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TROISIÈME AXE — ÉPUISEMENT DU DROIT DE DISTRIBUTION RELATIF À UN LOGICIEL ET RESPECT DU DROIT

II. Le nécessaire respect du droit de reproduction

La mise en œuvre de cette prérogative s’était déjà posée dans l’affaire Usedsoft, mais c’était alors en aval du raisonnement (le nouvel utilisateur légitime du fait de la vente d’occasion pouvait accomplir cet acte, la reproduction nécessaire du programme devant lui permettre de l’utiliser d’une manière conforme à sa destination ; points 80 et 81). Dans la présente affaire, il s’agit d’envisager cette opposabilité en amont puisque la copie en cause n’est pas celle d’origine.

C’est le respect du droit de reproduction – également reconnu par la directive mais réputé non sujet à épuisement – qui met, ici, un obstacle à la liberté d’agir de celui qui entend revendre ensuite le programme. Et cela parce que la confection d’une copie qui ne serait donc pas l’exemplaire d’origine ne peut être réalisée qu’avec l’accord de l’ayant droit ou par le jeu d’une exception au droit de reproduction. Est-ce le cas ?

L’article 5, paragraphe 2, de la directive 91/250 prévoit une exception – érigée en droit de l’utilisateur légitime (la solution est d’ordre public) –

pour la réalisation d’une copie de sauvegarde dans la mesure où celle-ci est nécessaire pour l’utilisation du programme.

L’utilisateur légitime d’un exemplaire du programme d’ordinateur qui n’est qu’une copie de sauvegarde peut-il revendre celle-ci sur le marché d’occasion ?

Pour répondre à cette interrogation la Cour commence par indiquer que, conformément à sa jurisprudence (CJUE, 1er déc. 2011, Painer, C 145/10, point 109), les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.

Ce qui signifie, s’agissant de la copie de sauvegarde que « cette dernière ne peut être réalisée et utilisée que pour répondre aux seuls besoins de la personne en droit d’utiliser ce programme et que, partant, cette personne ne saurait, quand bien même elle aurait endommagé, détruit ou encore égaré le support physique d’origine de ce programme, utiliser cette copie aux fins de la revente dudit programme d’occasion à une tierce personne » (point 43 de la décision rapportée).

L’examen des conditions de l’exception fait donc immédiatement apparaître qu’il ne suffit pas que le support d’origine du programme ait été endommagé, détruit ou égaré pour que la personne qui effectue la sauvegarde puisse librement la faire. Il faut, en outre, que la copie serve à l’usage personnel du copiste. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Non seulement parce que les actes de reproduction étaient en réalité destinés à la revente plutôt qu’à l’usage personnel, mais encore parce que le ou les copistes ont peut-être réalisé les reproductions en cause à des fins commerciales (point à vérifier par les juges de la Cour de renvoi) (points 44 à 47). C’est dire que les actes accomplis dans

cette affaire méconnaissent les principes de droit d’auteur mis en place par la directive de 1991.

Cela étant, la copie de sauvegarde – dont le régime est exposé à l’alinéa 2 de l’article 5 de la directive 91/250 – n’est pas la seule exception au droit de reproduction. Une autre limitation est envisagée à l’alinéa précédent de la même disposition :

« 1. Sauf dispositions contractuelles spécifiques, ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire les actes prévus à l’article 4 points a) et b) lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs ».

Tel est le cas, on l’a vu, de l’installation sur un ordinateur d’une copie achetée régulièrement y compris lorsqu’elle a été acquise licitement sur le marché de l’occasion (affaire UsedSoft, C-128/11, point 75 : l’acte est alors regardé comme « nécessaire » et est accompli par un utilisateur légitime).

Mais en d’autres hypothèses ? Est-il possible de conclure à l’application de cette exception lorsque l’acte de copie est réalisé en amont par un acquéreur légitime d’un exemplaire qui effectuerait une nouvelle copie à des fins de revente ?

M. l’avocat général Saugmandsgaard Øe répond par la négative :

« Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 1, de la directive […] que la copie matérielle non originale doit être réalisée par l’acquéreur légitime pour lui permettre d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination. Or, en cas de revente du programme d’ordinateur, cet acquéreur légitime cède les droits d’utilisation qu’il détient sur ce programme et doit cesser de l’utiliser. Partant, il ne lui est plus possible de satisfaire à la condition selon laquelle la copie matérielle non originale doit lui permettre d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination. Comme l’a relevé la Commission, le terme « utiliser » figurant dans cette disposition ne saurait être interprété en ce sens qu’il inclurait la réalisation de copies matérielles non originales aux fins de leur revente » (pt 60 des concl.).

