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Il y a dix ans, au moment où les colonies, protectorats et départements

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ÉCHEC DU SOCIALISME EN AFRIQUE

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l y a dix ans, au moment où les colonies, protectorats et dépar- tements de l'ex-Empire français d'Afrique se voyaient recon- naître leur indépendance ou étaient à la veille de la voir recon- naître, l'immense majorité de nos professeurs d'économie tenaient pour acquise leur orientation vers des modes socialistes d'organi- sation politique et économique. Ils pensaient et écrivaient que les modèles russes, chinois ou yougoslaves s'imposeraient tôt ou tard au continent noir, s'il voulait parvenir au développement. Dans

cette optique, le rassemblement de Bandoeng semblait moins des- tiné à couper politiquement le monde occidental de l'Afrique et de l'Asie, qu'à regrouper des peuples condamnés au même destin par leur race, par le climat ou les productions de leurs territoires,

enfin par leur ancienne sujétion à l'impérialisme.

Le postulat de nos professeurs reposait sur deux idées appa- remment complémentaires.

La première concernait la nature des sociétés pré-coloniales.

On croyait voir dans les manifestations communautaires du vil- lage, du clan, de la tribu, une sorte de communisme instinctif qu'il suffisait d'organiser pour parvenir à des formes modernes de production ou même de consommation collectivistes. L'univer- sitaire européen de la seconde moitié du xxe siècle traduisait ainsi sa nostalgie de la « civilisation de groupe ». Il rejoignait, sans en être conscient, l'école de Bernardin de Saint-Pierre et, plus près

•de nous, celle des utopistes russes de la fin du xixe.

Une seconde idée concluait à la socialisation inéluctable. On déclarait que la disparition de la tutelle coloniale devait contrain-

dre les jeunes Etats à dégager une épargne nationale qu'ils ne sauraient trouver sans plier leurs populations à la plus stricte

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discipline communautaire. Les excès de cette discipline étaient par avance excusés par la formule « maladies infantiles de l'indé- pendance », due à Jean Lacouture.

On croyait en somme qu'en imposant le « socialisme scienti- fique » par le haut, on réveillerait des instincts comprimés par un siècle de colonisation. Pour reprendre une formule du duc de Saint-Simon, le sublime de la nature et celui des épigones de Marx devaient se chevaucher l'un l'autre. L'expérience montre au con- traire un immense fiasco.

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u'il s'agisse de l'Algérie, du Congo-Brazzaville, de la Guinée ou du Mali, il est facile de démontrer par des chiffres que la catastrophe économique est totale. Quant à l'échec politique, il est maintenant très perceptible au niveau de la jeunesse de ces pays.

C'est elle qui remet en question, comme on vient de le voir à Bamako, l'ordre dont elle était censée exiger le maintien.

L'erreur de nos professeurs d'économie vient pour une grande part de ce qu'ils ont systématiquement ignoré les témoignages datant de la période coloniale, même s'ils venaient d'un prêtre ou d'un administrateur militaire qui avait passé une vie de renonce- ment et d' « intégration » au milieu des Bambara ou des Baoulé.

Aujourd'hui, pas un volontaire de la coopération ne peut vivre comme eux au contact quotidien d'une population, pas un n'ac- cepterait ce qu'ils furent obligés d'admettre au début du siècle — la table et le gîte des Africains —, pas un, ou presque, ne parle les multiples dialectes, cependant le rapport de n'importe quel

« boursier Zellidja » paraît avoir plus de valeur que les innombra- bles carnets de poste militaire ou de mission dont on attendra longtemps que le C.N.R.S. fasse la synthèse. Ces documents se- raient entachés de « paternalisme » et présenteraient l'Afrique telle qu'elle n'est pas.

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emontons donc à la relation des voyages de J.F. La Harpe dont Paulette Ph. Decraene a eu l'heureuse idée de publier des extraits dans la première livraison de « l'Afrique littéraire et artistique (1). » Ce document ne peut pas être suspect puisqu'il fut publié en 1825, soit cinq ans avant que Charles X ne décide de jeter la France dans l'impérialisme colonial. La Harpe décrit les mœurs du royaume de Bénin, grosso modo dans la région où

(1) Société Africaine d'Edition. 32. rue de l'Echiquier (Paris-10^».

