il peut bénéficier du statut d’hébergeur.

Cela l’installe alors dans un régime qui le fait échapper à toute responsabilité, quand bien même il héberge des contrefaçons, tant qu’il n’a pas eu connaissance de l’existence de ces œuvres illicites. Et l’on sait que nombre de juridictions appliquent, à tort ou à raison, ce statut à certaines plateformes communautaires ou contributives. Pour lutter contre la contrefaçon sur ces plateformes, les ayants

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droit sont confrontés soit à la démonstration d’un rôle actif du prestataire (ce qui écarte le bénéfice du statut d’hébergeur), soit à la preuve de la connaissance de la contrefaçon par le prestataire qui bénéficierait de ce statut. Le plus souvent, dans cette deuxième hypothèse, la responsabilité pourra être engagée si, après une notification, le contenu illicite n’est pas retiré ou rendu inaccessible. Tout cela est subordonné à la démonstration, par l’ayant droit, de l’accomplissement d’un acte de reproduction ou de communication au public de la part du prestataire.

« Rôle actif » ? « Connaissance » ?

Ces critères qui sont ceux utilisés dans le cadre de contentieux mettant en œuvre les dispositions issues de la directive commerce électronique se retrouvent, ici (point 38), dans des litiges de pur droit d’auteur.

Pour démontrer l’accomplissement d’un acte de communication de la part d’une personne qui fournit les moyens de consultations illicites ou facilite la contrefaçon, la CJUE vient, tant dans l’affaire Zeggo que dans l’affaire Filmspeler, de mettre en avant ces deux critères. Aussi bien pour caractériser l’acte de communication que pour écarter le bénéfice de la solution prônée au considérant 27 de la directive (« la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » n’entre pas dans le champ des actes réservés aux ayants droit) !

Il y a donc incontestablement une symétrie édifiante entre la situation du prestataire technique qui fournit un service d’hébergement et la personne qui, sans être un prestataire technique au sens de la directive commerce

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électronique, fournit des moyens ! Et le parallèle est d’autant plus saisissant si l’on veut bien considérer :

– D’une part, que dans l’affaire Ziggo, la Cour a constaté, pour décrire le procédé en cause, que « les œuvres ainsi mises à la disposition des utilisateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ont été mises en ligne sur cette plateforme non pas par les administrateurs de cette dernière, mais par ses utilisateurs ». Ce qui ressemble beaucoup aux « posts » des internautes sur les plateformes contributives.

– D’autre part, que pour caractériser le « rôle actif » qui permet d’écarter le statut d’hébergeur, la proposition de directive du 14 septembre 2016 a mis en avant le critère d’optimisation de la présentation des contenus ou le fait d’en assurer la promotion (considérant 38, alinéa 3 de la Proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique COM (2016) 593 final du 14/09/2016 :

« En ce qui concerne l’article 14, il y a lieu de vérifier si le prestataire de services joue un rôle actif, notamment en optimisant la présentation des œuvres ou autres objets protégés mis en ligne ou en assurant leur promotion, indépendamment de la nature des moyens employés à cet effet », souligné par nous ; v. pour une analyse de ce texte : la résolution de l’Association littéraire et artistique internationale http://www.alai.org/assets/files/

resolutions/170218-value-gap-fr.pdf).

On ne sait si la Cour de justice emprunte délibérément cette voie symétrique puisqu’il n’est fait dans les deux décisions rapportées aucune

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allusion à ce parallèle. Il convient, bien évidemment, de rappeler que les situations opérationnelles des deux séries d’acteurs sont bien différentes.

Il est indiscutable, par exemple, que Filmspeler, qui vend des dispositifs matériels, ne pourrait en aucun cas être regardé comme un « service de la société d’information » au sens de la directive « commerce électronique ». Et sans doute qu’une comparaison plus poussée des régimes mis en place (par la voie d’une directive, d’une part, et celle d’une interprétation jurisprudentielle, d’autre part) ferait apparaître, ici ou là, des différences. Mais il n’a jamais été question d’une assimilation ni même d’un alignement. Le propos du présent commentaire est seulement de mettre en lumière des similitudes de structure générale du raisonnement pour des hypothèses différentes mais non totalement éloignées…

DEUXIÈME AXE — PRÊT NUMÉRIQUE

Bien qu’il ne soit pas expressément prévu par la directive 2006/115/CE, le prêt d’un livre électronique peut, sous certaines conditions, être assimilé au prêt d’un livre traditionnel, lorsque ce prêt est effectué en plaçant cette copie sur le serveur d’une bibliothèque publique et en permettant à un utilisateur de reproduire ladite copie par téléchargement sur son propre ordinateur, étant entendu qu’une seule copie peut être téléchargée pendant la période de prêt et que, après l’expiration de cette période, la copie téléchargée par cet utilisateur n’est plus utilisable par celui-ci.

