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DEUXIÈME AXE — PRÊT NUMÉRIQUE

I. Une assimilation limitée du prêt numérique de livres électroniques au prêt d’ouvrages imprimés

1. L’absence de motifs d’exclusion

Après avoir rappelé l’article 1er, paragraphe 1, qui pose le droit exclusif de location et de prêt « d’originaux et de copies d’œuvres protégées par le droit d’auteur », ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), qui définit le prêt d’« objets » comme « leur mise à disposition pour l’usage, pour un temps limité et point pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect, lorsqu’elle est effectuée par des établissements accessibles au public », la Cour relève que ces dispositions ne précisent pas si elles incluent les œuvres qui ne sont pas fixées sur des supports physiques, telles que les copies numériques (points 28-29). Une fois notée l’évidence, on aurait pu s’attendre à ce que la Cour mette en lumière les arguments qui auraient permis d’étendre le champ du texte au-delà de ce qui y est dit et donc d’inclure le prêt d’objets numériques. Ce n’est pourtant pas le choix de la Cour, qui, au prix d’une inversion du raisonnement, va au contraire se demander s’il existe des motifs propres à justifier l’exclusion du prêt d’objets numériques du champ de la directive 2006/115. Pour répondre à cette interrogation, la CJUE prend appui sur le droit international, d’une part, et sur les travaux préparatoires de la directive, d’autre part.

D’une part, rappelant la nécessité de rapprocher les législations des États membres dans le respect du droit international (point 31), la Cour de Luxembourg renvoie d’abord au Traité OMPI sur le droit d’auteur. Selon elle, il ressort de la Déclaration commune annexée au Traité – laquelle définit les notions d’« original » et d’« exemplaires » figurant à l’article 7 dudit traité comme « exclusivement les exemplaires fixés qui peuvent être mis en circulation en tant qu’objets tangibles » – que l’exclusion des objets intangibles ne vise que

le droit de location, lequel ne pourrait donc porter que sur des copies fixées sur un support physique (points 34-35). En effet, toujours selon la Cour, même si on parle souvent de « droit de location et de prêt », rien ne permet de conclure que le législateur a entendu donner la même signification aux notions d’« objets » et de « copies » s’agissant du prêt et de la location. D’ailleurs, elle relève que la différence de traitement est soutenue par le pluriel utilisé par certaines versions linguistiques, renvoyant non pas au « droit de location et de prêt », mais aux « droits » de location et de prêt. Enfin, la Cour justifie cette dissociation sémantique par l’existence de deux définitions séparées, l’une pour la location et l’autre pour le prêt.

Le raisonnement de la Cour est ici intenable : le choix de rattacher l’exigence d’objets tangibles au seul droit de location apparaît arbitraire. Et l’utilisation d’un pluriel dans certaines traductions (traductions au passage non harmonisées d’un État à l’autre…) ne parvient pas à masquer la proximité des deux prérogatives ! Quant à l’argument définitoire, il est tout simplement incompréhensible. En quoi le fait que chaque notion est proprement définie permet-il de conclure que « les objets concernés par la location ne sont pas nécessairement identiques à ceux concernés par le prêt » (point 38) ? L’existence de deux définitions distinctes pour viser deux réalités n’est pas un argument mais relève de la logique. Le droit se nourrit peu de synonymes sans utilité qui, par application du principe de rationalité juridique, ne peuvent que viser des objets différents. La Cour de justice avait déjà imposé des sens différents à une même notion se retrouvant dans deux textes. Mais le trait est ici poussé à l’extrême. La Cour accorde un sens différent à des notions utilisées dans un même trait de plume au sein d’un même texte et sépare ainsi artificiellement

le régime des prérogatives. Variation sur un même thème ou polysémie, signe de désordre, aurait pu écrire le Doyen Cornu…

On notera cependant un élément important : le point de départ du raisonnement de la Cour, lequel repose sur la primauté des Conventions internationales (points 31-32). Cette étonnante docilité doit être relevée, tant la Cour a parfois maltraité le droit international et son interprétation, notamment s’agissant de la Convention de Berne avec le droit de communication au public.

D’autre part, la CJUE trouve appui à l’absence de motifs d’exclusion dans les travaux préparatoires de la directive 1992/100 qui n’écartent pas les supports numériques de son champ d’application (point 40). L’exposé des motifs mentionne certes le souhait de la Commission d’écarter « la mise à disposition par voie de transmission de données électroniques » (souhait d’ailleurs non traduit dans le texte de la directive, ce dont la Cour tire aussi argument ; v. point 43). Mais la Cour considère qu’il n’est pas certain que cette assertion visait les copies de livres sous forme numérique. Et elle avance à cet effet deux arguments : d’abord que l’hypothèse ne visait que la transmission électronique de films (alors même qu’il semblerait plutôt que la mention était exemplative), ensuite et surtout, que de tels usages n’avaient pas cours lors de l’adoption du texte européen (point 42). D’où l’on comprend que le silence qui vaut ici acceptation est un silence ignorant… L’ignorance est rarement bavarde !

La Cour déduit de l’ensemble de ces considérations « qu’il n’existe aucun motif décisif permettant d’exclure, en toute hypothèse, du champ d’application

de la directive 2006/115 le prêt de copies numériques et d’objets intangibles » (point 44). Cette conclusion est par ailleurs corroborée par des principes, sources d’interprétation.