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: crises, ruptures et nouvelles dynamiques. Dix ans après la triple catastrophe du 11 mars

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Ebisu

Études japonaises

 

58 | 2021

2011-2021 : crises, ruptures et nouvelles

dynamiques. Dix ans après la triple catastrophe du 11 mars

東日本大震災から

10

年を経て

危機、破壊、新たな活力

2011−2021: Crises, Ruptures, and New Dynamics. Ten Years After the Triple Disaster of March 11

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/ebisu/5569 DOI : 10.4000/ebisu.5569

ISSN : 2189-1893 Éditeur

Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise (UMIFRE 19 MEAE-CNRS) Édition imprimée

Date de publication : 1 novembre 2021 ISSN : 1340-3656

Référence électronique

Ebisu, 58 | 2021, « 2011-2021 : crises, ruptures et nouvelles dynamiques. Dix ans après la triple catastrophe du 11 mars » [En ligne], mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 18 mars 2022.

URL : https://journals.openedition.org/ebisu/5569 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ebisu.5569

© Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise

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Directeur de la publication : Bernard Thomann

Comité de rédaction : Sophie Buhnik, Gilles Campagnolo, Guillaume Ladmiral, Raphaël Languillon-Aussel, Sébastien Lechevalier, Adrienne Sala, Bernard Thomann, Amira Zegrour Coordinateurs du numéro : Anne Gonon, Rémi Scoccimarro

Secrétaire de rédaction : Amira Zegrour

Comité de lecture : Nicolas Baumert (U. de Nagoya), Sylvie Brosseau (U. Waseda), Mathieu Capel (U. de Tokyo), Isabelle Giraudou (U. de Tokyo), François Lachaud (EFEO), Brendan Le Roux (U. Teikyō), Franck Michelin (U. Teikyō), Morvan Perroncel (U. Chūkyō), Marianne Simon-Oikawa (U. de Tokyo)

Comité scientifique : Natacha Aveline (CNRS), Patrick Beillevaire (CNRS), Augustin Berque (EHESS), Robert Boyer (CEPREMAP), Laurence Caillet (U. Paris Ouest), William Clarence-Smith (U. de Londres), Florian Coulmas (IN-EAST), Alain Delissen (EHESS), Nicolas Fiévé (EPHE), Harald Fuess (U. de Heidelberg), Carol Gluck (U. de Columbia), Jacques Gravereau (HEC), Hirota Isao (U. Teikyō), Annick Horiuchi (U. de Paris), Ishida Hidetaka (U. de Tokyo), Jacques Jaussaud (U. de Pau), Paul Jobin (Academia Sinica), Kawada Junzō (U. de Kanagawa), Christophe Marquet (EFEO), Miura Nobutaka (U. Chūō), Jacqueline Pigeot (U. de Paris), Karoline Postel-Vinay (CERI), Massimo Raveri (U. Ca’Foscari), Jean-François Sabouret (CNRS), Cécile Sakai (U. de Paris), Éric Seizelet (U.

de Paris), Pierre François Souyri (U. de Genève), Yves Tiberghien (U. British Columbia), Elisabeth Weinberg de Touchet (U. Lille I), Pierre-Étienne Will (Collège de France), Claudio Zanier (U. de Pise)

Relecture et traduction en japonais : Nakajima Miki, Shimizu Yūko, Yamauchi Akie Relecture et traduction en anglais : Bianca Jacobsohn

Mise en pages : Amira Zegrour

Éditeur et propriétaire du titre : Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise

3-9-25, Ebisu, Shibuya-ku, Tokyo 150-0013, Japon Tél : (03) 5421-7641

Fax : (03) 5421-7651 E-mail : ebisu@mfj.gr.jp Site web : https://journals.openedition.org/ebisu/

EBISU

58

2021

Revue soutenue par

(4)

© 2021, Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise ISSN : 2189-1893

DOI : 10.4000/ebisu

recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise de Tokyo (Umifre 19, MEAE- CNRS), publie des textes en langue française – articles, traductions, comptes rendus d’ouvrages – dans le domaine des études japonaises. Elle est soutenue par le CNRS (INSHS) et classée par l’Hcéres.

En ligne

Depuis 2014, les nouveaux numéros d’Ebisu sont en accès libre dès parution sur OpenEdition.org : https://journals.openedition.org/ebisu/. Retrouvez les anciens numéros d’Ebisu sur le portail Persée : www.persee.fr/web/revues/home/prescript/revue/ebisu. Soumission des articles

Voir les instructions aux auteurs sur le site web : https://journals.openedition.org/ebisu/1057. Indexations, référencements

AERES, Bibliography of Asian Studies, Ebsco Academic Search, International Political Science Abstract, Le Monde diplomatique, Réseau Asie.

Avertissement

Les articles sont publiés sous la responsabilité scientifique de leurs auteurs après évaluation anonyme par des experts extérieurs que nous remercions pour leur collaboration.

Note sur les transcriptions

La transcription du japonais en rōmaji adoptée dans Ebisu suit le système Hepburn modifié. Les voyelles longues sont indiquées par un macron.

Les mots d’origine japonaise tombés dans l’usage courant en français (c’est-à-dire les mots répertoriés dans les dictionnaires de langue française généraux et dont la signification est sans équivoque pour tout locuteur français non japonisant) sont orthographiés comme des mots français lorsqu’ils apparaissent dans une phrase française (on écrira ainsi : des judokas, Tokyo, saké, etc.).

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Sommaire

Dossier

2011-2021 : crises, ruptures et nouvelles dynamiques Dix ans après la triple catastrophe du 11 mars

Introduction : Trois désastres et une catastrophe. Les sciences sociales face aux crises du 11 mars 2011

Anne Gonon & Rémi Scoccimarro . . . 7

État des lieux

Infrastructures

Kamaishi face aux crises pluridimensionnelles d’après-guerre.

Catastrophes, restructuration industrielle et décroissance démographique Nakamura Naofumi . . . 23

Résilience des transports face à la catastrophe : séisme et tsunami du 11 mars 2011 au Japon

Léo Martial et al. . . . 47 Les enjeux de l’urbanisme post-catastrophe dans le Japon

du Nord-Est, 10 ans après le tsunami du 11 mars 2011

Miyake Satoshi . . . 93 De Tōkaimura (1957) à Fukushima (2011). Analyse de la couverture médiatique autour du lancement du premier réacteur nucléaire

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Nicolas Baumert, « Crise alimentaire, sécurité sanitaire et qualité des

aliments : l’anormal retour à la normale ? » . . . 167

François Duhomez, « Les Forces d’autodéfense japonaises : dix ans après. Priorité à l’alliance nippo-américaine et à la défense contre la Corée du Nord et la Chine » . . . 187

Dimension humaine De l’incertitude à l’autoresponsabilité. Parcours et dilemmes de sinistrés du nucléaire après l’accident de la centrale 1F Chiharu Chūjō & Marie Augendre . . . 211

La vie des réfugiés volontaires de l’accident nucléaire Takezawa Shōichirō . . . 249

Voix du terrain Rino Kojima, « La polyphonie des voix de Fukushima » . . . 273

Anne Gonon, « Reconstruire son monde par les mots » . . . 285

Les luttes

Fukushima en procès : un mouvement social dans les tribunaux pour repenser la catastrophe Paul Jobin . . . 299

Iwai-shima, île antinucléaire Philippe Pelletier. . . . 325

Livres à lire

Comptes rendus . . . 361

Liste des ouvrages disponibles à la bibliothèque de l’IAO . . . 376

Ouvrages reçus . . . 395

Résumés 要旨 Abstracts . . . .399

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2011-2021 : crises, ruptures et nouvelles dynamiques

Dix ans après la triple catastrophe du 11 mars

Dossier

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Trois désastres et une catastrophe,

les sciences sociales face aux crises du 11 mars 2011

Dix années se sont écoulées depuis la série de catastrophes survenue l’après- midi du 11 mars 2011, dans le Nord-Est du Japon1. Ce que l’on nomme, en France, rapidement « catastrophe de Fukushima », ou simplement

« Fukushima ». Ce toponyme est devenu sensationnel, mais il est réduc- teur. Il contribue à voiler l’essentiel de ce qui est arrivé le 11 mars, du Nord des côtes du Sanriku au Sud du département2 de Fukushima, à savoir la

1. Dans ce dossier, nous avons privilégié l’expression « catastrophe du 11 mars », mais les auteurs ont aussi naturellement repris la dénomination japonaise « Higashi Nihon daishinsai » 東日本大震災, qui renvoie au séisme et au tsunami, et pas uniquement à l’accident nucléaire de la centrale Fukushima Daiichi. On retrouvera ces appellations, utilisées et traduites du japonais, en fonction du contexte, dans les articles de ce numéro.