Mais ce n’est ni l’analyse ni la solution que retiendra la Cour. Le raisonnement de la CJUE se fait ici extrêmement complexe et – il faut bien l’avouer – difficile à suivre.

Il surprend, d’abord, parce que la question préjudicielle ne paraissait pas aller sur ce terrain. Il attire l’attention, ensuite, par le détour qu’il emprunte quant au fond. La Cour rappelle une fois de plus qu’il n’y a pas lieu de distinguer suivant l’origine matérielle ou immatérielle du support contenant le programme d’ordinateur. Et que la situation du détenteur légitime d’une copie de sauvegarde et celle de l’acquéreur légitime de la copie d’un programme d’ordinateur achetée et téléchargée sur Internet doivent être regardées comme comparables (point 52).

La Cour expose le régime du téléchargement de la copie d’un logiciel depuis le site internet de l’éditeur. Elle rappelle que, par application de sa

solution UsedSoft (voir supra le résumé en neuf points), l’acquéreur initial pourra transférer ce programme à un second acquéreur qui sera un utilisateur légitime, sous réserve de « rendre inutilisable toute copie en sa possession au moment de la revente de celle-ci » (point 55). Ce sous-acquéreur aura lui aussi le droit de télécharger le programme sur le site de l’éditeur, sans avoir à solliciter l’autorisation de l’ayant droit. Dans toutes ces hypothèses, l’acte de reproduction accompli sera regardé comme « nécessaire » pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme de manière conforme à sa destination (point 50). Il appartiendra simplement à celui qui télécharge une copie d’un programme sur son ordinateur à partir du site internet de l’éditeur « d’établir, par tout moyen de preuve, qu’il a légalement acquis cette licence » (point 56).

Mais le pivot du raisonnement de la Cour se situe sans doute au point 53 de la décision rapportée :

« L’acquéreur légitime de la copie d’un programme d’ordinateur, qui détient une licence d’utilisation illimitée de ce programme mais qui ne dispose plus du support physique d’origine sur lequel cette copie lui avait été initialement livrée parce qu’il l’a détruit, endommagé ou égaré, ne saurait, de ce seul fait, être privé de toute possibilité de revendre d’occasion ladite copie à une tierce personne, sauf à priver d’effet utile l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, sous c), de la directive 91/250 (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft, C 128/11, EU : C : 2012:407, point 83) ».

La justification de l’« effet utile », jointe à l’« équivalence fonctionnelle », permet donc à la Cour de parvenir à une solution qui

paraît contraire – dans ses conséquences pratiques – aux affirmations précédentes relatives à la copie de sauvegarde. Concrètement, la Cour admet que l’« utilisateur légitime » doit pouvoir télécharger le logiciel en vertu de la licence qu’il a acquise pour remplacer la copie physique par une autre copie matérielle ou immatérielle, ce qui rend donc possible le marché de l’occasion nonobstant les règles relatives au droit de reproduction ! En revanche, question de principe rappelé dans le dispositif de l’arrêt, la copie de sauvegarde, elle, ne peut être revendue. Ou comment affirmer un principe et son contournement.

Les solutions exposées appellent quelques observations complémentaires, pratiques et théoriques.

Sur le plan pratique des questions paraissent ouvertes. Comment se règleront des difficultés d’ordre probatoire ? Est-on bien certain de la traçabilité des programmes ? Quid si l’éditeur de logiciels ne propose pas de téléchargement ? On l’imagine mal venir spontanément au secours de l’utilisateur. On envisage encore moins qu’il soit obligé de le faire.

Sur le terrain purement théorique, une réflexion surgit à nouveau, indépendamment du constat que la construction jurisprudentielle de l’épuisement du droit de distribution devient de plus en plus délicate à suivre : si la solution pratique paraît à ce point heureuse qu’elle doive être imposée, ne serait-il pas préférable de le faire en modifiant, par la voie législative, les textes plutôt que de participer à un jeu de déconstruction ?

https://curia.europa.eu/

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE