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Le temps nous manque! : libre propos sur le thème de la prescription

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Academic year: 2022

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Le temps nous manque! : libre propos sur le thème de la prescription

JEANNERET, Yvan

JEANNERET, Yvan. Le temps nous manque! : libre propos sur le thème de la prescription. In:

Sévane Garibian et Yvan Jeanneret. Dodécaphonie pénale. Liber discipulorum en

l'honneur du Professeur Robert Roth . Genève : Schulthess éd. romandes, 2017. p. 145-157

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:99582

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(2)

Y

VAN

J

EANNERET

Le temps nous manque !

Libre propos sur le thème de la prescription

Sommaire

Page

I. Prenons le temps 147

II. Le temps t’accule 147

III. Ô temps suspends ton vol 150

IV. L’entreprise : une horloge à grande complication 152

V. La sanction administrative serait-elle éternelle ? 153

VI. Décalage horaire 154

Remarques conclusives 156

Bibliographie 157

Professeur à l’Université de Genève, avocat au barreau de Genève.

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Monsieur le Professeur,

Alors que j’étais étudiant débutant, hésitant naïvement, je me trouvai, un beau matin de l’automne 1990, assis dans un vaste auditoire face à vous. Vous étiez un jeune profes- seur, chargé de convertir une cohorte de fervents ignorants attirés, par goût, par incons- cience, voire par dépit, par la chose juridique. Première heure, d’un premier cours, d’un premier jour, d’une première année de droit : il était question, de manière prophétique, du cours d’Introduction au droit. Nous désignant l’indication « Défense de fumer » trônant de manière autoritaire et disgracieuse sur les parois de bois clair d’un auditoire austère, vous nous demandiez si cette proclamation d’un libertarisme tout helvétique, constituait une règle de droit. Si ma mémoire ne me trahit pas et au risque de devoir voir des cendres descendre, il me semble que la réponse était négative, faute de sanction adossée à cette fumeuse injonction. Sans doute l’autorité, déjà à l’époque soucieuse de faire un tabac parcimonieux du denier public, avait-elle mégoté sur la facture du séri- graphe.

Cher Doktorvater,

C’était encore l’automne, neuf ans plus tard, lorsqu’en 1999 vous acceptiez de m’accorder l’asile académique au sein du Département de droit pénal de l’Université de Genève, avec le projet de rédiger une thèse de doctorat qui, selon vos recommandations, allait immanquablement devoir se frayer un chemin entre le « tout sur rien » et le « rien sur tout ». Et parce que l’on n’a rien sans rien, il a fallu toute votre énergie communica- tive et votre confiance pour que ce projet aboutisse sans accident ni fuite. Et pourquoi une thèse en droit pénal me disiez-vous ? Parce que j’avais envie d’essayer de progresser avec vous, avais-je répondu. Je suis d’abord un rothien avant d’être un pénaliste ! Mon cher Robert,

L’automne toujours – saison décidément propice aux prospections prospères – mais 2006 s’affichant à ma mémoire, tu m’as guidé hors d’UNIGE1 pour prendre mon envol, vers un début de carrière académique aux accents neuchâtelois qui, dix années plus tard2, à l’automne 2015, m’aura remis sur le chemin de mon alma mater, parce qu’une fois en- core, tu as œuvré pour un autre, pour l’un de tes disciples, pour que je puisse tenter de combler avec une gaucherie nécessairement maladroite, un espace que tu avais généreu- sement ouvert. Mais ce temps est injuste qui impose au disciple, sitôt revenu au bercail, de devoir saluer le maître qui s’en va. Mais ce temps est juste qui permet au maître de prendre le large pour savourer le temps et qui permet au disciple de lui témoigner autant d’admiration que de reconnaissance.

1 Je me hasarde à préciser qu’il s’agit de l’Université de Genève qui fut mon nid…

2 Pour un hommage à Robert ROTH dans ce contexte, cf. JEANNERET, Genève Neuchâtel et retour, pp. 1-2.

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I. Prenons le temps

A l’heure de rendre un hommage vespéral, quoique mâtiné de respect et de gratitude, à celui dont j’eus le privilège d’être le disciple, évoquer les tours d’une horloge d’un temps rythmé par la présence déterminante de Robert ROTH à chaque moment déterminant, mais aussi parler du dernier grain d’un sablier qui rend au maître la liberté de son temps, c’est m’entraîner à me laisser à nouveau tant tenté par la tentation du temps3 que l’on cherche à faire rimer avec le droit. Mais à moins de le faire grivois, temps ne rime pas avec droit. Toutefois, si l’on prend le temps de voir le droit se prescrire, on peut envisa- ger de voir le droit prendre le temps de rire. Ainsi, par l’acrobatie des sons qui font de l’absurde une démonstration, c’est de prescription qu’il sera question dans ces lignes.