2. Rappelons pourquoi il s’agit bien de départements et non de « préfectures ». Tout d’abord, « département » est la traduction officielle japonaise et française (MEAE) pour les 47 todōfuken 都道府県. Ceux-ci, dont l’appellation a changé plusieurs fois depuis les années 1870, étaient effectivement, de 1871 à 1946, des préfectures, constituées sur le modèle napoléonien du maillage du territoire, avec pour chacune un préfet nommé par le gouvernement central. La situation change radicalement avec la constitution de 1946.

L’occupant américain veut déconcentrer le pouvoir japonais et les todōfuken se voient dotés, chacun, d’une assemblée locale élue sur scrutin de liste, mais surtout d’un gouver- neur chiji 知事 élu au suffrage universel direct. Cela lui confère un pouvoir et une légi- timité que l’on ne retrouve à aucun autre échelon politique au Japon. Les départements jouissent de plus d’une large autonomie en matière d’aménagement du territoire, de politique sanitaire, éducative, de police, etc. On comprend difficilement certains aspects

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destruction d’un littoral équivalent à celui de la Bretagne, avec 561 km2 de terres inondées, 300 000 habitations détruites3 dans 64 des 1 724 com- munes que compte l’Archipel, concernant directement près d’un million de personnes, exposées au séisme et au tsunami (fig. 01). Cette catastrophe a causé, instantanément, 18 425 morts et disparus dont 93 % ont été noyés et 4,4 % ensevelis4, ainsi que 6 152  blessés graves. Dans le département de Fukushima, les 1 817 morts du 11 mars sont le fait du tsunami, et non de « Fukushima », c’est-à-dire de la catastrophe nucléaire. Le rappeler est nécessaire à la bonne mesure des faits, et ne fait pas injure aux consé- quences, bien réelles, de l’accident de la centrale Fukushima Daiichi (F1).

Nous traitons par ailleurs sa complexité et ses spécificités dans les articles de ce numéro.

Fig. 01

La catastrophe du 11 mars 2011.

Réalisation : Scoccimarro (2021).

de la gestion de la catastrophe du 11 mars si on imagine que le Japon a des préfectures avec à leur tête un préfet omnipotent répondant aux ordres du Premier ministre.

3. Source : ministère de l’Aménagement du territoire, des Transports et du Tourisme (Kokudo kōtsūshō 国土交通省, MLIT).

4. Le reste de la mortalité est le fait d’incendies pour 1 % et de cause non confirmée pour 2 %. Source : ministère de l’Intérieur (Naimushō 内務省).

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Hormis la période de guerre, le Japon n’avait pas connu un tel niveau de mortalité et de destructions matérielles depuis le séisme de Tokyo en 1923.

Les aléas naturels sont pourtant nombreux dans l’Archipel, mais leurs conséquences sont rarement dramatiques5, au regard de leur occurrence, de leur intensité et de leur diversité (typhons, glissements de terrain, séismes, inondations, tsunamis, volcanisme). La mégapole de Tokyo, 34  millions d’habitants, peut ainsi absorber plusieurs séismes annuels de magnitude 5 sans grande perturbation. En cela, la catastrophe du 11  mars  2011 est exceptionnelle. Même dans la région du Sanriku, coutumière de ces crises (voir la contribution de Nakamura Naofumi sur Kamaishi), dont certaines communes ont été littéralement décimées par le tsunami de 2011 et ont perdu 10 % de leur population, la quasi-totalité des ouvrages de protec- tion anti-tsunami ont été détruits. Cela reste pourtant peu si on compare le 11 mars avec des événements similaires dans le reste de l’Asie : Chine, Philippines, Indonésie, où des aléas moins violents (hormis le tsunami du 23 décembre 2004) sont bien plus meurtriers et destructeurs. Le seul typhon Haiyan de 2013 causait la mort de 6 000 personnes aux Philippines et en Chine.

Les dix ans écoulés depuis la catastrophe du 11 mars offrent une échelle de temps suffisante pour que l’on puisse saisir les impacts profonds, ou non, de la catastrophe, dans toutes ses dimensions. En cela, ce numéro fait écho à celui de 2012, dirigé par Christine Lévy et Thierry Ribault6. Il répondait alors à l’urgence et à l’effort nécessaire d’offrir des résultats immédiatement livrables et mobilisables à chaud, pour savoir et surtout comprendre ce qui se passait au Japon. En 2021, alors que la reconstruction est en passe d’at- teindre sa dernière phase dans la plupart des communes détruites et que le nucléaire civil redémarre progressivement, on peut mieux comprendre ce qu’est le « post-Fukushima ». On peut aussi mieux saisir ce qu’on pourrait oser nommer les « fuku-shimères » : l’usage de la catastrophe pour produire des œuvres artistiques ou des réflexions profondes et savantes sur le monde

5. Toute proportion gardée, évidemment, les aléas naturels causent au Japon entre 100 et 200 morts par an, et le séisme de Kobe (Hanshin-Awaji) en 1995 a causé 6 400 morts.

6. « Catastrophes du 11 mars 2011, désastre de Fukushima : fractures et émergences », Ebisu. Études japonaises, no  47, printemps-été 2012 : https://journals.openedition.org/

ebisu/194.

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dont nous hériterions, au Japon et ailleurs, après l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi. On pensera à certains textes de Kawakami Hiromi 川上弘美 ou de Tawada Yōko 多和田葉子7, mais surtout aux délires tels que la bande dessinée « Frankushima ». Libre à chacun de créer et de gérer son autopromotion, artistique ou scientifique. Le problème reste cependant que ces élucubrations sont souvent très loin des lieux et de leur réalité.

Ainsi, il n’y a pas d’habitants déambulant, hagards, ou en combinaison NBC8, dans les rues de Namie ou de Futaba (commune qui héberge F1).

Fig. 02

Partie de « pêche et baignade au strontium » devant la centrale Fukushima Daiichi, com- mune de Namie.

© Scoccimarro (2020).

Les abords de la centrale Fukushima Daiichi (comme bien d’autres) sont très accessibles (fig. 02), et la côte Est du département de Fukushima, le

7. Il faut cependant souligner que ces textes, au Japon, participent à une prise de conscience de la question nucléaire, comme le souligne le compte rendu de Cécile Sakai dans ce numéro.

8. Protection Nucléaire Biologique et Chimique.

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Hamadōri, est une région grouillante d’activités et de vie (fig. 03). Cela n’en fait pas un territoire « normal » pour autant, loin de là (voir la contri- bution de Nicolas Baumert). Aussi, les éléments de ruptures d’avec le Japon d’avant 2011 sont autant dans l’empreinte de la radioactivité, que dans la mutation de l’emprise de l’industrie nucléaire sur ces territoires.

Fig. 03

Entrée de la centrale de F1, sur la Nationale no 6, commune de Futaba.