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est installé l'actuel Biafra. Il y rencontre des gens « civils et com- plaisants dans la société, mais réservés et défiants dans les affai- res », où néanmoins « ils sont habiles ». Quelle est la grande affaire du Bénin ? Le commerce, que la société tout entière protège avec la plus grande rigueur contre d'éventuels contestataires. « C'est un crime capital dans la nation d'outrager le moindre Européen ».

La Harpe rapporte que la tête du coupable est tranchée à la hache. « Cette sévérité porte à croire qu'ils trouvent de grands avantages dans le commerce des Européens ».

Certainement, car la civilité des naturels du Bénin à l'égard des commerçants hollandais, anglais ou français, tranche sur leur comportement habituel. On est loin, en lisant La Harpe, des des- criptions idylliques du « bon sauvage », vivant dans la douceur et l'honnêteté, se contentant des fruits de la nature et ignorant superbement ces deux mamelles de l'hypocrisie européenne : l'ar- gent et la propriété. En fait l'esclavage, le crime, le despotisme se rencontrent au Bénin comme partout ailleurs, si la société a su créer des règlements minutieux en matière économique. On voit un ministre de l'Agriculture, un autre pour le bétail. Un ordre spé- cial est formé des « agents de commerce avec les Européens ».

On les appelle fiador ou viador. Ils sont en quelque sorte le dessus du tiers état, la bourgeoisie montante.

Nulle part, du nord au sud du Sahara, on ne rencontre ce communisme instinctif, cette abnégation de l'individu que quel- ques rêveurs ont voulu voir. En fait, les régimes qui ont voulu ignorer depuis dix ans l'importance de la propriété, la valeur du signe monétaire, la vénalité du travail, la rage de consommer, ces régimes se sont écroulés ou sont sur le point d'être abattus. Pré- noms au contraire des Etats comme le Gabon ou la Côte-d'Ivoire.

Ils ont accompli des pas de géants en respectant les plus strictes règles libérales. Loin de craindre que des inégalités se créent par- mi leurs nationaux, ils ont encouragé désespérément la création d'un petit capitalisme local. Cette politique, tant elle était nou- velle en Afrique française, n'a produit que des résultats inégaux.

Mais on a bon espoir de son succès final quand on considère ce qui s'est passé en Afrique anglaise, où depuis longtemps les indi- gènes étaient poussés à se saisir eux-mêmes des leviers économi- ques. L'admiration des Européens pour les Biafrais ne vient pas d'autre chose. Les Ibos n e doivent nullement à leur race de comp- ter parmi eux des commerçants ou des fabricants millionnaires, des médecins nombreux et fort compétents, des ingénieurs capa- bles et des diplomates habiles. L'histoire a simplement voulu que dans cette région de l'Afrique, des missionnaires et des adminis-

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trateurs intelligents aient compris, comme Marx d'ailleurs, que l e progrès viendrait facilement à partir du moment où dans un peu- ple, naguère « retardataire », des individus imitaient pour l e u r compte les activités des hommes de la civilisation industrielle.

Pour leur compte et non pour celui de l'Etat, car alors presque rien ne se fait ou fort mal. La notion du service public a m i s des siècles à se frayer un chemin en Europe. Même si l'on tient.

compte de « l'accélération de l'Histoire », l'Africain n'acceptera.

pas volontiers avant des décennies de considérer le bien commun.

avant le sien propre. Quand on parle avec des experts soviétiques,, avec des coopérants communistes, on se rend compte qu'ils sont parvenus à la même conclusion. Ils disent crûment qu'une certaine

« accumulation capitaliste », sur le plan humain tout particuliè- rement, doit nécessairement précéder toute tentative socialiste.

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ls en ont fait l'amère expérience au Mali et en Guinée. Dans ces deux pays, l'application aventureuse d'un modèle théoriquement valable a provoqué la catastrophe. On voulait créer un franc gui- néen et un franc malien en pensant que ces monnaies seraient:

garanties par l'augmentation de la production et le • contrôle sé- vère du commerce extérieur et intérieur. Or que s'est-il passé ? La nationalisation du commerce l'a mis dans les mains d'hommes incompétents et presque toujours corrompus. Autrefois, le paysan remettait sa récolte de riz ou les bêtes qu'il voulait vendre aui

« syrien », à un représentant local d'une « société de traite ».

