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TROISIÈME AXE — ÉPUISEMENT DU DROIT DE DISTRIBUTION RELATIF À UN LOGICIEL ET RESPECT DU DROIT

I. L’épuisement du droit de distribution

S’agissant de l’épuisement du droit de distribution, l’argumentation de Microsoft visait à faire admettre par les juges de Luxembourg que l’épuisement du droit est limité au périmètre de la vente du support d’origine par le titulaire de droits, avec son consentement. Telle était également l’approche de la Commission européenne et des gouvernements polonais et italien.

L’avocat général désigné dans cette affaire, M. Saugmandsgaard Øe, exposait dans ses conclusions (points 35-37), les trois approches qui pouvaient être soutenues devant la Cour à propos de l’éventuelle application du principe de l’épuisement de distribution à des copies matérielles non originelles :

– Suivant une première approche, pareilles copies ne peuvent jamais bénéficier de l’épuisement du droit de distribution et ne peuvent par conséquent pas être vendues par un utilisateur sans l’autorisation de l’ayant droit. On retrouve là l’analyse de Microsoft qui paraissait avoir la préférence de l’avocat général.

– Selon la deuxième approche, une copie matérielle non originelle doit pouvoir bénéficier de l’épuisement du droit de distribution, dès lors que sont respectées les exigences posées par l’arrêt UsedSoft (licence onéreuse conférée sans limitation de durée/non conservation d’une copie utilisable).

– D’après la troisième approche, proposée par la Commission européenne, l’extension de la solution UsedSoft ne pourrait être envisagée à propos des copies matérielles non originelles que lorsque la copie matérielle d’origine a été endommagée. Il y aurait lieu alors de se référer à l’article 5, paragraphe 1 ou 2, de la Directive.

La première analyse est rejetée par la Cour de justice. Interprétant l’article 4, sous c) de la directive de 1991 (texte alors applicable), les juges de Luxembourg estiment que l’objet de l’épuisement du droit de distribution

est la copie du programme et la licence d’utilisation au sens strict. Par voie de conséquence, il n’y a pas lieu, selon eux, de prendre en considération la nature du support lui-même, qu’il soit, du reste, matériel ou immatériel (points 31 et suivants). Au soutien de sa décision, la CJUE met en avant certaines des solutions déjà retenues par elle. Elle précise tout d’abord (point 27) que le droit de distribution est sujet à épuisement dès lors que deux conditions sont remplies : i) une première mise dans le commerce sur le territoire de l’Union ; ii) respectueuse des règles de droit d’auteur. Ce socle, indiscutable et non contesté, exposé, la CJUE prend soin ensuite de rappeler (point 28) la construction élaborée dans l’affaire Usedsoft et selon laquelle « le terme de

« vente » visé par ladite disposition, qui doit être interprété largement, englobe toutes les formes de commercialisation de la copie d’un programme d’ordinateur qui se caractérisent par l’octroi d’un droit d’usage de cette copie, pour une durée illimitée, moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre au titulaire du droit d’auteur sur ledit programme d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de ladite copie ». Cette affirmation audacieuse – alignant le régime d’un acte de téléchargement sur celui de la circulation physique d’un exemplaire matériel portant la copie d’un logiciel – était et demeure destinée à assurer un « effet utile » à la solution posée par la directive au terme d’un raisonnement très contestable et vivement critiqué par la majorité de la doctrine.

La construction juridique alors retenue était – et demeure – la suivante : 1- Une licence avec mise à disposition – via les réseaux numériques – du programme doit être qualifiée de « vente » ;

2- La notion de « communication au public » s’efface alors ;

3- Le droit de distribution, en cause lors de l’opération de téléchargement, se voit appliquer la théorie de l’épuisement ;

4- L’épuisement du droit ne touche cependant pas le droit de reproduction à proprement parler ;

5- La licence, elle, ne s’épuise pas mais est transférée au nouvel

« acquéreur » ;

6- En cas de licence multipostes, le licencié ne peut procéder à la scission de la licence pour aliéner une des copies autorisées par la licence ;

7- La copie mise à jour dans le cadre d’un contrat de maintenance est assimilée à la première copie vendue ; elle est donc sujette à épuisement s’agissant de sa distribution ;

8- La personne qui obtient une copie d’un programme par l’effet de l’épuisement du droit de distribution sur cette copie peut être regardée comme un « acquéreur légitime », ce qui l’autorise à accomplir les « actes nécessaires » pour l’utilisation du programme d’une manière conforme à sa destination (article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24).

9- Toutes ces solutions ne s’appliquent que si l’acquéreur initial détruit la copie d’origine au moment du transfert au sous-acquéreur, ce qui exclut, en

théorie, l’augmentation du nombre d’utilisateurs ou toute augmentation du nombre de licenciés.

Il n’y a pas lieu de revenir, ici, sur le caractère contra legem de l’interprétation jurisprudentielle proposée et se contenter d’observer que – sans surprise – la Cour maintient sa jurisprudence au nom d’une équivalence technologique.

Ce qui permet d’écarter toute stipulation contractuelle contraire, interdisant toute cession ultérieure (point 30).

Reste que la situation n’était pas, ici, identique à celle de l’affaire Usedsoft.

Comme le résume de façon limpide le point 31 de l’arrêt commenté :

« Toutefois, les questions posées visent non pas l’hypothèse de la revente de la copie d’un programme d’ordinateur d’occasion, enregistrée sur un support physique d’origine, par son acquéreur initial, mais celle de la revente de la copie d’un programme d’ordinateur d’occasion, enregistrée sur un support physique qui n’est pas d’origine, par une personne qui en a fait l’acquisition auprès de l’acquéreur initial ou d’un acquéreur ultérieur » (souligné par nous).

D’où l’argumentation de la société Microsoft précédemment évoquée mais au caractère trop abrupte pour convaincre immédiatement la Cour (point 33 : « Cette argumentation ne saurait être accueillie en tant que telle » !).

La Cour rappelle tout d’abord que l’épuisement du droit de distribution porte sur la copie du programme d’ordinateur elle-même et la licence

d’utilisation qui l’accompagne, et non pas sur le support physique (point 34), et rejette ensuite toute possibilité de distinction en fonction de la forme matérielle ou immatérielle de la copie en cause (point 35). Mais elle prend soin de préciser également que la mise en œuvre de la théorie de l’épuisement du droit de distribution n’épuise pas ici le questionnement juridique, puisque est également en cause le droit de reproduction reconnu à l’ayant droit du logiciel et opposable au copiste (points 37 & 38).