La prescription est la notion juridique par excellence qui matérialise le cycle du temps, mettant simultanément, par une césure, un terme à un processus et une impulsion nou- velle au temps qui suit. L’action qui se prescrit donne aussitôt naissance à une liberté nouvelle pour celui qui en était la cible. La peine qui se prescrit, au passage des douze coups de minuit témoignant de l’indulgence du temps, procède à la métamorphose d’un cas rosse en une vie nouvelle, sans peur ni trouille (si trouille il y a) de se faire passer les fers au pied par un geôlier fort peu charmant. Les soixante-cinq bougies que l’on souffle mettent un terme à la traite continuelle de la connaissance du professeur vers l’étudiant, pour ouvrir les portes, avec un relent de récidive, à la retraite.

La prescription présente encore l’avantage de traverser plusieurs des disciplines du droit que Robert ROTH, esprit curieux, bondissant, infatigable, conquérant des grands espaces et éclectique, a balayé tout au long de sa carrière. Faisons donc tourner les aiguilles du chronographe prescripteur en visitant successivement le droit pénal matériel, la procé- dure pénale, le droit des sanctions, les droits de l’homme, les entrelacements entre droits administratif et pénal, le droit pénal international et inversement.

II. Le temps t’accule

Robert ROTH a enseigné et travaillé abondamment sur le droit pénal matériel auquel est rattaché, d’un point de vue de la systématique légale, le corpus des règles relatives à la prescription de l’action pénale. Il s’agit des art. 97, 98 et 101 CP4, dont on rappelle qu’ils

3 Référence maladroite à une contribution marquant mes premiers pas à l’Université de Neuchâtel et dans laquelle Robert ROTH était désigné comme mon maître à penser : JEANNERET, Temps tant ten- tant.

4 Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (RS 311.0).

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s’appliquent à l’ensemble des infractions de droit fédéral, y compris celles contenues dans le droit pénal accessoire, par le renvoi de l’art. 333 al. 1 CP5. La prescription de l’action pénale ne doit pas être confondue avec la prescription de la peine des art. 99 et 100 CP qui constitue aussi un obstacle lié à l’écoulement du temps, mais s’agissant de l’exécution d’une peine.

La prescription de l’action pénale constitue un obstacle absolu à l’action publique lié à l’écoulement du temps. Elle n’impose pas le prononcé d’un jugement au fond de non culpabilité, mais le rendu d’une ordonnance de non-entrée en matière (art. 310 al. 1 let. b CPP) ou de classement (art. 319 al. 1 let. d CPP), y compris lorsque la prescription sur- vient devant le tribunal en phase de jugement (art. 329 al. 1 let. c et al. 4 CPP)6.

Les fondements de la prescription en droit pénal sont multiples. La doctrine et la juris- prudence7 invoquent tantôt l’amendement du délinquant par le simple écoulement du temps ou la punition que représente, pour l’auteur, le temps qui passe avec la crainte permanente d’être arrêté et traduit en justice. On peut également penser à la disparition de l’intérêt public à la punition, ainsi que l’effet guérisseur du temps écoulé qui suffit à restaurer la paix sociale que l’infraction avait troublée. Enfin, il existe aussi de simples aspects pratiques, dans la mesure où l’écoulement du temps peut entraîner la disparition et/ou la perte de fiabilité des preuves.

La nature exacte de la prescription de l’action pénale est controversée. Pour les uns, elle relève du droit matériel à l’image de sa position systématique dans le CP, tandis que pour les autres, elle se rattache au droit pénal formel ou encore, pour certains, elle constitue une institution mixte8. Cette controverse n’a toutefois pour ainsi dire aucune portée, dans la mesure où, dans tous les cas, la conséquence de la prescription est l’arrêt de l’action pénale. Par ailleurs, s’il fallait avoir un doute sur les principes d’application ratione temporis des règles relatives à la prescription, en raison de leur nature matérielle ou formelle, le législateur a pris soin de consacrer à l’art. 389 CP les principes généraux de l’art. 2 CP, soit l’interdiction de la rétroactivité, sous réserve de la lex mitior9.