On lui donnait quelques francs C.F.A., mais on lui fournissait en plus l'occasion de le dépenser en lui proposant du sucre, du sel,.

des outils, toute cette pacotille que l'on retrouvait dans le moin- dre village de brousse, aussi dérisoire qu'elle était nécessaire^

Brutalement, à partir de 1958, le prix payé se fait plus bas au nom de l'austérité socialiste. Parfois, personne ne se présente pour emporter la récolte et il est interdit de tenter de la commercia- liser soi-même. Surtout le paysan reçoit quelques assignats, mais il ne peut rien en faire étant donné que toute marchandise a dis- paru. A Conakry, un ingénieur français consacre ses dimanches à parcourir la brousse à la recherche d'un cochon. Quand il raconte son existence quotidienne, on se croit revenu au Paris de l'occu- pation et on se souvient du « Bœuf clandestin » de Marcel Aymé.

Pour avoir trois sacs de riz, il doit intriguer jusque dans le cabi- net du ministre de ravitaillement. Même au marché noir, se nour- rir est difficile. C'est que la paysannerie fait sortir ses troupeaux,

ses récoltes du pays. On les retrouve au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, où ils sont payés dans ce maudit franc C F A . colonialiste.

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Or la Guinée réunit des conditions de prospérité bien plus grandes que celles de la Côte-d'Ivoire. Elle possède le tiers des réserves mondiales de bauxite, des gisements de fer importants, des sols plus riches. Tout cela n'a produit qu'une misère générale et les Guinéens, eux aussi, « votent avec leurs pieds » en se pré- cipitant vers Dakar ou vers Abidjan par dizaines de milliers. Sékou Touré ne se soutient qu'à coup de subsides américains. Car ce

« socialiste » est un allié sûr pour le Département d'Etat, qui lui alloue chaque année 80 millions de dollars, somme coquette dont l'emploi est mystérieux.

La situation au Mali était semblable à la veille de la chute de Modibo Keïta. Certes celui-ci était réputé comme un homme plus sérieux que Sékou Touré. Certes son pays est-il immensément plus pauvre. Mais justement il eût fallu agir avec beaucoup de prudence. Or tout ce qu'avait laissé la colonisation française — l'Office du Niger en particulier — est ruiné. La monnaie n'existe quasiment plus, les entreprises d'Etat sont en faillite. Vers quelles puissances se tourne la nouvelle équipe pour sauver ce qui est encore sauvable ? Vers celles de l'Ouest, avec d'ailleurs l'accord de l'U.R.S.S. qui a compris qu'elle ne pouvait s'opposer au mouve- mant de révolte de toute une jeunesse et de tout un peuple. Il faut bien dire qu'en Afrique, socialisme scientifique signifie misère et destruction.

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'est en Algérie qu'on voit le phénomène dans toute son am- pleur.

Prenons l'agriculture. C'était en 1962, René Dumont l'a affirmé, bien que peu suspect de colonialisme, l'une des plus modernes du monde. Le même Dumont suppliait Ben Bella d'empêcher l'exode des Européens, de favoriser un mouvement de retour, au moins pour une période transitoire. Mais on choisit, en mars 1963, de confier « les biens vacants » aux ouvriers des anciens colons, de les laisser s'autogérer. Si on avait au moins tenu cette promesse ! Grosso modo, un siècle de vie en commun avait appris aux ou- vriers, sinon la science, du moins les gestes pour faire le vin, soi- gner les vergers, conserver un matériel. Peut-être aurait-on pu trouver une formule viable pour conserver l'essentiel de l'héritage.

Mais il eût fallu que l'autogestion soit réelle, que les paysans voient les fruits de leur travail, qu'on reconnaisse leur compétence, née d'une longue habitude. C'est le contraire qui s'est passé. Cha- que domaine s'est vu doter d'un directeur sans autre titre qu'un passé plus ou moins honorable entre 1954 et 1962 ou qu'une grande habileté à se glisser dans les méandres d'une administration socia-

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liste et étouffante. Les ouvriers sont devenus de simples salariés de l'Etat, moins payés qu'auparavant, avec deux ou trois mois de retard le plus souvent. Les engrais, les machines sont devenus in- trouvables, le commerce extérieur étant nationalisé. Dans tel do- maine, on a dû organiser un commando pour aller voler du « sou- fre », si nécessaire à la vigne. Dans tel autre, on a envoyé une lettre commune à l'ancien colon pour le supplier d'envoyer une pièce essentielle du vieux tracteur. Presque partout, les camions de l'office national de commercialisation n'arrivent pas assez vite pour empêcher qu'agrumes ou primeurs ne pourrissent sur place.