© Scoccimarro (2020).

La lumière et les climatiseurs se sont vite rallumés à Tokyo, l’écono- mie japonaise ne s’est pas effondrée et malgré un programme d’abandon à plus ou moins long terme, les centrales nucléaires japonaises redémarrent progressivement depuis 2015. La manne nucléaire reste irrésistible pour les territoires, toujours pauvres et déclinants, où sont installées les cen- trales. Ainsi, la majorité des communes qui hébergent des installations nucléaires continuent de voter, massivement, pour les candidats des partis pro-nucléaires, même dans les régions frappées par le tsunami du 11 mars (fig. 04). Rokkasho-mura est ainsi une des communes où le Parti libéral- démocrate (Jiyū minshutō 自由民主党, PLD) a réalisé un de ses plus hauts

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scores en 2014, presque 80 %, avec celle de Genkai (Kyūshū), site de la centrale nucléaire du même nom.

Fig. 04

Élections de 2014 dans le Tōhoku : score de la coalition gouvernementale.

Réalisation : Scoccimarro (2021).

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L’impact des catastrophes du 11 mars sur la société japonaise réside ail- leurs que dans des manifestations faussement attendues. Les taux de suicides dans les communes frappées par la catastrophe nucléaire ont ainsi chuté pour la plupart entre 2010 et 20209. La compagnie Toshiba, qui a construit les réacteurs 3 et 5 de F1, ne doit pas son effondrement à « Fukushima », mais surtout aux déboires de sa filiale d’alors, Westinghouse, acquise en 2006.

Lors des élections législatives de décembre 2012, le débat a été habilement centré sur la menace chinoise, et a permis le retour au pouvoir du PLD, un parti ouvertement pro-nucléaire. Plus encore, le Premier ministre issu des élections du 20 décembre 2012, Abe Shinzō 安倍晋三 (né en 1954), est le petit-fils de Kishi Nobusuke 岸信介 (1896-1987), qui a lancé le nucléaire civil au Japon, avec le jeune Nakasone Yasuhiro 中曽根康弘 (1918-2019), à la fin des années 1950 (voir les contributions de Tino Bruno et de Philippe Pelletier). Abe a battu tous les records de longévité gouvernementale (2012- 2020), dont celui de son grand-oncle Satō Eisaku 佐藤榮作10 (1901-1975, Premier ministre de 1964 à 1972), au pouvoir lorsque F1 est mise en chan- tier puis en service, il y a tout juste 50 ans, en mars 1971. Décidément, la

« post-modernité post-fukushimesque » est bien cachée.

Dans le même temps, les mouvements antinucléaires au Japon ont été laminés, les mouvements se réclamant de l’écologie politique sont étouf- fés entre le Parti communiste et le Parti démocrate, de centre-gauche, au pouvoir pendant la crise de 2011. L’ancien Parti social-démocrate (Shakai minshutō 社会民主党, PSD) a quasiment disparu et le béton coule de nou- veau à flot sur l’Archipel. La reconstruction du Sanriku a pris la forme d’un saccage en règle du milieu11 et subit un remodelage d’un niveau dont même Tanaka Kakuei 田中角栄 (1918-1993) n’aurait osé rêver12. Les milliards de la reconstruction, quoi qu’il en coûte, se déversent sur les côtes, permettant

9. Voir notre cartographie en ligne https://japgeo.hypotheses.org/210.

10. À ne pas confondre avec son homonyme Satō Eisaku 佐藤栄佐久 (né en 1939) qui fut gouverneur (PLD) du département de Fukushima de 1988 à 2006.

11. Au sens berquien de fūdo 風土, l’environnement, pas forcément naturel, mais tel qu’hérité et vécu par les habitants d’un lieu.

12. Premier ministre de 1972 à 1974 et auteur de Nihon rettō kaizo ron 日本列島改造論 (Manifeste pour un remodelage de l’archipel japonais), Tanaka Kakuei proposait, par exemple, de combler une partie de la mer Intérieure pour en faire une vaste zone industrielle.

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des travaux titanesques de digues géantes, d’arasement de montagnes et de rehaussement de vallées, défigurant irrémédiablement les paysages.

Des milliards de yens qui reviennent, mécaniquement, dans l’escarcelle des constructeurs, plutôt que vers les populations sinistrées, relogées en lotissements monotones et loin des centres-villes. Les habitants héritent de nouvelles routes et de logements neufs, dont une partie reste vide, face à un horizon de murs anti-tsunami hauts de 14,7 m qui remplacent la plage et bloquent la vue sur la mer (voir la contribution de Miyake Satoshi). Ainsi,

« Fukushima », comme le tsunami, ont surtout été des révélateurs de l’état et du fonctionnement de la société japonaise.

Dix ans, cela passe vite, et pourtant… le temps des sociétés humaines n’est manifestement pas celui de l’atome. La radioactivité a fortement baissé dans la région de Fukushima, de façon incontestable, montrant que, bon an mal an, la décontamination fonctionne. Mais il reste des points chauds qui peuvent se former spontanément, au gré du vent ou du ruissellement.

On a pu ainsi mesurer des doses de 500 mSv/h (août 2020), lors d’un arrêt impromptu sur une route secondaire dans la commune d’Iitate, et même de 1 800 mSv/h à 48 km au nord-est de la centrale (en octobre 2017), sur une route de fond de vallée un jour de pluie13. Loin des habitations et parfois pour quelques secondes, certes, mais tout de même... et puis la déconta- mination n’est finalement qu’un grand déplacement : rien n’est transmuté.

En bout de chaîne, le césium stocké est concentré, et reconcentré encore, dans des sites de stockage. Avec celui présent dans les forêts, la seule possi- bilité technique de traitement à l’heure actuelle est d’attendre sa disparition naturelle. Le césium-134 a une demi-vie plutôt courte, de 2 ans ; il sera inactif en 203114. Pour le césium-137, d’une demi-vie de 30 ans, ce sera autour de l’année 2311. Pour les autres radionucléides, il faudra attendre, au moins, « les années vingt-quatre mille cents15 », si cela a un sens, pour le plutonium-239 et 3,7 millions d’années pour le plutonium-242, deux isotopes retrouvés, en quantités infimes, mais supérieures aux moyennes

13. Relevés personnels sur le compteur de qualité industrielle « Gamma-scout Alert ». À titre de comparaison, la radioactivité ambiante habituelle dépasse rarement 0,5 mSv/h et les compteur Gamma-scout déclenchent leur alerte de danger à 5 mSv/h.

14. Après dix demi-vies.

15. La demi-vie du plutonium-239 étant de 24 110 années.

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attendues, jusqu’à 45 km à l’ouest de la centrale16. Vertige du nucléaire, qui nous donne le temps pour comprendre le post-Fukushima. Sans compter les milliards de litres d’eau radioactive déversés dans l’océan depuis 10 ans, ainsi que ceux issus du refroidissement des réacteurs qui seront probable- ment rejetés en mer.

Plus proche de nous, le démantèlement de Fukushima Daiichi sera très long, les prévisions les plus optimistes tablant sur la fin du xxie siècle. Or, depuis 2011, tous les plannings prévisionnels ont été dépassés. Le chantier de F1 avale sa fournée de 4 000 ouvriers par jour, qu’il faut régulièrement renouveler lorsqu’ils atteignent leur dose limite d’exposition à la radioacti- vité. Dans un pays où la main-d’œuvre ouvrière fait crûment défaut, c’est un défi de plus. D’autant qu’il n’y a pas que les quatre réacteurs détruits à traiter, mais aussi les deux autres réacteurs, 5 et 6, intacts, de F1, plus les quatre de Fukushima no 2 et certainement aussi les trois d’Onagawa.