5 L’art. 333 al. 6 CP prévoit un certain nombre d’exceptions sur le détail desquelles il n’y a pas lieu de s’attarder dans le contexte limité de la présente contribution.

6 BSK StGB I-ZURBRÜGG, art. 97-101 N 60 ; BSK StPO-GRÄDEL/HEINIGER, art. 319 N 15 ; BSK StPO-STEPHENSON/ZALUNARDO-WALSER, art. 329 N 5.

7 CR CP I-KOLLY, art. 97 N 5-6 ; SCHUBARTH, pp. 68-69 ; BSK StGB I-ZURBRÜGG, art. 97-101 N 40- 50 ; ATF 92 IV 201 c. a ; ATF 117 IV 233 c. 5d/aa ; ATF 129 I 151 c. 4.3 ; ATF 132 IV 1 c. 6.1.1 ; ATF 134 IV 297 c. 4.2.4 ; TF, 6B_7/2014, c. 4.2.2.

8 Entre autres auteurs : CR CP I-KOLLY, art. 97 N 2-4 ; SCHUBARTH, p. 69 ss ; BSK StGB I- ZURBRÜGG, art. 97-101 N 51-57 ; ATF 105 IV 7 c. 1a.

9 Sur cette question : ATF 130 IV 101 ; TF, 6B_456/2014, c. 2.1 ; TF, 6B_315/2016, c. 2.2.

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Dans l’une de ses innombrables publications, le jubilaire a longuement disserté sur la protection pénale de l’intégrité face aux accidents10 ; en d’autres termes, il y était large- ment question des atteintes par négligence à la vie et à l’intégrité corporelle au sens des art. 117 et 125 CP. Dans le domaine de la prescription, ces infractions présentent une singularité, s’agissant de définir le dies a quo de la prescription. En effet, ces dernières étant de nature matérielle, la prescription commence à courir au moment de l’accomplissement de l’activité coupable (art. 98 let. a CP), ce qui correspond à l’adoption par l’auteur du comportement incriminé, indépendamment du moment de la survenance du résultat11. Ainsi, il se peut que l’action pénale se prescrive avant même la survenance du résultat requis pour que l’infraction soit pleinement consommée ; tel est le cas, par exemple, d’une contamination fautive à l’amiante dont l’issue mortelle se mani- feste plus de dix ans12après l’acte imprévoyant13.

La situation de l’amiante a occupé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt Moor14qui a retenu, en substance, que le délai de prescription absolue de dix ans depuis le « fait dommageable » (art. 60 al. 1 CO) du droit suisse de la responsabilité civile violait, en l’espèce, le droit d’accéder à un tribunal au sens de l’art. 6 § 1 CEDH.

En effet, considérant la particularité du cas d’espèce où la période de latence entre la contamination et l’apparition de la maladie est très longue, une prescription décennale revient pratiquement à priver la victime de tout accès effectif à la justice.

Ce défaut que dénonce la Cour européenne se retrouve, dans la même mesure, s’agissant de la prescription de l’action pénale, puisque le terme de la prescription pénale intervient

« … avant même que le lésé ne sache qu’il est atteint »15. Toutefois, si le principe qui se dégage de cet arrêt peut être transposé, dans l’esprit, à la prescription pénale, il n’est pas transposable dans l’application directe de l’art. 6 § 1 CEDH, parce que cette garantie conventionnelle ne permet pas à un lésé de revendiquer un droit au prononcé d’une sanc- tion pénale contre un tiers16. Ainsi, dans l’optique pénale du droit d’accès à un tribunal au sens de l’art. 6 § 1 CEDH, il n’y a pas de place pour les doléances du lésé, quand bien même le cours du temps se montre ici bien sournois, puisqu’il siffle la fin des hostilités, avant même que celles-ci aient commencé.