A Alger, on mange des tomates importées du Var ! A Paris, on ne trouve plus d'oranges importées d'Algérie ! Même les Russes les refusent désormais. Quant au vin, on se doute de sa qualité quand on apprend qu'un seul expert, tchèque, est responsable du con- trôle de sa fabrication dans tout le département d'Oran !

L

'Algérie actuelle nous donne sans doute le spectacle le plus tragique d'un pays passant, au nom du « socialisme scienti- fique », d'une relative prospérité à cet abêtissement figé et massif qui stupéfait Marx quand il étudiait les grands despotismes orien- taux.

Prospérité relative ? Sans doute l'Algérie affrontait-elle, dans les années qui précédèrent immédiatement le conflit fratricide, des problèmes économico-sociaux très délicats. Le professeur René Gendarme, dans un magnifique ouvrage demeuré presque ignoré (1), les énumérait sans complaisances :

— industrialisation très insuffisante, due pour une grande part aux refus multiples du patronat métropolitain ;

— retard extraordinaire des « latifundia » possédés par des musulmans, mais s'étendant, contrairement à la légende, sui- des terres aussi nombreuses (environ 2 millions d'hectares) et aussi riches que les « terres de colonisation » ;

— drame enfin de l'explosion démographique.

Mais l'Algérie disposait d'atouts inconnus dans la plupart des pays du « Tiers Monde ». Non seulement d'une infrastructure re- marquable et de produits d'exportation recherchés — agrumes,

pétrole avant tout —, mais encore d'hommes aptes à s'insérer immédiatement dans une économie moderne.

En 1961, on pouvait évaluer cette fraction de la population à un à deux millions d'habitants. Contrairement à ce qu'on croit (1) L'Economie de l'Algérie. Collection de la Fondation des Sciences Politiques. Chez Armand Colin.

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généralement, la petite entreprise musulmane, commerciale ou in- dustrielle, était prospère, pleine d'imagination, très adaptée au monde d'aujourd'hui sous des dehors volontairement traditionnels.

L'Algérie avait ses médecins, ses techniciens du rail ou de l'élec- tricité (on fait ici abstraction des « pieds noirs »). Elle avait cet avantage qui paraît fabuleux en pays noir : des mécaniciens capa- bles. Elle avait surtout des consommateurs, sans lesquels il n'y a ni industrialisation ni même économie : on le voit dans plusieurs pays d'Amérique latine.

Qu'est devenu ce patrimoine ? Il est en Europe. Les « spécu- lateurs » algériens n'expatrient pas leur or. Ils s'expatrient eux- mêmes. Le ministre de la Santé de Boumedienne publie officielle- ment cette vérité consternante : on compte 300 médecins algériens dans la banlieue parisienne, alors que nous envoyons outre-Médi- terranée des centaines de « coopérants ». En 1965, l'équivalence des diplômes universitaires de médecine a été aboli... Aussitôt l'exode a été massif de l'Université d'Alger vers celles de France.

Nous avons pu voir, quelques jours avant la chute de Ben Bella, des apprentis « carabins » déclencher un chahut monstre devant un professeur de déontologie chargé de leur vanter les mérites de la « médecine socialiste ». C'est qu'ils savaient qu'on leur pro- posait un marché de dupes.

En effet ce que Djilas a appelé « la nouvelle classe » dans les pays de l'Est, constitue, en Algérie, une force d'oppression et de

« néantisation » absolument insensée.

Il faut remonter un peu dans l'histoire pour le comprendre.

Pendant la guerre d'indépendance, un fossé se creuse entre ma- quisards et terroristes de l'intérieur d'une part, soldats des armées des frontières (Maroc-Tunisie) où hôtes des prisons françaises d'au- tre part. Les premiers sont restés constamment au contact de leur peuple, ont appris qu'il n'envisageait rien d'autre qu'une sorte d'Algérie française après l'Algérie française : en somme une démo- cratie libérale assez bien représentée par des hommes comme Ferhat Abbas ou mieux encore Ben Khedda, président du G.P.R.A.

en 1962.

A l'inverse, les « militants de l'extérieur » rêvaient la révolu- tion. Ils la rêvaient d'autant plus radicale que leur inactivité et le sentiment d'impunité qu'ils avaient fini par acquérir, augmen- taient à proportion une exaltation toute méditerranéenne, à vrai dire moins méditerranéenne que proprement arabe. Us étaient animés d'un grand mépris par les vulgaires « combattants de l'intérieur », soupçonné d'avoir une vue prosaïque des « événe- ments ». A Tunis, à Oujda, on s'est gavé d'Algérie « pure et dure »

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en même temps que de galettes de loukoums et d'argent moyen- oriental. Pendant l'été 1962, les chars et les canons de Boume- dienne — alors associé à Ben Bella — ont eu facilement raison des escopettes de maquis laminés par l'armée française. Ce « triom- phe » a renforcé l'arrogance des émigrés. Mais à court terme, car le peuple les vomit, comme nous' allons le voir. Finalement, les accords O.A.S.-G.P.R.A. seront considérés comme prophétiques par des historiens très proches.

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n l'a vu pour l'agriculture : dès mars 1963, six mois après l'indépendance, toute initiative est enlevée au peuple au profit de petits « apparatchiki » qui n'ont rien de « socialiste », sinon leur filiation, leur cousinage ou leur habileté à faire valoir des titres de résistance le plus souvent inexistants. Des garçons de 18 ans qui avaient eu le malheur de passer par des écoles professionnelles organisées par l'armée française, sont rejetés de tout emploi faute d'un « certificat de civisme » : ils n'ont pas combattu entre 1954 de 1962 ! A leur place, des sans-valeur prétendus « anciens mouja- hiddines » et qui ne le sont même pas.

Dans les entreprises industrielles encore gérées par des Fran- çais, des ouvriers terrorisés sont contraints, par des moyens de police, à obéir aux ordres de grève ou de sabotage transmis par des « syndicalistes » extérieurs à l'entreprise. Pourtant ces ou- vriers savent que l'enchaînement des revendications et des ripostes du patronat européen se traduira, à court terme, par du chômage.

Ils ne disent rien, ils émigrent. C'est la grande soupape de sécurité de l'Algérie de Ben Bella et de Boumedienne.

En Europe, aujourd'hui, vivent au moins un million d'Algériens mâles et adultes, soit un tiers environ de la population active algé- rienne. Il ne faut pas se tromper : le temps de l'émigration des paysans incultes est passé. Maintenant ce sont des avocats, des techniciens, des commerçants qui passent la Méditerranée. Ils vien- nent désormais avec leurs familles, ce qui marque un point de non-retour. Ils étaient naguère nationalistes et socialistes. Ils ne le sont plus aujourd'hui : ils sont seulement désabusés.

C'est que l'Etat algérien est riche — les « royalties pétrolières »

— mais que plus aucune espèce monétaire ne circule : les natio- nalisations ont touché jusqu'aux « bains maures », jusqu'aux taxis.

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os professeurs d'économie — si profondément convaincus que le socialisme, — politique et économique était le seul

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chemin ouvert au Tiers Monde pour arriver à l'organisation et au développement se sont lourdement trompés. Ils ont manqué d'ima- gination par sectarisme et ont fait ainsi un mal profond aux pays qu'ils ont entraîné dans des chemins sans issue. Car il sera plus difficile à ces peuples de sortir du socialisme qu'il ne l'a été aux autres de sortir du « colonialisme ». Houphouët Boigny a dit un jour que Sékou Touré avait précipité son peuple dans la mi-

sère parce qu'il n'aimait pas son peuple. C'est vrai : il lui préfé- rait une idée, et qui s'est révélée fausse.

Mais Sékou Touré, Boumedienne ou Modibo Keïta ne sont pas les seuls responsables de leur échec. Si l'on recherche les respon- sabilités, il faut faire leur bonne part à ces « amis de l'Afrique » qui n'ont même pas cherché à la voir telle qu'elle est : pour eux, ce continent ne fut jamais que la terre promise d'une expérience que l'Europe leur refusait. La dure réalité a ruiné ces rêves.

JEAN-MARC KALFLECHE

LA REVL.i N°

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