Les populations évacuées le 11  mars ont reçu l’injonction de revenir habiter sur place, faute de mieux, lorsqu’elles ne pouvaient résister à la pres- sion financière. Ce sont les plus pauvres, ceux qui n’ont pas pu refaire leur vie pendant ces dix ans qui reviennent. Les plus âgés aussi. Quelle que soit la létalité des faibles doses, ces populations doivent vivre avec la radioac- tivité et maintenir une vigilance permanente, prix de leur résilience. Le comportement des populations est ainsi aussi important, sinon plus, que la valeur brute des relevés d’exposition. Aller se promener et cueillir en forêt, utiliser l’eau des rivières, et plus globalement interagir avec l’œcoumène, retisser les liens traditionnels avec le milieu… autant d’attitudes qu’il faut reconsidérer sur le long terme pour vivre avec l’atome. Finalement, ce sont plus les comportements individuels et collectifs qui sont la variable d’ajus- tement de l’exposition. Il est indispensable de les comprendre, comme de comprendre le fonctionnement des sociétés locales qui doivent vivre avec la catastrophe.

16. Source : « Analyse de traces de plutonium dans les rivières côtières de la région de Fukushima », Communiqué de presse du CNRS, (http://www2.cnrs.fr/presse/commu- nique/), 7 août 2014, document PDF, 2 p. On retrouve également du strontium-90 et du tritium dans les eaux de refroidissement de la centrale.

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Fig. 05

Évolution de la mortalité post-catastrophe dans les trois départements frappés le 11 mars 2011.

Réalisation : Scoccimarro (2021).

Source : ministère de l’Intérieur.

« Fukushima » n’a pourtant, à ce jour, causé aucune mort par irradiation au sein des habitants de la région17. Et comme pour Tchernobyl, il sera très difficile de prouver le niveau de mortalité strictement liée à l’émission de radionucléides. Mais peut-on se contenter de ce facteur pour jauger de l’impact de la catastrophe nucléaire sur les populations ? L’intérêt de traiter la catastrophe du 11 mars comme un tout est qu’elle permet des comparai- sons éclairantes. La mortalité post-catastrophe est ainsi d’un niveau incom- parable (fig. 05) dans le département de Fukushima, par rapport à ceux d’Iwate et de Miyagi, frappés par les seuls séisme et tsunami. Ce ne sont pas les radiations qui tuent aujourd’hui à Fukushima, mais les conséquences psychosociales, économiques, physiologiques des contraintes imposées par

17. Sur cette question de la mortalité, la rubrique « Checknews » du journal Libération du 20  avril  2019 fait un point plutôt bien détaillé : https://www.liberation.fr/chec- knews/2019/04/20/est-il-vrai-que-l-accident-nucleaire-de-fukushima-n-a-cause-aucun- mort_1720075/ (dernière consultation en septembre 2021).

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l’évacuation et ses modalités (voir les contributions de Takezawa Shōichirō et de Rina Kojima sur ces questions). Ainsi, le rôle des sciences humaines est de traiter cet aspect et de discerner les problématiques qui émergent de cet événement. Est-ce qu’un accident nucléaire, par ses spécificités intrin- sèques, conduit inévitablement à un traitement délétère des populations ? Ou bien est-ce la gestion de la catastrophe, telle qu’elle a été improvisée en mars 2011, et les années suivantes, qui explique ce différentiel de mortalité ? Les contributions consacrées à ce volet éclaireront, nous l’espérons, certains aspects de ce qui a fabriqué le nucléaire au Japon, donc « Fukushima », et plus globalement « la catastrophe du 11 mars ».

Il est rare qu’un événement continue de susciter un large intérêt dix ans après sa survenue. C’est à cela que l’on peut mesurer le choc qu’a provoqué la triple catastrophe du Japon de l’Est le 11 mars 2011 : articles et livres publiés, œuvres d’art et films ont rendu compte des effets de cette catas- trophe sur la région, la société japonaise, voire le monde (voir le compte rendu d’Adrienne Sala ainsi que la liste des ouvrages rassemblés par la bibliothèque de l’IAO de Lyon et présentée dans ce numéro).

Beaucoup a été écrit au cours de ces dix ans, mais il serait erroné d’avoir une lecture linéaire des travaux menés : d’une part, parce que les effets de cette catastrophe se sont manifestés immédiatement, tels que la destruction des habitations, l’impossibilité de reprendre le travail et, à plus long terme pour d’autres effets sur la santé, les choix de reconstruction des lieux de vie ; d’autre part, parce que les chercheurs – sociologues, géographes, urba- nistes, philosophes notamment – ont ressenti comme impératif de penser l’événement et d’en approfondir la compréhension. Ils ont donc suivi de près ce qui se passait sur le terrain et ont été conduits à mobiliser des outils variés pour répondre aux transformations observées. Par exemple, le socio- logue Kanebishi Kiyoshi, voulant donner sa place au travail de deuil a tenté d’élaborer une sorte de « science du désastre » dans laquelle il met en avant la culture locale où s’est produite la catastrophe pour comprendre les com- portements des populations touchées (voir la contribution d’Anne Gonon).

Ces initiatives, ces tâtonnements traduisent une grande réceptivité de la recherche en même temps que la difficulté à rendre compte de la réalité de ce qui se passe dans les régions dévastées.

Dans les premiers temps, le rôle des médias, les formes d’intervention humanitaire, le processus de décision du gouvernement et de Tepco ont été largement traités avant que l’intérêt de bon nombre de chercheurs se

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concentre sur la question dite des « réfugiés », comme le volume d’Ebisu daté de 2012 le montre. Cette approche reste encore centrale dans les tra- vaux actuels, notamment autour des problèmes d’indemnisations et de procès, en parallèle avec l’intérêt pour la reconstruction des lieux détruits et les plans de réaménagement du territoire dévasté. Toutefois, la critique de la modernité dont l’accident nucléaire semblait l’expression, la mise en cause de l’hybris des Modernes, qui avait nourri les travaux de féministes et de philosophes en 2012-2013, ont peu à peu été abandonnées au profit d’une réflexion sur les possibilités et les limites de la reconstruction maté- rielle et celle des êtres humains, comme si la recherche avait été happée par les efforts de reconstruction et les discours de positivisation. La mise en cause radicale du type de développement a été laissée en jachère, exception faite du travail de critique sociale mené par Thierry Ribault avec les outils de l’École de Francfort (voir le compte rendu de lecture d’Anne Gonon).

Les articles dans le présent numéro ne couvrent malheureusement pas toute la richesse de la production académique sur la triple catastrophe, même si l’on voit que certains thèmes restent encore peu traités en français, tels que le devenir des pêcheurs ou des fermiers ou la redistribution des terres. Des choix éditoriaux ont été faits. Nous avons privilégié les contri- butions d’auteur·e·s qui ont mis les « mains dans le cambouis » du 11 mars.

Peut-on véritablement disserter, comprendre et réfléchir sur cet événement sans être capable d’accéder aux sources primaires, aux voix des survivants et aux analyses des acteurs de la catastrophe, si l’on n’a pas arpenté le terrain ou si l’on ne connaît la société japonaise, et la région du Tōhoku, que par les écrits de seconde ou troisième main ?

Nous avons laissé de côté les travaux explicatifs de la survenue du trem- blement de terre et les considérations techniques liées à l’accident nucléaire, les chercheurs en sciences sociales et humaines ayant tous tenté de les inté- grer dans leur réflexion. Un premier parti pris a été de considérer comme impossible de séparer complètement le tremblement de terre du tsunami et de ses conséquences sur l’accident nucléaire. Les travaux qui composent ce numéro abordent les catastrophes sous l’angle de la reconstruction maté- rielle des lieux et de l’aménagement du territoire (voir la contribution de Miyake Satoshi) et des retours d’expériences faits par les Forces d’auto- défense (François Duhomez), et par les autorités en charge des questions de transports (voir la contribution de Léo Martial et al.).