10 ROTH, Droit pénal face au risque.

11 CR CP I-KOLLY, art. 98 N 7-10 ; BSK StGB I-ZURBRÜGG, art. 98 N 1-13.

12 Il s’agit du délai de prescription des art. 117 et 125 CP, selon l’art. 97 al. 1 let. c CP.

13 ATF 134 IV 297 ; TF, 6B_1026/2008, c. 2.2.

14 ACEDH Moor et autres contre Suisse du 11 mars 2014 (requête n° 52067/10 et 41072/11) ; pour un développement complet de cette problématique cf. KRAUSKOPF/JEANNERET, p. 137 ss.

15 ACEDH Moor précité, § 74.

16 ATF 134 IV 297 c. 4.2.5 ; TF, 6B_131/2015, c. 2.2.1 ; TF, 6B_287/2015, c. 3.4.

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III. Ô temps suspends ton vol

Qui eût pu penser que LAMARTINE ferait un jour partie des auteurs cités à l’appui d’une réflexion de procédure pénale ! Pourtant, c’est bien de procédure dont il est ici question, sujet que Robert ROTH a exploré dans ses moindres recoins, y compris comme praticien chevronné lorsqu’il siégeait, des années durant, comme juge titulaire de la défunte Cour de cassation genevoise, occise sous les coups de boutoirs d’un fédéralisme procédural appellatoire.

C’est en effet une notion purement procédurale qui définit le moment à partir duquel la prescription se brise dans son élan et cesse à jamais17 de courir ou de voler, selon que l’on veuille utiliser des aires ou des ailes. Ainsi, en application de l’art. 97 al. 3 CP, la prescription de toutes les infractions pénales18 cesse de courir lorsque, avant son échéance, un jugement de première instance a été rendu19. L’actualité jurisprudentielle permet, à cet égard, une précision majeure, puisque le Tribunal fédéral20vient de consa- crer l’application de l’art. 97 al. 3 CP aux mineurs, comblant ainsi une lacune découlant du DPMin21.

La notion de jugement de première instance correspond avant tout à un jugement statuant au fond sur l’action pénale au sens de l’art. 80 al. 1 CPP, qu’il condamne ou qu’il ac- quitte22, rendu par un tribunal de première instance (art. 19 CPP) au terme d’une procé- dure contradictoire. Nonobstant la teneur de l’art. 320 al. 4 CPP qui proclame l’équivalence de l’ordonnance de classement et de non-entrée en matière23à un acquit- tement, le Tribunal fédéral24 retient qu’un classement ne constitue pas un jugement de première instance interruptif de la prescription. Le jugement rendu par défaut dans le cadre de la procédure décrite aux art. 366 ss CPP, puisqu’il n’est pas rendu de manière

17 L’interruption de la prescription est en effet définitive : CR CP I-KOLLY, art. 97 N 69 ; même en cas d’admission d’une demande de révision en faveur d’un condamné : ATF 141 IV 145 c. 2.4.

18 Y compris les contraventions, par le renvoi de l’art. 104 CP, a précisé le Tribunal fédéral : ATF 135 IV 196 c. 2 ; ATF 139 IV 62 c. 1.1.

19 Ce qui correspond au prononcé du jugement et non à son entrée en force : ATF 130 IV 101 c. 2 ; TF, 6B_819/2010, c. 4.3 ; CR CP I-KOLLY, art. 97 N 71 ; BSK StGB I-ZURBRÜGG, art. 97 N 72.

20 TF, 6B_646/2016, c. 1.9 qui renverse dans cette mesure l’arrêt TF, 6B_771/2009.

21 Loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 20 juin 2003 (DPMin ; RS 311.1).

22 Suite à un renversement de jurisprudence initié à l’ATF 139 IV 62.

23 L’art. 320 al. 4 CPP ne mentionne que l’ordonnance de classement, mais la jurisprudence s’est chargée de prolonger les effets de cette assimilation à l’ordonnance de non-entrée en matière : TF, 6B_614/2015, c. 2.2.2 ; TF, 6B_861/2015, c. 2 ; TF, 8C_98/2016, c. 4.2.1.

24 TF, 6B_614/2015, c. 2.2 ; TF, 6B_927/2015, c. 1.

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contradictoire, n’a d’effet interruptif que dans la mesure où il ne fait pas l’objet d’une demande de nouveau jugement (art. 368 ss CPP) ou que celle-ci est rejetée25.

Quant à l’ordonnance pénale (art. 352 ss CPP), elle ne constitue qu’une proposition de jugement soumise à l’acceptation du prévenu, de sorte qu’elle ne peut être assimilée à un jugement de première instance doté des effets de l’art. 97 al. 3 CP que lorsqu’elle en acquiert le statut, soit lorsqu’aucune opposition n’a été formée (art. 354 al. 3 CPP)26. A noter que le mandat de répression de l’art. 64 DPA27 est soumis au même régime que l’ordonnance pénale28, mais non le prononcé pénal de l’art. 70 DPA auquel le Tribunal fédéral29 confère les mêmes effets qu’un jugement de première instance.

Il découle de ce qui précède que tout jugement statuant au fond, quelle que soit la gravité formelle de l’infraction reprochée, confère une forme d’éternité à la poursuite pénale, en marge des règles relatives à l’imprescriptibilité. Si ce mécanisme est indifférent dans le cas d’une condamnation, il n’en va pas de même en cas de libération. En effet, l’heureux bénéficiaire d’un acquittement restera, sa vie durant, exposé à un risque de révision en sa défaveur, certes soumise aux règles restrictives de la révision de l’art. 410 CPP. En d’autres termes, le Tribunal fédéral a inventé l’imprescriptibilité universelle de toute infraction – y compris une banale contravention – lorsqu’un acquittement a été prononcé.

Au gré des développements figurant au chapitre V infra, il est permis de s’interroger sur la conformité d’un tel système au regard de l’art. 6 § 1 CEDH, dans la mesure où l’absence de toute limite temporelle peut porter atteinte au principe de la sécurité juri- dique.

Mais avec un opportunisme de circonstance et un raccourci méthodologique pleinement assumé, dans lesquels il ne faudra pas aller chercher la profondeur d’un raisonnement doctrinal, il faut proclamer, sans hésitation, l’assimilation d’une décision de départ à la retraite à un jugement de première instance au sens de l’art. 97 al. 3 CP. Ce faisant, voici Robert ROTH devenir imperceptiblement imprescriptible, pour le plus grand bonheur de ses disciples !

25 CR CP I-KOLLY, art. 97 N 64-67 ; BSK StGB I-ZURBRÜGG, art. 97 N 63-69.

26 ATF 133 IV 112 c. 9.4.4 ; ATF 135 IV 196 c. 2 ; ATF 139 IV 62 ; ATF 142 IV 11 ; TF, 6B_614/2015, c. 2.2.2.

27 Loi fédérale sur le droit pénal administratif du 22 mars 1974 (DPA ; RS 313.0).

28 ATF 139 IV 62.

29 ATF 133 IV 112 c. 9.4.4 ; ATF 142 IV 11.

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IV. L’entreprise : une horloge à grande complication

Robert ROTH, décidément omniprésent, a abondamment nourri la réflexion doctrinale sur le thème de la responsabilité pénale de l’entreprise dont les contours ont été tracés à l’art.

102 CP, entré en vigueur le 1er octobre 200330. C’est à lui que l’on doit cette expression aux saveurs toutes helvétiques, exhumant le héros de Sempach pour illustrer l’un des indéniables points faibles, non de la défense habsbourgeoise, mais du système suisse de responsabilité subsidiaire de l’entreprise au sens de l’art. 102 al. 1 CP : il parle ainsi du risque d’« effet WINKELRIED »31, dans la mesure où n’importe quelle personne physique qui s’annoncerait comme participant, même éloigné, de l’infraction commise32, offre alors l’impunité à l’entreprise par sa simple apparition dans le viseur de la justice.

Dans le contexte de l’art. 102 CP, la question de la détermination du délai de prescription a occupé le Tribunal fédéral33, lequel a toutefois pu se contenter d’esquiver le sujet, sans toutefois l’affronter avec le courage d’un WINKELRIED rothien. Ainsi, de manière con- cise, on retiendra que selon un premier courant de doctrine, l’art. 102 CP constitue une norme de participation ou d’imputation spécifique, tandis que pour un second, il s’agirait d’une norme indépendante34. Dans le premier cas, la prescription de l’action pénale se déterminerait selon la peine menace de l’infraction de base. Dans le second cas, la pres- cription se déterminerait selon la peine menace de l’art. 102 CP seul, soit l’amende, ce qui aboutirait à une prescription de trois ans (art. 109 CP), si l’on retient le caractère contraventionnel de l’art. 102 CP, voire de 7 ans (art. 97 al. 1 let. d CP). Notre préférence va clairement pour la première hypothèse qui permet à l’action pénale de se prescrire de la même manière pour tous les participants à l’infraction, qu’ils soient personnes phy- siques ou entreprises. Par ailleurs, si l’on retenait la thèse selon laquelle l’art. 102 CP est une contravention se prescrivant par trois ans, WINKELRIED pourrait s’en trouver fort marri si son geste héroïque intervenait plus de trois ans après les faits, puisque son sacri- fice serait alors vain – d’ailleurs jusqu’à la lie – l’entreprise étant déjà à l’abri sous la protection bienveillante de la prescription. Faire passer WINKELRIED pour une pomme ? Tel ne peut être l’intention du législateur suisse, assurément plus inspiré par la gravité de Guillaume TELL que par celle de NEWTON.

30 RO 2003 3043.

31 ROTH, Nouvel acteur pénal.

32 On rappelle qu’il suffit d’un participant personne physique, même accessoire à l’image d’un com- plice (art. 25 CP), pour exclure l’application de l’art. 102 CP à l’endroit de l’entreprise.

33 TF, 6B_7/2014.

34 Le Tribunal fédéral n’a toujours pas tranché cette controverse, même dans l’arrêt de principe ATF 142 IV 333 où, en revanche, il clarifie la question de la nécessaire démonstration des éléments consti- tutifs objectifs et subjectifs de l’infraction commise par une ou plusieurs personnes physiques, comme condition nécessaire à l’incrimination de l’entreprise dans le contexte de l’art. 102 CP.

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V. La sanction administrative serait-elle éternelle ?

Robert ROTH a aussi travaillé sur les zones d’intersection entre le droit pénal et le droit administratif. Il a également participé à plusieurs publications et conférences consacrées au droit de la circulation routière35, domaine à propos duquel je peux modestement m’aventurer à ses côtés et qui présente de nombreux points de contact entre ces deux disciplines du droit.

L’exemple emblématique de ces échanges interdisciplinaires est le retrait d’admonestation du permis de conduire défini aux art. 16 ss LCR36. Cette mesure dont on rappelle qu’elle constitue une sanction de nature pénale au sens de l’art. 6 CEDH, n’est dotée d’aucun délai de prescription. Dans quelques arrêts non publiés37, le Tribunal fédéral a nié que la prescription pénale puisse s’appliquer par analogie à la procédure de retrait d’admonestation. En d’autres termes, la sanction administrative qui frappe le conducteur en faute est imprescriptible.

Toutefois, dans une affaire relative à une sanction disciplinaire frappant un magistrat, la Cour européenne des droits de l’homme38a affirmé que l’absence de tout délai de pres- cription peut aboutir à une violation de l’art. 6 § 1 CEDH. Ainsi, la Cour expose : « que les délais de prescription ont plusieurs finalités importantes, à savoir garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé. Les délais de prescription sont un trait commun aux systèmes juridiques des États contractants en matière d’infractions pénales, disciplinaires et autres »39. Autrement dit, l’absence de prescription peut, selon les cir- constances, représenter une violation de l’art. 6 § 1 CEDH. Suivant d’ailleurs, cette même logique, mais dans le contexte d’une sanction administrative infligée à l’exploitant d’un casino, le Tribunal fédéral40 a retenu une application analogique de la prescription pénale à la sanction administrative. Les juges y41 affirment même que la prescription doit

35 Robert ROTH a été un acteur assidu de plusieurs éditions des Journées du droit de la circulation routière de l’Université de Fribourg.

36 Loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR ; RS 741.01).

37 TF, 1C_43/2008, c. 2 et 3.2 ; TF, 1C_560/2014, c. 3.

38 ACEDH Volkov contre Ukraine du 9 janvier 2013 (requête n° 21722/11), § 137-140.

39 ACEDH Volkov précité § 137 avec une référence à l’ACEDH Stubbings contre Royaume-Uni du 22 octobre 1996 (requête n° 22083/93), § 51 qui contenait déjà cette affirmation ; cf. également ACEDH Vo contre France du 8 juillet 2004 (requête n° 53924/00), § 92.

40 ATF 140 II 384 c. 3-4.

41 ATF 140 II 384 c. 4.2 et les arrêts cités.

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être considérée comme un principe général du droit public qui s’impose à l’Etat, y com- pris sans base légale expresse, découlant du principe de la sécurité du droit et du principe de la bonne foi à charge de l’Etat et ce, tout particulièrement lorsque la sanction adminis- trative revêt un caractère pénal42.

Dès lors, il nous apparaît de manière assez claire que la jurisprudence actuelle qui exclut l’application de tout délai de prescription au retrait d’admonestation est contraire à l’art. 6 CEDH et aux principes rappelés plus haut. Au-delà de ces considérations juri- diques, il convient aussi de se rappeler que la proximité temporelle entre l’infraction et la sanction est un principe de base du droit des sanctions, discipline si chère à Robert ROTH. Une sanction trop éloignée dans le temps peut rapidement devenir un non-sens, voire une injustice contreproductive.

VI. Décalage horaire

Robert ROTH a consacré une énergie considérable, cette dernière décennie, à faire pro- gresser la dimension internationale du droit pénal dans de hautes sphères sur lesquelles je ne peux que lancer un regard admiratif, modeste et en distante contre-plongée. Lorsque le droit pénal se met ainsi à traverser les frontières, il implique nécessairement la relativi- té du temps, le même temps n’indiquant pas la même heure en tous les points du globe, selon que l’on s’accroche à Greenwich par la main droite ou par la main gauche.

Le biais international de ce chapitre, par la lorgnette de la prescription, se jouera sur le terrain de l’entraide internationale.

La prescription est énoncée à l’art. 5 al. 1 let. c EIMP43 comme cause d’irrecevabilité des demandes d’entraide adressées à la Suisse, lorsque la demande implique l’exécution de mesures de contrainte ; cette notion recouvre le même concept que celui de l’art. 196 CPP, à savoir tous les actes de procédure qui impliquent une restriction aux droits fon- damentaux, soit ceux inclus dans le domaine de la « petite entraide » (art. 63 ss EIMP), y compris la privation de liberté en vue d’extradition44. La prescription dont il est question à l’art. 5 al. 1 let. c EIMP est tant la prescription de l’action pénale que la prescription de la peine en droit suisse. Ajoutons encore que cet examen de la prescription doit être effectué par l’autorité suisse requise au moment où elle met en œuvre les mesures de contrainte que suppose l’exécution de la demande d’entraide. Ainsi, par exemple, c’est

42 Pour un développement complet de cette théorie que nous avons déjà soutenue : JEANNERET, Genève Neuchâtel et retour, pp. 34-36.

43 Loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP ; RS 351.1).

44 ATF 126 II 462 c. 4b ; ATF 136 IV 4 c. 6.2 ; ATF 137 IV 25 c. 4.2.1 ; TPF, RR.2015.304 et RR.2016.31, c. 6.1.

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au jour de l’arrestation en vue d’extradition ou du séquestre d’avoirs que l’examen de la prescription doit être effectué45. En revanche, la mesure ordonnée en temps non prescrit peut être maintenue au-delà de la prescription46. Ajoutons encore que cette norme pro- tège toute personne touchée par une mesure de contrainte, même si elle n’est pas visée par la poursuite dans l’Etat requérant47.

Les restrictions découlant de l’art. 5 al. 1 let. c EIMP ne s’appliquent toutefois que dans la mesure où il n’existe pas d’accords internationaux prévoyant des modalités différentes (art. 1 al. 1 EIMP)48. C’est ainsi, par exemple, que l’examen de la prescription est tota- lement exclu de l’entraide avec les États-Unis, lorsque le TEJUS49 s’applique50, ou avec les parties à la CEEJ51 lorsque les faits s’inscrivent dans le champ d’application de cette convention52. En revanche, l’art. 5 TEXUS53 dispose que l’extradition entre les États- Unis et la Suisse sera refusée lorsque l’action pénale ou l’exécution de la sanction est prescrite selon le droit de l’Etat requérant, ce qui exclut toute prise en considération de la prescription dans l’Etat requis54. De même, l’art. 10 ch. 1 et 2 CEExtr55 impose le refus de l’extradition en cas de prescription dans l’Etat requérant uniquement et l’exclut au motif de la prescription dans l’Etat requis. Relevons qu’il s’agit d’une règle nouvelle entrée en vigueur le 1er novembre 201656.