Un État membre peut soumettre l’application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2006/115 à la condition que la copie de livre sous forme numérique mise à disposition par la bibliothèque publique ait été mise en circulation par

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une première vente ou un premier autre transfert de propriété de cette copie dans l’Union européenne par le titulaire du droit de distribution au public ou avec son consentement.

La copie mise à disposition ne peut avoir été obtenue à partir d’une source illégale.

« Étalez un traité international (le traité OMPI sur le droit d’auteur, de 1996) et deux directives (2006/115, « location-prêt », et 2001/29, « Infosoc »),

Ajoutez une pincée de travaux préparatoires, une touche d’exposé des motifs,

Battez ensemble les principes de niveau élevé de protection en faveur des auteurs, d’interprétation stricte en même temps que d’effet utile des exceptions, dans un sens puis dans l’autre,

Mettez de côté le principe de cohérence terminologique, Assimilez certaines notions pour mieux en dissocier d’autres,

Mélangez le tout, attendez que la magie opère… et vous aurez la solution ! »

La recette ne permet assurément pas d’anticiper la réponse à la demande de décision préjudicielle introduite par le Rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas) dans l’affaire C-174/15 relative au prêt numérique, tant

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la solution est de toute évidence dictée par le seul pragmatisme. La demande mêlait diverses dispositions, interrogeant sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ainsi que de l’article 1er, paragraphe 1, encore de l’article 2, paragraphe 1, sous b), et enfin de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2006/115/CE, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle.

L’arrêt du 10 novembre 2016 (CJUE, 3e ch., 10 nov. 2016, aff.

C-174/15, Vereniging Openbare Bibliotheken c/Stichting Leenrecht, et autres : Propr. intell. janv. 2017, n° 62, p. 19 s., obs. A. Lucas ; Com. com.

électr., févr. 2017, comm.10, obs. C. Caron et Com. com. électr., janv.

2017, comm. 3, obs. G. Loiseau ; RTD Com. 2017 p. 79, obs. F. Pollaud- Dulian ; Dalloz IP/IT 2017, p. 42, obs. S. Dormont) fait partie de ces arrêts attendus et spectaculaires dont la CJUE seule a le secret. Un arrêt attendu, car la question est d’actualité, liée aux nouveaux usages, et qu’elle a fortement impliqué le monde de l’édition et les bibliothèques. Un arrêt spectaculaire s’agissant de la méthode – mais la CJUE nous a désormais habitués à habiller ses raisonnements sans doute inductifs de l’or des principes et autres trésors de logique (sur les méthodes de la CJUE, v. V.-L. Benabou, « Retour sur dix ans de jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de propriété littéraire et artistique : les méthodes », Propr. intell. avr. 2012, n° 44, p. 140, et A. Bensamoun, « Réflexions sur la jurisprudence de la CJUE : du discours à la méthode », Propr. intell. avr. 2015, n° 55, p. 139) – et aussi de la solution, même si, on le verra, celle-ci doit être nuancée.

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Né au Pays-Bas, le litige oppose les différentes entités impliquées dans le droit de prêt public. Le droit néerlandais a mis en œuvre la faculté offerte par le texte européen et créé un mécanisme de licence légale pour le prêt public des œuvres littéraires qui ont fait l’objet d’une mise sur le marché européen. Il ne précise cependant pas si le dispositif est réservé aux exemplaires papiers ou s’il couvre les livres numériques. Le débat oppose l’association des bibliothèques publiques (VOB, Vereniging Openbare Bibliotheken), soutenant que la législation néerlandaise couvrait déjà l’assimilation, et la StOL (Stichting Onderhandelingen Leenvergoedingen), organisme fixant le montant de la rémunération équitable due au titre du droit de prêt, considérant le contraire.

Sur la base d’un rapport officiel, le gouvernement néerlandais a cru nécessaire de rédiger un projet de loi sur les bibliothèques prévoyant la création d’une bibliothèque numérique nationale et reposant sur le postulat que les prêts numériques des livres électroniques par les bibliothèques ne relèvent pas de l’exception posée par l’article 15c, paragraphe 1, de la loi néerlandaise. La VOB a alors saisi le Tribunal de La Haye d’un recours visant à obtenir une déclaration pour droit selon laquelle l’actuelle loi néerlandaise intègre bien dans son champ le prêt numérique, dans le cadre du modèle « une copie, un utilisateur », selon lequel le livre numérique est disponible pour un utilisateur en téléchargement, pour une durée limitée, pendant laquelle il n’est pas accessible à d’autres usagers de la bibliothèque, et en limitant expressément son champ aux « copies sous forme numérique de romans, de recueils de nouvelles, de biographies, de récits de voyage, de livres pour enfants et pour la jeunesse protégés par le droit d’auteur ».

Le tribunal a décidé de surseoir à statuer et a posé quatre (en réalité trois, puisque la dernière est rendue sans objet du fait de la réponse négative

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