(21)

Mais c’est la dimension humaine qui a suscité le plus grand intérêt auprès des chercheurs tant la catastrophe a brisé des vies, fait éclater des familles, de façon brutale mais aussi insidieuse. C’est ce que nous font comprendre plusieurs articles qui exposent la situation actuelle des réfugiés du nucléaire en lutte pour leur survie dans les régions dévastées ou en exil. Alors que le gouvernement tente de considérer que la situation est en train de redevenir

« normale », plusieurs articles nous font entendre des voix différentes – voix de gens ordinaires (voir la contribution de Marie Augendre et Chiharu Chūjō), voix dans les procès (voir la contribution de Paul Jobin), voix dans les mouvements anti nucléaires (voir la contribution de Philippe Pelletier), où il est question de peurs, de souffrances et de révoltes. C’est aussi l’occa- sion de rappeler que le choix de l’énergie nucléaire a une longue histoire et que son acceptation parmi la population a été rendue possible par le rôle des médias, relais des voix du « village nucléaire » (voir la contribution de Tino Bruno).

Ces travaux qui abordent sous des angles différents cette catastrophe ouvrent quelques pistes pour comprendre que la priorité a été donnée à la reconstruction économique et matérielle, au détriment d’une véritable attention aux populations traumatisées. Les divers comportements de la population et notamment les formes d’auto-organisation face au traite- ment de la question nucléaire de la catastrophe soulèvent la question de la possibilité de résister et de revenir à la vie ordinaire ou tout au moins de surmonter la vulnérabilité qu’a produite cette catastrophe. Il nous faudrait étudier les effets de celle-ci sur les formes de vie capitalistes et le recours aux technologies pour la surmonter, que ce soient les technologies pour construire des murs de protection contre les tsunamis, ou pour organiser la

« résilience » de la population. Ces sont des pistes encore à explorer pour la recherche en langue française, qui nous permettraient également de penser la place de la sécurité dans les sociétés contemporaines confrontées à des catastrophes environnementales mais aussi sanitaires.

Anne GONON

Professeure à l’université Dōshisha.

Rémi SCOCCIMARRO

Maître de conférences à l’université Toulouse Jean-Jaurès.

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(23)

États des lieux

Infrastructures

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(25)

pluridimensionnelles d’après-guerre

Catastrophes, restructuration industrielle et décroissance démographique

Nakamura Naofumi*

I. Crise locale pluridimensionnelle

Cette étude se concentre sur la commune de Kamaishi, dans le départe- ment d’Iwate, et vise à mettre en relief, par l’analyse de ses réponses aux crises, les problèmes structurels propres à cette région.

Toute crise locale possède une structure unique qui dépend de divers fac- teurs : les différences propres aux principaux secteurs d’industrie que sont l’agriculture, la sylviculture et la pêche, ainsi que la production manufactu- rière ; la topographie (montagnes, plaines, littoraux) ; ou encore la distance aux grandes villes. Les points communs de ces crises locales résident cepen- dant dans leur structure pluridimensionnelle : crises chroniques comme la décroissance démographique, progressives comme le déclin des industries de base et soudaines comme les catastrophes naturelles ou les dommages de

* Professeur à l’Institut des sciences sociales de l’université de Tokyo.

Cet article est la traduction d’une version remaniée, en accord avec l’auteur, de « Sengo Kamaishi ni okeru kiki no tasōka : saigai/sangyō kōzō tenkan/jinkō shūshuku » 戦後 釜石における危機の多層化:災害・産業構造転換・人口収縮, in Genda Yūji 玄田有史 &

Nakamura Naofumi 玄田有史 (dir.), Chiiki no kiki Kamaishi no taiō: tasōka suru kōzō 地 域の危機・釜石の対応:多層化する構造 (Crise locale et sa réponse à Kamaishi : une struc- ture pluridimensionnelle), Tokyo, Tōkyō daigaku shuppankai 東京大学出版会, 2020.

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guerre. C’est cette structure stratifiée qui complique la réponse des régions aux crises et la mise en œuvre de mesures appropriées.

Fig. 01

Situation de la ville de Kamaishi et du département d’Iwate.

Source : Nakamura (2020).

La commune de Kamaishi, de tradition industrielle, a autrefois prospéré en tant que siège de l’entreprise Kamashi seitetsusho 釜石製鉄所 (aciérie de Kamaishi) et en raison de la présence de son port de pêche au chalut pélagique. Elle comptait plus de 90 000 habitants à son apogée, au début des années 1960. Cependant, en raison du déclin de la sidérurgie et des prises pélagiques, la population a progressivement diminué et Kamaishi ne compte aujourd’hui que 36 000 habitants1. Après la fermeture du haut four- neau de l’aciérie en 1989, et malgré la stabilisation des industries de base, la décroissance démographique s’est graduellement poursuivie, en particulier dans les années 2000, lors desquelles le taux de croissance démographique a

1. Pour des études antérieures et des enquêtes locales à Kamaishi, voir Nakamura (2009a : 11-14) et Matsuishi (2010).

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augmenté tous les cinq ans (fig. 02). Parallèlement, la part de la population âgée (plus de 65 ans) a dépassé les 30 % tandis que celle des jeunes actifs (de 15 à 29 ans) est tombée à environ 10 %, donnant à la ville un air caractéris- tique de zone dépeuplée. En d’autres termes, si la convergence des secteurs public et privé a réussi à l’emporter sur la crise progressive provoquée par le déclin de l’industrie de base2, restait la crise chronique liée à l’exode rural.

Puis, en mars 2011, le tsunami provoqué par le grand séisme de la côte Pacifique du Tōhoku a frappé, obligeant la région de Kamaishi à répondre dans les années 2010 à une nouvelle crise, cette fois soudaine.

Fig. 02

Évolution de la population à Kamaishi (en nombre de d’habitants).

Sources : Nakamura (2009a : 5) ; statistiques de la ville de Kamaishi ; recensements annuels ; Shin Nittetsu gaido 新日鐵ガイド (Guides de l’aciérie Nippon Steel), 2006, 2011 ; rapport annuel 2016 de Shin Nippon Steel ; documents de la division de la pêche de la ville de Kamaishi.

Remarque : La population a diminué de 60 005 personnes entre 1885 et 1990.

2. Une de nos études, fondée sur une enquête sur l’espérance à Kamaishi, a montré qu’une des réponses aux crises chroniques était justement la « renaissance de l’espoir » (Genda & Nakamura 2009a ; Genda & Nakamura 2009b).

(28)

La ville de Kamaishi représente donc un cas extrême en ce qu’elle com- bine plusieurs crises : celle, chronique, de l’exode rural, commune à de nom- breuses villes de région ; celle, progressive, du déclin de plusieurs industries de base ; et celle, brusque, du tsunami et de ses dommages. Néanmoins, toutes les régions étant touchées, à des degrés divers, par des crises pluri- dimensionnelles, le cas de Kamaishi donne un bon exemple de la manière dont les habitants ont fait face, ou ont essayé de faire face à ces crises.

En partant de ce postulat, nous souhaiterions examiner ici l’historique des différentes crises à Kamaishi pour mettre en évidence leur structure pluridimensionnelle.