Pour tenter de frôler le domaine de la justice pénale internationale dont Robert ROTH a été l’un des acteurs, on relèvera que la question de la prescription dans le domaine de la coopération de la Suisse avec la Cour pénale internationale ne se pose pas, dans la me- sure où les infractions relevant de sa compétence sont « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale », soit le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et l’agression (art. 5 du Traité de Rome57). Or, à l’instar d’ailleurs de ce qui prévaut en droit suisse (art. 101 al. 1 let. a-d CP), ces infrac-

45 ATF 126 II 462 c. 4b ; ATF 130 II 217 c. 11.1 ; TF, 1A.184/2002, c. 3.4 ; TPF, RR.2015.304 et RR.2016.31, c. 6.1.

46 ATF 126 II 462.

47 ATF 136 IV 4 c. 6.1 ; ATF 137 IV 25 c. 4.3.2.

48 ATF 137 IV 25 c. 6.3.

49 Traité entre la Confédération Suisse et les États-Unis d’Amérique sur l’entraide judiciaire en matière pénale du 25 mai 1973 (TEJUS ; RS. 0.351.933.6) dont l’art. 4 prévoit, pour les mesures de con- trainte, le seul examen des conditions objectives de l’infraction.

50 ATF 118 Ib 266 ; ATF 137 IV 25 c. 4.2.1.

51 Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 (CEEJ ; RS 0.351.1).

52 ATF 117 Ib 53 ; ATF 136 IV 4 c. 6.3.

53 Traité d’extradition entre la Confédération Suisse et les États-Unis d’Amérique du 14 novembre 1990 (TEXUS ; RS 0.353.933.6).

54 TF, 1A.197/2000, c. 3 ; TPF, RR.2009.308, c. 6.3 (affaire Polanski) ; SCHUBARTH, pp. 67-68.

55 Convention européenne d’extradition du 31 décembre 1957 (CEExtr ; RS 0.353.1).

56 RO 2016 3591.

57 Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998 (RS 0.312.1).

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tions gravissimes sont déclarées imprescriptibles par l’art. 29 du Traité de Rome. Il suffit donc qu’il soit question d’une infraction relevant de la compétence de la Cour pénale internationale – et partant imprescriptible – pour que la Suisse coopère en tout temps (art.

16 et 29 LCPI58).

De ce survol stratosphérique, on retiendra que plus on s’éloigne du droit national, plus on se distancie de l’obstacle que crée la prescription, jusqu’à en faire totalement abstraction pour les crimes les plus graves relevant de la compétence de la justice pénale internatio- nale. Ainsi aspiré vers ces hautes sphères, Robert ROTH accède à l’imprescriptibilité, non d’un crime évidemment, mais de la reconnaissance et de l’admiration que l’on éprouve lorsque l’on a eu le privilège d’être l’un de ses disciples.

Remarques conclusives

Monsieur le Professeur, cher Doktorvater, cher Robert,

C’est donc un nouveau temps qui s’ouvre à vous, le maître, à nous, les disciples. Le temps d’une forme de liberté retrouvée pour vous, le temps de l’envol et de la perpétua- tion de votre vision de la recherche, de l’enseignement, de la justice, pour nous. Que ce temps qui est vôtre vous soit souriant, que cet autre temps qui est nôtre vous soit fidèle et chevillé à la gratitude et à l’estime qui m’habitent, au moment de mettre un point final à ces quelques lignes.

58 Loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale du 22 juin 2001 (LCPI ; RS 351.6).

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Bibliographie

Y.JEANNERET, Le temps tant tentant, in : P. ZEN RUFFINEN (édit.), Le temps et le droit : recueil de travaux offerts à la journée suisse des juristes, Bâle 2008, p. 131 ss (cité : JEANNERET, Temps tant tentant).

Y.JEANNERET, Genève Neuchâtel et retour, Un voyage en quinze étapes à travers le droit pénal, Zurich 2016 (cité : JEANNERET, Genève Neuchâtel et retour).

F.KRAUSKOPF/Y.JEANNERET, La prescription civile et pénale, Responsabilité civile – responsabili- té pénale, Genève 2015, p. 137 ss.

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