II. Une crise soudaine

« Le tsunami est arrivé, mais [les bombardements navals] pendant la guerre, c’était plus impressionnant encore. »

D’octobre 2011 jusqu’au courant de l’année 2012, nous avons enregistré dans les « Mémoires de l’histoire orale du séisme » les réactions de ceux qui se trouvaient à Kamaishi au moment du tsunami. La phrase ci-dessus est tirée du récit d’une personne ayant fait l’expérience des bombardements navals pendant la seconde guerre mondiale (Tōkyō daigaku shakai kagaku kenkyūjo 2013 : 746). Le paysage de Kamaishi, après le grand séisme de la côte Pacifique du Tōhoku, a en effet été rapproché, non pas des dégâts des tsunamis de 1896 ou de 1933 dans le Sanriku, mais bien de celui façonné par les bombardements de 1945 (fig. 03). En outre, il convient de noter que, derrière les premiers récits, se cachent les sentiments de citoyens se disant qu’ils se sont « remis de ces terribles bombardements navals, donc cette fois-ci aussi, ça ira ». La vue de la ville désertée après les attaques du 14 juillet et du 9 août 1945 rappelle aujourd’hui la rapide reconstruction et la croissance économique qui ont suivi dans la région (Genda & Nakamura 2020).

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Fig. 03

Centre-ville de Kamaishi après le deuxième bombardement naval, 1945.

Source : « Kamaishi, Naval Bombardments, 14 July and 9 August, Report of Ships’

Bombardment Survey Party U.S. Strategic Bombing Survey », p. 172.

Nous avons comparé et examiné l’état des dommages causés par les diverses catastrophes dont la ville de Kamaishi a été soudainement victime (tableau 01). Tout d’abord, nous pouvons noter que les tsunamis d’avant- guerre, comme celui de 1896, causaient d’énormes dégâts, avec un taux de mortalité de 53,5 % et un taux de destruction des habitations de 72,5 %.

La prise de conscience qui a suivi ce tsunami effroyable de 1896, qui a partiellement détruit les zones inondées, a incité les habitants à déplacer leurs maisons vers des terrains plus élevés, ce qui a permis de connaître, dans une certaine mesure, des dégâts moins importants lors du tsunami de 1933. Le taux de mortalité en particulier a considérablement baissé : il était de 1,3 %.

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TABLEAU 01

Tsunamis et bombardements navals dans la région de Kamaishi.

Région Kamaishi Hirata Unosumai Tōni Total

Tsunami de Meiji-

Sanriku de 1896 (chiffres du 15 juin

2014)

Population d’alors 5 274 1 255 3 153 2 807 12 489 Nombre de morts 3 323 718 1 061 1 585 6 687 Taux de mortalité 63 % 57,2 % 33,7 % 56,5 % 53,5 %

Nombre de bâtiments 956 149 474 430 2 009

Nombre de bâtiments détruits

791 107 227 332 1 457

Taux de destruction 82,7 % 71,8 % 47,9 % 77,2 % 72,5 % Tsunami

de Shōwa- Sanriku de 1933 (chiffres du 15 juin

2014)

Population d’alors 24 300 846 2 797 3 694 31 637 Nombre de morts et

disparus 37 - 7 359 403

Taux de mortalité 0,2 % - 0,3 % 9,7 % 1,3 % Nombre de bâtiments 4 633 109 402 550 5 694 Nombre de bâtiments

détruits

173 15 141 245 574

Nombre de bâtiments incendiés

198 0 0 0 198

Taux de destruction 8 % 13,8 % 35,1 % 44,5 % 13,6 % Bombar-

dements navals du 14 juillet et du 9 août

1945

Population d’alors

(juin 1945) 45 815

Nombre de morts (premier bombarde-

ment)

421

Dont dans les aciéries 106

Nombre de morts (deuxième bombarde-

ment)

270

Dont dans les aciéries 51

Nombre total de morts

691

Taux de mortalité 1,5 %

Nombre de bâtiments 8 330

Nombre de bâti- ments complètement

détruits

3 110

Nombre de bâtiments à moitié détruits

326 Nombre de bâtiments

partiellement détruitss

685 Nombre total de bâti-

ments endommagés

4 121

Taux de destruction 49,5 %

(31)

Région Kamaishi Hirata Unosumai Tōni Total Tsunami

de 1960 au Chili (chiffres du 24 mai

2014)

Nombre de bâtiments détruits

11 Nombre de bâtiments

complètement incendiés

17

Nombre de bâtiments à moitié incendiés

111 Nombre de bâtiments

inondés

1 298 Dommage total (en

millions de yens) 630

Grand séisme de la côte Pa- cifique du Tōhoku du

11 mars 2011 (chiffres

du 11 mars

2019)

Population d’alors 6 971 6 971 6 630 2 106 39 996 Nombre de morts et

disparus

229 229 579 21 1 064

Taux de mortalité 3,3 % 3,3 % 8,7 % 1 % 2,7 % Nombre de bâtiments 3 291 3 291 2 517 956 16 182

Nombre de bâti- ments complètement

détruits

2 957

Nombre de bâtiments à moitié détruits

699 Nombre de bâtiments

partiellement détruits 1 048

Nombre total de bâti- ments endommagés

1 383 272 1 691 347 4 704

Taux de destruction 42 % 21,7 % 67,2 % 36,3 % 29,1 % Nombre d’établisse-

ments commerciaux 2 396

Nombre d’établisse- ments commerciaux

détruits

1 382

Taux de destruction des établissements

commerciaux

57,7 %

Sources : Nakamura (2014 : 50-53) ; Kamaishi-shi (2019 : 1) ; Kamaishi-shi-shi hensan iinkai (1977) ; Kamaishi-shi sensai kiroku hensan iinkai (1976) ; Bureau des mesures en cas de catas- trophe de la ville de Kamaishi « Situation des dommages du grand séisme de la côté Pacifique

du Tōhoku de 2011 » (10 avril 2012).

Remarques : Les chiffres pour les pertes humaines par région du grand séisme de 2011 datent de la fin de mars 2012, et les chiffres pour les dommages aux bâtiments (habitations unique- ment) sont du 1er février 2012. Les chiffres ne concernent que les villes citées, uniquement pour les personnes décédées ou disparues dont l’adresse est connue. Les victimes des bom-

bardements navals ne comprennent pas les 32 prisonniers de guerre alliés, les 28 tireurs de canons et les 2 militaires, soit un total de 62 personnes.

(32)

À présent, intéressons-nous aux dommages des bombardements navals.

Les pilonnages des forces alliées, du 14  juillet et du 9  août  1945, ont entraîné la mort de 691  personnes, soit un taux de mortalité de 1,5 %, un chiffre donc plus important que le tsunami de 1933 (403 morts), cau- sant également beaucoup de dégâts dans la zone urbaine, avec un taux de destruction de près de 50 %. Les Alliés ont bombardé à deux reprises, lar- guant au total – rien que pour le bombardement effectué par l’armée amé- ricaine – 3 653 obus (1 605 de 16 pouces et 2 048 de 8 pouces) sur la ville de Kamaishi et ses usines3. Les obus de gros calibre ont principalement été lancés sur les aciéries, et les autres sur la zone urbaine, les observateurs d’ar- tillerie placés dans les avions s’assurant que les cibles étaient atteintes. Les bombardements du 9 août en particulier se sont poursuivis pendant plus de trois heures, détruisant complètement les principales installations de l’acié- rie et incendiant toute la zone urbaine restée intacte après les premiers tirs, y portant ainsi à 71 % le taux de mortalité. Depuis la plate-forme de la gare de Kamaishi à peine endommagée, on pouvait voir, disait-on, la mer de l’autre côté des champs en feu (Nakamura 2009b : 40).

Par ailleurs, le tsunami de 1960 au Chili a démoli pour plus de 600 mil- lions de yens d’habitations, bien qu’aucune perte humaine n’ait été à déplo- rer à Kamaishi. Cela a permis de lancer la construction de digues dans le cadre de la loi chilienne sur les mesures spéciales de lutte contre les trem- blements de terre et les tsunamis (août 1960), encourageant tout au long des années  1960 l’utilisation du béton. Par la suite, est lancée en 1978 la construction du brise-lames le plus profond du monde à l’embouchure de la baie de Kamaishi (63 mètres de profondeur ; achevé en 2008), et il semble que les mesures anti-tsunamis aient été renforcées.

Mais le tsunami causé par le grand séisme de la côte Pacifique du Tōhoku du 11 mars 2011 a détruit les digues ainsi que le brise-lames de l’embouchure de la baie et a frappé les zones côtières de la ville. Les pertes humaines s’élèvent à 1 064  morts et disparus, soit un taux de mortalité de 2,7 % dépassant de loin les dégâts causés par le tsunami de Shōwa- Sanriku de 1933 ou les bombardements navals. Le taux de destruction des

3. « Kamaishi, Naval Bombardments, 14  July and 9  August, Report of Ships’

Bombardment Survey Party U.S. Strategic Bombing Survey », RG38 A1 320 (archives nationales des États-Unis).

(33)

établissements commerciaux est également supérieur à celui des bombarde- ments navals (57,7 %). D’ailleurs, le spectacle des zones inondées, partielle- ment détruites, en rappelait la tragédie. Mais c’est peut-être justement leur souvenir comme celui de la reconstruction et du développement ultérieurs qui ont été le moteur de l’approche rapide et positive adoptée à l’occasion de la reconstruction à suivre.

III. Une crise progressive

« Ville du fer, du poisson et du rugby. »

Ce slogan se trouve désormais partout dans la ville. Il est évident que le « fer » désigne ici l’industrie sidérurgique soutenue par les usines de Kamaishi, le « poisson » l’industrie de la pêche pélagique et le « rugby » l’équipe de Shin Nippon seitetsu Kamaishi 新日本製鐵 (Nippon Steel Kamaishi), surnommée « Kita no tetsujin » 北の鉄人 (Hommes de fer du Nord) depuis qu’elle a remporté pendant sept années consécutives le championnat du Japon (entre 1979 et 1985). Ces trois domaines ont en commun d’avoir connu leur apogée dans les années 1970 et 1980, pour ensuite décliner peu à peu et vivoter. De plus, l’expression « ville du fer et du poisson » n’est explicitement utilisée que depuis 2005 environ, soit après que le nombre de salariés de l’aciérie a atteint un minimum de 150 depuis la guerre et après que le volume des transactions du marché aux poissons a chuté au tiers de son niveau le plus élevé4. Ainsi, Kamaishi a reconstruit son identité locale en s’appuyant sur la mémoire d’industries autrefois pros- pères. Mais comment cette ville industrielle a-t-elle fait face à l’affaiblisse- ment progressif de ses industries de base ?

4. Une recherche Internet avec les mots « ville du fer et du poisson Kamaishi » a révélé que l’expression est apparue pour la première fois en février 2002 (une seule occurrence) et, depuis 2005, son utilisation est en augmentation principalement par la mairie de Kamaishi. De son côté, l’équipe de rugby de Shin Nippon seitetsu Kamaishi est devenue un club en 2000, le Kamaishi Shīueibusu 釜石シーウェイブス (Kamaishi Seawaves) en 2001, dont le cercle de soutien (de la ville, des entreprises locales et des citoyens) s’est élargi (Miyajima 2009 : 128-139). Là encore, on peut donc dire que le déclin du rugby a participé à la popularité de la « ville du rugby ».

(34)

Tout d’abord, bien que le nombre de salariés de l’aciérie de Kamaishi ait été à son apogée après-guerre, en 1961, soit au cours de la première moitié de la période de la Haute croissance économique (1955-1973) –  13 158  personnes employées par l’aciérie principale et les filiales du groupe –, ce nombre a rapidement diminué dès 1964, avec le transfert à grande échelle vers la nouvelle aciérie de Fuji seitetsu 富士製鐵 située dans la région du Tōkai (Hyaku nen shi hensan iinkai 1986 : 239 ; Nakamura 2009a : 5-6). Cependant, si au début des années  1970, avec les progrès technologiques et la restructuration, la production d’acier brut a continué d’augmenter, malgré une diminution de la main-d’œuvre, dans la seconde moitié des années  1970, lorsque la récession touchant la sidérurgie s’est aggravée, on a assisté à des rationalisations par vagues successives, com- mencées en 1978, et à la diminution progressive de la production (Hyaku nen shi hensan iinkai 1986 : 266-267). Puis, la principale usine a fermé en 1980 et le haut fourneau en 1989, ce qui mit fin à l’activité de sidérurgie locale, ne laissant subsister qu’une usine de fil machine. En conséquence, le nombre de ses salariés a fortement baissé à partir de 1990, si bien qu’en 2005, il était d’à peine 150, soit près du centième de son chiffre maximal.

Par la suite, ce nombre a cessé de baisser et est remonté à 224 en 2010 (fig. 04). En outre, bien que les installations portuaires et de transport aient été gravement endommagées en mars 2011, les bâtiments des usines ont échappé de justesse à l’impact du tsunami. Par conséquent, le laminage des fils d’acier a repris dès avril et il a été possible d’importer des matières premières et d’expédier des produits grâce aux installations portuaires. La reprise immédiate des affaires a en outre été importante pour maintenir les commandes et rendre attractif le maintien de l’aciérie de Kamaishi dans le département, mais aussi à l’échelle nationale (Shin Nippon seitetsu Kamaishi seitetsujo 2014 : 382-389). Depuis, le nombre de salariés a pro- gressivement augmenté pour atteindre 237 en 2015.

Voyons ce qu’il en est du volume des transactions sur le marché aux pois- sons. La ville, devenue un centre de la pêche au thon dans les mers de Béring et d’Okhotsk après-guerre, se vantait d’un volume d’affaires de 10 à 11 milliards de yens au début des années 1980, période pendant laquelle elle profitait du prix élevé du poisson, de l’augmentation des stocks de sardines, mais également de l’essor de la pêche pélagique au calmar. Cependant, la mise en place du système des 200 milles marins (zone économique exclusive) en 1977 a entraîné la réduction de zones de pêche, puis le démantèlement

(35)

de la pêche pélagique et, dans la seconde moitié des années 1980, c’est au tour de la pêche hauturière de décliner, car elle est devenue non rentable en raison de la baisse du prix du poisson et de la hausse du prix du fioul, toutes deux liées à l’augmentation rapide des importations de produits de la mer.

En conséquence, le rendement des transactions du marché aux poissons de Kamaishi tombe de 7,9 milliards de yens en 1990 à 4,2 milliards de yens en 1995 (Kase 2008 : 89, 2009 : 204-205). Dans les années 2000, il plafonne à 3 milliards de yens à peine, mais le tsunami causé par le grand séisme de la côte Pacifique ayant gravement endommagé la pêche côtière, il chute à 1,77 milliard de yens en 2015 (fig. 04).

Fig. 04

Nombre de salariés à Nippon Steel Kamaishi et volume de transactions du marché aux poissons de Kamaishi.

Sources : Nakamura (2009a : 5) ; statistiques de la ville de Kamaishi ; recensements annuels ; guides de l’aciérie Nippon Steel, 2006, 2011 ; rapport annuel 2016 de Shin Nippon Steel ; docu- ments de la division de la pêche de la ville de Kamaishi.

Remarque : La population a diminué de 60 005 personnes entre 1885 et 1990.

Comme décrit ci-dessus, l’industrie sidérurgique de Kamaishi et la pêche ont respectivement atteint leur apogée au début des années  1970 et au début des années 1980, pour décliner depuis lors. Cependant, il convient de noter que les habitants ne sont pas restés les bras croisés face au déclin

(36)

des grandes industries : ils ont activement pris des mesures pour répondre à cette crise progressive et pour maintenir la communauté locale. En freinant les investissements excessifs dans les secteurs de la pêche et des produits manufacturés pendant la croissance du début des années 1980, il a été pos- sible, après les années 1990, de répondre à la dégradation rapide de l’envi- ronnement, et de suivre un processus relativement graduel de réduction de la pêche (Kase 2008 : 89)5. Depuis la seconde moitié des années 1970, les aciéries se sont quant à elles appliquées à favoriser le développement tech- nologique et à renforcer les usines de fil machine, afin de préserver la survie du bureau de Kamaishi (Aoki, Nitta & Umezaki 2009 : 79-85). En outre, la ville a fourni un effort tout particulier – notamment à travers la créa- tion ou l’invitation d’entreprises nouvelles, en coopération avec les aciéries locales – pour préserver les emplois dans la région (Nakamura 2009 : 152- 165). Ces efforts constants avaient pour but de freiner le rapide déclin de l’économie locale dû à la chute des aciéries.

En conséquence, les produits manufacturés de Kamaishi destinés à l’ex- portation ont connu une certaine revalorisation après un creux en 1990, à la suite de l’arrêt du haut fourneau, et ont fortement augmenté de 2005 à 2008 (fig. 05). Cela reflète une bonne performance de la production de fil d’acier et l’attractivité des entreprises, grâce aux efforts de ceux qui ont affronté cette « crise progressive ». La valeur des produits manufacturés, en cours de reprise, a chuté une fois en 2009 en raison de la crise financière de 2008, avant d’être de nouveau touchée par le grand séisme de mars 2011.

Cependant, elle est en hausse constante depuis 2012, et est restée stable de 2013 à 2016 malgré la stagnation de l’économie japonaise. Si l’on considère la répartition par branche d’activité, l’acier, qui représentait 70,9 % du total en 1981, a fortement baissé depuis 1990 en raison du déclin des aciéries, atteignant 26 % en 2000. Au contraire, le nombre de machines chargées d’attirer les entreprises a augmenté, atteignant 36,1 % en 2000 (Nakamura 2009 ; fig. 06). Mais depuis 2005, la part de l’acier a augmenté, pour reve- nir à 53,3 % en 2008. De plus, de 2011 à 2012, la valeur totale des expor- tations de produits manufacturés a chuté après la triple catastrophe et a été

5. Ici, Kamaishi est comparé à Hachinohe et à sa croissance rapide, suivie d’un déclin dû à une forte baisse du prix des débarquements, passant de 90  milliards de yens à 10 milliards de yens au cours de la période.

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soutenue par l’acier, dont le niveau se maintient à environ 55 %. Toutefois, depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, cette part a légèrement diminué en raison de la faiblesse des livraisons et de la progression des machines et des produits alimentaires6.

Fig. 05

Évolution de la valeur des produits manufacturés (en termes réels rapportés à l’indice des prix des biens, base 100 en 2015).

Sources : statistiques de la ville de Kamaishi ; études sur les produits.

6. À partir de 2016, la part du prix des exportations de produits manufacturés se répartit comme suit : acier à 39,3 %, machines à 32,8 % et produits alimentaires à 15 %. Ces chiffres viennent de l’enquête sur les statistiques de la ville de Kamaishi et des statistiques industrielles publiées chaque année.

(38)

Fig. 06

Répartition des productions des industries manufacturières de Kamaishi.

Sources : Nakamura 2009a : 6 ; statistiques de la ville de Kamaishi, 2010-2017 ; enquêtes sur les statistiques industrielles, 2011-2012.

Remarque : Seuls les établissements commerciaux de 4 personnes ou plus sont pris en compte.

Les blancs représentent les établissements commerciaux qui gardent leurs chiffres secrets.

IV. Une crise chronique

L’exode rural dû à la décroissance démographique est considéré comme représentatif des crises locales. La loi sur les mesures spéciales pour la pro- motion de l’indépendance dans les zones dépeuplées (kaso chiiki jiritsu sokushin tokubetsu sochi hō 過疎地域自立促進特別措置法, promulguée en mars 2000, amendement définitif en mars 2017) détaille dans son article 2, paragraphe 1, les critères des zones dépeuplées ainsi qu’une liste des muni- cipalités y répondant au paragraphe 2. Selon ces critères, le ministère des Affaires intérieures et des Communications (Sōmushō 総務省, MIC) a défini (en avril  2017) 647  municipalités comme zones dépeuplées, dont

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Kamaishi, sur les 1 718 que compte le pays7. En d’autres termes, on peut dire que Kamaishi partage cette crise avec 646 autres municipalités consi- dérées comme dépeuplées, dans tout le pays. Voyons à présent en détail la progression du dépeuplement dans la ville de Kamaishi (fig. 07).

Fig. 07

Évolution de la répartition de la population active.

Source : recensement du Japon ; statistiques de la ville de Kamaishi.

Le recensement national indique que la population atteint un pic de 87 511 habitants en 1960, mais, selon la revue éditée par la municipalité, la population aurait atteint 91 664  habitants en 1961 (Kamaishi-shi-shi hensan iinkai 1977). Cependant, en raison de la migration progressive des salariés et de leurs familles de l’aciérie de Kamaishi à celle de Tōkai, la popu- lation a chuté à 72 923 en 1970, et diminue depuis continuellement à cause de la restructuration de l’aciérie (Nakamura 2009a : 5-6). Depuis la ferme- ture du haut fourneau en 1989, la tendance s’est soudainement accélérée,

7. Voir les mesures contre le dépeuplement administratif et financier local sur la page d’accueil du ministère des Affaires intérieures et des Communications : http://www.

soumu.go.jp/main_content/000476763.pdf.

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et la population est tombée en dessous des 50 000 habitants en 1995, puis en dessous de 40 000 en octobre  2010, soit juste avant le grand séisme de 2011. La ville avait alors un pourcentage de jeunes actifs de 9,8 % (le taux minimum indiqué par la loi sur les zones dépeuplées est de 12 %) ; celui des personnes âgées était de 34,8 % (32 % ou plus selon la loi) et la décroissance démographique de 34 % pour la période 1985-2010 (19 % ou plus selon la loi) : elle avait ainsi tous les critères d’une zone dépeuplée.

La fermeture du haut fourneau en 1989 a clos la période de déclin démo- graphique et social marqué par la contraction du noyau industriel local, et par la suite, la décroissance démographique est due essentiellement au solde naturel. Pendant cette période en particulier, le taux de la population jeune est tombé en dessous de 20 % en raison du manque d’emploi, et la population a continué de vieillir.

Après le grand séisme de la côte Pacifique du Tōhoku, la population a encore diminué, mais la part active, en baisse constante jusqu’alors, a cessé de diminuer. Le nombre d’ouvriers du bâtiment et les flux migratoires venant d’autres villes et villages du département, ainsi que de tout le pays, ont rapidement augmenté. On peut penser qu’il s’agit ici d’une augmenta- tion temporaire due aux projets de reconstruction. Par conséquent, une fois ceux-ci achevés, la population risque de décliner à nouveau.

V. Des réponses aux crises locales sont-elles possibles ? Dans le présent article, nous avons analysé selon trois angles – crises sou- daine, progressive et chronique – la structure pluridimensionnelle des crises dans la région de Kamaishi. Toutefois, comment y ont réagi les habitants ? Pour répondre à cette question, nous aimerions examiner l’histoire et l’état actuel de la réponse à ces crises, ainsi que les problèmes à venir.

Tout d’abord, examinons les caractéristiques des réponses données par la ville à une crise soudaine, en comparant l’historique des reconstructions après la guerre et après le grand séisme de la côte Pacifique du Tōhoku. En septembre 1945, juste après la guerre, le conseil municipal de la ville, com- plètement détruite par deux bombardements navals, décide de construire 1 000 maisons préfabriquées dans le cadre du programme de reconstruc- tion d’après-guerre (sensai fukkō kan.i jūtaku 戦災復興簡易住宅, pour un montant de 660 000 yens de l’époque), et il lance dans un premier temps

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